jeudi 28 novembre 2019

Vauban ou le parfait « honnête homme »


Dans nombre de villes, le souvenir de Vauban perdure au travers de dénominations de rues, de places, d’établissements scolaires voire de cafés ou de restaurants. A plus forte raison dans le Nord où il est mis sur un pied d’égalité avec d’autres militaires régionaux tels Faidherbe. Néanmoins, l’image qu’il laisse est avant tout attachée à la poliorcétique : l’homme s’efface devant son bilan militaire. Il faut bien en convenir : il a bâti une trentaine de places fortes, en a modernisé près de trois cents et mené cinquante-trois sièges. D’ailleurs, sa réputation alors était telle que l’on affirmait « ville assiégée par Vauban : ville prise ; ville fortifiée par Vauban : ville imprenable ». De son vivant, il était l’archétype de l’ingénieur militaire, imité par ses pairs et dont on enseigna longtemps les préceptes dans les écoles militaires pour son ingéniosité et ses solutions inédites.
  


La genèse du plus efficace soutien de la monarchie.
 
L’un des rares contemporains de Saint-Simon que le moraliste n’assassine pas dans ses Mémoires est un petit seigneur morvandiau, né à Saint-Léger-de-Foucherets, devenue depuis Saint-Léger-Vauban (Yonne). Destiné à la carrière militaire, il passe dans le camp du Prince de Condé. Vauban est alors un jeune officier frondeur qui se bat avec ardeur mais ce qui ne l’empêche nullement d’être fait prisonnier en dépit de manœuvres hardies. Convaincu de haute trahison, il attire l’attention du cardinal Mazarin qui réussit à le convaincre de se mettre au service du jeune mais légitime Louis XIV : il n’a que vingt ans quand il est envoyé au siège de Sainte-Menehould en 1653, où il fait montre de courage. D’ailleurs, il est blessé plusieurs fois au cours de sa carrière. Sa fidélité au roi est incontestable. 
 
Si recevoir en mai 1655 son brevet ordinaire d’ingénieur du roi est l’acte de naissance de sa carrière, les batailles de la Guerre de Dévolution en sont les fonts baptismaux en dirigeant les sièges de Tournai, de Douai et de Lille. Pour cette dernière, qui s’est finalement rendue, il produit un projet de citadelle, qui est préféré à celui de son mentor, le chevalier de Clerville. L’année suivante, il est promu Commissaire Général des Fortifications, sous les ordres de Louvois pour l’organisation des défenses terrestres et, en même temps, de Colbert pour fortifier côtes et ports. Deux maîtres difficiles à satisfaire et très soucieux des dépenses publiques. L’homme est habile, il sait avancer des arguments de rentabilité et s’attacher des collaborateurs zélés tel Simon Vollant à Lille, qui appliquent ses ordres à la perfection. Car comment ne pas déléguer quand l’on se porte de siège en bataille, de chantiers en places fortes, que l’on parcoure en basterne (une litière aménagée en bureau mobile) pas moins de 4.000 kilomètres par an ?

Le souci de l’économie

Ingénieur consciencieux, Vauban sait prendre des mesures économiques judicieuses.
Sur ses chantiers tout d’abord, il prend le temps d’observer, de se rendre sur les lieux et de faire établir une cartographie précise : les terrains, les cours d’eaux comme les marais, les matériaux disponibles car ses chantiers se trouvent sur les frontières et les côtes en étant quasiment simultanés, générant des dépenses importantes. C’est une gestion rigoureuse mais les sacrifices demandés au Trésor royal ne sont pas inutiles. Ainsi, si l’on ne cite que le seul exemple de la Citadelle de Lille, dont il veut faire convenir à Louvois qu’elle sera « la reine des citadelles », il mobilise des soldats que les tâches militaires ne concernent pas, paye des ouvriers mais réquisitionne aussi des paysans – pas moins de 2.000 par journée de travail – que des Dragons armés de nerfs de bœuf persuadent de travailler avec plus d’ardeur. Pour les matériaux, il fait acheter des châteaux et des demeures en ruine ainsi que le vaste mur de clôture de l’abbaye cistercienne de Loos. Certes, il y a bien des fours à briques sur place mais pour le parement de la muraille, il fait acheter des briques d’Armentières « plus petites, plus chères mais qui tiennent mieux à la pluie »… 
 
Dans les casernes, les marches des escaliers sont en bois quand elles sont à l’abri de la pluie, quant à celles qui sont exposées aux intempéries, elles sont en pierre bleue, dispendieuses mais inaltérables. Pour cette citadelle, il refuse de recourir aux pieux de fondation car les clochers lillois n’en ont pas, or « qui porte le ciel peut porter les Pyrénées ! D’ailleurs, en creusant, l’on trouve l’eau sous-jacente à un mètre de profondeur. Il impose alors la construction en caisson, procédé rare. Là aussi, le génie est présent : en plus de 300 ans, aucun de ses bâtiments n’eut à souffrir de la nature du terrain au contraire des ajouts de ses successeurs qui n’eurent aucun scrupule à économiser en recourrant au bois pour les fondations. 

L’homme est aussi soucieux d’éviter les conflits. Dès le début des chantiers, il repère les maîtres-maçons qui l’assisteront. Il faut employer des gens du cru, souvent notables par ailleurs, qui ne percevront pas la présence française comme une occupation dans des régions souvent attachées à la Couronne d’Espagne et à celle du Saint-Empire Romain Germanique. Certains reçoivent même des commandes civiles destinées à l’embellissement des remparts. Vauban comprend la nécessité de s’attacher les nouveaux sujets. D’ailleurs, il insiste auprès de Louis XIV pour que ces notables, nobles ou roturiers, puissent prendre part aux emplois publics et aux charges et donc de n’amener des Intendants et autres administrateurs que parcimonieusement. Il est d’ailleurs à l’origine de l’autorisation octroyée par le Roi aux mariages des officiers français avec les Flamandes. L’intégration au royaume ne passa donc pas que par les armes.

Autre cause de mesure : le soin apporté à réduire les pertes en hommes lors des sièges. L’excellence de ses remparts fera bien évidemment la différence en abritant les hommes derrière non seulement des murs épais et solides mais aussi des places d’armes et des chemins-couverts dérobés à la vue de l’ennemi ou de les faisant se regrouper derrière d’épaisses tenailles implantées au devant des courtines. Artilleur, il développe le tir à rebond des boulets au-dessus des tranchées d’approche afin d’éviter ses propres troupes. 
 
Les économies suscitées par ses démarches peuvent ainsi avoir des conséquences importantes car la France, acculée à une double façade maritime, n’est pas une puissance navale. Impossible de rivaliser avec les Anglais comme avec les flottes des Provinces-Unies. Fortifiant Dunkerque dès son acquisition en 1662, il travaille à la promotion de la guerre de course. La Royale n’a aucun moyen de concurrencer des armadas puissamment armées, et les officiers français ne connaissent que souvent mal la mer, acquérant leurs commandements par la vénalité des grades. Les corsaires dunkerquois, voulant en découdre avec les Anglais qui les ont malmenés pendant leurs quatre ans de présence, ajoutent déjà aux destructions et aux prises de navires les pertes économiques des butins revendus et partagés entre capres, armateurs et Trésor royal. L’argument est décisif car la rénovation de la Marine entreprise par Colbert n’apporte pas les résultats escomptés. La course n’est pourtant qu’un expédient. Le succès de ces corsaires n’en est que plus brillant lorsque Jean Bart et ses hommes sauvent la France de la famine en ramenant un convoi hollandais de blé du Texel en 1694.
 

Le bien de l’Etat par-dessus tout

Vauban est un observateur fidèle des régions qu’il traverse au gré de ses missions et de ces populations qu’il côtoie, et ce sans différence de statuts ou de rangs. Vauban, distingué par le roi à maintes occasions - Maréchal de France en 1703, chevalier des Ordres du Roi en 1705 – n’est pas seulement un génial poliorcète.

D’observateur, il passe finalement au rôle de traducteur d’une pensée économique qu’il échafaude en une décennie et dans laquelle la justice est omniprésente.  En publiant son « Projet d’une dîme royale », il prend le risque de perdre l’amitié teintée d’admiration de son roi. Les propos sont révolutionnaires ! La France des humbles est pauvre et loin des ors de Versailles et de la magnificence des palais royaux, il croise des populations lassées des guerres dispendieuses et écrasées d’impôts. Ceux-là ne manquent pas entre prélèvements directs, taxes indirectes, taxes seigneuriales, corvées dues à la couronne comme au seigneur local, survivances de droits seigneuriaux médiévaux, gabelle d’autant plus scandaleuse que le sel est de première nécessité et que les taux sont très variables d’une province à une autre. Rien d’étonnant à ce que des jacqueries provoquées par la pression fiscale sont deviennent banales dans ce royaume, suscitant des répressions extrêmement rigoureuses. La justice – si toute fois elle existe réellement – n’est pas la même selon la naissance ou les lieux. Que peut-il proposer au terme des dix ans de réflexion durant lesquels il s’attache à mettre son projet au point ? Rien de moins qu’une réduction des dépenses militaires, il exprime en même sa désapprobation contre le luxe ostentatoire de la cour affiché par le Roi comme par les Grands qui empêchent les dépenses au profit des populations, les scandales des collectes d’impôts qui, affermées, ont plus de rendement pour les collecteurs que pour le roi, au prix de moult violences. C’est à Lille, au début de l’année 1707, qu’il édite sans l’imprimatur royal son ouvrage. La réaction des privilégiés est rapide : ils se mobilisent immédiatement contre l’homme qui ose dénoncer l’injustice d’une fiscalité ne reposant que sur le seul Tiers-état en exemptant riches et puissants. Le livre est saisi dès son arrivée à Paris mais il n’en démord pas : la cause de l’état prime les toutes les autres. Ses idées, d’ailleurs, sont reprises par nombre de penseurs des Lumières et ne seront appliquées qu’avec la Révolution, trop tard pour Vauban. 
 
Tombé en disgrâce, il rend son dernier soupir dans son hôtel parisien le 30 mars 1707 sans même que le roi en soit averti. Le corps est transféré à Bazoches, son château dans le Morvan et le cœur prélevé pour être placé sous le maître-autel de l’église paroissiale. Les révolutionnaires dispersèrent ses restes en prélevant le plomb des cercueils pour fabriquer des balles. Quant au cœur, Napoléon le fit transférer en 1808 sous le dôme des Invalides à côté du tombeau de Turenne qu’un monument funéraire plus grandiose que l’urne d’albâtre signalera au moment du tricentenaire de sa naissance.
  
 
L’homme et le chrétien
 
Par monts et par vaux, il est le seul à reprocher au roi les conversions forcées par les dragonnades, arguant que la conversion des cœurs n’appartient qu’à Dieu. Dans une France régie par le gallicanisme ; l’argument n’est pas fait pour plaire : outre le peu de sincérité d’une abjuration forcée des Protestants, il pressent la saignée qui affaiblit le royaume le plus peuplé d’Europe par l’exil de ces huguenots habiles négociants et fins artisans, au moment même où le mercantilisme de Colbert porte réellement ses fruits. Mais au-delà des constats du serviteur de l’Etat, il faut voir la marque d’une foi profonde qui veut que la Grâce soit divine et non suscitée par la peur des sévices.

Vauban meurt mortifié, le roi l’ignore, le disgracie. Il est seul ! Entre la saisie de sa « dîme royale » et sa mort, seulement deux semaines d’une immense peine qui a sa part de responsabilité dans son agonie. La justice s’est manifestée sa vie durant comme une constante de son caractère. Avec le « roi très chrétien » pour souverain, ses citadelles ont toute une chapelle, trois services par jour, messe quotidienne obligatoire pour chaque soldat. Il s’attache notamment à réparer ses « erreurs », compréhensibles pour un homme qui, en tout et pour tout, n’aura jamais passé que deux ans en son château de Bazoches, acheté pourtant en 1675 avec une gratification accordée par le roi à la suite du siège de Maastricht… Ainsi, au codicille secret de son testament de 1702, il ajoute qu’« il y a Berghe saint Vinox une jeune veuve, nommée Mademoiselle Baltasar, avec qui j’ai eu peu de commerce et qui cependant prêtent avoir eu un enfant de moy, ce qu’elle m’a affirmé avec de grandz serment ; bien que je n’en sois pas autrement persuadé, je ne me lasse pas de m’en faire un scrupulle, d’autant plus grand qu’il n’est pas impossible que cela ne puisse estre ; c’est pourquoi (mon secrétaire) Friand luy fera connoistre secreto qu’il connaissance de cet affaire, et luy offrira deux mil livres de ma part, pour l’entretien de cet enfant, soit qu’il soit mort ou vivant, car jamais je ne l’ai veu… Je ne veux pas hasarder le salut de mon âme pour cella. »

  
L’Homme laisse des écrits où transparaît une sagesse peu commune aux courtisans qu’il fréquente. La plume du maréchal est prolifique ; des traités sur l’art d’attaquer les places (souvent imprimés à titre posthume), son « projet pour une dîme royale » mais c’est à tort que l’on oublierait les « Oisivetés de M. de Vauban » et les nombreux mémoires dans lesquels il s’attaque à des sujets divers et variés : 150 études dans lesquelles il aborde la culture et la gestion des forêts, l’étude de la navigation et des canaux, des recommandations pour faire prospérer les colonies en Amérique, l’art de bâtir. Même la physiocratie est abordée au fil de ses pages. Il se rapproche plus de l’humaniste -  et du chrétien plus actif que contemplatif – que du modèle communément accepté de génial stratège, d’artilleur et de soldat.

Génial « touche-à-tout » ou visionnaire inspiré ?

A l’inverse de nombre de ses collègues, Vauban replace l’Homme au centre de ses préoccupations, qu’il s’agisse d’en épargner le plus possible ou d’en améliorer la vie quotidienne comme le bien-être. A l’époque de la « guerre en dentelles », le petit Morvandiau est aussi loin du soudard que du courtisan arrivé par la vénalité des charges, un vrai « gentilhomme » dans toute la plénitude du mot.

 

mardi 26 novembre 2019

la triste épopée du Dunkerque


Le croiseur Dunkerque, frère jumeau du Strasbourg, était moins rapide mais mieux protégé qu’un croiseur de bataille classique. Lancé en 1935, ce géant des mers fut l’un des derniers navires de ligne de la Marine Nationale.

Répondre aux nouvelles menaces
En 1933, face à la montée en puissance de la Kriegsmarine, les Français répondent par la construction de nouveaux croiseurs de bataille. La guerre a finalement peu changé depuis le siècle de Louis XIV : les navires s’affrontent en tirant de puissantes bordées, aidés désormais par l’aviation. Le IIIe Reich a de son côté lancé les cuirassés de poche de type « Admiral Graf Spee », puis mis à la mer les puissants croiseurs de bataille « Gneisenau » et « Scharnhorst ». La maîtrise des mers est essentielle pour qui ne veut pas subir de blocus qui asphyxierait l’économie et le priverait de ses ressources lointaines. Le Dunkerque, comme le Strasbourg, déplacent 26.500 tonnes et l’artillerie principale se compose de deux tourelles quadruples de 330 mm, un calibre puissant aux effets dévastateurs… Ils seront suivis des Richelieu et Jean Bart, forts de leurs deux tourelles quadruples de 380 mm. L’heure est encore au gigantisme, aux efforts financiers extraordinaires que l’Europe ne pourra bientôt plus consentir.


Le Dunkerque est mis sur cale le 24 décembre 1932 à Brest, dans la forme du Salou. Il est lancé le 2 octobre 1935 et entre au service actif deux ans plus tard où il devient le navire-amiral de la flotte de l’Atlantique. C’est un navire flambant neuf qui participe en mai 1937 à la revue navale anglaise de Portsmouth pour célébrer le couronnement du roi Georges VI. Quelques jours plus tard, le public découvre sa masse impressionnante lors d’une revue navale au large de l’île de Sein.

Et la guerre éclata
1939, alors que l’armée française attend vainement les Allemands dans les casemates de la Ligne Maginot, les marins du Dunkerque chassent les corsaires allemands dans l’Atlantique, naviguant de conserve avec les navires anglais. Il faut avancer entre Ecosse et Irlande dans une mer déchaînée. Vient avril 1940, ordre lui est donné de rejoindre la Méditerranée, direction Mers-El-Kebir, en Algérie, où la flotte attend l’entrée en guerre de l’Italie. Le Dunkerque, fer de lance de la force française, arbore le pavillon de l’Amiral Gensoul. L’armistice de juin 1940 le surprend au mouillage où il attend d’être désarmé. Le 3 juillet, les forces britanniques attaquent la base. Le Dunkerque encaisse quatre obus de 380 mm. Deux de ces projectiles dévastent la salle des machines. Blessé, le géant s’échoue. Le 6 juillet, les Anglais remettent le couvert, le jugeant insuffisamment touché : les biplans Swordfish du porte-avions Ark Royal lui jettent des torpilles. Pis encore, le patrouilleur Terre-Neuve qui y débarque ses munitions explose. L'arrière du patrouilleur est entièrement détruit et une brèche importante est béante dans la coque du Dunkerque. Le bordé intérieur déformé sur une quarantaine de mètres, plusieurs plaques de cuirasse sont déplacées, le pont blindé déformé, la cloison pare-torpilles déchirée. Le cuirassé rempli d'eau jusqu'à la flottaison est entièrement échoué. En deux attaques, 9 officiers et 209 marins du Dunkerque sont tués. Le Régime de Vichy exploitera l’affaire de Mers-El-Kebir durant toute la guerre. Après des réparations sommaires, il est rapatrié à Toulon en février 1942 pour être placé en cale sèche en vue de réparations et de modernisation…


Funeste 27 novembre 1942
Au matin du vendredi 27 novembre 1942, les Allemands enfoncent la ligne de démarcation. C’est la fin de la zone libre. A Toulon, pour ne pas laisser les navires entre les mains ennemies, la flotte est sabordée. Près de 90 navires sont sabotés. Le Dunkerque est jugé irrécupérable et l’occupant entame sa démolition. Son martyre pourtant ne s’arrête pas là, ce qui reste de la fierté de la Royale est touché par les raids aériens américains. L’épave est renflouée en 1945 et mouille dans la rade toulonnaise en attendant sa démolition définitive qui survient en 1958… De toute façon, l’époque n’est déjà plus aux navires gigantesques, hormis bien sûr les porte-avions.

 

Le Fort d'Englos


 Pour qui prend l'autoroute de Dunkerque à Lille, le haut massif boisé qui fait face à l'église d'Englos de l'autre coté de l'autoroute n'évoque rien, pour celui qui a fait ses classes au 43e RI de Lille, c'est une autre histoire... et bien peu de gens conçoivent que sous les hautes frondaisons, un fort de briques du XIXe s s'y cache..;

Le Fort d’Englos, à Ennetières-en-Weppes, dénommé Fort Pierquin, est un des éléments de la défense de Lille mise sur pied dans le cadre des rideaux défensifs de Séré de Rivières. Construit en 1879, il n’a pourtant jamais été utilisé dans ce cadre.

 
Après la guerre de 1870, désastreuse pour la France, Séré de Rivières conçoit un en semble de fortifications détachées des enceintes urbaines devant empêcher l’approche immédiate des villes, établir des rideaux défensifs tout au long de la frontière de l’est et du Nord, s’appuyer sur les forêts « impénétrables » des Vosges et diriger les troupes ennemies (donc allemandes) vers les plaines du bassin parisien où l’infanterie est censée les tailler en pièces…

A Lille, le plan initial prévoit six forts : Englos, au Vert Galand à Verlinghem, à Bondues, à Mons, à Sainghin et à Seclin, plus les deux batteries de Prémesques et Lezennes. Construits entre 1875 et 1885. A partir de 1890, ils sont complétés par quatorze fortins ou ouvrages intermédiaires armés de quelques canons, réduisant les écarts entre les forts pour leur éviter d’être contournés. Un quinzième fortin était envisagé au vert Ballot près d’Englos mais il ne sera jamais construit. Malheureusement les ouvrages se révèlent vite obsolètes, à peine les constructions terminées, en raison du budget trop faible qui est alloué, des progrès de l’artillerie (obus ogivaux, charges de mélinite et de fulmi-coton) qui auraient obligé à poser des cuirassements. De fait, Lille fut déclarée « ville ouverte » en 1914, déclassée et ne garda au moment de l’arrivée des Allemands en octobre que 2.794 soldats.


Le terrain choisi à Englos est un point haut culminant à 50 mètres au-dessus du niveau de la mer, soit une trentaine de mètres au-dessus des plaines de la Lys et de la Deûle, sur le talus des Weppes. D’une superficie de 10 ha 51 a 57 ca, l’étude est entamée en juillet et août 1878 et les terrain acquis à la fin de l’année. Les travaux commencent dès janvier 1879. Pourtant, dès le printemps 1878 avait commencé l’installation des baraquements pour loger la troupe ainsi que la matérialisation de l’implantation du fort à l’aide de piquets de bois. Au village, des affiches faisaient appel aux ouvriers pour le terrassement, offrant des salaires de 50 centimes de l’heure (environ 1,5 euros) pour tous les hommes porteurs d’une pelle ou d’une bèche. L’offre est alléchante car dans les fermes, les salaires étaient alors de 1 franc par jour pour des journées allant du lever au coucher du soleil, et que les usines, en plein développement, offraient 2 France 50 à 3 francs par journée de travail, provoquant une fuite des effectifs vers le chantier du fort, un phénomène comparable sur les autres chantiers.
 
Au fort, l’on commença par tirer de l’argile des champs Delangre, et l’on cuisit des briques pendant quatre ans. Les travaux entamés en 1878 furent terminés en 1884. Si les salaires sont attractifs malgré des conditions de travail difficiles (les outils sont rudimentaires et rien n’est mécanisé), le chantier ne connait qu’une grève en novembre 1880, avec pour revendication une journée de 9 heures au lieu de 10 sans perte de salaire. Sans protection sociale ni syndicale, trois des principaux meneurs furent arrêtés quelques jours plus tard et traduits en correctionnelle, permettant la reprise du chantier.
En 1887, le fort est officiellement baptisé du nom de Pierquin, un général de brigade mortellement blessé à la bataille de Lannoy le 18 mais 1794. Déjà dépassé, déjà obsolète, il ne fut pourtant jamais armé.

Les terrains et constructions environnantes furent grevés de zones de servitude en trois parties successives reprenant la forme octogonale du fort. En cas de conflit, le commandement avait toute latitude de décider la destruction des maisons de tout ou partie des zones pour faciliter la défense du fort avec un dédommagement des propriétaires sur la base des valeurs déclarées, incluant l’église d’Englos. 


Durant la guerre de 1914-1918, le fort occupe cependant une position stratégique. C’est à sa proximité que les troupes allemandes passent la Lys en venant du nord-est et font leur jonction avec les troupes venant du sud par Wavrin. Elles encerclent Lille le 10 octobre 1914. A cette occasion, il y eut des combats de cavaliers et de hussards français contre des dragons allemands aux abords immédiats d’Ennetières et du fort. La contre-attaque franco-anglaise qui suit fixe la ligne de front à l’est d’Armentières d’octobre 1914 à avril 1918.

Sis à proximité du front, le fort sert alors d’observatoire et de point d’appui arrière à la ligne de tranchées courant dans la zone basse des abords d’Armentières et le long de la rivière des Layes. De fait, il est dans l’espace allemand interdit aux civils et cerné de barbelés. Emergeant de 15 à 20 mètres au-dessus des terrains environnants, il a une vue dégagée sur tout son pourtour, à 4 km des tranchées britanniques. Les Allemands en profitèrent donc pour l’équiper de mitrailleuses et fait l’objet de tirs anglais, notamment d’un train blindé équipé d’un canon de 420 tirant des obus de 600 à 900 kg qui circulait sur les voies ferrées armentiéroises. En même temps, les autres points hauts tels les moulins voisins, l’église d’Ennetières et le cloche d’Englos furent abattus.

En mai 1940 commence la compagne de France. Le fort n’a pas été réarmé mais un régiment de défense aérienne, le 406e, prend position dès le mois d’août 1939 en divers points de la métropole lilloise. Une batterie de DCA s’installe donc au fort d’Englos. Le 20 mai des artilleurs sont envoyés au fort d’Englos au lieu de se rabattre sur la somme et sont obligés de remonter les tubes des canons qui avaient été déposés. Le 24 mai, une compagnie d’un régiment territorial se replie au fort après avoir quitté le secteur de Seclin-Wavrin. Très rapidement, le fort subit un violent bombardement d’artillerie, interdisant aux hommes de sortir. Ce n’est que le soir, profitant d’une accalmie, que les territoriaux purent quitter le fort pour rejoindre Dunkerque. Le 25 mai, bombardements et tirs sont incessants, sans faire de tués ni de blessés au fort, au soir le bataillon quitte lui aussi les lieux en direction de la côte. Dans les jours qui suivent, la division de chars de Rommel encercle Lille, Loos et Haubourdin, où après une âpre lutte, les Français finissent par se rendre.

Durant l’occupation, les Allemands occupent le fort et en font un dépôt d’essence. En 1941, ils y installent leur intendance, protégée par un réseau de barbelés. Selon les anciens d’Englos, ils y employèrent près de 1.000 civils à des taches administratives.

L’occupation y est sans action notable jusqu’au 9 aout 1944 quand un bombardement allié massif est mené par 300 bombardiers qui visent le fort. Durant une vingtaine de minutes, ils déversent 2.500 bombes, occasionnant d’ailleurs de nombreux dégâts aux alentours ainsi que de nombreuses victimes. Dans les premiers jours de septembre 1944, le désordre commence à s’installer chez les Allemands et des soldats coupés de leurs unités se retranchent dans les environs du fort. Un groupe de jeunes résistants occupaient le fort depuis le début de septembre. Ils sont attaqués par les Allemands le 3 septembre, au canon et à la mitrailleuse mais ils restent maitres des lieux.



 
Après-guerre, le fort reste domaine militaire. Survient l’épisode des armes de l’OAS, créée contre l’indépendance algérienne acceptée par de Gaulle en février 1961, cette organisation provoque émeutes et attentats. Dans la nuit du dimanche 14 décembre 1961, comme cela se produit régulièrement, une section du 43e RI de Lille est en exercice dans les alentours du fort et se dirige vers ce dernier. Elle est dirigée par un le lieutenant Bernard, partisan de l’Algérie française, rallié au général Challe et muté en métropole. Avant de poursuivre l’exercice, il envoie tôt le matin ses hommes au café le plus proche ouvert alors et distant de deux kilomètres. Les armes sont alors déposées en faisceau près du fort et confiées à la garde d’une sentinelle et du lieutenant qui reste sur place. Il simule un exercice de vol d’armes et fait accepter à la sentinelle de le ligoter. Il le maitrise par surprise puis deux voitures arrivent et embarquent les armes : une vingtaine de pistolets-mitrailleurs, fusils un bazooka et un lance-roquettes disparaissent avec le lieutenant qui passe en Afrique du Nord aux côtés du général Salan.

Le fort est resté domaine militaire jusqu’en 1966, bien qu’utilisé régulièrement par la suite pour des exercices du 43e RI de Lille. Déclassé par l’autorité militaire le 23 aout 1962, il a finalement été revendu et racheté par la commune d’Ennetières en 1996. Aujourd’hui les drèves pavées qui y donnent accès sont closes et pour y accéder, il faut passer à travers champs. Toutefois, L'association « Les amis du fort Pierquin » est fondée le 26 septembre 2002, se charge de quelques visites