samedi 29 septembre 2012

la tour de Saint-Amand


In Mgr Deshaines : Le Nord monumental et artistique, Lille, imprimerie Danel, 1897, 2 volumes, volume 1 : pp 70-74




La tour de Saint-Amand, seul reste aujourd’hui conservé de la magnifique église de l’abbaye de ce nom, est l’une des principales curiosités du département du Nord. On ne trouve aucune construction analogue ni en France et dans les Pays-Bas, ni en Italie et en Espagne. Certaines lignes de cet édifice, ainsi que certaines parties de son ornementation, reportent la pensée vers les pagodes de l’Indoustan, monuments que sans doute son architecte ne connaissait pas.

Cette tour, qui a 81 m 50 de haut, est construite en pierre blanche du pays, avec des grès à l’étage qui sert de soubassement. Elle se compose de deux parties : la tour proprement dite, construction large et massive dont la partie centrale monte au-dessus du grand portail entre deux avant-corps qui s’élèvent au-dessus de niches correspondant à ce portail, el la flèche, en forme de dôme allongé, qui repose sur la partie centrale de la tour et qui est accostée de deux clochetons établis au-dessus des avant-corps.

La tour proprement dite est divisée en cinq étages construits chacun dans l’un des cinq ordres d’architecture, tels qu’on les trouve dans les traités de Vignole et de Palladio, le toscan, le dorique, l’ionique, le corinthien et le composite, avec leur base, leur fût, leur chapiteau et leur entablement. Par une disposition qui se rencontre rarement, ces cinq ordres y sont superposés dans un même édifice : et nous devons ajouter que leurs proportions sont trop courtes et que leur ornementation est loin d’être exempte de fantaisie.

Au rez-de-chaussée, qui forme le premier étage et qui est d’ordre toscan les grès sont taillés en bossage, comme dans les grands palais italiens ; au second étage les colonnes sont garnies d’une décoration simulant de larges bandes de fer se coupant à angles droits et maintenus par d’énormes clous ; les colonnes du troisième étage sont contournées l’une dans l’autre ; celles du quatrième présentent des losanges et celles du cinquième des cannelures. La recherche qui se remarque dans les motifs d’ornementation de ces colonnes de quatre de ces étages n’est point dans l’esprit de l’architecture gréco-romaine et ne convient pas à une construction monumentale. La porte et les deux grandes niches du rez-de-chaussée sont bien dans le style. Nous n’en dirons pas autant du grand motif sculpté sur la partie centrale du second et du troisième étage : il représente dans une niche profonde une église en perspective où se voyait Jésus chassant les vendeurs du Temple, sujet en ronde bosse dont il ne reste aujourd’hui que des débris informes, et au-dessus deux banderoles déroulées sur lesquelles on lit encore les textes de l’écriture : Domus mea domus orationis vocabitur et Nolite facere domum patris mei domum negotiationis. Sur chacun des deux avant-corps, on trouve au second étage une cartouche rectangulaire aujourd’hui sans sujet, et au troisième un autre cartouche avec volutes où étaient des bustes postés sur un socle.

La base du quatrième étage porte à la partie centrale, le mot SANCTUS,  écrit en lettres doubles, qui sont entrelacées de manière à former ce mot soit de gauche à droite, soit de droite à gauche. ; de chaque côté on lit en caractère hébraïques ALLELUIA. Le quatrième et le cinquième étage offrent à la partie centrale, comme le second et le troisième, un sujet en perspective qui conviendrait plutôt à un retable qu’à un grand édifice : c’est un oculus très profond, au centre duquel siège l’éternel, entouré de rayons et environné d’anges et de nuages qui se répandent en dehors de l’oculus ; on lit sur l’entablement du cinquième étage vere Dominus est in loco isto. Les avant-corps sont décorés au quatrième étage de grands écussons à volutes où se voyaient probablement les armes de l’abbaye et celles de l’abbé Nicolas du Bois, avec sa devise Pacifice (Note : Les armes de l’abbé du Bois, qui appartenait à une famille de petite noblesse de Tournai, sont d’or à trois fasces de sable et d’après d’autres de sable à trois fasces d’or. Les armes de l’abbaye sont mi-parti au 1 d’or à l’aigle déployée, becquée et membrée de gueules et au 2 d’azur semé de fleurs de lis d’or.), et au cinquième étage d’autres motifs avec bustes.

Une riche balustrade à piliers élégamment tournés couronne cette première partie du monument, dont l’ornementation, comme on vient de le voir, présente de la recherche et de la surcharge sur plusieurs points de la partie centrale et a été formée, pour les deux avant-corps, à l’aide d’un système de placage et de découpage que la France et les Pays-Bas avaient emprunté à l’Italie.

La partie centrale de la tour sert de support, comme nous l’avons dit, au clocher. Ce clocher, que de grandes volutes relient à la balustrade, est un dôme allongé de forme octogonale et divisé, comme la tour, en cinq étages. Dans le premier de ces étages se voient les auvents, ouverts autour d’un carillon très remarquable composé de trente-huit cloches formant trois gammes chromatiques, cinq octaves et demie ; dans le second la date de 1648 (note : on trouve, dans le frontispice du clocher, la date de 1637.) et le mot Pacifice ; dans le troisième des cartouches sculptés et dans le quatrième les armes de l’abbé du Bois et de l’abbaye ; le cinquième sert de base à une lanterne élégante qui domine le monument. Les deux clochetons portés par les avant-corps rappellent la lanterne du clocher.

La description que nous venons de tracer peut faire connaître les lignes principales de l’édifice. Mais il faut le voir, pour se faire une idée du caractère qu’il présente et surtout des nombreux et riches motifs de décoration, qui, depuis le pied de la tour jusqu’au sommet de la lanterne du clocher, sont répandus sur ses diverses faces avec une profusion excessive. On se rappelle, en contemplant cette ornementation, le vers que Boileau écrivait à l’époque même où se construisait la tour :
Ce ne sont que festons, ce ne sont qu’astragales.

Le véritable auteur de ce monument, celui qui en a conçu l’idée, dessiné le plan, dirigé et surveillé l’exécution, c’est Nicolas du Bois, abbé de Saint-Amand, de 1621 à 1673. Il ne peut y avoir aucun doute à ce sujet. Pellisson, l’historiographe de Louis XIV, qui visita l’abbaye au moment où l’on était sur le point d’achever la construction, dit, dans une lettre adressée à Mlle de Scudéry, que « l’abbé est lui-même le seul architecte, le seul directeur des travaux ». Et des religieux de l’abbaye, dans un mémoire dirigé contre lui, l’accusent « d’avoir fait des bastimens de parade et d’avoir voulu estre l’architecte ». M Arthur Dinaux dit que Nicolas Dubois fut à la fois l’architecte, le dessinateur, le directeur et le piqueur des travaux exécutés à l’abbaye, qu’on le voyait à la carrière et sur les échafaudages, et qu’en 1663, lorsqu’il eut été frappé d’une attaque de paralysie, il se fit transporter, sur un brancard, au milieu des ouvriers. Outre la tour, l’abbé avait fait reconstruire l’église et le vaste et riche ensemble de l’abbaye, dans lequel fut élevé, pour servir aux échevins de la ville et aux francs-jurés, l’élégant pavillon qui sert encore aujourd’hui de mairie et où se lisent les dates de 1632 et 1633.

Tout cela avait exigé une dépense d’environ 3 millions, somme qui équivaut à plus de 10 millions de nos jours.

L’académicien Pellisson, dans la lettre dont nous avons déjà cité un extrait, dit, en parlant de l’église et de la tour de Saint-Amand, que c’est l’édifice le plus beau, le plus surprenant qu’il ait vu de sa vie et que c’est un ouvrage digne de la plus savante et de la plus superbe antiquité’. L’histoire de l’art, telle qu’elle est comprise de nos jours, n’a pas ratifié cette appréciation des contemporains de l’abbé du Bois. Mais bien que la tour de Saint-Amand présente, comme nous l’avons déjà dit, des fautes contre les lois qui régissent l’architecture, certaines bizarreries et de la recherche dans les sujets sculptés, et une profusion excessive dans les motifs d’ornementation, il faut reconnaître que c’est un édifice imposant et grandiose, original et unique en son genre, qui constitue un immense effort et une tentative très hardie (note : voir l’appréciation peut-être un peu sévère de M. Léon Palustre, dans la Renaissance en France, où se trouve une remarquable gravure représentant la tour, Paris, Quantin 1879, p.8)



la Noble Tour de Lille à la fin du XIXe siècle


In Mgr Deshaines : Le Nord monumental et artistique, Lille, imprimerie Danel, 1897, 2 volumes, volume 1 : p 51


A Lille, il ne reste des fortifications du Moyen-Age que la Noble tour qui est située sur le rempart, derrière l’hôpital saint-Sauveur. Ce monument se compose d’une puissante tour circulaire de 20 mètres, flanquée à l’ouest de deux tourelles rondes, réunies par une petite courtine rectiligne. Les murs du corps principal ont une épaisseur de plusieurs mètres ; ils sont percés par de longues meurtrières destinées à servir d’embrasures pour les couleuvrines. Construit, comme le prouvent les comptes de la ville, au commencement du XVe siècle, ce donjon formait le centre de la défense de Lille, du côté de la porte Saint-Sauveur. Il était partagé en trois étages, dont le dernier surplombait les autres par une galerie de mâchicoulis. Cette galerie est démolie depuis longtemps ; et l’étage inférieur ou rez-de-chaussée a été enfoui sous le remblai que Vauban a fait élever de ce côté de la ville. Les poivrières, qui recouvrent la grosse tour et les deux tourelles ont perdu beaucoup de leur hauteur. L’ancienne entrée et l’étage inférieur étant enfouis, comme nous venons de le dire, on pénètre aujourd’hui de plain-pied dans le second étage par une petite porte percée du temps de Vauban, d’où un couloir conduit dans une belle salle circulaire à voûte ogivale, soutenue par huit arceaux en pierre, dont les nervures partent du sol pour se réunir au centre à une clé de voûte.. L’escalier conduit au troisième étage, qui est formé d’une salle presque semblable à celle du second, avec cette différence que la voûte, au lieu d’être ogivale, a la forme d’une calotte aplatie ; cette salle est munie d’annexes crénelés, prises dans la tourelle du sud. Un mur ferme l’escalier du rez-de-chaussée, qui est d’ailleurs complètement rempli de terre et de débris.


(Note : L’ensemble de cette description est emprunté à un article publié dans l’Echo du Nord, en date du 9 février 1882, à la suite de la visite faite à la Noble Tour, par la Commission Historique du Nord. Cet article est de M. H. Verly, membre de la commission.)

Le beffroi de Bergues tel qu'en 1897

In Mgr Deshaines : Le Nord monumental et artistique, Lille, imprimerie Danel, 1897, 2 volumes, volume 1 : p 41-42


A l’une des extrémités de la place de l’hôtel de ville de Bergues, s’élève le beffroi, tour en briques e 54 mètres de haut et offrant 7 m 50 de large sur chacune de ses faces. La porte qui donne l’accès à l’intérieur se trouve côté Sud, mais le côté Est, orné d’une manière plus symétrique, faisant face à l’hôtel de ville et moins engagé dans les habitations, peut être considéré comme la façade principale/
Entouré à sa partie inférieure de constructions parasites que l’on a malheureusement laissé s’y grouper, ce beffroi présente, à partir du toit de ces constructions jusqu’à la naissance des tourelles, des arcatures ogivales aveugles, dont les bordures sont formées à l’aide de petites briques moulées exprès. A 23 mètres du sol s’élancent, aux quatre angles de la tour, d’élégantes tourelles octogonales, placées en encorbellement et ornées comme la tour d’arcatures ogivales aveugles. Chaque tourelle est couverte d’un petit dôme en ardoises, offrant aussi une forme octogonale et couronné d’un gracieux campanile ; entre ces tourelles, au haut de la tour, se voient les quatre cadrans de l’horloge portés par des montants en fer. La partie supérieure de ces cadrans forme parapet autour de la plate-forme de la tour. Au centre de cette plate-forme s’élève la chambre des cloches, construction octogonale, qui est ouverte sur toutes ses faces, et au-dessus de laquelle s’élève le campanile central beaucoup plus grand et plus orné que ceux des tourelles. Il est surmonté d’une boule allongée et au-dessus de cette boule tourne au vent le  lion portant un étendard qui sert de girouette. Comme nous l’avons dit l’édifice est en briques, à l’exception toutefois de deux cordons de feuilles frisées ornant les tourelles qui sont en pierre, et de têtes bizarres placées aux angles de ces mêmes tourelles qui sont en bois. Le caractère de l’édifice révèle la fin du XIVe ou le commencement du XVe siècle. C’est à tort que l’on attribue aux Espagnols. C’est un monument qui est bien flamand et qui a été élevé près de deux siècles avant l’établissement de la puissance de l’Espagne en Flandre ; d’ailleurs les Espagnols, comme nous l’avons déjà rappelé, n’ont exercé aucune influence artistique dans les Pays-Bas. A l’intérieur les parties inférieures de la tour, bâties avec solidité et appuyées sur des murs épais et une voûte en ogive, supportent seules le poids des parties supérieures où se trouve la charpente. Cette charpente relie les quatre faces de la tour, sans les charger : la faiblesse d’écarrissage de ses montants verticaux prouve qu’ils n’ont d’autre destination que de prévenir l’écartement et de servir de tirants plutôt que de points d’appui. La charpente qui joue le rôle principal est dans la chambre des cloches; toutes les forces y sont concentrées autour d’un poinçon très solide qui sert d’axe général à la construction et en forme le véritable point d’appui.

La chambre des cloches renferme une grosse cloche dite le Tocsin, pesant 6.783 kilogrammes, une cloche dite de la Retraite ou du Ban, pesant 3.200 kilos, deux autres cloches, pesant chacune 750 kilos et enfin 29 cloches et clochettes de différentes grosseurs, servant pour le carillon. Parmi les inscriptions que présentent ces cloches, nous ne reproduirons que celle de la cloche du Ban, qui est en flamand et dont voici la traduction : « année 1782. Mon nom est cloche du ban, tel était aussi le nom de ma mère âgée de 222 ans et de ma grand’mère âgée de 177 ans. » La cloche de 1782 avait donc été fondue avec une cloche comptant 222 ans d’existence et par conséquent datant de 1560, et celle-ci avait elle-même été fondue avec une autre comptant 177 ans et datant par conséquent de 1383. Or, en cette année 1383, la ville de Bergues a été prise par les Français et livrée aux flammes, à l’exception de trois édifices religieux. Cette date de la fonte de la cloche est probablement aussi celle de la construction du beffroi.

vendredi 28 septembre 2012

autour du trésor de Childéric : Coco Lacour contre Bonnet Rouge


In P. Perin & L.-C. Feffer – Les Francs ; tome 1 : à la conquête de la Gaule – coll. Civilisations, Armand Perrin, Paris, 1987, 229 p. p 122
  
Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, le « trésor » de Childéric, après 1665, ne souleva pas le même intérêt à la cour de France qu’à Tournai et à Vienne. Les reliques de Childéric prirent d’abord place dans les collections royales conservées au Palais du Louvre, avant d’être transférées à la Bibliothèque royale de la rue de Richelieu, où elles semblent avoir été peu accessibles. En effet, tous les chercheurs qui s’intéressèrent à cette découverte se bornèrent à reproduire les planches de Chiflet. Un inventaire daté de 1864, conservé à la Bibliothèque nationale, permet néanmoins de connaître la composition exacte du célèbre trésor.

Ayant traversé sans encombre la période révolutionnaire, le trésor de Childéric fit les frais du vol rocambolesque qui fut perpétré à la Bibliothèque royale dans la nuit du 5 au 6 novembre 1831, sans que la presse judiciaire de l’époque (les archives de la police ayant disparu lors de la Commune de Paris) n’en fit une seule fois mention, à la différence d’autres pièces d’orfèvrerie tenues pour plus prestigieuses, tel la « Patère de Rennes », le « Plat de César » ou le « sceau d’or de Louis XII » ! 

Le vol fut commis par un forçat évadé, Fossard, dit « Bonnet rouge » et par son complice Drouillet, dit « le voyageur ». Tous deux furent rapidement arrêtés par le policier Coco Lacour, adjoint du célèbre Vidocq. Après une enquête pleine de rebondissements, les suspects avouèrent et il fut enfin possible de savoir ce qu’étaient devenus les objets volés en novembre 1831. Les objets en or massif avaient été fondus à la hâte aussitôt après le vol et on retrouva au domicile du dénommé Drouhin, complice de Bonnet Rouge, dix-sept lingots d’or. Les objets les plus difficiles à transformer en lingots, comme les pièces cloisonnées du trésor de Childéric, furent immergées dans la Seine près du Pont-Marie, et à l’aide d’une cloche à plongeur, on pût repêcher le nombre exact de sacs de cuirs indiqués par les accusés, à la fin de juillet et au début d’août 1832. Au total, 77 des 80 kg de pièces d’orfèvrerie et de médailles furent récupérées mais la perte était immense pour l’art et la science. C’est pourquoi, en ce qui concerne le trésor de Childéric, le livre de Chiflet est un document irremplaçable.

le fabuleux coup de pioche d'Adrien Quinquin


In P. Perin & L.-C. Feffer – Les Francs ; tome 1 : à la conquête de la Gaule – coll. Civilisations, Armand Perrin, Paris, 1987, 229 p. pp.119-120

La tombe de Childéric fut découverte le 27 mai 1653 à 15 heures par un maçon sourd-muet, Adrien Quinquin, à l’occasion des travaux de reconstruction de l’hospice Saint-Brice à Tournai. A 2,50 m de profondeur, il mit au jour les débris d’une bourse de cuir remplie de pièces d’or, puis un bracelet en or, ainsi que des restes de fer et surtout une grande quantité de pièces d’orfèvrerie cloisonnée de grenats. Parmi ces objets se trouvait une bague sigillaire en or avec l’inscription CHILDERIC REGIS. Il s’agissait donc bien du roi Childéric, père de Clovis, qui était cité à plusieurs reprises par Grégoire de Tours dans l’Histoire des Francs.


L'anneau sigillaire de Childeric (D.R.)

Cette découverte fit l’objet d’une publicité immédiate à Tournai, puis à Bruxelles. A une curiosité bien compréhensible pour ce trésor royal, les citoyens de Tournai et les habitants des Pays-Bas espagnols ajoutèrent la fierté légitime de posséder la sépulture du roi qui avait engendré la première dynastie de la puissance voisine, la France ! L’archiduc Léopold-Guillaume, gouverneur des Pays-Bas au nom du roi d’Espagne Philippe IV, se fit remettre la presque totalité des trouvailles et chargea son médecin personnel Jean-Jacques Chiflet, de les étudier et les publier, initiative heureuse dont nous lui sommes redevables. Originaire de Besançon, Chiflet (1588-1673) s’était fixé à Bruxelles après une brillante carrière qui l’avait notamment conduit en Espagne, où il fut le premier médecin de Philippe IV. Celui-ci l’avait chargé de publier l’histoire de la Toison d’Or, car Chiflet ajoutait à sa science médicale un talent d’historien qui le conduira à publier près de trente-cinq ouvrages entre 1607 et 1659. On comprend donc les raisons qui conduisirent Léopold-Guillaume à faire appel à cet érudit pour l’étude et la publication de la tombe de Childéric.

L’affaire fut menée avec célérité puisque l’ouvrage paru à Anvers en 1655, en latin, sous le titre d’Anastasis Childerici I Francorum regis ; sive thesaurus sepulchralis Tomaci Nerviorum effossus et commentario illustratus, était illustré  de vingt-sept planches gravées et accompagnées de notations pertinentes. C’est à bon droit que l’on peut considérer ce travail comme la plus ancienne publication archéologique à caractère scientifique réel.

Après sa publication, le trésor fut à nouveau remis à Léopold-Guillaume qui, à son départ des Pays-Bas espagnols en 1656, l’emporta à Vienne. A sa mort en 1662, il devint la propriété de la maison d’Autriche et revint à l’empereur Léopold Ier. En 1665, Jean-Philippe de Schonborn, archevêque de Mayence et prince-électeur du Saint-Empire, obtint que ces précieuses reliques fussent remises à Louis XIV en signe de reconnaissance : en effet, celui-ci avait à la fois aidé l’armée impériale à vaincre les Turcs en Hongrie, en 1664, tout en soutenant le prince-électeur lors d’une révolte de ses sujets. L’empereur accepta, conseillé par son confesseur, le jésuite Brenik, et il fit faire des copies des objets dont plusieurs ont été récemment retrouvées à Innsbruck par le savant allemand Joachim Werner, professeur, membre de l’Académie des Sciences de Bavière. Les originaux furent remis à Louis XIV le 2 juillet 1665, alors qu’il se trouvait au château de Saint-Germain. »

Quand les Dunkerquois jugent leur ville en 1864


In L’habitation ouvrière dans l’agglomération dunkerquoise,  CAUE du Nord, Lille, 1981, 88 pages, pp16-17

« Au moment où de nombreuses constructions nouvelles s’élèvent en notre ville, où de nouveaux quartiers vont se former, les soussignés ont l’honneur de vous soumettre leurs réclamations sur l’état d’abandon dans lequel certaines rues sont laissées depuis trop longtemps déjà. Sur la nécessité d’apporter dans l’éclairage de la ville, d’urgentes améliorations. Sur les mesures qu’il conviendrait de prendre pour assurer à tous les habitants de la cité un air pur et sains, un libre et suffisant accès à toutes les demeures.

Lamentable état de certains quartiers.

Notre ville a toujours joui d’une réputation qu’elle a longtemps méritée, en ce qui concerne l’état d’entretien et la propreté remarquable de ses rues et quartiers.
Nous devons le dire avec regret, cette réputation est gravement compromise depuis quelques années.
Il existe aujourd’hui des quartiers complètement délaissés ; à un moment donné ces quartiers deviennent de vrais foyers d’infections, des cloaques inabordables, contre lequel état toute la population proteste.
N’attendez pas qu’une épidémie vienne justifier cette crainte générale.

Exode de notre population
Depuis quelques années déjà, notre population ouvrière émigre au dehors, ne trouvant plus à l’intérieur que des logements insuffisants, insalubres, inaccessibles pendant les trois-quarts de l’année.
Elle se porte à Saint-Pol, à Rosendaël où elle trouve ce qui lui est refusé en ville, des communications faciles, de l’espace, de l’air et des logements convenables. La caisse municipale souffre la première de cette émigration.
Le gouvernement impérial réclame partout pour la population ouvrière l’assainissement des quartiers insalubres, de larges voies de communication, une distribution d’air et de lumière, partout on voit les centres se transformer.
Il ne sera pas dit que l’administration municipale de Dunkerque reculera de deux siècles quand les autres devancent le progrès, qu’elle entravera plutôt que d’aider aux efforts privés pour embellir la cité et donner aux nouveaux quartiers le même aspect d’aisance et de propreté qu’elle avait autrefois.

Le Jeu de Mail
Depuis le déplacement des fortifications, le Jeu de Mail s’est transformé. Il est devenu un immense quartier où de nouvelles constructions s’élèvent tous les jours.
Mais quel regret pour tout jamais que l’administration ne se soit pas mis en rapport avec les propriétaires pour adopter un plan de percement des rues.
Nous avons là un dédale de ruelles, de petits passages sans aboutissans, ni débouchés.
Puis on peut déjà remarquer que, par suite d’exhaussements, par ailleurs, des maisons sont envahies par les eaux à la moindre pluie ce qu’une sage entente avec les propriétaires en temps utile, des alignements et des nivellements, arrêtés dès le principe, auraient assurément évités.
Dans tout ce quartier, une seule rue a été ouverte, celle du bâton, mais n’est-elle pas devenue un bourbier inabordable, un cloaque infecté pendant tous les hivers ? L’écoulement des eaux ménagères n’y est pas assuré. L’état croupissant de ces eaux chargées de toutes espèces de matières pendant l’état, devient un danger permanent pour le quartier.
Cette rue n’est pas éclairée, ce qui en fait un vrai coupe-gorge, la nuit. Il est temps de porter remède à cet état de choses, nous le réclamons avec insistance.
On peut voir ce que les autres villes font pour leurs nouveaux quartiers : pourquoi en serait-il autrement à Dunkerque ?

A la Citadelle
Dès l’établissement du chemin de fer, le  mouvement du port se porta du côté des quais garnis de rails, c’est-à-dire vers la Citadelle.
Il y a là sept rues d’accès aux quais ; trois seulement sont praticables.
Celle qui conduit à la place de la Citadelle n’est qu’une fondrière, les deux qui la suivent ne sont que d’affreux bourbiers pendant huit ou neuf mois de l’année.
La rue Poudrière de la Marine sert de dépôt d’immondices, de fruits gâtés, de mâchefer provenant des bateaux à vapeur qui stationnent au débouché de cette rue.
Un pareil état demande un remède immédiat.
Ces rues sont des voies communales. Il est urgent de les mettre en état de pouvoir servir à la circulation, de les assainir et de les rendre à leur véritable destination/

En basse Ville
Un certain nombre de rues n’ont que des chaussées de gravier.
Pour la plupart, les accotements ne sont pas garnis bien que l’écoulement des eaux y soit ménagé.
Mais la rue du Canal-de-Bergues reste à l’état de route de terre souvent  impraticable sur une partie de son parcours.
La rue St-Bernard est restée aujourd’hui à l’état de bourbier infect, sans égouts, sans aucune apparence de gravier ou de pavés ; elle n’est même pas éclairée.
Son extrémité vers l’abattoir sert de dépôt d’immondices. De plus, il importe que des constructions élevées contre l’alignement obligatoire de cette rue, soient reportées à l’alignement fixé par la loi.

Ile Jeanty
De ce côté, il y a  beaucoup à faire. Au-delà de la gare, il existe un quartier complètement abandonné, couvert d’habitations établies sans ordre, sans trace de rues, sans communication avec le centre que le passage établi sous le viaduc du chemin de fer souvent couvert d’eau une grande partie de l’année.
Quant à la rue de la Garde, pourquoi l’avoir réduite à 15 mètres au lieu de 22 qu’elle avait et cette largeur primitive de 11 mètres serait à peine  suffisante pour la grande circulation à laquelle elle est destinée. L’administration doit se mettre en mesure pour rétablir cette largeur car sur un côté n’existe encore aucune habitation.
Cette route du Four-à-Chaux qui sera bientôt bordée de maisons vénérables demande à être mise au plus tôt en état de viabilité. On doit y assurer l’écoulement des eaux de la rue de la Gare si l’on veut éviter de voir ces rues transformées en bourbiers chaque hiver comme cela se produit chaque année jusqu’à aujourd’hui.

Derrière la marine
 Il existe là une route qu’on ne saurait appeler rue, où il se fait déjà un grand mouvement qui s’accroitra considérablement avec le port agrandi. 
Rien n’y est fait encore de ce côté : les terrains sont libres. C’est le moment de s’assurer une voie de largeur suffisante et c’est dès aujourd’hui qu’il faut y donner une solution favorable.

En ville
Signalons encore en ville, les rues de l’Est, du Levant, de la Porte d’Eau laissées dans un état d’abandon déplorable.
Puis des réformes urgentes sont à opérer dans l’éclairage général de la ville, et notamment dans celui des quais et des bassins du port.
A certaines époques de chaque lune, le gaz est éteint à une heure peu avancée de la soirée. Quelquefois, il n’est pas allumé du tout par mesure d’économie sans doute malgré les graves inconvénients que cela présente.
Il est temps de porter remède à pareille situation ; des malheurs tout récents ont démontré une fois de plus le danger de ne pas éclairer la nuit entière. Si certaines rues peuvent rester dans l’obscurité pendant une partie de la nuit, il n’en reste pas de même autour des bassins. On n’y circule qu’avec crainte. Faut-il attendre de nouvelles victimes pour obtenir une autre distribution d’éclairage ?

Au résumé
Nous demandons que notre administration municipale fasse procéder sans délai à la mise en état de viabilité de toutes les rues anciennes, nouvelles, grandes ou petites, restées abandonnées aujourd’hui.
Que le réseau des égouts soit complété partout où il n’a pas encore été étendu.
Que les fils d’eau soient établis où ils manquent et que les nivellements et alignements soient déterminés partout où ils ne le sont pas.
Que l’éclairage soit répandu dans tous les quartiers et enfin qu’une plus juste répartition soit faite des deniers de la caisse municipale. Moins de somptuosité dans les constructions… »

Pétition des habitants au Maire de Dunkerque
1864
Publiée dans L’Union Faulconnier en 1931

mercredi 26 septembre 2012

la Colonne de la Victoire de Dunkerque



In Journal Le centenaire du siège de Dunkerque 1793-1893, exemplaire unique, Dunkerque, 9 & 10 septembre 1893,
Qu’elle est belle en l’azur immense
Oh ! Que superbe en son décor
Est la victoire qui s’élance
En son sommet aux reflets d’or
ED.F.


Le monument commémoratif a été érigé sur les plans et sous la direction des architectes de la ville, MM. Jules Lecoq et Jean Morel.
Il se compose d’un piédestal en pierre soutenant une colonne dorique surmontée d’une Victoire en bronze. Le piédestal porte trois inscriptions et un bas-relief représentant la construction du Bastion National.
L’exécution en a été confiée à un artiste de mérite, M. Edouard Lormier, de Saint-Omer, statuaire à Paris, et à M. Ernest Pinée, entrepreneur des travaux municipaux.
L’emplacement ne pouvait pas être mieux choisi ; élevé à l’endroit même où nos pères ont si vaillamment combattu pour Dunkerque et pour la France, ce monument produit le meilleur effet. La Victoire qui le surmonte rappelle aux générations présentes le début d’une inoubliable épopée. Elle évoque le souvenir de ces volontaires de la République qui, embrigadés parmi les vieux régiments de Louis XVI, furent les dignes précurseurs de ces héroïques phalanges qui, pendant quinze ans, promenèrent le drapeau tricolore à travers le monde.
Cette œuvre devait trouver tout naturellement place dans notre journal. Notre cher artiste O. Norie en a fait le motif d’une allégorie à la fois vivante et grandiose, Le présent évoquant le Passé. Les soldats de 1793, sortis de leur « linceul de gloire », viennent revêtus de leurs costumes de guerre, saluer la Victoire qui les fit voler de succès en succès des plaines de la Flandre maritime aux collines de Wattignies. On se rappelle invinciblement le réveil de Raflet où les vieux guerriers, couchés depuis des années dans le suprême sommeil, se lèvent tout à coup, dans leurs uniformes noircis par la poudre des combats, au bruit du tambour qui les convoque à la « grande revue ».

* * *

La première pierre de la colonne a été posée par M. Gustave Lemaire, Conseiller général, Maire de Dunkerque, le 18 mai dernier. Sous la pierre a été placée une boite en plomb renfermant un original sur parchemin du procès-verbal et une série de pièces à l’effigie de la République.
Ont été invités à signer le procès-verbal de la cérémonie :
MM. Gustave Lemaire, maire, Dumont, Deman, Bonpain, adjoints ; Marcel, Reumaux, Verleye, Flament, Spiers, Didier, Hamoir, Gérard, conseillers municipaux, membres de la commission du monument ; M. Bonvarlet, président du Comité Flamand, M. de Lesdain, membre de la commission de la Bibliothèque communale ; M. Meesemaecker, commissaire de l’inscription maritime ; MM. Dardenne, Paul Dubois, ingénieurs des Ponts et Chaussées et MM. les chefs des services municipaux.
L’inauguration aura lieu le samedi 9 septembre, à deux heures du soir.