jeudi 29 décembre 2016

Noël de tranchées

1914... Ils pensaient rentrer pour les moissons... La fleur au fusil, tous sûrs de leur bon droit... Les Français pour la revanche, les Allemands pour le Kulturkampf, les Anglais en vertu des Alliances. Aucun n'auraient pensé qu'après de brefs combats meurtriers, une "course à la mer" des plus meurtrières, ils s'enliseraient dans la boue des Flandres, de la Mer du Nord jusqu'à la ligne bleue des Vosges. 

Pour le premier Noël, le Kaiser fit envoyer à ses troupes des sapins pour placer dans les tranchées, même en temps de guerre, Noël reste un moment sacré. Moment de pause, moment de trêve, en quelques secteurs, notamment du front de Flandre, les chants montèrent des tranchées, les tirs se suspendirent, et les têtes se lèvent des parapets jusqu'à échanger des mots, puis des poignées de main, pour finir comme à Fromelles, par se rencontrer, échanger des bouteilles, des cigarettes, disputer un match de foot, sans que les officiers ne puissent y redire, coupés de leurs états-majors... 

Il est vrai que leur reaction au sortir de la Trêve de Noël fut assez virulente, il y eut des sanctions et les régiments concernés furent déplacés... 

Cela reste une histoire remarquable car si Allemands et Anglais n'en firent pas mystère, la censure, cette chère Anastasie, mis l'information sous le boisseau en France, les événements peu connus dans le pays firent l'objet d'une redécouverte récente mise en lumière par le film "Joyeux Noel" de Christian Clarion...









entre terre et mer, la citadelle de Dunkerque



Pour nombre de Dunkerquois, la citadelle c'est avant tout la bande des trois joyeuses menée par le Tambour-major de Saint-Pol... Pour les noctambules, c'est la suite logique des pérégrinations au sortir de la "rue de la soif"... Citadelle, un terme militaire avant tout, un réduit défensif ultime qui contrôle autant une ville qu'elle ne la défend... et ce, depuis que les Italiens sont devenus des maîtres en poliorcétique quelques décennies avant Vauban... Pourtant, le quartier de la citadelle de Dunkerque n’a plus rien de commun avec la place militaire qu’elle était il y a plus de trois cents ans. 

Dunkerque était depuis le Moyen Âge une ville fortifiée importante. C'est tout naturellement que la ville s'est développée en même temps que le port. Posé sur l'entrée de la Mer du Nord, le port servait autant aux pêcheurs qu’aux militaires, il avait besoin d’être protégé contre toutes sortes d’attaques. Les Comtes de Flandres, les Ducs de Bourgogne (des remparts desquels seul a survécu le Leughenaer), les Espagnols puis enfin les Anglais ont toujours construit et entretenu des murailles relativement imposantes mais ne dépassèrent jamais le génie de Vauban. Elles étaient bien particulières puisque le port se confond avec la ville: il fallait protéger cette dernière mais aussi les bassins, les jetées… Chose banale, l’ensemble se complétait d’une citadelle, qui pouvait vivre et se battre indépendamment du reste de la cité. La citadelle, de l'italien "citadella", est une petite ville qui doit être en mesure de supporter seule un siège indépendamment de la ville à laquelle elle se rattache.

Non, Vauban n'en est pas le père

                Contrairement aux idées reçues, Vauban n’en fut pas le créateur alors qu’il reconstruisit entièrement les fortifications dunkerquoises au point d'en faire un modèle qui deviendra un objet d'étude pendant encore près de deux cents ans après leur destruction....
A l’origine, ce sont les Espagnols qui l’édifièrent à l’ouest de la jetée. Baptisée Fort Léon, elle protégeait le chenal tant l’on craignait que des navires ennemis puissent entrer dans le port pour le ravager. Construit en bois, le fort reste notoirement insuffisant. Les grands changements interviennent après la victoire des Dunes, brillamment emportée par Turenne en 1658. La ville tombe dans l’escarcelle anglaise selon les termes de l’alliance conclue avec la perfide Albion.

Jusque 1662, les Anglais n’eurent de cesse que d’en renforcer la puissance. A la place du Fort Léon, ils édifient une citadelle reliée à la ville par un simple pont de bois. Elle surveille autant la mer que la ville. Louis XIV rachète le port flamand en 1662 et bien qu’il ait gagné le cœur des Dunkerquois, il ordonne la poursuite des travaux. Il faut que Dunkerque soit à la hauteur de son rôle dans la défense du royaume.

Des travaux titanesques

Vauban fait une fois de plus merveille. Il mobilise l’« armée de la Brouette » : les soldats échangent les mousquets contre pelles et pioches. Le résultat est si satisfaisant que l’ingénieur écrit à Louvois, Ministre de la Guerre le 18 octobre 1668 : « Aussi tout a été rectifié à la ville et à la citadelle (…); je suis sûr que tout ce qui est ici tracé est ce qu’on peut appeler le plus beau et le meilleur dessin de place, selon l’art, qui soit dans l’Europe, pourvu qu’on n’y change rien… ». Il disait vrai, l’Europe entière admirait ses travaux qui justifièrent même le déplacement du roi lui-même à pas moins de cinq reprises. Il conserve la citadelle anglaise et la compléte de nouveaux bastions. Conscient du rôle qu’elle devra jouer face aux bombardements maritimes, il la dote de cinq lignes de défense vers la mer alors que le côté qui regarde la ville n’est protégé que par une escarpe. Faisait-il confiance aux Dunkerquois ? Certainement ! Ils avaient très mal vécu l’occupation anglaise, mais surtout, c’est qu’avec l’Angleterre, la menace est maritime.

“Sic Gloria Mundi transit”

La citadelle veille sur les jetées de 1.200 mètres de long qui encadrent le chenal large de 100 mètres qu’il a fait rectifier et surcreuser. Elle contrôle le port où l’entrée est encore protégée par des forts, véritables batteries d’artilleries qui interdisent toute approche. Il est vrai que, vue de la mer, elle en impose car le rivage est alors bien plus proche de la ville qu'il ne l'est aujourd'hui... Le Risban, où se dresse le phare, est alors une île... Pas question de l'aborder à pied sec comme nous le faisons...

Tout a une fin. Le Grand Siècle se clôt sur une défaite et les Coalisés veulent en finir avec le roi vieillissant. L’humiliation est voulue totale : la Paix d’Utrecht l’oblige à raser les fortifications dunkerquoises jusqu’aux fondations. La citadelle perd ses murs, ses casernes sont abattues. Les lieux sont « civilisés ». Durant les années qui suivirent s’y installèrent des armateurs. On y construit des entrepôts, des cafés et autres maisons de commerce sur l’impulsion de décideurs comme Guillain et Trystram. Tout le petit monde des ports se côtoie dans le cœur économique de la ville, et si en Flandre, on sait s’amuser avec la même ardeur que l’on travaille, cela justifie bien que la bande y passe chaque année ou que certains cafés passent à la postérité.

Après la mer et la Cavalerie, Dunkerque dans les Airs...



Dunkerque et Jean Bart, voilà deux noms que l’on trouve plus volontiers dans la Marine, porté par des navires de guerre. Plus étonnant pourtant, ils ont été régulièrement noms de baptême de chars. Il faut aussi compter avec l’aviation.

            L’arme la plus récente, a retenu aussi la cité flamande pour nommer un escadron. Cette formation est extrêmement discrète, secrète même mais essentielle dans la conduite de missions de guerre moderne. On est loin ici des chasseurs des Tigres du Cambraisis qui sillonnaient le ciel de notre région depuis la base BA 103 de Cambrai-Epinoy... car l’escadrille Dunkerque, l’EE 54, tel qu’elle est officiellement dénommée, est spécialisée dans la guerre électronique. 
 
Créée le 1er janvier 1964 à Lahr en Allemagne, en pleine guerre froide, elle récupère les appareils de l’ELA 55 qui venait d’être dissoute. 
 

l'insigne de l'EE 54



Pour ce qui est de sa filiation historique, l'escadron électronique aéroporté reprend les traditions de l'escadrille MF20, dernière unité aérienne créée avant le premier conflit mondial. Arborant le lion des Flandres sur un blason bleu roi en souvenir de son stationnement dans les Flandres en 1915, la MF20 a participé à toutes les grandes batailles du premier conflit mondial en tant qu'unité d'observation et de renseignement. Formée initialement sur Henry-Farman 1, l’escadrille a utilisé successivement des Letord puis a fini la guerre sur des Spad. Ses actions d'éclats et ses deux citations à l'ordre de l'armée lui vaudront l'attribution de la fourragère aux couleurs de la croix de guerre 14-18.

Pendant l'entre-deux guerres, l'escadrille confirmera son rôle de reconnaissance et sera alors affectée au groupe de reconnaissance I/35. Effectuant des missions à long rayon d'action en territoire ennemi sur des appareils de type Martin Bloch 131 pendant la campagne de France, la MF20 perdra de nombreux appareils face à la chasse allemande. L'armistice amènera la dissolution de l'unité en juillet 1940 dans le sud de la France.


Une unité importante dans la Guerre Froide

Recréée en 1964 sur la base de Lahr Hugsweier, l'escadrille électronique (EE) 00.054 prend rapidement l’insigne et les traditions de l’escadrille 20. Le nom de « Dunkerque » lui est alors attribué. Unité du commandement du transport aérien militaire (COTAM) mise pour emploi auprès du 1er commandant aérien tactique (CATAC) puis de la force aérienne tactique/1ère région aérienne (FATAC/1ère RA), elle mènera de nombreuses missions de recueil le long des couloirs de Berlin.

Cette dernière utilisait déjà les premiers avions de guerre électronique, la mission de l’escadrille Dunkerque ne devait pas changer. Les débuts sont un peu « folkloriques » car les pilotes utilisent des C47 Dakota, les mêmes appareils qui avaient parachuté les troupes alliées sur les plages du débarquement et que l’Armée de l’Air faisait voler avec quelques appareils allemands confisqués au sortir de la guerre. Les C47 étaient de véritables bêtes de somme : transport de personnels et de matériels, largage de parachutistes. Pour l’EE 54, ils étaient bardés de matériel électronique pour mener des missions de renseignement. On imagine bien le profil demandé aux navigants : maîtriser au moins deux langues, l’allemand et le russe... Tous les scenarii des militaires le prévoient alors: en cas de guerre, des colonnes de blindés venues d’URSS déferleront sur l’ouest, autant veiller à la frontière. Et puis le souvenir de la crise de Cuba, en 1962, est encore vivace... L’Armée se modernisant, l’escadrille reçoit vite trois NORATLAS avec la même mission. Ces appareils, plus modernes, étaient bien connus des Français, ils les avaient vus larguer les parachutistes en Algérie. Dans l’EE54, les NORATLAS sont bardés d’antennes et prennent le nom de Gabriel.
           

Retour en France

            Deux ans plus tard, en 1966, l’unité est transférée à Metz-Frescaty, sur la Base Aérienne 128 « Lieutenant-Colonel DAGNAUX ». Nouvelle base et nouvelles missions car depuis Metz, l’EE 54 se spécialise dans la guerre électronique en plus de l’écoute, avant tout vers l’Europe de l’Ouest, le couloir de Berlin, seul espace aérien de l’ex-Démocratique d’Allemagne ouvert aux avions occidentaux et vers la Baltique, où croisent toute l’année les navires soviétiques, dont les fameux chalutiers russes pêchant plus le renseignement que le poisson... L’EE 54 devient alors un maillon essentiel de toute une chaîne de renseignements qui comte de nombreuses stations d’écoute au sol. Au plus fort de son activité, il aligne jusque huit Noratlas Gabriel... Ses missions sont d’une telle importance que l’escadrille monte en puissance pour devenir escadron en 1987... 
 

le Transall Gabriel, monture de l'EE 54


            Le « Dunkerque » se modernise en 1989. Les Noratlas sont de bons appareils mais comme tout matériel, un entretien sérieux n’empêche en rien leur vieillissement. La nouvelle épine dorsale du transport militaire est constitué par les C160 TRANSALL. 

Deux exemplaires du TRANSALL Gabriel, plus performant, plus sophistiqué, remplacent alors les vieux Noratlas et l’escadron devient escadre, menant toujours les mêmes missions de renseignement et de guerre électronique...

Au cours de l’été 2011, la redéfinition de la carte militaire amène l'EEA « Dunkerque » à quitter ses terres messines, sur lesquelles il était implanté depuis 44 ans, pour rejoindre la base aérienne 105 d'Evreux.

Seul bémol quand on a la chance de croiser ces appareils forcément discrets, l’insigne n’est pas celui de la cité de Jean Bart mais un lion d’argent sur fonds d’azur mais qui ira chipoter ?