dimanche 29 mars 2020

méfiez vous de ce que vous partagez sur les réseaux sociaux : un exemple dans la pandémie de 2020


étape 1 : l’étonnement….

Je ne lasse de m’étonner de la magie des réseaux sociaux. L’on nous avait vendu internet en vantant la circulation de l’information, de la culture et du savoir, force est de constater depuis que les réseaux sociaux se sont imposés dans tous les foyers qu’on est loin de l’idéal qui présidait à l’invention du net par la DARPA. Entre les insultes, les invectives et surtout les « fake news » (infox, en français), c’est le pire et le très pire qui se côtoie. 

Une étude a démontré récemment qu’il fallait dix fois plus d’énergie pour faire passer une vérité que pour propager un mensonge. Or, et c’est là qu’est le drame, c’est que les réseaux sociaux sont devenus une vaste conversation de bistro… à la différence que le bistro, on peut en sortir… Avant la naissance d’internet, les sources, on les trouvait avant tout en archives et dans les ouvrages publiés, or le cout d’une édition (qui n’existe pas avec la publication sur internet) obligeait les éditeurs à vérifier et à se porter garants, dans l’immense majorité des cas, de ce qu’ils publient… Les réseaux sociaux sont devenus un lieu où se faire une notoriété à peu de frais devient une règle banale, la recherche du « buzz » avant tout. La presse n’est d’ailleurs pas exempte de reproches où dans un flot d’informations continue, il faut se détacher du lot, griller la politesse à son concurrent en publiant des scoops sans vérification (ainsi que l’a démontré l’arrestation du pseudo Xavier Dupont de Ligonnes) … Ce n’est pas une raison pour que le péquin moyen d’y mette à son tour.

Avec la pandémie de Covid-19 en 2020, on ne pouvait trouver de terreau plus fertile entre les complotistes et les tenants de l’apocalypse, jamais le monde n’a compté autant d’épidémiologistes, de docteurs et de prophètes. Passons sur les « ré-informateurs » comme ils se nomment, qui ont pour objectif de rétablie LA vérité, enfin… LEUR vérité, à l’image de ce sinistre personnage « Cat Antonio » qui fait l’objet d’une plainte de l’Institut Pasteur et dont on sait les motivations politiques en « démontrant », dans une vidéo devenue virale en utilisant des arguments biaisés par l’incompréhension de termes juridiques ou médicaux spécifiques. Néanmoins, les arguments ont fait mouche auprès de ceux qui ont le « sachoir » … bref, passons, il y eut beaucoup de monde pour battre ses inepties en brèche mais comme il faut dix fois plus d’énergie… bref, passons…
 
A cela s’ajoute les mensonges d’état qui ne facilitent pas la tâche, entre hésitations gouvernementales et tromperie pure et simple… après tout, il y a un mois, alors que l’épidémie battait son plein en Chine, il n’était question que d’une simple grippe, que l’infection ne quitterait pas la Chine, que nos hôpitaux étaient prêts, que le système ne se gripperait pas… Arrêtons là, la liste serait trop longue à dresser. Résultat, le pays entier est en confinement, qui n’est pas total comme en Chine mais que nous n’arrivons même pas à faire respecter.

Etape 2 : l’énervement
 
Ce qui est d’autant plus inquiétant, c’est que beaucoup propagent des contre-vérités et des approximations qui ne peuvent que faire bondir tout historien et qui nous auraient valu des coups de règle sur les doigts en faculté, mais bien conscient que tout le monde n’a pas acquis la rigueur universitaire, on peut se demander pourquoi une scolarité obligatoire jusque 16 ans en France, n’a pas encore permis de doter les gens d’esprit critique, ne serait ce que de prendre quelques renseignements avant de publier quoi que ce soit… si encore c’était de l’humour, mais nous n’avons même pas cette chance. J’en veux pour preuve une publication sur laquelle je suis tombé (et sur laquelle je me suis fait mal hier).  Ainsi l’on ne peut s’étonner que certains cèdent à la panique ou au déni. Il n’y a de fatalisme au sens premier du terme que pour celui qui veut y croire…
 
Lisant la page Facebook d’une amie, je m’aperçois qu’elle partage l’image suivante, un triptyque évoquant trois épidémies : 1720, la Peste ; 1820, le choléra ; 1920, la grippe espagnole… et d’ajouter le commentaire suivant : « un fois par siècle, la terre est nettoyée, quelle coïncidence » …

Donc cela induit que la Pandémie est normale, voire logique, que l’on est non pas dans une punition divine comme l’avance le frère de Tariq Ramadan depuis sa villégiature helvète et certains affolés du crucifix, mais que le phénomène est naturel, un rééquilibrage en somme… à la limite même pourquoi se soigner, pourquoi confiner, pourquoi même s’affoler pour les malades, il ne s’agit que d’une purge naturelle, un Darwinisme de masse… 
 
Cependant, et c’est bien là le problème, c’est que la publication ne résiste pas aux faits historiques ni scientifiques. Ainsi que le disaient mes maîtres en faculté, les pires défauts, c’est d’abord l’anachronisme et de triturer les faits pour les plier à ses idées (on connait le phénomène, cela s’appelle le révisionnisme). En soi, la publication de cette dame ne serait pas grave si elle restait anecdotique. Mais revenons à nos moutons… de Panurge, car après tout ses assertions ont été plusieurs fois partagées…
 
 Etape 3 : la vérification
 
Première affirmation : la Peste de 1720… Elle est célèbre chez tous les étudiants en Histoire tout simplement parce qu’elle est la dernière à avoir sévi en France métropolitaine. Si le bacille de Yersin n’a été découvert qu’en 1894, l’on peut affirmer qu’elle existe déjà à l’état endémique à l’Age du bronze (en Europe du IIe millénaire avant JC à 800 avant notre ère), ce n’est pas une maladie « neuve » puisque la faune et l’homme (la maladie est commune aux deux) est ancienne et que des épidémies surviennent régulièrement, des traces ADN attestent sa présence bien avant que des textes ne la mentionnent. 

 Yersina Pestis, le charmant bacille de la Peste

L’on citera juste pour mémoire quelques épisodes fameux dont la première pandémie, la peste justinienne au VIe siècle de notre ère, La deuxième pandémie nous est bien plus connue, c’est la fameuse « Peste noire » qui démarre en 1347 en Europe avec un taux de mortalité entre 30 et 50 % selon les régions. Véritable pandémie, elle a fut une véritable saignée démographique durable en Europe, bouleversant la société, ses cadres, avec de lourdes conséquences économiques et ce n’est qu’au XVIe siècle que l’on commence à prendre des mesures lors des différents épisodes épidémiques tels l’isolement des foyers d’infection, l’incinération des cadavres, la mise en place de quarantaines, bref, l’on commence à comprendre qu’il s’agit bien d’une maladie… et la peste de 1720 dans tout cela ? elle est le mauvais exemple car si elle est la dernière à sévir en France, elle ne se localise qu’à Marseille et à la Provence… On est loin du « nettoyage » avancé par cette dame, d’autant plus qu’en Europe, d’autres épisodes surviennent encore à Londres en 1764 ou à Moscou en 1771… là non plus, on ne trouve pas de cycle centenaire… Puis surtout elle survient encore avec une troisième pandémie à la fin du XIXe siècle en Chine, fait le tour du monde en passant par les voies maritimes et l’on trouve des cas en 1902 à Marseille et à Paris (une centaine de cas et 39 décès, circonscrits à Saint-Ouen)… sans vouloir affiler, il faut encore mentionner les cas de peste d’Ajaccio , 13 cas dont 1 décès en 1945… encore une fois, on ne peut pas retrouver les deux affirmations de base : grand nettoyage et cycle séculaire…

Seconde affirmation ; l’épidémie de choléra de 1820. Tout le monde connait l’expression « entre la peste et le choléra ». La maladie, hautement contagieuse, est causée par le bacille virgule, Vibrio cholerae présent dans les eaux souillées et les selles avec une contamination orale, inventé (c’est-à-dire découvert) par Pacini en 1854, qui se manifeste par des diarrhées aqueuses, une déshydration qui, si elle n’est pas combattue, cause la mort en plus ou moins trois jours et surtout des délais d’incubation très courts (de quelques jours à parfois quelques heures), renforcés par la présence actives dans les selles deux semaines. La première description moderne par un européen date de 1503 par un marin de Vasco de Gama, qui témoigne d’un épisode épidémique en Chine, premier foyer moderne d’infection…



 vibrio cholerae

 L’OMS estime que chaque année, elle tue environ 100.000 personnes pour 4 millions de cas recensés… 
 
La maladie est connue depuis l’antiquité, et est décrite notamment par Hippocrate et s’est manifesté de façon épidémique plusieurs fois (alors qu’il reste à l’état endémique dans les régions où les réseaux d’assainissement sont défaillants). Autrement dit, nul besoin de situation épidémique pour courir le risque d’être infecté, un séjour dans certaines régions peut suffire)
 
Et côté épidémies ? la date de 1820 avancée par cette dame ne résiste pas à l’analyse… tout simplement parce qu’en 1820, date il est vrai de la première pandémie, elle est déjà active depuis trois ans en Asie puis elle gagne l'Afrique orientale et à partir de 1823 l'Asie Mineure et dans la foulée, la Russie, et l'Europe.   
La deuxième pandémie de choléra (1826-1841) naît en Inde vers 1826 et affecte le reste du monde, en plusieurs vagues, jusqu'au milieu du XIXe siècle. Et si la France est touchée, cela reste anecdotique. La troisième pandémie de 1846 à 1861), l'épidémie partie de la Chine touche le Maghreb (en particulier l'Algérie) puis l'Europe. 
La quatrième pandémie commence en 1863 et dure jusque 1876, elle touche l'Europe du Nord, Dunkerque et même très vraisemblablement de saint-pol-sur-mer, en est le point de départ en 1866, de là, elle gagne la Belgique, puis le reste de la France, l'Afrique du Nord et l'Amérique du Sud. 
Il y a une cinquième pandémie de 1883 à 1896) durant laquelle l'épidémie diffuse à partir de l'Inde vers l'est et l'ouest sur plusieurs continents. 
De 1899 à 1923, on observe une sixième pandémie à partir de l'Asie, puis se répand en Russie et de là en Europe centrale et occidentale. 
Enfin, depuis 1961 perdure une septième pandémie partie de l'Indonésie en 1961, envahit l'Asie (1962), puis le Moyen-Orient et une partie de l'Europe (1965) et se signale encore par des épisodes notamment en Belgique au debut des années 70, et s'étend ensuite en 1970 au continent africain, et en 1991 à l'Amérique latine. 
 
Il faut le redire, le choléra reste à l’état endémique dans de nombreuses régions en raison de facteurs d’insalubrité, d’hygiène et de promiscuité… Encore une fois, en l’absence de traitement, la mortalité dépasse 50% des malades infectés, ce qui concerne plutôt les pays en voie de développement… 

L’hypothèse du « nettoyage » séculaire, ne tient encore une fois pas…

Reste la troisième assertion : 1920, la grippe espagnole… qui n’a sévi qu’en 1918 et 1919… c’est une grippe de souche H1N1 particulièrement virulente et qui n’a d’espagnole que le nom car l’Espagne a été la première à publier ses chiffres car non impliquée dans la première guerre mondiale. Née aux Etats-Unis, elle se répand rapidement et touche entre 50 et 100 millions de personnes (selon des estimations récentes), tuant entre 2,5 et 6 % de la population mondiale (tous les pays concernés n’ont pas les outils statistiques, la littérature médicale, voire même l’état-civil permettant de dresser un bilan fiable). Elle reste dans les mémoires parce qu’elle a provoqué plus de décès que la première guerre mondiale, qu’elle est documentée par la presse or avant cet épisode, l’on considère que la grippe frappe de façon épidémique au minimum trois fois par siècle (ce qui passe inaperçu par manque de documentation systématique et parfois de terminologie médicale commune). Les flambées de grippe s'accélèrent au fur et à mesure des siècles, de 1700 à 1889, l'intervalle moyen entre deux pandémies est de cinquante à soixante ans. À partir de 1889, cet intervalle n'est plus que de dix à quarante ans. Cette accélération peut correspondre à une plus facile propagation du virus, entre autres liée à l'accroissement de la population, à l'urbanisation et à la plus grande fréquence des échanges internationaux … 
 
Quoiqu’il soit, le premier diagnostique épidémique est posé dans une base militaire du Kansas dans les premières semaines de 1918 et arrive en France avec le débarquement du corps expéditionnaire américain à Bordeaux en avril 1918, néanmoins on trouve des cas d’infections respiratoires qui s’en rapprochent au camp britannique d’Etaples en 1917. On peut même raisonnablement penser que la « pneumonie des Annamites », travailleurs et soldats indochinois amenés en métropole, pourrait même être l’une des causes en France dès 1916-1917. Les concentrations et mouvements des troupes ont favorisé la circulation du virus qui reste méconnue du public en raison de la censure militaire. De bénigne, l’épidémie devient mortelle en septembre 1918, avec une mortalité 10 à 30 fois plus élevée que d’ordinaire. Le mois suivant, l’épidémie devient pandémie avec les relations entre alliés et surtout entre métropoles et colonies. L’année 1919 voit une troisième voie, moins grave, avec des pays jusque là moins ou pas touchés comme l’Australie. Le dernier cas se situe en 1921 en Nouvelle-Calédonie mais en 1920, il n’y a plus de cas en Europe et encore moins en France. 
 

Encore une fois, l’affirmation de cette personne tombe à l’eau puisqu’en 1920, l’épidémie a pris fin hormis quelques foyers résiduels… mais il est vrai que la mémoire collective en a gardé une trace durable puisque l’épidémie fut virulente mais courte et que de nombreuses familles ont été touchées au même titre que les décès liés à la guerre…
 
donc
Aussi, avant de partager des « vérités » médicales ou historiques, il est bon de vérifier les sources historiques, elles sont disponibles et accessibles facilement… à condition de ne pas les chercher sur les réseaux sociaux. 
Et encore, cet exemple là, n'est pas d'une gravité extrême, cela reste une publication pour le moins anecdotique, qui pourrait même etre amusante si elle n'etait crispante, mais imaginez les degats lorsque certains publient des "informations" tant sur la maladie, les traitements ou la prévention en "écoutant [comme disait feu mon père] les vaches braire" quitte à mettre des vies en danger... et là, c'est nettement moins amusant

vendredi 27 mars 2020

JOURNAL D’UN BOURGEOIS DE LILLE PENDANT LA REVOLUTION (1787-1793)


Publié par A. Richebé, imp. D. Prévost, Lille, 1898

Nous avons publié récemment, sous forme de chroniques, dans le journal la Dépêche, le Journal d’un Bourgeois de Lille, pendant la Révolution.
En raison de l’intérêt que peut offrir ce document de notre histoire locale, et cédant au désir manifesté par plusieurs de nos lecteurs, nous avons cru utile, tout en leur laissant leur forme primitive, de réunir en brochure les articles dont il s’agit

A. Richebé, janvier 1898

JOURNAL D’UN BOURGEOIS DE LILLE
Pendant la Révolution
 
I.
Le journal auquel nous empruntons les extraits qui suivent n’est pas l’œuvre d’un historien. Le narrateur était un simple commis d’une ancienne maison de commerce bien connue des vieux Lillois, la maison Pollet-Brame. Il consignait, en marge du journal de commerce de son patron, des notes journalières, sur les incidents de quelque intérêt, qui vont du 30 novembre 1787 au 3 avril 1793
 .
La famille dont nous parlons possède encore le registre original dont une copie faite en 1842 par M. Victor Derode, figure au nombre des manuscrits de la bibliothèque.
 
Au début, notre modeste chroniqueur se borne à noter les variations de température, bientôt il rend compte des événements du jour, et à mesure qu’ils se succèdent, son compte rendu se colore sous l’impression des passions du moment. Il s’irrite contre les prêtres ; il voit dans Louis XVI un nouveau Charles IX, et son enthousiasme l’emporte parfois au-delà des limites du vrai.
 
On voit, néanmoins, sous l’influence d’anciennes habitudes qui le dominent à son insu, reparaître, par intervalles, le bourgeois paisible, notant avec soin, les phénomènes atmosphériques, le jour où l’enfant de la maison a, pour la première fois, porté culotte, et inaugurant l’année qui commence, « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit ».
 
***
 
Les notes relatives à l’année 1788 se bornent à signaler les rigueurs exceptionnelles d’un hiver précoce et prolongé, la disette causée par deux mauvaises récoltes successives, et qui contribua pour une large part aux premiers troubles de la Révolution.
 
En mars 1789, au moment des assemblées primaires pour la désignation des délégués chargés de procéder à l’élection des députés aux Etats-Généraux, le pain de méteil se vend deux patars  la livre, et le prix du blé s’élève à 34 florins le sac.
 
Le 29 avril, deux jours après l’ouverture des Etats-Généraux à Versailles, des troubles sérieux éclatent à Lille. « La populace effrénée, dit notre chroniqueur, se porta à l’extrémité de casser les vitres chez les boulangers, enleva tout le pain qui s’y trouvait sans le payer. A cette occasion, on battit la générale à une heure après-midi pour que toute la garnison prît les armes. Elle fit patrouille toute la journée. Il n’y eut, malgré cela, rien de fâcheux. On cassa les vitres chez les sieurs Lesage, Martel et autres négociants, accusés d’être marchands de grains. »
 
Le 22 juin, émeute à Armentières. Une compagnie de grenadiers du régiment de Condé et cent dragons avaient été dirigés quelques jours auparavant sur cette ville ; un officier et plusieurs grenadiers y furent blessés à coups de pierre.
 
La réunion des trois ordres, le 27 juin, la prise de la Bastille connue à Lille le 17 juillet, le renvoi de 45.000 hommes de troupes, groupés à Paris et à Versailles, le retour du roi à Paris, où Lafayette lui fait arborer la cocarde tricolore, excitent l’enthousiasme patriotique de notre bon bourgeois.
 
Il ne tarde pas à en rabattre quelque peu en présence du contrecoup qu’eurent à Lille les évènements de Paris : « La nuit dernière, écrit-il à  la date du 22 juillet, émeute désastreuse où le fort du mal s’est porté chez les sieurs des Ursins, Martel, Duwet et Lagache ; on y a tout foncé, brisé. Le 23, on a pendu un homme atteint et convaincu d’émeute et de vol ; il fut arrêté la nuit et exécuté à quatre heures et demi après-midi. »
 
On procède à l’organisation de la milice bourgeoise, et, quelques jours après, deux mille hommes se trouvèrent spontanément armés et prêts à défendre l’ordre et les propriétés particulières. Le 28, une messe solennelle d’actions de grâces est célébrée à Saint-Etienne, à l’occasion de la réunion des trois ordres ; quelques jours plus tard, illumination générale pour le retour de Necker, et pendaison de l’un des chefs d’une bande qui avait tenté de piller l’abbaye de Flines.
 
La renonciation de la noblesse et du clergé à leurs privilèges, dans la nuit du 4 août 1789, est annoncée en ces termes à la date du 7 août : « Bonne nouvelle ! Le clergé et la noblesse cèdent leurs privilèges pécuniers et les provinces leurs privilèges particuliers. Les charges vénales ne s’achèteront plus, le clergé et la noblesse paieront comme le citoyen les charges de l’Etat, la justice sera pour rien. »
 
Le 19 août, toute la garnison prête le serment de fidélité et d’obéissance à la Nation, au Roi et à la Loi. Ce sont les régiments de la Colonelle-générale, d’Armagnac, de la Couronne, de Condé, le régiment de cavalerie des trois-Evêchés.
 
On lève à cette occasion, l’interdiction de porter le sabre, prononcée contre les cavaliers de ce dernier régiment, à la suite d’actes d’indiscipline et de menaces de mort à l’adresse du lieutenant-colonel. Le 27, le régiment de Condé infanterie est dirigé sur Boulogne et celui de la Colonelle-Générale le remplace à la Citadelle.
 
Malgré l’abondante récolte de 1789, le blé reste toujours cher, « par faute des accapareurs, dit notre chroniqueur, et à cause des exportations. Elles atteignent un chiffre tel que le gouvernement les punit de mort. Un détachement de 150 hommes de la garnison est envoyé pour y former un cordon destiné à empêcher la sortie des grains. Le produit des prises sera partagé par moitié entre la troupe et les pauvres de la commune où elles auront été effectuées ».
 
Les incidents du banquet offert le 1er octobre 1789, à Versailles, par les Gardes du corps aux officiers du régiment de Flandre, et le bruit du projet formé par le Roi de se réfugier à Metz, où commandait le Marquis de Bouillé, ne tardent pas à provoquer de nouveaux troubles. Le palais de Versailles est envahi, le 6 octobre, et le Roi ramené à Paris, où l’Assemblée le rejoint quelques jours plus tard.
La portée de ces graves évènements, qui livraient la révolution à l’émeute et aux agitateurs de bas étage, paraît échapper à notre bon bourgeois.
 
« Heureuse catastrophe, écrit-il en les consignant dans son journal à la date du 9, sans quoi, le lendemain, le Roi partait pour Metz, et toute la route aurait été jonchée de troupes pour l’accompagner, ce qui eût fait mauvais effet. »
 
* * *
 
Les 10 et 19 février 1790, on procède à l’élection du maire, du procureur de la commune, et des dix-sept officiers municipaux appelés, au terme de la loi du 18 décembre 1789, avec un nombre égal de notables, à composer la municipalité nouvelle. Le 20, elle s’installe à l’hôtel de ville, sous la présidence du nouveau maire, M. Vanhoenacker.  Elle ne tarde pas à s’y trouver aux prises avec de sérieuses difficultés.
 
Encouragés par l’exemple des chasseurs à cheval du régiment des Trois-Evêchés, et par l’impunité dont ils ont joui, « le régiment de Vivarais, en garnison à Béthune, se soulève à son tour contre son lieutenant-colonel ; il n’y eut que le corps des officiers et les vieux serviteurs qui restèrent. »
 
Des faits plus graves ne tardent pas à se produire à Lille. « Toute la garnison, dit notre chroniqueur à la date des 8 et 9 avril, s’est portée à un désordre sans exemple. Le régiment de la Colonelle-Générale, avec les chasseurs à cheval de Normandie, se sont alliés ensemble contre les régiments de la Couronne et Royal des Vaisseaux. Ils ont commencé par se sabrer, et ensuite, sur les deux heures de l’après-midi, se sont donnés de leurs fusils et ont fait feu contre les premiers régiments en pleine ville, où ils ont tué une douzaine d’hommes, tant de la Colonelle que des chasseurs de Normandie. Ce massacre ne fut fini qu’à sept heures du soir. Dans la nuit du 8 au 9, le calme allait venir, lorsque le marquis de Livarot, en qualité de Lieutenant-Général pour le Roi, donna tout à coup aux régiments de Royal des Vaisseaux et de la Couronne l’ordre de partir à trois heures du matin. Mais la Garde Nationale, informée de ce projet arbitraire, ou pour mieux dire aristocratique, se met sous les armes, dès minuit, et s’oppose à leur départ. Ils étaient prêts à partir, ayant le sac sur le dos. Alors, la municipalité vint, au nom du peuple, les signifier à mettre le sac en bas, dont on dressa un acte pour marquer qu’il n’y avait rien de leur faute. Ensuite, il fut résolu de faire partir les régiments de la Colonelle-Général et des chasseurs à cheval de Normandie, qui s’étaient réfugiés dans la citadelle, avec ledit Livarot, où ils persistèrent à ne point se rendre aux ordres de partir, en sorte que tout resta indécis jusqu’au lendemain pour recevoir de la Cour des ordres directs. »
 
« 16 avril – Le marquis de Livarot, que les soldats du régiment de la Colonelle-Générale avaient saisi et constitué prisonnier dans la Citadelle, pour cause d’intrigues et d’aristocratie, vient de partir pour Paris, escorté de quatre cavaliers de maréchaussée, pour se justifier, s’il le peut, contre 80 témoins. Il avait de plus toute la ville et toute la garnison contre lui. »
 
« 21 avril – Par ordre de la Cour, toute la garnison vint d’évacuer cette ville, rapport à cette terrible journée du 8, où, depuis, le calme ne pouvait se rétablir, de sorte que la Colonelle-Générale infanterie partait pour Dunkerque, Royal des Vaisseaux pour Mézières, la Couronne pour Béthune, et les Chasseurs de Normandie pour Philippeville. »
 
Tel fut le dénouement de cette affaire. Des incidents de même nature se produisirent dans diverses villes ; ils donnent une idée des progrès qu’avaient faits l’indiscipline dans l’armée, dix mois à peine après le début de la Révolution, et qui menaçaient de laisser le gouvernement sans force à l’intérieur, et la France désarmée en face de l’Europe.

II.
 
Le départ de la garnison rendit, pour quelques temps, le calme à notre cité, où, malgré la pente fatale qui entraînait la Révolution, les éléments d’ordre exerçaient encore une influence prépondérante. On en trouve la preuve dans les passages du journal relatifs à la remise des drapeaux à la garde nationale, aux banquets où elle fraternisait avec la garnison, et aux fêtes civiques qui servirent de prélude à la fédération du 14 juillet.
 
« Hier, écrit l’auteur à la date du 26 avril 1790, serment civique sur le Champ de Mars, avec un appareil impressionnant. Toute la garde nationale était dans une grande tenue, et presque toute en uniforme, habit bleu et doublure pareille, avec collet rouge bordé d’un passepoil blanc, boutons aux armes de la ville, autour de cette devise : Garde nationale de Lille, veste et culotte blanches. 
 
« La cérémonie se fit sur les quatre heures ; sur les sept heures, on chanta à Saint-Pierre le Te Deum, au bruit du canon, et le matin on bénit neuf drapeaux ; pour les neuf divisions. 
 
« Le 28 mai, la garnison offre un repas à la garde nationale, chaque compagnie des divers régiments invitant une compagnie de la milice bourgeoise, « en acte de joie, dit le journal, de la future confédération. »
 
« Le 1er juin, les compagnies de chasseurs de la garnison, conjointement avec les chasseurs de la garde nationale, se rendent chez M. Vanhoenacker, maire de cette ville, avec un superbe char de triomphe où il fut placé, au son des musiques de toute la garnison. Ensuite, on fut chercher le Lieutenant de Roi, et le général de la garde nationale, M. le comte d’Orgères, entourés de la plus brillante jeunesse.
 
« Ils furent aller diner à la Vieille-Aventure, à la suite duquel ils revinrent en ville, où ils furent promener dans ledit char, dans les plus beaux quartiers, escortés de plus de dix mille hommes, tant de la garde nationale que de la garnison. Le tout s’est passé avec toute la tranquillité possible. »
Le 6 juin eut lieu la cérémonie de la confédération des trois départements du Nord, du Pas-de-Calais et de la Somme, dont une gravure du temps rappelle le souvenir. « On avait élevé, à cet effet, sur le Champ de Mars, un superbe temple allégorique à la circonstance, sur le frontispice duquel il y avait cette inscription : Jus populi recuperatum.
 
« A cent pas plus bas fut élevé un autel à la romaine, où fut posé le Saint-Sacrement, qui y fut porté par le clergé de Saint-Pierre, escorté par deux mille hommes sous les armes. Ils se dirigèrent vers l’autel en suivant une allée entourée de barrières, pour éviter la confusion, et dans laquelle il y avait au moins dix mille hommes sous les armes, tant de la garde nationale de Lille, que des confédérés, et de toute la garnison, qui tous étaient pêle-mêle.
 
« Quand la procession fut arrivée, on donna la bénédiction au peuple, qui était immense, puisqu’on le portait à cent mille âmes. Ensuite, on fit la bénédiction du drapeau de la  confédération, sur lequel étaient empreintes les armes de toutes les villes confédérées, cérémonie qui fut noble et majestueuse. Après, fut prêté le serment, à la suite duquel fut chanté le Te Deum, aux bruits du canon, aux sons des musiques de toute la garnison et aux cris de tout le peuple, de : Vive la Nation ! la Loi et le Roi !
 
« Cette sainte et majestueuse cérémonie commença à trois heures après-midi et ne finit qu’à neuf heures du soir, où tout défila en ordre de bataille.
 
«  Elle fut vraiment imposante, chaque soldat criait à tue-tête, ayant le chapeau au bout de la baïonnette, Vive la nation ! et tout se passa dans la plus parfaite harmonie, et dans le plus grand ordre. »
 
Cette dernière assertion ne paraît susceptible d’être accueillie que sous quelques réserves, car le journal constate que, les jours suivants, on retrouva dans le canal de l’esplanade, les corps de onze noyés.
 
Le 27 et le 28 juin, la garde nationale et la municipalité rendirent à la garnison le repas offert par elle.
« Chaque jour, il y eut à table au moins neuf mille hommes, qui furent servis en bouilli, pâté, gigot de mouton et jambon. La bière à discrétion et chacun au moins sa bouteille de vin. La manière avec laquelle on se rendit à chaque fois au dîner, qui était aux promenades, était majestueuse. La garde nationale, pêle-mêle avec toute la garnison, offrait un spectacle enchanteur.
 
« Des chars de triomphe représentaient tous trophées analogues à la liberté de la France ; sur les uns étaient assis le Maire, le Lieutenant de Roi, le général de la garde nationale, sur les autres la municipalité ; sur un autre était le buste de Louis XVI, avec tous ses habits royaux, dans un char à la romaine, traîné par un éléphant, au bruit des tambours, trompettes et de toutes les musiques de la garnison.
 
« Les canonniers, en grande tenue, précédaient Louis XVI avec deux pièces de canon, munies de tout leur attirail.
 
« A la suite du dîner, tous les chars parcoururent pendant deux jours les principaux quartiers. »
 
Le 14 juillet 1790 eurent lieu à Paris les fêtes de la fédération, les délégués lillois partirent le 9. Ces fêtes eussent pu fournir, à l’infortuné Louis XVI, l’occasion de rallier entre elles les différentes gardes nationales de France, et de s’assurer le concours d’une force armée qui, tout en consacrant le nouveau régime, permit de contenir les révolutionnaires. Il se contenta d’y assister avec la dignité passive d’un simple témoin. L’enthousiasme manifesté par les fédérations pour le Roi et la Constitution fut partagé par les Lillois. Notre chroniqueur ne manque pas d’en consigner le souvenir dans ses notes.
 
« Heureux jour de la confédération générale de la France, faite à Paris, où toutes les provinces envoyèrent l’élite de leur jeunesse, dont on porte le nombre, compris ceux de Paris, à deux cent mille hommes.
 
«  Ce fut au Champ de Mars qu’eut lieu la cérémonie du serment prêté par le Roi, et après lui par le Président de l’Assemblée et les fédérés des départements.
 
« Ici, toute la garde nationale, avec la garnison, se rendit sur le Champ de Mars, pour ce serment, au bruit de l’artillerie, dont, malheureusement, il y eut un canonnier tué, pour avoir mal lavé sa pièce, dont le coup partit au moment de la charge. »
 
Le 25 juillet, 600 hommes de la garde nationale vont recevoir les confédérés de Lille, revenant de Paris. Leur entrée est saluée par une décharge de douze pièces de canon.
 
* * *
 
Les six derniers mois de 1790 ne furent pas marqués, à Lille, par aucun incident digne d’intérêt. Notre chroniqueur se borne à signaler la récolte « qui met le pain à très bon compte, et les pains français à trois liards », la récolte des troupes de la garnison de Nancy, vigoureusement réprimée par le marquis de Bouillé, la démission et le départ de Necker, connus à Lille le 13 septembre, l’arrivée du régiment de Diesbach, venant d’Arras, et l’envoi de troupes à Merville, le 18 décembre, pour y rétablir l’ordre.
 
« Pour terminer le journal de cette année, écrit-il à la date du 31 décembre, que Dieu veuille que la prochaine ne soit pas si triste que celle-ci. Les annales en feront mémoire par les entraves qu’a essuyées l’Assemblée nationale, et par la crapuleuse révolution des Pays-Bas, qui avait pour chefs le rebut du genre humain que furent Van der Noot, van Kempen, Tongerloo et plusieurs autres coquins comme eux. Enfin, Léopold II, à la tête de 60.000 hommes, reconquit ce malheureux pays, sans effusion de sang. Mais le nombre des fuyards, qui ressemblaient à leurs insignes coquins de chefs, enlevant avec eux chevaux, armes et bagages, était innombrable. Il en est passé par Lille au moins 20.000 de tout âge et de toute taille, enfin un tas de vagabonds et de vrais vauriens. »
 
« Le 27 janvier 1791, 500 hommes de la garde nationale, 300 hommes de troupes de ligne, et un escadron de cavalerie, avec quelques cavaliers de la maréchaussée, partent de Lille pour se rendre à Houplines, où des gens des environs arrêtent avec menaces plusieurs bateaux chargés de grains, destinés au ravitaillement des ports. C’est, dit le journal, la première expédition à laquelle la garde citoyenne est appelée à concourir, en dehors de la commune.
 
« Le 17 mars, les sieurs Derbaix, imprimeur, et Nicolon, brasseur à Douai, sont massacrés par la populace. Après les avoir pendus à la lanterne, on les descendit encore vivants, pour les achever à coups de poignards, et leurs corps furent traînés dans les rues jusqu’à neuf heures du soir. »
 
L’exécution du décret relatif au serment constitutionnel du Clergé, sanctionné par le Roi le 26 décembre, ne souleva à Lille, au début, aucun incident violent.
 
« Hier, dit notre chronique à la date du 7 février, fut le dernier jour de la prestation de serment du Clergé ; il n’y a eu que les curés de Saint-Etienne et de Saint-Sauveur, avec 22 autres ecclésiastiques, qui se sont soumis au décret, en prêtant le serment à Saint-Maurice. »
 
Le nombre des assermentés n’étant pas assez considérable pour assurer le service du culte, les non-assermentés, avec l’assentiment de la municipalité, continuèrent l’exercice de leur ministère, jusqu’à l’élection de leurs remplaçants, qui ne fut terminée que le 1er octobre.
 
Le 29 mars, on procède à celle de l’évêque du département du Nord, en vertu du décret de l’Assemblée, du 21 janvier, destituant les évêques non assermentés.
 
« Les suffrages, dit notre journal, sont tombés sur le curé de Saint-Jacques de Douai, nommé Primat. Les corps civils et militaires, l’assemblée électorale furent le complimenter à l’église Saint-Pierre, à la suite d’un Te Deum, sur son avancement à l’épiscopat, dont il rendit un discours sublime en acte de reconnaissance. A cette occasion, la Grande-Place fut illuminée le soir. »
 
Le 2 avril, mort de Mirabeau, « la clef et l’arc-boutant de la Constitution française », dit emphatiquement l’auteur. Le lendemain, « Te Deum à quatre heures à St-Etienne, pour remercier l’Etre de tout bien, pour le rétablissement de la santé de Louis XVI. Le canon s’est fait entendre et le soir il y eut illumination par toute la ville. »

III.
 
L’installation des nouveaux curés constitutionnels détermina, dans plusieurs départements, des troubles sérieux.
 
A Lille, tout se borna, d’après notre journal, au refus fait par les vicaires et le clerc de Sainte-Catherine, de remettre au nouveau curé les registres et les clefs de l’église, les ornements et autres objets du culte. Un d’entre eux fut pris et condamné à six mois de bannissement.
 
Mais les populations flamandes ne montrèrent pas le même calme.
 
« Dans la nuit du 2 au 3 juin 1791, un courrier arriva de Bailleul, à onze heures du soir, pour demander des secours à la municipalité. Des troubles sérieux, dans lesquels deux personnes avaient été tuées, avaient éclaté dans cette ville, à l’occasion de la visite du nouvel évêque constitutionnel, le Sr Primat. »
 
L’auteur, à qui nous laissons la responsabilité de son assertion, attribue à l’influence de l’évêque d’Ypres, Mgr d’Arberg, la cause de ces graves incidents.
 
« Le 4 juin, M. Primat arriva à Lille à sept heures du soir, escorté de gardes nationaux de Bailleul et d’Armentières, qui, au nombre de 150, étaient à cheval.
 
« Le corps municipal, conjointement avec le clergé, la garde nationale et les troupes de ligne de la garnison, furent au-devant de lui, au-delà de la porte de la Barre, pour le complimenter, et on le conduisit à l’église paroissiale de Saint-Etienne, où il se rendit à pied. A huit heures et demie eut lieu le Te Deum, salué par l’artillerie des remparts ; le soir, illumination et feu d’artifice. »
 
Le 6 juin, la garde nationale de Lesquin arrête une voiture chargée de 120 mille louis en or, qui fut amenée à Lille à dix heures du matin, sous escorte. Le départ de la famille royale, dans la nuit du 20 au 21 juin 1791, ne fut connu à Lille que le 23.
 
« Des lettres de Paris, écrit à cette date l’auteur du journal, annoncent la fuite du Roi. Les bruits populaires ne disent  à Namur ou à Bruxelles. Aussitôt les portes de la ville furent fermées et on ne pouvait sortir sans un billet de la municipalité, pour pouvoir réunir la Garde nationale au besoin. »
 
« 24 juin – Ni la poste, ni le courrier n’apportent rien de positif sur la voie prise par le Roi. Vers neuf heures du soir, deux courriers annonçaient l’arrestation de la famille royale, le 22, à Varennes en Argonne. Le deuil qu’il y avait dans la ville se changea en une joie des plus grandes, et il y eut, en un instant, illuminations et danses par toute la ville. »
 
« 25 juin – Les officiers de la Colonelle-Générale infanterie, à la réserve de quatre ou cinq, se sont rendus à Furnes, enlevant la caisse et les drapeaux du régiment. Ils ne laissèrent que les bâtons et les piques, et écrivirent aux soldats de venir les rejoindre, pour soutenir le Roi dans la nouvelle situation, croyant qu’il était en Empire. Mais le Maire et les officiers municipaux de dunkerque, où le régiment était en garnison, lui offrirent un de leurs drapeaux, qui fut remis à la troupe, rangée en bataille. »
 
En présence des menées du parti révolutionnaire, la majorité des députés et beaucoup de gardes nationales sentirent la nécessité d’affirmer leur attachement à la Constitution qu’ils voulaient maintenir. Celle de Lille s’associa à ce mouvement.
 
« Le 1er juillet, toute la garde nationale prête le serment de maintenir la constitution de tout son pouvoir, en présence du général Rochambeau et de trois membres de l’Assemblée.
 
« Le 11 juillet eut lieu l’élection du commandant de la Garde nationale, le colonel Bryant.
 
« Le 29 août, arrivée des gardes nationales de Dunkerque, Bergues et autres endroits, qui se rendent, conjointement avec celle de Lille, à Douai, où est le ralliement général du département du Nord, pour se rendre aux frontières. »
 
La Constitution fut votée par l’Assemblée le 1er septembre. Le 14, le Roi se rendit à la séance pour déclarer son acceptation et prêter serment. Cette nouvelle fut accueillie avec satisfaction par la population lilloise, qui croyait voir, dans l’inauguration de la Royauté constitutionnelle, la solution de toutes les difficultés présentes.
 
« Aujourd’hui, à huit heures du soir, écrit l’auteur à la date du 15 septembre, est arrivé  un courrier extraordinaire apportant l’agréable et salutaire nouvelle de l’acceptation par le Roi de la Constitution. A cette nouvelle inattendue, en un clin d’œil, toute la ville fut illuminée, et partout des feux d’artifice et des cris de : Vive le Roi ! Vive la Nation ! Le 18 septembre, on chanta un Te Deum, à quatre heures ; les corps de grenadiers de la garnison, en grande tenue, étaient sous les armes dans l’église, et la joie pure régnait d’un si beau jour. Toute l’artillerie des remparts, 150 pièces, fit trois de suite une décharge. Le soir, à neuf heures, illumination par toute la ville, et même salve. »
 
Le 20 septembre, in procède à l’élection des membres du clergé, destinés à remplacer les curés insermentés. « Cette opération de fut terminée que le 1er octobre, pour 80 cures vacantes, 63 curés seulement furent élus. Les autres sujets n’ont pas été jugés dignes, de sorte qu’on a mis le restant à nommer pour le 6 novembre. »
 
* * *
 
Le 30, la Constituante faisait place à l’Assemblée législative, qui tint le lendemain sa première séance. Le 10 octobre eut lieu à Lille, la proclamation de la Constitution. « On avait dressé, à cet effet, devant la maison Dupont, Au Soleil, un grand escalier à trois faces, qui faisait face au Grand’Garde. Ensuite on chanta un Te Deum au bruit des cloches, de l’artillerie et de la mousqueterie de toute la garnison et de la garde nationale, faisant ensemble seize mille hommes qui s’étaient rendus sur les remparts, pour y faire le feu de file, ayant chacun trois coups à tirer. Ensuite il y eut un feu d’artifice superbe et illumination générale avec des emblèmes à la gloire de la nation, de la Constitution et du Roi, dont voici une que j’ai vue :
 
Et que ce grand exemple, où notre espoir se fonde,
Soit la leçon des rois et le bonheur du monde. »

Les désertions, dont le régiment de la Colonelle-Générale avait donné le signal au mois de juin, se multiplient dans l’armée. Notre journal signale, à la date du 30 septembre, le départ d’un certain nombre d’officiers pour Ath, Mons, Tournay, etc.
 
« Hier, écrit l’auteur le 12 octobre, est parti le lieutenant-colonel commandant le régiment de cavalerie de la Cornette-Blanche, en garnison ici. Cet officier, nommé Victor Verguette, a emporté la caisse du régiment montant à 16.800 francs, le premier étendard et laissé plus de 30.000 francs de dettes. »
 
« Le 19, le régiment de Dillon, en garnison à Lille depuis deux ans, et où, de nombreuses désertions s’étaient produites, est dirigé sur Arras ; il est remplacé par le régiment de Bourbon venant d’Arras.
 
« Le 24, émeute de tous les ouvriers filtiers, occasionnée par l’agiotage sur les petits assignats de cinq francs, qui subissaient 10 à 12 sous de perte. La garnison et toute la garde nationale restent sous les armes, depuis une heure après-midi jusqu’à dix heures du soir.
 
« Le 14 novembre, réunion des Assemblées primaires pour la nomination des nouveaux maires, officiers municipaux et notables ; M. André fut élu en remplacement de M. Vanhoenacker. »
 
Faut-il attribuer au défaut d’information, où à son indifférence pour la politique étrangère, le silence de l’auteur du journal ? Toujours est-il que nous ne trouvons dans ses notes des derniers mois de 1791 aucune mention relative à l’impression produite à Lille par la déclaration de Pilnitz, ni par le vote de l’Assemblée législative du 12 décembre, organisant un corps d’armée à Lille, sous le commandement de Rochambeau, et deux autres sur la frontière de l’Est, sous Luckner et Lafayette.
 
« le 29 février 1792, on expose pendant six heures, un échafaud dressé sur la Grand-Place, un jeune homme natif de Paris, condamné à dix ans de fer, pour vol avec effraction. C’est le premier qui a été jugé et condamné à Lille suivant la nouvelle Constitution, ajoute l’auteur du journal, qui confond avec la Constitution le nouveau code pénal édicté le 6 octobre par la Constituante. »
 
Le 2 mars, mort de l’empereur Léopold II.
 
Le 5 avril, trois cents hommes d’infanterie avec cent cavaliers et deux pièces de canon partent pour Hazebrouck pour y rétablir l’ordre.
 
Le 13 avril, on apprend à Lille la mort du roi de Suède, Gustave III, assassiné dans un bal masqué, et que notre digne chroniqueur confond, sans hésiter, avec Gustave-Adolphe.
 
« Cette mort, ajoute-t-il sentencieusement, doit bien faire trembler les rois despotes, sur le trône où ils sont assis. S’ils eussent bien vécu, ils seraient adorés ; mais voilà la juste destinée des méchants et ambitieux rois. »
 
Le 15, plantation d’un arbre de la liberté, peint aux trois couleurs, surmonté d’un bonnet de la liberté.
 
La déclaration de guerre votée le 20 par l’Assemblée est connue le 24 à Lille, où arrivent successivement plusieurs régiments de cavalerie.
 
Le 28 avril, le maréchal de camp Théobald Dillon marche sur Tournai, avec quatre régiments de cavalerie, trois régiments d’infanterie et six pièces de canon.
 
On sait comment, à la suite d’un engagement d’avant-garde, une panique subite entraîna la déroute du Pas de Baisieux et l’assassinat du malheureux général.
 
« Ce matin, à 10 heures, écrit l’auteur à la date du 29, on apprend la défaite totale de cette troupe, qui était l’élite de cette garnison, vendue et trahie par ses chefs, entre autres par le sieur Dillon, qui a été pendu à un réverbère, en entrant dans la ville, ensuite haché en pièces, avec un chef d’artillerie. Après cette exécution, ils furent brûlés sur la Grand-Place.
 
« Dans cette défaite, on a perdu environ 200 hommes, tous les bagages et provisions sont tombées au pouvoir du vainqueur. Il y a le régiment de chasseurs à cheval du Languedoc qui s’est couvert de gloire. On a tué le curé non assermenté de la Madeleine. »
 
« 3 mai  - Le régiment de la Colonelle-Générale est parti, couvert de l’indignation publique, pour sa conduite à l’affaire de Baisieux. »
 
L’horrible meurtre du général Dillon excita, dans l’honnête population lilloise, une réprobation telle que l’autorité, pour donner satisfaction à l’opinion publique, ne put se dispenser d’en poursuivre les principaux auteurs.
 
« Aujourd’hui, porte le journal à la date du 13 juillet, a été exécuté le sieur Levasseur, tailleur, de cette ville, pour avoir coopéré à l’assassinat de Dillon. Son genre de mort a été suivant le nouveau régime, et ce fut ce Levasseur qui, le premier, eut la tête tranchée par le mécanisme inventé par M. Louis et rectifié par le sieur Guillotin, tous deux médecins de Paris.
 
« En sorte que cette machine pour trancher la tête s’appelle ou Louison ou Guillotine.
 
« Le 25 août, un nommé Dupré, maréchal-ferrant, qui avait participé à l’assassinat eut également la tête tranchée. »
 
Une tentative fait sur Mons par Biron, le 27 avril, avait abouti, à la suite d’une panique près de Quiévrain, à une déroute pareille à celle de Baisieux. Ce double revers vint retarder l’exécution du plan de Dumouriez. De nouvelles troupes furent réunies à Lille, au camp de La Madeleine, et les opérations reprises en juin, sous le commandement de Luckner.

IV.
 
Du 29 avril 1792, date de la déroute de Baisieux, aux premiers jours du mois de juin, notre journal se borne à signaler, le 17 mai, l’occupation de Bavay par les Autrichiens, qui en furent chassés le lendemain par le général Rochambeau.
 
« Les 5 et 6 juin arrivèrent successivement à Lille le régiment d’infanterie d’Orléans, les régiments suisses d’Herlae et de Courten, et les deux régiments de dragons de la Reine et d’Auxerrois.
 
Le 11 juin, neuf à dix mille hommes vont camper près de Cysoing, avec vingt-quatre pièces de campagne.
 
Le 12, arrivée du général de Luckner, avec une partie des troupes du camp de Famars. Son armée, campée entre Lille et Marquette, est composée d’environ trente mille hommes et de 150 pièces de canon. Il est logé chez le sieur Prévost, au faubourg de la Madeleine.
 
Le 15 arriva un bataillon de carabiniers, qui va camper entre les portes de la Madeleine et de Saint-Maurice.
 
« Cette armée, écrit le lecteur à la date du 17 juin, est partie à deux heures du matin sous les ordres de Luckner, se dirigeant par la route d’Ypres.
 
« Les troupes du camp de Cysoing se jointes à celles de Luckner, se dirigeant sur une colonne, par le derrière de la porte Saint-Maurice, en 40.000 hommes et 200 pièces de canon.
 
« Le 17 à midi, on apprend que Menin est au pouvoir de Luckner, ainsi que Wervicq, le Pont-Rouge et Comines-Nord, de sorte que l’armée est campée à une heure de Courtray. Le lendemain 18, cette dernière ville est occupée par nos troupes.
 
« Le 20 juin, sur le soir, est venu un exprès de Roubaix, demander des secours à notre municipalité pour repousser un tas de brigands qui s’étaient jetés sur le village de Wattrelos. Ils ont pillé quelques maisons et fusillé plusieurs habitants ; 600 hommes de la garde nationale sont partis à dix heures du soir avec deux pièces de canon et ont tout calmé. »
 
Sur ces entrefaites, Luckner, après avoir momentanément occupé Menin et Courtrai, se retire sur Lille. « Il y arrive le 30 juin et va prendre position depuis Marquette jusqu’aux glacis de la porte Saint-Maurice.
 
« Le 5 juillet, départ de l’armée.
 
« Le 16 juillet, les Impériaux, avec deux mille hommes, tentent de s’emparer d’Orchies, mais la garde nationale, renforcée d’un faible détachement, et formant un total de 400 hommes, les repousse avec une perte considérable. »
 
* * *

Les évènements du 10 août et l’emprisonnement de la famille royale furent connus à Lille le 13. La note suivante, inscrite à cette date, donne une idée de l’étrange façon dont ils furent travestis par le parti révolutionnaire ;
 
« On apprend de Paris que, le 10, il s’est fait une seconde révolution. Louis XVI, conjointement avec ses agents, devait exécuter une seconde Saint-Barthélemy, mais son exécrable projet a échoué, grâce aux fédérés et aux gardes nationaux parisiens, qui se sont comportés comme des lions. Il y a eu pendant cette journée, 8.000 hommes massacrés et 2.000 blessés, entre autres tous les Gardes suisses. »
 
20 août 1792 – « Hier, on a proclamé que la patrie est en danger ; on a, à cet effet, dressé trois estrades, la première sur la Grand-Place, la seconde place Saint-Louis (square Ruault), la troisième place de la Housse. On y a prêté le serment de vivre livre ou de mourir et appelé les jeunes gens à s’armer pour la défense de la patrie, dont un très grand nombre se sont déjà enrôlés pour aller défendre nos frontières. »
 
Le 21, Lafayette, décrété d’accusation, passe la frontière pour sauver sa tête et est incarcéré par les Autrichiens. « L’infâme Lafayette, écrit à ce sujet notre chroniqueur, à la date du 31, vient de décamper l’ennemi, emportant avec lui la caisse de l’armée. »
 
Le 23, Longwy est occupé par l’armée prussienne. Le duc de Saxe-Teschen, qui commandait une armée autrichienne à Mons, voyait la frontière du Nord a demi dégarnie par le départ des troupes de Dumouriez avait rappelées pour renforcer l’armée du centre, se dirige sur Lille.
 
« Cette nuit, porte le journal, à la date du 5 septembre, les Impériaux ont attaqué en même temps Roubaix et Lannoy, où ils ont commis un brigandage sans exemple. Ils ont évacué Roubaix à 8 heures du matin, mais ils se sont rendus maîtres de Lannoy, qu’ils ont pillé totalement et s’y sont retranchés. »
 
10 septembre – « Hier, il y a eu une alerte, qui a causé quelque inquiétude, mais il n’y a rien eu de part et d’autre. On apprend que Saint-Amand est pris à la suite de la levée du camp de Maulde.
 
« Le 11 septembre, un bataillon du département du Nord, venant de Douai, a été assailli par plusieurs escadrons autrichiens, qui s’étaient retranchés dans le bois de Ronchin.
 
« Quoiqu’inférieurs en nombre, les nôtres leur ont tué 40 hommes, avant d’opérer leur retraite. On a battu la générale, toute la garnison s’est mise sous les armes, et s’est transportée avec un zèle sans exemple sur les limites de nos frontières, pour voir s’ils ne rencontreraient pas les brigands, agents des tyrans despotes.
 
« Le même jour, les Impériaux se sont emparés du bourg de Tourcoing et ils y ont fait des retranchements. »
 
16 septembre – « Cette nuit, les Autrichiens sont venus parader jusque sur nos glacis mais ils furent promptement balayés. »
 
Tous les jours arrivent des volontaires de différents départements. Le 18 septembre, toutes les communautés religieuses sont évacuées. Le 20, le Pont-Rouge est enlevé ; les Autrichiens y perdent 200 hommes. Dans la nuit du 21, trois mille hommes de différentes armes de la garnison, avec 12 pièces de canon, se portent sur Comines. On dit que la ville d’Ypres est prise, ainsi que Comines et Menin.
 
« Le 24, les Impériaux s’avancent en très grand nombre sur Lille et les environs, en commettant mille brigandages. Le lendemain, ils s’emparent du faubourg de Fives et s’y établissent en installant des retranchements entre Annappes et Lezennes. Ils pillent et volent dans Fives et les villages voisins. »
 
27 septembre – « Notre place tire sur les retranchements des Impériaux, avec les fortes pièces, d’où il s’en suit que ce qu’ils font dans la nuit est détruit dans le jour. Ils perdent beaucoup de monde, par l’effet de notre grosse artillerie. »
 
28 septembre – « Les impériaux se retranchent dans le faubourg de Fives. On vint y mettre le feu, et tout fut réduit en cendres, de sorte que ces coquins ont été obligés d’en déloger et se sont établis dans les vergers et les bois de Fives. »
 
29 septembre – « Notre artillerie ayant déjoué le projet d’un siège, les Autrichiens battent en retraite, mais toujours en pillant. Un détachement de 500 hommes de toutes armes est sorti pour Marquette, avec quatre pièces de canon, pour déloger 200 Autrichiens qui s’y sont établis avec une pièce de canon. Il vient d’arriver un trompette ennemi, à dix heures du matin, demander qu’on eût à rendre la ville et la citadelle et que, pour se décider, il donnait deux fois vingt-quatre heures. Mais les scélérats d’Autrichiens commencèrent, à trois heures et demie après-midi, à tirer à boulets rouges du calibre de 27, et des bombes depuis 120 jusqu’à 500 livres, qui ont fait un dégât horrible. L’église Saint-Etienne, à neuf heures du soir, fut réduite en cendres, ainsi que huit maisons qui l’entouraient. Ce terrible bombardement a duré huit jours pleins, sans décesser ni jour ni nuit. On compte soixante mille boulets rouges ou bombes que ces monstres ont tirés sous les ordres d’Albert de Saxe, 500 maisons ont été réduites en cendres, et 300 abimées par les effets destructeurs des bombes. L’église Saint-Sauveur a été fort châtiée, et son superbe clocher a été jeté bas jusqu’à la moitié. Enfin ce sont les alentours de cette paroisse qui ont le plus souffert du bombardement, tels que les rues Saint-Sauveur, de Fives, du Croquet, de Poids, de l’Abblette. Ces scélérats se sont retirés le 6 octobre à trois heures après-midi, ayant eu beaucoup de monde de tué par l’effet de nos bombes, car notre grosse artillerie n’y pouvait rien faire, tant ils étaient bien retranchés dans le milieu du faubourg de Fives, et qui allait jusqu’à Lezennes et Annappes, où était leur quartier général. Enfin cette horrible époque fera partie de nos annales, et l’histoire ne fera nullement mention d’un bombardement de huit jours et huit nuits consécutifs. Les habitants ont essuyé ce terrible feu avec tant de sang-froid, et reconnaissaient les boulets rouges avec une telle adresse qu’ils ne craignaient plus le feu. Il est à observer que, dans le courant du bombardement, il nous est arrivé 14.000 hommes des alentours dont on les a beaucoup loués pour leur zèle. Mais la ville, ses habitants, et sa faible garnison, au plus de 6.000 hommes, par leurs provisions de bouche et de guerre, auraient exténué nos tyrans, qu’ils auraient tenus pendant six mois. »
 
* * *
 
« Le 10 octobre, on apprend la nouvelle de l’entrée de Montesquiou en Savoie, et les premiers succès de Custine en Allemagne. »
 
Dans l’intervalle, Dumouriez, par la victoire de Valmy, avait arrêté l’invasion prussienne en Champagne. Il résolut de repousser, à leur tour, les Autrichiens de la Flandre, et de reprendre le plan qu’il avait formé, six mois auparavant, d’envahir la Belgique.
 
Tandis que son armée principale se concentrait à Valenciennes, un autre corps destiné à opérer à sa gauche, dans la Flandre belge, se formait à Lille, quelques jours après la levée du siège, sous le commandement de La Bourdonnaye.

V.
 
Dès le succès de Valmy, le 20 septembre 1792, et le début de la retraite des troupes prussiennes, Dumouriez s’empressa de diriger vers le Nord, pour en chasser les Autrichiens, les troupes échelonnées sur la frontière. Si ces mouvements ne purent prévenir le bombardement de Lille, il y a tout lieu de croire qu’ils furent la cause principale de la retraite précipitée des assiégeants. L’héroïque résistance des Lillois, à ce point de vue, fut donc loin d’être inutile, car la prise de Lille eût fortement compromis le succès des plans de Dumouriez, et c’est à bon droit que la Convention déclara qu’ils avaient bien mérité de la patrie.
 
« M. de la Bourdonnaye est arrivé le 8 octobre, écrit l’auteur du journal, à la date du 10, avec douze mille hommes, et a été camper de suite dans la plaine de Marquette.
 
« Le 19 sont arrivés les hussards dits de la République, au nombre de 150 hommes, ayant un joli costume : bonnet à la hussarde tricolore, habit court bleu foncé, pantalon de même couleur, veste écarlate avec garniture de petits boutons dorés, de même qu’à l’habit.
 
« Le 21 octobre, 12 bataillons partent pour Quesnoy et le Pont-Rouge où une dernière attaque des Autrichiens est repoussée avec perte. »
 
24 octobre – « Les camps qui étaient près de Marquette et de Croix sont levés dès minuit. On apprend la prise de Mayence et de Francfort par Custine, l’évacuation de Verdun et de Longwy par les troupes prussiennes et leur retraite définitive au-delà de la frontière. »
 
* * *
 
Dumouriez arriva le 25 octobre à Valenciennes, où 40 mille hommes, formant l’armée principale, était réunie. Le 28, il marchait sur Mons. Pendant ce temps, les mouvements de troupes continuaient autour de Lille, où l’armée de La Bourdonnaye, destinée, comme nous l’avons dit, à opérer sur sa gauche dans la Flandre belge, achevait de se concentrer. 
 
« Hier, porte notre journal, à la date du 2 novembre, les camps de la Madeleine et de Saint-Maurice sont levés pour une expédition dont on ignore le but ; il y a 40.000 hommes aux deux camps.
 
« Le 3, une autre armée vient encore camper à la Madeleine. Elle se compose de régiments d’infanterie, de cavalerie, d’artillerie et 3.000 gendarmes nationaux. Les Autrichiens évacuent définitivement Roubaix, Tourcoing et Lannoy, après y avoir commis des brigandages inouïs.
 
« Le 7, M. Dumouriez est entré dans Mons, à onze heures du matin. Il y a eu un fameux combat pour le prendre. Ce fut à Cuesmes et Jemmapes, où il y eu environ 3.000 hommes, tant tués que blessés ; les Autrichiens en ont perdu le triple. On a trouvé des munitions de guerre dans Mons, en nombre considérable, entre autres 292 pièces de canon, y compris obusiers et mortiers, 600.000 boulets, 15.000bombes et autres effets, tel que fusils, pistolets et sabres, etc.
 
« Le 9 novembre, entrée de l’armée de La Bourdonnaye dans Tournay. Le lendemain, elle occupe Gand sans tirer un coup de fusil.
 
« Le 11, prise de Bruges de même que de Gand, en sorte que toute cette partie de la West-Flandre est prise tels que Ypres, Courtray, Menin, etc. Grande illumination pour la prise de Mons.
 
« Le 14 novembre, Bruxelles est occupé par l’avant-garde du général Dumouriez. Il y a eu un combat de six heures, où beaucoup d’Autrichiens ont été tués ; on y a trouvé presque autant de munitions qu’à Mons. Louvain et Malines sont pris à leur tour. Le 16, on annonce la prise de Charleroi « qu’on nommera par la suite Charles-sur-Sambre » dit notre journal, et le 20, celle d’Ostende, où les Français, à leur entrée, trouvèrent planté l’arbre de la Liberté.
 
« Le 22 novembre, grande illumination et fête parfaite à l’occasion de la prise de tout le Brabant et de la Flandre. A cette occasion, on a dressé une superbe estrade au milieu de la Grande-Place, avec diverses allégories relatives au sujet. Mais le plus beau était l’aigle qui était en haut du clocher du beffroi de Tournay, qui a été promené dans toute la ville, avec le corps municipal ; il était traîné par un chariot, à la suite de tout ce superbe cortège, enchainé et surmonté par un volontaire, qui, sabre nu, caractérisait qu’il était vaincu. Ce même aigle doit être mené à Paris ces jours-ci.
 
« Le 24 novembre, la ville d’Anvers est occupée par les troupes françaises ; le 28, prise de la citadelle, contenant des approvisionnements considérables, par le général La Marlière. Le même jour, Liège est occupée par l’armée victorieuse de Dumouriez, sans grande effusion de sang. Les Français y furent bien et fraternellement reçus. On rapporte, ajoute le journal, que Dumouriez porte toutes ses forces sur le Luxembourg et la forteresse de Namur, alors tout le pays de Flandre et de Brabant sera libre.
 
« Le 2 décembre, on apprend que la ville et la citadelle de Namur sont occupées par le général Valence, commandant l’armée des Ardennes. »
 
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Pour le mois de janvier 1793, l’auteur du journal se borne à signaler, à la date du 16, lé déclaration de guerre à l’Angleterre. Ici, notre chroniqueur anticipe quelque peu les événements, car si le décret de la Convention du 13, relatif aux armements maritimes, impliquait nécessairement la guerre, elle ne fut officiellement déclarée que le 1er février.
 
Le 21 janvier, il se borne à mentionner en ces termes la mort du Roi : « Aujourd’hui, Louis XVI a eu la tête tranchée ». L’impression produite à Lille eût été intéressante à connaître, mais l’auteur, mû sans doute par un sentiment de prudence fort explicable, s’abstient de toute réflexion à cet égard. Le 20 janvier, veille de l’exécution de Louis XVI, un des députés qui avaient voté la mort, Lepelletier de St-Fargeau, fut assassiné par un ancien garde du corps. La Convention vota une adresse aux départements et décréta la translation du corps de Lepelletier au Panthéon. On célébra à Lille à cette occasion, le 17 février 1793, une cérémonie funèbre, dont notre journal rend compte en ces termes 
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« Aujourd’hui, on a célébré l’oraison funèbre du citoyen Lepelletier, un de nos plus zélés législateurs, qui a été assassiné la veille du jour que Louis XVI a été guillotiné. Ce fut un nommé Pâris qui lui a donné le coup mortel. Toute la garde nationale, troupe de ligne et cavalerie, furent à cet effet sous les armes, à dix heures du matin, assistées de tout le corps municipal, civil et militaire, au bruit du canon »
 
Le 20 février, « on apprend la déclaration de guerre à l’Espagne et l’assassinat à Rome du citoyen Basseville, notre représentant. La République demande réparation de cet assassinat et déclare la guerre à l’Italie. »
 
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Pendant ce temps, Dumouriez, rentré à Paris le 1er janvier, avait rejoint son armée dans les premiers jours de février, résolu à reprendre l’offensive et à marcher sur la Hollande. Il retrouva ses troupes à demi ruinées par la misère et la désertion des volontaires. Elles rencontraient, en outre, chez les Belges, une irritation profonde causée par les excès commis de tous les côtés par les émissaires des Jacobins. Notre journal signale, en effet, à la date du 3 mars 1793 « le départ de Lille de 200 hommes, la plupart canonniers, pour Roulers, où les paysans du pays avaient arrêté plusieurs convois. Après avoir réprimé ces désordres, ils ont poursuivi leur route sur Gand, escortant huit pièces de siège de 24. »
 
Le 5 mars, « on apprend à Lille l’entrée de Dumouriez en Hollande, et la prise, par son armée, de Breda et de Gertruydenberg. » Pendant ce temps, la coalition qui n’avait voulu marcher qu’à coup sûr et ses préparatifs terminés, s’ébranlait pour nous ramener en arrière.
 
« Le 6 mars, on apprend que les Prussiens et les Autrichiens ont repris Liège et forcé Miranda à lever le siège de Maastricht. »
 
Réduit à une retraite précipitée, Dumouriez renonce à une entreprise devenue impossible et rentre en Belgique. Il y trouve le pays effrayé de nos revers et presque insurgé contre nous. Ne désespérant pas de s’y maintenir, en s’appuyant sur les places fortes, il prend à la hâte quelques mesures énergiques pour suppléer à l’infériorité numérique de ses troupes.
 
« Aujourd’hui, porte notre journal, à la date du 10 mars, sont partis 550 hommes de la garde nationale de Lille, pour la ville de Gand, pour tenir en respect la population.
 
Bruxelles, Malines, Bruges, Tournay, Louvain, Mons et autres endroits. Ils sont tous bien armés de piques. Dans la nuit du 12, le feu s’est manifesté au faubourg de Fives et a dévoré quatorze maisons près de l’église.
 
« Le 14 mars, on apprend la reprise de Liège par l’armée française et la nouvelle officielle est venue que les Autrichiens et Prussiens ont été entièrement battus, et que Dumouriez les poursuit encore. »
Cette dernière nouvelle, en dépit du caractère officiel que lui attribue notre chroniqueur, nous paraît quelque peu sujette à caution. En effet, la bataille de Nerwinde ne fut livrée que le 18, et cette journée, loin d’aboutir à la déroute des troupes coalisées, n’eut pour Dumouriez d’autre résultat que de conserver ses positions, après une perte assez considérable. Quelques jours plus tard, comme l’indique d’ailleurs le journal à la date du 28 mars, l’armée française abandonnait la Belgique, après avoir évacué sur Lille la plus grande partie de son artillerie de siège. Le 30 mars, Dumouriez était à Saint-Amand, et le 4 avril, on apprenait à Lille l’arrestation des quatre commissaires de la Convention, Camus, Lamarque, Quinette et Bancal, et du ministre de la guerre Beurnonville, livrés par lui la veille au général Clerfayt, à Tournay, ses négociations avec les Autrichiens tendant à combiner avec eux une marche sur Paris, pour y rétablir la Constitution de 1791, l’abandon de ses troupes, et son passage en Belgique.
 
C’est sur cet événement que s’arrête brusquement, à la date du 4 avril 1793, sans que l’auteur en indique le motif, le journal de notre patriote lillois.

Bien que les faits qu’il signale soient déjà en partie connus, nous avons pensé que sa reproduction intégrale ne serait pas sans quelque intérêt pour nos lecteurs. 

A.      RICHEBE