lundi 16 septembre 2019

à propos d'un conflit entre les avocats et un notaire royal de Dunkerque en 1785


MEMOIRE
POUR MES OLIVIER, VANDERCRUCE, DOUVILLIER, MONTGEY, COUESNON & LIEVEN, tous Avocats en Parlement, exerçans ès sièges de la Ville de Dunkerque, & composans le Collège des Avocats de ladite Ville, Demandeurs
CONTRE ME DELSAUX, Notaire Royal en la même ville, Défendeur

Dans un Siège Royal, où les Avocats, se bornant à la noblesse de leurs fonctions, n’y réunissent point la postulation, un Notaire peut-il, en conservant sa charge, exercer aussi la profession d’Avocat ?
 
Dans un Corps qui a su maintenir la pureté de son institution, dont les Membres ne considerent dans la juste rétribution d’un travail honorable, que le témoignage flatteur d’une reconnoissance libre, dédaignent toute espèce de titre auquel seroit attaché le droit de l’exiger, & ne doivent enfin qu’à une confiance de choix l’avantage d’être les défenseurs & les dépositaires de l’état, de l’honneur & de la fortune des citoyens, doit-on admettre celui qui, en achetant à prix d’argent le droit d’être le témoin nécessaire des conventions, de constater par sa signature, non pas toujours ce qui devroit être, mais ce qui est dans le fait, a engagé pour la sûreté des dépôts dont cet office même le charge, sa liberté civile en même-temps que sa fortune, toute à la rigueur des Loix.
 
Telle est la question à décider. Soutenir l’affirmative, c’est dire à la Justice qu’il est peu d’importance de ménager la délicatesse dans les organes destinés à lui transmettre la vérité. C’est attaquer l’harmonie qui résulte dans la société, de la distinction entre les différens états, & vouloir familiariser celui qui met un juste orgueil a exercer une profession épurée avec l’idée qu’in peut déroger à la noblesse ?

Trop d’exemples prouvent chaque jour le relâchement des principes sur cet objet d’administration publique, pour que la Cour ne soutienne pas un corps qui, en voulant se conserver ce qu’il est de tout temps, ne fait que réclamer l’exécution des réglemens par lesquels elle a déjà statué sur la question.

FAITS
Ce n’a été que par l’expérience des temps que l’on a appris combien il étoit important de distinguer dans l’état, & dans l’administration de la Justice en particulier, les différentes fonctions de chacun de ceux qui pouvoient y concourir.
 
La disette de gens instruits, dans des siècles moins éclairés, avoit porté à tolérer, à favoriser même, la réunion des fonctions différentes sur le peu de personnes qui en étoient capables. Mais les lettres, en répandant leurs lumières sur toutes les classes d’hommes, apprirent à distinguer les professions, & à les appliquer à leur objet, pour porter chacune à la perfection dont elles étoient susceptibles.
 
La vénalité des offices venant ensuite, eut au moins cet avantage de déterminer spécialement les fonctions dont le produit devoit être pour le Titulaire le fruit de ses fonds, en même temps que de son travail, & cette ciconscription, travée à chacun, devint un objet de politique & de lucre pour le Gouvernement, en même-temps qu’un moyen d’utilité plus certaine pour les sujets.
 
Le besoin de procurer des états aux citoyens s’y joignit encore, & ajouté un motif nouveau à l’utilité déjà reconnue de la limitation des professions.
 
C’est une vérité qui de nos jours a été lieux sentie que jamais. Aussi voit-on, depuis plusieurs années, le Ministère soigneux à maintenir cette division d’offices, dans tous les Sièges qui, par leur étendue, offrent dans chaque classe un fort honnête & suffisant.
 
Ce fut ainsi que le Gouvernement envisagea la Ville de Dunkerque en 1780.
 
Jusques-là, les fonctions de Notaires & de Procureurs y avoient été réunies, & neuf titulaires de ces offices géminés les exerçoient cumulativement. Mais les inconvéniens s’étoient souvent fait sentir ; il fallut donc y pourvoir. En conséquence, par Edit du mois de Juin 1780, registré en ka Cour le 29 Juillet suivant, le Roi  a désuni les offices de Notaires & ceux de Procureurs. Les Notaires ont été réduits au nombre de quatre, & les Procureurx à celui de cinq.
 
De ce moment donc les fonctions de Juridiction contentieuse ne purent pas être cumulées avec celles de la Juridiction volontaire. Les intentions du Souverain sur cet objet n’étoient pas équivoques, & toute voie de les enfreindre étoit réprouvée ?
 
Cette défusion, conforme à la régularité des choses, n’avoit apporté rien de nouveau dans ce qui concernoit le Ministère des Avocats exerçans à dunkerque. Ce Corps, qui s’est toujours renfermé dans ses fonctions, n’y avoit point admis de concurrence avec les Notaires – Procureurs. Mais la désunion qui étoit prononcée de ces deux Offices, prouvoit de nouveau la distinction absolue qu’il falloit faire entre les Notaires & tous les Officiers exerçans au Siège.
 
Voici cependant ce qui arrivé : Au nombre des quatre Officiers qui avoient préféré le titre de Notaire, étoit M. Delsaux. S’il perdoit d’un côté le bénéfice de la postulation, il gagnoit de l’autre, comme chacun de ses Confrères, l’avantage d’exercer un ministère qui se trouvant resserré en quatre personnes, au lieu de neuf, étoit devenu plus lucratif. Mais il voulut trouver un moyen d’éluder la Loi, en cumulant le bénéfice que l’état de Notaire alloit lui procurer avec le produit, peu digne d’envie cependant, qu’on ne peut retirer de la défense des citoyens dans les Tribunaux. Il parvint à obtenir des degrés de licence, prêta serment en la Cour, & présenta ensuite sa matricule à l’enregistrement, tant au bailliage & Echevinage de Dunkerque, qu’en l’Amirauté.
 
Le Corps des avocats fit ses représentations en la Chambre de l’Echevinage ; mais il ne crut pas devoir former opposition à l’enregistrement, jusqu’à ce que l’on connût quel usage Me Delsaux prétendoit faire de son nouveau titre. On avoit vu à Dunkerque plusieurs exemples d’avocats qui, après avoir fait enregistrer leur matricule, n’avoient cependant cherché à en remplir aucune fonction. ON attendit que Me  Delsaux se présentat pour suivre le Siège, & y exercer comme Avocat. Ce fut ce qui arriva bientôt, & de ce moment, tous refusèrent de plaider & de communiquer avec lui.
 
Cependant le Magistrat de Dunkerque qui avoit ordonné l’enregistrement de la matricule de Me  Delsaux, & qui par conséquent l’avoit mis, par provision, en possession de l’état d’Avocat, faisoit droit sur ses poursuites, & l’intérêt des particuliers en souffroit un préjudice notable. Il ne restoit donc d’autre parti à prendre que de traduire Me Delsaux en la Cour, & de plaider contre lui, en attendant que la contestation fut jugée ; mais sans consulter nu communiquer dans l’intérieur des Cabinets, sans le traiter en Confrère, ni le convoquer à aucune assemblée, à aucune délibaration ? Ce fut le parti que les Avocats adoptèrent à cet effet.
 
Un Arrêt obtenu sur leur requête, le 10 mai 1783, leur permit d’y faire assigner Me Delsaux, pour voir dire que les réglemens concernans la profession d’Avocat seroient exécutés, & qu’en conséquence il lui seroit fait défenses d’exercer les fonctions du Ministère d’Avocat, & de se présenter dans les différens sièges de la Ville de Dunkerque, pour y plaider avec les Avocats tant qu’il seroit pourvu & titulaire de l’Office de Notaire Royal qui le soumet à la contrainte par corps, & aux Juges desdits Sièges de l’admettre à plaider.
 
Me Delsaux a défendu à cette demande. Il conclut à ce qu’elle soit déclarée nulle & irrégulière, & subsidiairement que les Avocats de Dunkerque y soient  déclarés non-recevables ; ou en tout cas qu’ils en soient déboutés. Il demande à être maintenu dans le libre exercice des fonctions d’Avocat, avec défenses de l’y troubler, impression & affiche de l’Arrêt.
 
Tel est l’objet de l’instance.

MOYENS
Il est, en matière d’incompatibilité d’états, des principes généraux qui tiennent à l’utilité publique, & des considérations particulières qui dérivent, soit de la nature des fonctions attachées à chacun, soit des devoirs qu’il impose, soit des prérogatives dont il doit jouir ?
 
Nous avons déjà parlé des premiers, on sent assez combien il est intéressant pour le corps politique de multiplier & de diviser les professions qui peuvent former l’état de chacun de ceux qui les exercent. Ajoutons que, par le même motif, il importe à l’harmonie de la société qu’aucune considération résultante de la chose en elle-même, ne nuise à l’exercice des différens emplois. Le bien public souffriroit nécessairement, si celui qui prend sur lui un office capable d’occuper tous ses momens, y réunissoit d’autres fonctions qui suffiroient elles-mêmes pour les absorber. Ou bien cette réunion le metttroit dans l’impossibilité de satisfaire aux devoirs de l’un des deux états, ou l’un & l’autre ne seroit rempli qu’avec une négligence contraire au bien général & à l’intention du Législateur.
 
Au premier cas, le Public & le Souverain seroient trompés, puisque comptant avoir le nombre d’Officiers, de chaque nature, nécessaire à la constitution du corps politique, il s’en trouveroit qui n’auroient qu’un vain titre, & qui entraînés par des occupations d’un autre genre, abandonneroient celles auxquelles cependant ils ont fait vœu de se livrer principalement.
 
Le Notaire, par exemple, qui voudroit en même-temps être Avocat, détourné sans cesse par les exercices de cette dernière profession des soins & de la résidence qu’exigent les opérations dont un Notaire peut être chargé, n’offriroit plus au public l’officier prêt à recevoir les conventions des hommes entr’eux, les dispositions d’un testateur, &c. Séduit par l’exercice plus flatteur du barreau, sur-tout dans une Ville comme Dunkerque où les sièges sont multipliés [1], il donneroit sont temps à la suite des audiences, & le citoyen ayant dans le fait un Notaire de moins, seroit gêné dans le choix que le nombre lui devoit offrir entre différens Officiers capables d’être les dépositaires de sa confiance.
 
De même aussi le plaideur malheureux qui croyant trouver un défenseur dans celui qui se dit Avocat, lui aura confié une affaire qui exige tous les instans, ne trouvera en lui qu’un avocat de nomn qu’un homme livré à des soins différens de ceux de cette profession, & qui sans cesse entraîné par son utilité personnelle, sera principalement occupé d’un office qui doit lui être plus lucratif ?

Supposera-t-on qu’il parvient à réunir les occupations des deux états dans une proportion à-peu-près égale ? dans ce cas, le tort que le public éprouveroit bientôt sera plus dangereux encore. 
 
Les Notaires-Avocats qui, comme Notaires, seroient toujours les premiers confidens des Parties, deviendroient, pour ainsi dire, leurs conseils nécessaires ; & ce seroit, d’un côté, gêner la liberté de la part des Cliens, & de l’autre mettre un obstacle à cette noble émulation qu’établit toujours une rivalité, qui n’a pour objet que l’usage des talens & l’emploi des connoissances acquises. Bientôt tous les Notaires seroient en même-tems Avocats ; & dans peu les justiciables ne trouveroient plus que des défenseurs peu instruits, distraits par trop d’affaires de l’étude profonde qu’exige la profession d’Avocat, & superficiels dans tous les genres, par l’impossibilité de les embrasser tous avec succès.
 
Nous ne parlerons point ici de dangers d’une autre espèce que la délicatesse & le désintéressement des Avocats de Dunkerque, ne leur permet pas d’envisager. Il n’entre dans leur défense aucune vue d’utilité personnelle, & rien dans l’espèce particulière, ne pourroit les en faire soupçonner.
 
On répondroit en vain que, dans les sièges intérieurs, il est rare qu’une seule profession remplisse tous les instans d’un homme. Ce n’est point dans notre espèce que cette objection peut avoir lieu. Le règlement fait par l’Edit récent de 1780, y fournit la réponse. Car le Roi, en créant de nouveaux offices de Notaires à Dunkerque, n’en a porté le nombre à quatre que parce qu’il a été reconnu que ce nombre étoit nécessaire pour suffire aux affaires & à la commodité des habitans de cette ville.
 
Il ne seroit donc pas possible que l’intérêt du public ne souffrit de la réunion que veut introduire Me Delsaux, & déjà ce motif doit suffire pour l’écarter.
 
Mais l’Edit de 1780, fournit encore une autre considération qui n’est pas  moins décisive ? C’est d’après la connoissance que le Souverain a prise des inconvéniens qui résultoient de la cumulation des fonctions qui tiennent à la juridiction volontaire avec celles qui ont rapport à la juridiction contentieuse qu’il a ordonné pour Dunkerque, la désunion des offices de Notaire & de Procureur, c’est parce qu’il a été reconnu que le Siège de Dunkerque étoit assez considérable pour ne point y laisser subsister l’abus, que la nécessité fait tolérer ailleurs, de la cumulation de fonctions différentes.
Or le même motif qui a fait exclure les Notaires des fonctions de Procureurs, doit également les exclure de celles des Avocats, qui, dans un genre plus distingué, ont néanmoins le même objet & concourent aux effets quant à l’ordre politique & civil, c’est-à-dire, à la défense des citoyens dans les affaires contentieuses.
 
En sorte que ce qui doit exister d’après des principes généraux incontestables, est ici en particulier la chose jugée, déterminée par le Souverain lui-même, & par une loi nouvelle, exécutée & en vigueur ?
Ces premières considérations tirées de l’ordre public devroient suffire, sans doute, à la défense des Avocats de Dunkerque. Elles ne laissent à Me  Delsaux aucun prétexte raisonnable qui ne soit d’avance combattu par l’application des vrais principes.
 
Mais si l’on veut entrer dans l’examen de celles qui peuvent résulter des usages constamment observés à Dunkerque, relativement à la profession que Me Delsaux ambitionne, de nouveaux motifs viendront se joindre à ces vues générales. 
 
Le Corps des avocats exerçans dans les Sièges de Dunkerque, s’est toujours distingué des autres Officiers. Lorsque les offices de Procureurs & de Notaires étoient réunis, les Avocats faisant un corps séparé, se maintenoient dans toute la pureté de la profession, & ce corps se régloit dès-lors, & de tout temps à l’instar de l’ordre des Avocats attachés à la Cour. Aucun ne s’est immiscé jamais dans la postulation. Ne faisant point communauté avec les Procureurs, ils n’ont point de registres de délibérations, mais les règles d’honneur & de sentiment qu’ils se sont prescrites de tout temps, & dont le souvenir se perpétue par la pratique, y sont gravées dans le cœur de tous ceux qui suivent réellement la profession. 
 
Plusieurs Licentiés, après avoir prêté le serment en la Cour, ont fait d’abord enregistrer leur matricule aux Sièges, & se sont depuis oivrés à des occupations toutes différentes. Les uns ont pris des charges, les autres ont embrassé le commerce ; mais de ce moment ces particuliers, quoique les noms soient restés au Greffe, n’ont plus été regardés comme faisant Corps avec les Avocats exerçans, & aucun d’eux ne se croiroit permis ni de s’engager dans des opérations de commerce, ni de se charger d’aucune négociation étrangère à leur profession.
 
Défenseurs des Habitans d’une Ville dont l’ame est le commerce, souvent dépositaires des effets les plus importants ; de traités qui engagent les fortunes de toutes les familles, ils ne connoissent envers leurs Clients, d’autre lien que celui d’une confiance libre & entière, & d’un honneur dont jamais la délicatesse ne reçut d’atteinte, & ils ont le plus grand intérêt à se maintenir dans cette possession aussi flatteuse qu’honorable.
 
Or ils ne pourroient, sans y déroger, admettre parmi eux un homme qui, par un titre acheté à prix d’argent, s’est sommis à la contrainte par corps, & chez qui le Public voit un Officier revêtu d’un Office vénal & pécuniaire, qui offre à la sûreté un autre gage que celui de l’honneur même.
 
Ils sont d’autant plus dans ce cas de n’admettre que ceux qui ne se livrent uniquement qu’à l’étude des loix, que la coutume du Pays, peu étendue dans ses dispositions, s’est référée expressément aux droit Romain, pour les cas qu’elle n’a pas exprimée, en sorte que celui qui se destine à suivre la profession d’Avocat, trouve devant lui un vaste champ d’étude, à l’étendue duquel la vie suffit à peine, & que l’on ne peut parcourir avec fruit, si d’autres occupations principales apportent à ce travail un obstacle perpétuel & toujours renaissant.
 
Ce rapport de la Coutume au droit Romain, ajoute encore une considération à la nécessité où ils se trouvent de refuser d’admettre Me Delsaux pour Confrère.
 
La liberté de se conformer au droit écrit, est l’un des Privilèges dans lesquels la Ville de Dunkerque a été conservée, tant par les Capitulations accordées par M. de Turenne, les 23 & 24 Juin 1658, que par la Déclaration du mois de Novembre 1662, on peut donc dire que c’est d’après les principes du droit Romain, & dans la classe où il a placé Me Delsaux, qu’il faut l’envisager.
 
Or l’on fait que le droit Romain n’a jamais regardé les Notaires, Tabularii, que comme des gens d’un état très peu relevé, pour ne rien dire de plus. On sait qu’ils étoient toujours pris dans la classe des esclaves, & que l’entrée aux Offices leur étoit interdit suivant la loi : Cod. De tabulariis. Nulli omnino ex Tabulariis officio militent. La profession d’Avocat, au contraire, n’est-elle pas regardée parmi nous comme une profession noble, à laquelle ne peut prétendre quiconque est susceptible de toute autre exclusion ?
 
Au reste, si, en joignant à la fonction originaire des Notaires en France, le dépôt des Actes qu’ils reçoivent, on a rendu leurs offices dignes d’une juste considération, au moins est-il incontestable qu’ils ont toujours des caractères très-distinctifs de la profession que Me Delsaux veut y réunir, caractères qui suffisent pour établir qu’entr’eux une exclusion nécessaire.
 
Indépendamment de contrainte par corps, dont nous avons parlé ci-dessus, le bénéfice qu’ils peuvent retirer de leurs charges, ne forme point pour eux un pécule dont ils aient la disposition ? Cette remarque, faite d’abord par Dumoulin, ad consilium Alexand. 2, a depuis été adoptée par Ferriere, sur Guy-Pape, quest. 190, par Laroche-Flavin Liv. VI, arr. 4, &c. Elle est même fondée sur des Arrêts du Parlement de Toulouse : his solis qui in dignitate aliquâ & honore sunt hoc jus concedit……. Quod ad Notarios extendum non est. Et ita judicatum fuisse D. Duranti princeps sematus Tholos, Arresto Tholos contra Notarium quemdam Bellicardi, &c.
 
On sait qu’il est parmi les fonctions de Notaires des Actes qu’il leur sont communs avec les moindres Officiers de la Justice, puisqu’ils sont concurremment avec les Huissiers, les protêts, les sommations respectueuses, les offres réelles, &c. & même les ventes de meubles par-tout où il n’y a pas de Jurés-Priseurs en titre. Comment admettra-t-on que celui dont le ministère embrasse des fonctions communes avec un Huissier, peut partager aussi celles qui sont regardées comme les plus distinguées & les plus recommandables ?
 
Que Me Delsaux, d’après ces exemples, ne vienne plus nous dire « qu’en descendant dans l’examen de l’emploi d’un Notaire, on trouvera par-tout qu’il tient à celui de l’Avocat ».
 
C’est un privilège, c’est un devoir même pour les Avocats de remplacer les Juges & de monter sur le Siège, suivant l’ordre d’ancienneté, pour les substituer. L’Avocat-Notaire ne se trouveroit-il pas à chaque instant, exclus de cette prérogative comme ayant reçu ou signé en second, l’acte qui fait la matière de la contestation ? Or celui qui prétend à la faculté de remplir une fonction honorable, ne doit point porter avec lui une cause aussi fréquente de récusation.
 
Enfin si la dérogeance attachée à l’office de Notaire a reçu quelquefois des exceptions pour les Notaires au Châtelet de Paris, au moins un Notaire de Province n’oseroit-il pas la contester.
 
Mais nous n’avons pas besoin sans doute de porter plus loin le parallèle : une profession qui n’a pour objet que l’étude des loix & la défense des Citoyens, connoit bien au-dessus d’elle, dans l’ordre judiciaire, le Privilège de les juger, mais sa noblesse n’admet pas d’égalité ?
 
Or, par cette raison seule, elle ne permet point d’alliage, & quiconque prétend y participer dans un Siège Royal, dans une Ville importante où elle s’est maintenue dans toute sa pureté, doit abdiquer tout état qui n’a pas pour unique base la même liberté & les mêmes principes ?
 
Il seroit étonnant, sans doute, que la Jurisprudence ne nous fournit pas des exemples qui eussent donné la sanction à cette vérité.
 
Sans nous arrêter à citer plusieurs Arrêts, qui ont jugé qu’un Avocat ne pouvoit réunir un office de Greffier, même dans un autre siège que celui où il exerce, ni d’autre profession quelconque, bornons-nous à ceux qui ont précisément statué sur la question.
 
On en trouve d’abord d’anciens dans le recueil de Des-corbiac, titre 16, ch 5 & 7.

L’un du 30 Janvier 1616 qui a défendu de réunir les fonctions de Notaires & d’Avocat ;

L’autre du 4 Octobre 1748, rendu aux grands Jours, contre le Syndic des Notaires de Rhodès, « qui a fait défenses à ces Notaires & à tous autres du ressort, à peine de perdition de leur état, de s’ingérer à l’exercice de l’état d’Avocat de quelque manière que ce soit, &c. »
 
Il n’est pas étonnant, sans doute, que depuis que l’utilité de la distinction des professions a été reconnue, il se soit trouvé peu de Notaires qui aient osé soumettre une pareille prétention au jugement de la Cour. Nous en avons cependant deux exemples qui ont été recueillis par Jouffe, sans son Traité de la Justice Civile, titre des Avocats, tom.2, page 475.
 
Le premier, « du 4 août 1760, rendu pour Compiègne, a defendu au sieur de Mouchy, de faire en même-temps les deux professions d’Avocat & de Notaire à peine d’interdiction. 
 
« Le second, rendu au rapport de M. poitevin de Villiers le 23 Janvier 1766, sur les conclusions de M. le Procureur-Général, contre le sieur Bocquillon Notaire à Saint-Quentin, qui vouloit exercer en même-temps la fonction d’Avocat audit Siège. »
 
Il est donc vrai de dire que la prétention de Me Delsaux est également contraire  à la chose jugée, aux principes de l’administration de la Justice, & même à ceux de la saine politique.
Il présente cependant, pour la soutenir, des objections de toute espèce, mais leur nombre n’ajoute point à la valeur, il suffit, pour les réfuter toutes, de les parcourir sommairement.
 
[OBJECTION] Une première consiste à dire que ses adversaires ne sont qu’au nombre de six tandis que le tableau des Avocats, exposé dans la salle de l’Echevinage de Dunkerque, offre les noms de vingt-huit.
 
[REPONSES] La réponse résulte de l’observation déjà faite, qu’on ne peut pas considérer comme Avocats ceux qui, n’ayant fait autre chose que présenter leur matricule à l’enregistrement, n’ont jamais exercé, ou se sont retirés peu de temps après. Que leurs noms soient toujours restés dans le tableau de l’Auditoire, qui n’y est exposé que par une ancienne habitude, & de la part des Juges, sans que ce tableau soit l’ouvrage des Avocats, il n’en est pas moins vrai que tous ont pris des professions différentes & incompatibles. La plupart sont aujourd’hui des négocians connus, & même plusieurs sont absents de Dunkerque ; enfin le Corps des Avocats, dans la vérité n’est composé que de ceux que Me Delsaux a dans ce moment pour adversaires. C’est un fait notoire, & dont il n’ignore point. Ce n’est donc point, comme il le dit, l’opinion isolée de quelques membres. C’est l’unanimité des suffrages qui lui refuse l’admission au Barreau.
 
[OBJECTION] Une autre fin de non-recevoir est encore invoquée de sa part. Une compagnie, dit-il, ne peut intenter d’action qu’en vertu d’une délibération arrêtée dans une assemblée ; où est celle qui a autorisé les six Avocats à diriger l’action contre lui ? A faute d’en représenter ils sont non-recevables.
 
 [REPONSES] Cette objection de forme n’est pas présentable, la demande même est la preuve de la délibération, puisqu’elle est faite au nom de chacun des Avocats qui fréquentent le Barreau & qui, depuis leur enregistrement, se sont maintenus dans l’intégrité de la profession. Si cette délibération n’a point été écrite, c’est parce que le Corps des Avocats de Dunkerque, ainsi que nous l’avons dit, en cela semblable à celui de la capitale, ne tient point de registre. Me  Delsaux ne pourroit pas alléguer qu’il en existe. Le pouvoir donné par eux pour intenter l’action, vaut bien sans doute la délibération par écrit.
 
[OBJECTION] Me Delsaux, fertile en fin de non-recevoir, en a ajouté deux autres ; il n’appartient point, dit-il, à un collège d’Avocats d’agir activement En la Cour, si l’Ordre ne veut pas admettre un sujet, il se borne à ne point communiquer avec lui. S’il veut rejetter se son sein un sujet admis, la radiation sur le tableau le retranche du Corps, mais on ne forme pour cela aucune demande, à ce que défenses lui soient faites d’exercer la profession. L’autorité de l’Ordre sur les membres n’est qu’une autorité passive, elle se borne à la liberté incontestable de ne pas communiquer.
 
[REPONSES] A cet égard, il ne pourroit pas e, être à Dunkerque comme en la Cour, parce que l’usage de ce Siège n’a point été jusqu’ici que les Avocats eussent un tableau. Celui qui est dans l’Auditoire, n’est encore une fois, que l’état des personnes qui ont fait enregistrer au Siège leur matricule ; il n’est point celui des Avocats exerçans, il n’est point leur ouvrage. L’enregistrement de la matricule est, pour les Avocats exerçans à Dunkerque, ce que la prestation de serment d’un Licentié en la Cour, est pour les Avocats au Parlement. Ce tableau prétendu de Dunkerque ne peut s’assimiler qu’au registre qui contient en la Cour l’état de ces prestations de serment, mais non point au tableau mis au Greffe chaque année par le Bâtonnier.
 
Les Avocats peuvent bien faire d’abord aux Juges leurs représentations sur cet enregistrement, mais ils ne peuvent rien de plus. On a eu soin d’en faire, lorsque Me Delsaux s’est présenté à la fin de 1784. Les Avocats en la Chambre de l’Echevinage observent que leur délicatesse ne leur permettroit jamais de reconnoître Me Delsaux pour Confrère ; & les Juges ayant cru devoir passer outre, on espéroit que Me delsaux se feroit justice à lui-même, d’après le refus exprimé du Corps où il vouloit entrer.
 
Mais lorsque ce moyen ne suffit pas, lorsque l’honneur seul ne parle pas assez haut pour repousser l’homme incapable, si les Juges ont autorisé l’admission de forme, il ne reste plus au Corps des Avocats que le moyen dangereux de l’incommunication ou celui de l’action judiciaire.
 
Le premier a d’abord été tenté contre Me Delsaux pendant l’année 1782, lui-même l’avoue dans sa défense. Mais, abusant des liaisons que lui donne son état de Notaire, & de celles qu’il a pu conserver comme ayant été Procureur, il n’a pas craint de braver la résistance & de se présenter. L’enregistrement de sa matricule l’avoit saisi par provision. Il ne restoit donc d’autre voie que celle de le traduire en la Cour, & les avocats l’ont prise en 1783, ainsi qu’ils y étoient forcés. L’intérêt public auroit trop souffer, s’il eût fallu continuer de laisser Me Delsaux la liberté d’obtenir par défaut des jugemens injustices, & de réduire les Parties à n’avoir ‘autre moyen que celui de l’appel. On a donc cru devoir se conformer à l’intention que la Cour a manifestée dans ces circonstances semblables. Quelques avocats se sont en effet présentés contre lui, sous la protestation résultante, soit de l’action intentée, soit du refus de toute autre communication que celle de l’Audience, & de tout acte de confraternité. On a pris enfin les seules voies que les circonstances permissent.
 
Nous ne croyons pas devoir répondre à un autre moyen que l’on a voulu tirer, de ce que, par leurs premières conclusions, les Avocats de Dunkerque ne se sont pas d’abord rendus appellans des ordonnances d’enregistrement. Cette formalité a été remplie depuis e, tant que besoin, mais elle n’étoit nullement nécessaire ; l’enregistrement n’étant point l’ouvrage des Avocats, n’étant point ordonné avec eux, ne sauroit les engager. Ce n’est point comme enregistré au bailliage que les Avocats attaquent Me Delsaux, mais bien comme se présentant au Barreau pour exercer des fonctions dont il est exclu par l’office dont il est revêtu.
 
Toutes les fins de non-recevoir auxquelles Me Delsaux ne rougiroit point de devoir faire son état, n’annoncent donc pas plus une défense réflechie, que sa prétention en elle-même ne prouve sa délicatesse. Voyons comment il la soutient au fonds.
 
Sa base est d’établir une différence considérable entre les Avocats en la Cour & ceux des Juridicitions du ressort, & de Dunkerque entr’autres, mais quels en sont les caractères ?
 
Tant que des Avocats se bornent à leur profession exclusivement, elle est par-tout aussi honorable en elle-même ; puisque par-tout elle a pour objet la défense des citoyens. Si celle des Avocats en la Cour reçoit un lustre de plus de la dignité du Tribunal auquels ils sont attachés, cet avantage inestimable sans doute, mais relatif  à la prééminence de la Cour, ne change rien à l’essence de leurs fonctions en elles-mêmes ; & les Avocats de Dunkerque, jaloux de les remplir avec le même honneur, ont droit d’apporter la même délicatesse dans le choix de leurs membres.
 
« Ils se chargent, dit-on, de procurations »
 
Si jamais il y en eu des exemples, ce n’a été que lorsqu’elles avoient pour objet d’éviter aux parties, par la voie des transactions, les dangers & les frais des procès, & ils s’en font honneur. Si parmi les Avocats enregistrés, mais qui n’exercent pas, quelqu’un en a reçu d’autres, c’est la suite sans doute du commerce ou de la profession auxquels il s’est livré. Rentré dans le commun des Citoyens, il a pu faire tous les actes usités dans la société, les adversaires de M. Delsaux n’ont point intérêt de les contester.
 
« A Dunkerque, dit-on, les Avocats font toutes les écritures du ministère des Procureurs »
 
Me Delsaux, qui veut être Avocat, ne devroit pas ignorer qu’il a été fait le 22 Juillet 1707, un règlement homologué en 1708, qui porte que les Procureurs de Dunkerque ne peuvent faire aucunes écritures, telles que défenses, répliques, mémoires, avertissements, contredits, &c. même les requêtes & demandes dans certaines causes. L’utilité des Citoyens à nécessité ce règlement, à raison de ce que les affaires du commerce donnent lieu à quantité de délibérés, qu’il eût été dangereux de laisser juger sur la seule instruction des Procureurs.
 
« Quelques-uns, dit-on encore, vont plaider aux Consuls, ce qui n’a pas lieu dans la Capitale »
 
Mais on concevra bien que dans une Ville toute commerçante, il peut se présenter au Consulat des affaires de la première importance.
 
2° Les Consuls sont Juges Royaux & rien ne place cette Juridiction dans un genre inférieur à plusieurs tribunaux, où les Avocats, même en la Cour ne rougissent point & n’ont point à rougir de plaider. Rien, en effet, ne les empêcheroit de plaider aux Cosuls, si leur ministère y étoit requis, & q’il pouvoit être utile au bien public. Toutes les fois que l’appel se porte directement en la Cour, il est important pour les Parties que leur cause soit présentée avec tout l’avantage que peuvent donner les lumières d’Avocats instruits.
 
Enfin Me Delsaux invoque quelques exemples qui ont lieu, dit-il, dans d’autres Villes de Flandres & sous le Parlement de Douai, telles que Bapaume, Valenciennes ?
 
Mais, I° ces exemples ne sont point tous dans l’espèce à juger, car les preuves mêmes que Me Delsaux rapporte, donnent lieu à reconnoître qu’à Bapaume il n’y a point de corps d’Avocats séparé des Procureurs. Elles établissent que la difficulté ne s’est élevée qu’à l’égard des Procureurs a des Notaires, qui demandoient qu’il fut défendu à Me Doudan, Notaire, d’exercer la profession d’Avocat. Que M. le Garde-des-Sceaux auquel il paroît qu’on s’étoit adressé, n’ait pas fait droit sur cette prétention des Procureurs de Bapaume, il n’en peut rien résulter pour le Corps des Avocats de Dunkerque, qui n’a jamais eu rien de commun avec la postulation, & qui ne veut rien admettre d’étranger à la noblesse des fonctions dans lesquelles il se renferme.
 
2° quant aux abus de ce genre, qui peuvent exister sous le ressort du Parlement de Douai, où il paroît même qu’un Notaire est en même-tems Procureur du Roi, il est ridicule de proposer de tels exemples comme une règle que la Cour doive adopter.
 
Un ancien Arrêt du Parlement de Provence paroît avoir jugé, qu’un Notaire pouvoit exercer la profession d’Avocat dans une affaire pour laquelle il n’avoit point passé d’acte, mais peu importe encore cet exemple d’une Jurispridence étrangère ?
 
On voit d’ailleurs dans Boniface, I° qu’il n’a été rendu que pour la petite Ville de Colmars, où il n’existe qu’une simple Vigerie, qui ne ressortit point dans une Cour souveraine. 2° qu’il l’a été en faveur d’un Notaire, Licentié, qui n’avoit pour adversaire qu’un simple Praticien.
 
Il n’en peut donc rien résulter pour une Ville comme Dunkerque, où la fonction de Notaire est absolument distincte de la Juridiction contentieuse, sut-tout depuis l’Edit de 1780.
 
Encore moins doit-on faire attention à ce qui a été dit dans les livres de la Science des Notaires, & autres semblables, dont les Auteurs sont plus que suspects, quand ils donnent leur opinion sur les droits de ceux pour lesquels ils travaillent. On les voit également soutenir que les Notaires peuvent être Procureurs & ce n’est pas un doute ici que cette fonction leur est interdite. Le Souverain a considéré l’administration de la justice à Dunkerque, comme embrassant un ressort assez important, pour y diviser les fonctions des différens Officiers, il a même exprimé en l’ordonnant, qu’il ne faisoit que renouveller les dispositons des Ordonnances sur l’incompatibilité des fonctions, pour prévenir les inconvéniens & abus qui peuvent en résulter (préambule de l’Edit de 1780).
 
Ces mêmes inconvéniens, ces mêmes abus revivroient dans toute leur étendue, si l’on admettoit un moyen d’éluder les vues du souverain en cumulant avec le titre de Notaire une profession qui, en réunissant les mêmes motifs d’incompatibilité, que celle de Procureur doit encore être plus interdite au titualire, puisqu’il est de son essence & de sa noblesse de ne permettre la réunion d’aucune autre fonction ?
 
C’est, on peut le dire, s’élever contre les notions de la simple raison, que de soutenir que celui auquel il est défendu d’exercer les fonctions de Procureur dans un Siège, puisse y remplir celle d’Avocat, ce seroit admettre à un emploi plus relevé, celui que la Loi déclare incapable du moindre : qui non potest minus, non potest majus. Les Avocats de Dunkerque, justement attachés à l’honneur d’une profession qui est par-tout la même, quand ceux qui l’exercent sont attachés à ces règles, ne doivent pas douter que la Cour confirmera de son autorité une réclamation qu’ils devoient au serment qu’ils ont prêté entre ses mains, & qui ne prouve que la délicatesse la plus épurée ? dans un état qui ne se soutient ce qu’il doit être, que par la scrupuleuse observation des Principes, il est de la première importance de prévoir tout abus, & d’en prévenir même la possibilité.
 
Eh ! N’est-ce pas un abus déjà existant, que de se présenter au Barreau, comme le fait Me Delsaux, avec la prétention de conserver un Office, auquel il ne peut tenir que par l’espoiur d’un gain géminé ? N’en auroit-il pas déjà fait le sacrifice, s’il étoit vraiment animé du zèle pur & du désintéressement qui sont les qualités premières, sans lesquelles on est indigne de participer aux fonctions honorables qu’il ambitionne.
 

Monsieur PASQUIER, Rapporteur
Me BARRE, Avocat
MATHELAT, Proc.

Veuve HERISSANT, imprimeur du Cabinet du ROI, 23 Juillet 1785

Au dos, manuscrit contre la reliure, M. Target, avocat au Pt
Rue Sainte-Croix de la Bretonnerie


[1] Nota Les Avocats plaident tant au Bailliage & Echevinage qu’en l’Amirauté , & même au Consulat.

MEMOIRE D’AUDIENCE Pour Pierre Jacques Cornil Desmyttere, avocat au cidevant Parlement de Flandre, demeurant à Cassel contre le sieur Vanderborgh (1812)


MEMOIRE D’AUDIENCE
Pour Pierre Jacques Cornil Desmyttere, avocat au cidevant Parlement de Flandre, demeurant à Cassel contre le sieur Vanderborgh
1812

MEMOIRE D’AUDIENCE
 
Pour Pierre-Jacques-Cornil DESMYTTERE, Avocat au ci-devant parlement de Flandre, demeurant à Cassel, en sa qualité d’héritier légal maternel de Dame Marie-Catherine Rommelaere, sa cousine germaine, décédée épouse du Sieur Charles-Benoit Vanderborgh à Bollezeele, le 4 octobre 1812, signifié d’une part,
 
CONTRE
 
Ledit sieur VANDERBORGH, soi-disant légataire universel de ladite Dame Rommelaere, son épouse, demandeur par exploit d’assignation du 27 mars dernier, d’autre part.

Pardevant Messieurs les Président et Juges du Tribunal civil, séant à Dunkerque

Le demandeur pourrait bien dire comme disait le Précepteur de Charles IX, à qui le Prince reprocha le désir insatiable d’accumuler des bénéfices, que le goût vient en mangeant, sacra auri fames ; non content d’avoir extorqué son épouse, depuis une vingtaine d’années, par des obsessions, suggestions, démarches caresses un peu lourdes, etc. successivement quatre à cinq testamens en sa faveur, il ose maintenant se dire légataire universel et conclure contre les héritiers à ce qu’ils soient condamnés à le reconnaître comme propriétaire, le tout avec menace de prendre des conclusions plus amples, ce qui annonce son extravagance.
 
Le signifié sait que sa parente avait la libre disposition de ses biens, son intention n’a jamais été, elle ne l’est pas encore et elle ne sera jamais de contrevenir à sa dernière volonté, mais le demendeur est dans le cas de faire conster et faire conster par un acte valable, et conforme au prescrit de la loi, comme quoi il est légataire universel.
 
Le signifié est héritier légal maternel, il a la loi pour lui, il est aussi appelé par la défunte pour lui succéder, si tant est qu’on peut dire que le prétendu testament est son ouvrage, voilà sa dernière volonté qui ne peut se tenir avec un legs universel, ne pouvant à la fois tout donner à Jean et appeler Pierre pour le partager, elle n’a donc fait un legs universel et si elle en aurait fait un il est censé révoqué par la clause finale qui suit la clause révocatoire ; un Testateur n’a besoin de se servir de termes ambigües ni des sens à double et triple attente, sa volonté clairement expliquée fait la loi, le reste s’interprête contre lui et in voit que l’intention du demandeur n’a été autre que de se donner le mobilier, conquêts et vers et secs catheux et de s’assurer par ce don une stipulation contradictoire qui détruit tout l’ouvrage, mentita est iniquitas sibi et nimia proecautio dolus.
 
Un véritable légataire universel est saisi de plein droit, sans être tenu de demander quelque délivrance, on voit du prétendu acte produit que son objet n’a point été de donner la propriété générale, mais seulement de donner quelque chose de plus que ce qu’avait été donné par les actes précédens, l’exécution dépend du fait et de la volonté des héritiers, qui auront la nue propriété de tous les biens de famille pour l’approuver, et les démarches postérieures du demandeur donnent à connaître que lui-même n’a point envisagé son legs comme un legs universel en propriété.
 
Le quatre novembre, il a fait signifier l’acte aux héritiers avec déclaration qu’il prend et prendra leur silence pour aveu et approbation, il donc reconnu leur droit à la propriété, et à le prendre autrement, la disposition est contradictoire et indéchiffrable.
 
Toute disposition doit être pure et simple, dépendre uniquement de la volonté du disposant sans pouvoir dépendre en quelque façon du fait d’un tiers ; de semblables clauses ne sont que des entraves pour les héritiers, sur la volonté desquels le disposant n’a aucun empire, et c’est en quoi consiste la vraie liberté ! Comme les clauses pénales, elles sont contraires aux lois et nulles, et comme clauses privatives elles ne sont regardées que comme comminatoires et n’empêchent qu’on puisse s’en pourvoir contre la disposition qu’on prétend contester. Mr Pollet, part.3, art.124, en rapporte deux arrêts du parlement de flandre, voyez aussi Stockmans, décis 17, Chrystin vol.4 décis 39, n°6 et Voet, ed ff. lib 34, tit. 6, n°3.
 
Commençant à sentir cette vérité, le demandeur voudroit bien revenir sur ses pas et faire supprimer la moitié de la stipulation qui bride la prétendue disposition universelle, mais il doit savoir que ce n’est point à lui de diviser la stipulation, qu’elle doit être prise ou rejetée en son entier, et qu’au cas de doute, elle devrait être interprétée contre le stipulant « contra eum legem non dixit apertius », tel est aussi la disposition de l’art. 1162 du Code Napoléon.
 
Le jour de l’enterrement de son épouse, avant le service, le demandeur a déclaré à quelques parens que quelque chose était faite en leur faveur, le Notaire Lippens chantait de son côté que tout était réglé comme en l’année 1790. Il déclara au signifié, à table, que jamais il n’avait vu de meilleur accord entre homme et femme, qu’il était convenu que Vanderborgh devait payer les dettes, même l’enregistrement pour les héritiers, qu’il n’avait point écrit cela dans l’acte, mais que Vanderborgh ne savait pas autrement, et qu’il ne manquerait point de faire le payement, et il a fini par ne pouvoir lire son ouvrage.
 
De pareilles démarches de sa part annoncent une reconnaissance formelle des droits des héritiers, reconnaissance qu’il ne peut plus rétracter sans être en contradiction avec soi-même, reconnaissance qui est relative à une stipulation universelle et qui ne saurait être annullée sans annuller l’acte.
 
Le demandeur, qui veut faire annuler partie d’un acte qu’il a déjà approuver, ne peut trouver mauvais que le signifié, sans vouloir contredire la dernière volonté de la défunte, fasse voir que le même acte est nul tant au fond qu’à la forme, qu’il est l’ouvrage du demandeur, qu’il ne représente qu’une espèce de vol manifeste et qu’il ne contient que des absurdités et des contradictions.
 
C’est de la loi civile que l’homme tient de privilège de tester, ce n’est qu’en se conformant au prescrit de la loi qu’il peut mettre ce privilège en exercice et la moindre contravention emporte nullité « proescripta a lege forma ne quidem expartium concensu omitti potest, ideoque quoties forma in actur per leges desiderata neglegitur actus ipse de jure nullus est ; forma dat esse rei et ad substantiam refertur. Tuldenus in jurisp. Extemp cap. 14 Wamesisus cent 1 con. 76 n°5, gail lib.2, obs 19 n°15 et 16.
 
Testamentum est voluntatis nostroe justa sententia de eo quod quis post mortem suam fieri velit I 1 ff qui test. fac. pos opertet ut fiat uno eomdemque tempore ac contextu, fine nullo diverticulo ad actum aliquem extraneum hoc est nullum actum alienum testamento intermiscere, I. 21 parg. 3 eod. »
 
L’instrument dont on se prévaut contient deux actes incompatibles et contradictoires, il commence par une espèce de disposition universelle, vinculée et dépendante de la volonté des héritiers, et il finit par un appel à la succession selon les lois anciennes : si la disposition universelle est valable, il n’y a point de succession, et y ayant ouverture et appel à succession, il n’y a point de disposition universelle, voilà deux actes étrangers dont l’un détruit l’autre et annullent le testament.
 
La forme des testamens était réglée dans la flandre par les coutumes, et où les coutumes ne prescrivaient pas la forme par l’édit de 1611, les formalités devaient être observées par ordre à peine de nullité, les témoins devaient être interrogés et répondre devant le Juge au cas requis, ils devaient être requis et interpellés par le Testateur, et le Notaire devait faire mention expresse de tout, ainsi que de l’endroit où le Testament avait été passé, le tout aussi à peine de nullité, voyez Anselmo dans son commentaire sur les art. 11, 12, 13 et 14 du même édit, n°4, 13, 22 et 92. [note manuscrite : l’Edit de Charles V du 4e 8bre 1540]
 
Ces formalités n’ont pas été abrogées par l’ordonnance du mois d’août 1735, il est dit dans le préambule que le législateur, voulant bien se prêter au préjugé naturel qu’à chaque peuple pour les usages dans lesquels il est né, a laissé à chaque province ses lois et ses coutumes particulières, et s’est contenté de réformer ce qui était défectueux, de fixer ce qui était douteux et incertain et de retrancher ce qui n’était pas marqué au coin du bien public.
 
L’art. 47 porte, toutes les dispositions de la présente ordonnance, qui concernent la date et la forme des testamens, codicilles et autresactes de dernière volonté et des qualités des témoins, seront exécutées sous peine de nullité, sans préjudice des autres moyens tirés des dispositions des lois ou des coutumes, ou de la suggestion ou captation desdits actes, lesquelles pourront être alléguées sans qu’il soit nécessaire de s’inscrire en faux à cet effet pour y avoir par nos Juges tel égard qu’il appartiendra.
Il n’est pas ici seulement question de suggestion, toujours difficile à découvrir et de mettre au grand jour les traces qu’elle laisse après elle ; elle n’agit, dit Mr Cochin, que par des routes obscures et pour ainsi dire, souterraines, elle se masque avec art, non-seulement aux yeux du public mais même aux yeux de celui qu’elle enchaine et opprime, elle n’est donc seulement point une fraude  mais la plus déliée et la plus adroite de toutes les fraudes : de là naît presque touours la difficulté de la démontrer parfaitement, et c’est cette difficulté même qui rend la loi plus indulgente sur la nature et le genre des preuves qu’indique la suggestion.
 
Selon les règles de droit et le sens commun, dit Coquille sur l’art. 40 du chap. 4 de la coutume du Nivernois, la fraude ne saurait être prouvée que par des conjectures, et elle ne serait pas fraude si elle n’était occulte, Dumoulin établit la même chose sur l’art. 33 de l’ancienne coutume de Paris, gl. 2 n°23, et il montre en même temps la route qui conduit à la découverte de la fraude. Il faut, dit-il, commencer par une discussion exacte de tous les faits, quod constitit in circonstantiis, et la meilleure règle est de considérer ce qui a précédé et suivi les actes argués de fraude, in primis quoe precedunt vel quoe sequuntur sunt spectanda.
 
La défunte est née en 1748, le survivant vers l’an 1758, le mariage a été contracté au mois de Juillet 1780, sous l’empire de la coutume de Cassel qui ne permet à la femme de disposer entre vifs ni à cause de mort, sans l’autorisation de son mari, et qui défend en même temps aux gens mariés de s’avantager pendant mariage, sinon que par acte réciproque à défaut d’enfant.  art 266 et 268.
 
La loi du 17 Nivôse an deux a maintenu tous les avantages contractuels et coutumiers entre gens mariés, et par là elle a implicitement défendu d’en faire d’autres, aussi le code n’est il censé que d’avoir autorisé les dons entre homme et femme pour les mariages postérieurs à sa promulgation, car tout mariage antérieur a été contracté sous la foi de la loi existante, et les deux familles sont intéressées à ce qu’elle reçoit son exécution.
 
Le dernier enfant décédé vers 1794 ou 1795, il a desuite été question du ravestissement autorisé par la coutume de Cassel, le survivant sait par voies et menées il y est parvenu, il était dès lors question des verds et secs catheux, quoique la coutume ne le permettait, à quoi la défunte a toujours fortement résistée, le sieur Jean Vanhaecke de Roubrouck, pourrait à cet effet rendre un parfait témoignage, y ayant été appelé dans le temps par la défunte pour écouter les plaintes qu’elle avait à faire, lui disant que jamais elle ne passerait quelque acte sinon qu’en sa présence.
 
Ne pouvant déterminer son épouse, ni le sieur Vanhaecke pour l’aider à donner les verds et secs catheux, il n’a plus été question de lui, le demandeur a continué son manège, différens actes ont successivement été passés pardevant les Notaires Pierens, Vankempen et Carpentier, et selon la rumeur publique, il n’a jamais pu obtenir lesdits catheux.
 
Pendant le mois de Juillet 1811, le demandeur, étant attaqué par la goutte, fit appeler chez lui le signifié par exprès afin de pouvoir conférer avec lui touchant une affaire sérieuse, la défunte étant affligée d’un mal de jambe depuis  un grand nombre d’années, ne pouvant sortir de sa maison ni se bouger, charmée de voir son germain elle se fit porter sur le bras comme un enfant pour diner avec lui et le sieur Vanhaecke, qui y survient par hasard, voilà la première et dernière entrevue que le signifié a eu avec sa parente. 
 
Après table, et en présence seulement du demandeur, du Sieur vanhaecke, du signifié et de sa fille aînée, la défunte a déclaré qu’elle avait accordé le revenu de ses biens à son mari, en demandant au signifié comment la propriété devait être partagée après son décès, qui lui répondit que jusqu’à présent notre tante utérine âgée de 88 ans, moribonde, à l’extrémité  et décédée les premiers jours de Septembre suivant, était son héritière unique et maternelle, et qu’après notre tante, que j’étais son unique héritier, cependant qu’il ne me serait point agréable d’exclure cousin Vanhaecke présent, petit fils de notre tante germaine avec les autres descendans, qu’elle pouvoit y remédier, que cela dépendait de sa seule volonté, qu’au cas qu’elle était de cette intention, elle n’avait qu’à déclarer à cousin Vanhaecke, qui avait occasion de la voir de temps à autre, lequel m’aurait fait la déclaration, que j’aurais moi-même rédigé son intention par écrit pour la lui transmettre par le même canal afin qu’elle n’aurait qu’à faire appeler un Notaire pour consommer l’ouvrage, il fut en même temps raisonné touchant ses héritiers paternels qu’elle ne connaissait pas, ne sachant d’aucun le degré de parenté, il fut arrêté qu’elle prendrait quelques éclaircissemens à cet égard, qu’elle communiquerait son intention à cousin Vanhaecke qui ferait le rapport au signifié.
 
A-t-elle voulu le faire, ou n’a-t-elle pu le faire, le signifié l’ignore, mais il sait que rien n’a été fait, et qu’on fait courir le bruit qu’il a sollicité un testament en sa faveur du vivant de sa tante, c’est une véritable calomnie, il n’y a point d’exemple que de la vie il ait sollicité quelque chose pour lui et la représentation du fils d’une tante germaine, qui représente les deux lignes mater-paternelle et mater-maternelle, ne saurait être blâmée.
 
Il semble que c’est ici que le demandeur a recommencé à jouer son rôle et que, ne pouvant obtenir rien de plus par la suggestion et séduction, il a eu recours au dol et à la fraude. 
 
Voyant que son épouse diminuait de jour à autre, qu’elle était à l’extrémité, et qu’elle ne pouvait plus survivre, il s’est avisé de faire de lui-même un modèle de testament, à quel effet il a séjourné en la ville de Cassel, accompagné du sieur Verrons, une journée entière, depuis huit heures du matin jusqu’à huit heures du soir, avec lequel modèle il s’était adressé près feu le Notaire Charle qui, voyant de quoi il était question, a refusé de prêter son ministère.
 
L’objet était de s’approprier les verds et secs catheux, les conquêts et tout le mobilier, qu’il n’avait pu obtenir par les actes précédens, conduite indigne pour un homme qui, de son côté, a de quoi vivre et qui n’a pour apparens héritiers qu’une sœur aînée célibataire et un frère aîné sans prospérité : le Notaire Carpentier était mort et il n’y avait plus que le Notaire Lippens qui a empris la besogne.
 
Avant de se mettre à l’ouvrage il a envoyé le sieur Deknuyt de Volckerinckhove, par reprises à Cassel chez le rédacteur du modèle pour prendre langue et encore n’a-t-il du appliquer son modèle ni le faire cadrer aux circonstances. 
 
Tout véritable Testateur commence par recommander son âme, régler ses funérailles et par quelques legs pieux, eu égard  à sa fortune, ici il n’est question de rien de semblable.
 
On parle des lois anciennes et modernes, de l’ordre de la représentation, de souches, de ce qu’avait lieu en 1790, etc. et la défunte n’a jamais su ni ouir parler de rien de semblable, aussi ne savait elle la langue française, tout est désordre et contradiction, le contenu entier n’est point intelligible et il n’est pas possible de l’appliquer à ce qu’on a voulu insinuer.
 
L’objet n’était autre que de donner au survivant le mobilier et les conquêts, verds et secs catheux ; pourquoi n’a-t-on fini avec les premières lignes ? JE DONNE L’UNIVERSALITE DE MES BIENS EN PROPRIETE. En approuvant par les héritiers la disposition qu’elle en est l’étendue ? L’approbation ne valide point l’acte et n’ajoute rien selon le principe, qui confirmat nihil dat. Le demandeur doit-il avoir le mobilier, verds et secs catheux et les conquêts, ou doit-il avoir la propriété de tous les biens comme il ose prétendre à présent ? On voit au contraire que la propriété doit être aux héritiers et au lieu de pouvoir diviser la stipulation et la supprimer en partie, elle doit être rejetée en entier selon la doctrine de Papinien, L 77 ff de div. reg. jur. « Actus legitimi qui recipiunt diem vel conditionem in totum vitiantur pertemporis vel conditionis adjectionem », voyez aussi le docteur dantoine en ses règles judiciaires sur le droit canon et le droit civil, reg. 50, il ne reste donc qu’à débouter le demandeur de ses conclusions prises ce qu’il a déjà reconnu le droit de propriété des héritiers.
 
La seule clause intelligible qu’on rencontre, est celle par laquelle on révoque tous les Testamens antérieurs, qui effectivement ne sont que le fruit de la suggestion, et pour cette révocation, il ne fait qu’un simple acte devant Notaire, portant déclaration de changement de volonté, article 1035 du code.
 
La volonté de l’homme est ambulatoire de jour à autre et minute à minute jusqu’au dernier soupir, la prétendue disposition universelle est antérieure à la révocation, voilà le changement de volonté ; et la prétendue Testatrice poursuit ainsi « je veux finalement que mes héritiers naturels viennent à ma succession par représentation et par souches selon les lois anciennes ». Voilà sa dernière volonté clairement expliquée et déterminée, cette dernière volonté n’est point compatible avec une disposition antérieure et universelle qui se trouve révoquée si elle a existée, posteriora derogant prioribus.
 
Tout acte, tel qu’il puisse être, doit contenir la preuve que les formalités requises ont été observées, sans qu’il soit permis de recourir après coup à des conjectures ou autres preuves ; or, le prétendu acte ne contient rien de semblable, il est dit « pardevant moi Jean-Baptiste Lippens, en présence des … demeurans à Bollezeele, en personne Dame Marie-Catherine ROMMELAERE, épouse de Charles-Benoit Vanderborgh, vivant de ses biens audit Bollezeele, laquelle comparante, saine d’esprit, voulant faire son Testament, elle a dicté et nous avons écrit ainsi qu’il suit » : qui est la prétendue comparante ? Il ne dit pas que la défunte a comparue pardevant lui ni qu’il l’a été trouver quelque part ou que par elle il a été appelé, one voit point où elle était, l’acte constate seulement qu’elle était épouse de Vanderborgh, vivant de ses biens à Bollezeele, qui lui a déclaré qu’elle voulait faire un testament, l’acte ne le constate, c’est donc une invention de sa part qui a la vraisemblance d’un faux, car il n’est pas présumable qu’une personne qui a fait autant de testamens, viendra dire qu’elle est d’intention de faire son Testament ; elle a dicté et nous avons écrit ainsi qu’il suit, qui est-ce qui a dicté ? Et qu’est-ce qui a été dicté ? Qu’est-ce qu’il a écrit ? Si c’est le Testament qui a été dicté, il aurait dû écrire elle l’a dicté et point elle a dicté, et en effet au lieu de dispositions sages et testamentaires ce sont des bêtises et contradictions qu’il a écrit.
 
Le Testament public est et doit être un acte notarial, et acte notarié est soumis à deux espèces de formalités, aux formalités requises pour l’acte en général, et aux formalités nécessaires pour l’acte en particulier, telle est aujourd’hui la jurisprudence, fixée par l’arrêt de la Cour de Cassation du 1er Octobre 1810, jour. du barr. 2e partie tom. 6, pag. 3.
 
L’acte dont est question doit donc valoir 1e comme contrat notarié et 2e comme testament.
 
L’article 12 de la loi du 25 ventôse an 11 dit qu’on doit énoncer le lieu, le jour et l’année où les contrats sont passés, art. 13, qu’ils seront écrits en un seul et même contexte et sans lacune, art.14, qu’ils doivent être signés par les parties et le notaire et que tout mention doit être faite à la fin de l’acte à peine de nullité prononcée par l’art. 68.
 
On ne voit pas que l’acte a été écrit en un seul et même contexte et sans lacune, en quel jour et en quel lieu et année, au contraire, on ne voit qu’il ne contient que des stipulations incompatibles et contradictoires, de différente nature, comme dispositions, appel à succession, révocation de testament, etc. et qu’il y a eu des paroles ajoutées après la fin de l’acte, après la mention des signatures. 
 
L’arrêt du 9 Novembre 1809, rendu au tribunal d’appel de Douai, a jugé qu’après la mention des signatures on ne peut rien ajouter. Journal des Notaires ou répertoire général, tom. 3, art. 405, pag. 51. L’acte est donc nul comme acte notarié aux termes de la loi du 25 Ventôse an 11.
 
Les paroles ajoutées, après la mention des signatures, après la fin de l’acte sont « à la maison de la Testatrice audit Bollezeele le 30 Septembre 1812, à onze heures et demi du matin » sans cette expression ajoutée, l’acte ne contient l’énoncé de jour, ni de l’an, ni du lieu, et le lieu n’est point encore déterminé, vu que la défunte avait différentes maisons à Bollezeele et qu’elle ne se trouvait dans aucune maison à elle le 30 Septembre, mais en la maison de son mari.
 
Audit Bollezeele, ne peut être relatif qu’à énoncer la demeure du demandeur et des témoins, il n’en est point autrement parlé dans l’acte et il n’est nulle part dit que la défunte résidait à Bollezeele, ou que l’acte a été rédigé à Bollezeele.
 
Est-il valable comme Testament ? Non ; l’édit de 1611 et Enselme, commentateur célèbre du même édit, déclarent que les formalités doivent exactement observées par ordre et à la lettre, que les témoins instrumentaires ne rendent qu’un témoignage privé, qu’ils doivent comparaître devant le Juge étant requis pour être interrogés sous serment sur toutes les circonstances, qu’ils doivent être requis par le testateur, et que le lieu où le testament est passé, doit être inserré dans l’acte, le tout à peine de nullité ; l’ordonnance du mois d’août 1735, a laissé à chaque province ses lois, ses coutumes particulières et ses usages, et le code n’a rien abrogé, mais ordonné art. 972, que le testament soit dicté par le testateur et écrit par le Notaire tel qu’il a été dicté, qu’il lu en entier au Testateur en présence des témoins et que tout mention expresse soit faite à peine de nullité.
 
Le Législateur veut être certifié de deux choses, 1°. Que le Testateur a dicté son testament, 2°. Qu’il a été écrit que le Notaire tel qu’il a été dicté, et comment veut-il être certorié ? Par une mention expresse dans l’acte, cette disposition législative n’est relative qu’à ceux qui font un testament dans leur idiome et qui sont en état de le dicter, et ceux qui ne peuvent pas le dicter ne sont pas capables de faire un testament public.
 
Les Testamens, et tous les autres actes de la jurisdiction volontaire ont toujours été rédigés en flamand, l’arrêté du gouvernement qui vient d’ordonner de les rédiger en français n’a point dispensé ni pu dispenser ceux, qui ne savent le français et veuillent faire un testament public de le dicter, ni autorisé ni pu autoriser les Notaires pour faire le tout en leur nom, sans faire aucune mention ; l’homme n’est pas toujours juste et intègre, il est sujet  à corruption, nitimur in ventitum ; or, les Notaires sont hommes : la défunte ne savait le français, le Notaire Lippens n’a pu en même temps être Testateur et rédacteur de l’acte sans être à ce autorisé par une loi, sur tout encore dans le cas qu’il n’a point été du choix de la défunte mais du choix du demandeur.
 
Les Testament n’est point un acte nécessaire et auquel l’homme soit tenu, au contraire ce n’est qu’un privilège qu’il tient de la loi et en se conformant au prescrit d’icelle, ne pouvant faire un Testament public, à défaut de le pouvoir dicter en français, la défunte aurait pu faire un Testament mystiqe ou olographe ou prendre un interprète pour expliquer sa volonté, de tout quoi le Notaire aurait dû faire mention dans son instrument, ou rédiger, à l’exemple de ses confrères, l’acte en deux colonnes, en flamand et en français.
 
On pourrait ici au besoin prendre la voie d’inscription e faux, mais la preuve qu’on pourrait induire de l’acte n’exclue point la preuve contraire qui résulte de la notoriété que la défunte ne savait le français et n’entendait point le contenu de la pièce en langue flamande, de sorte qu’il devient évident que jamais elle n’a dicté le contenu de ladite pièce et qu’elle n’a pu le dicter en flamand, le tout étant le résultat d’un modèle rédigé à la requête du demandeur, et dont le rédacteur, à l’exemple d’un droguiste ou d’un serrurier, aurait dû être plus sage et prévoir l’abus qu’on pouvait faire de son ouvrage ! il y a des lois  à observer, des formalités à remplir, et ce n’est point de la sorte que le législateur a exposé les fortunes particulières à la rapine et au pillage, le morceau est ici appétissant et vaut la peine.
 
Le Notaire Lippens ne fait point mention que la défunte a dicté son testament et qu’il l’é écrit tel qu’il a été dicté, mais il fait seulement mention qu’elle a dicté, sans dire quoi elle a dicté, et qu’il a écrit ainsi qu’il suit.
 
Dicter sans dire ce qu’on dicte, et écrire ainsi que suit n’est point équipollent ni synonime avec dicter un Testament et l’écrire ainsi qu’il a été dicté, il a de ce chef contravention à la loi et nullité.
 
On ne fera croire à personne que dicter et écrire ainsi qu’il suit, veut dire dicter un Testament et l’écrire ainsi qu’il a été dicté, il n’y a en ce ni equipollence, et ce n’est point à des subterfuges et des raisonnemens déplacés que le Législateur a abandonné le sort des dispositions.
 
Au journal du barr. 2e. part. tom. 1, pag.  264 on voit un arrêt de Juillet 1808, il dit «  que la loi veut que le Notaire qui reçoit un testament y fasse mention qu’il l’écrit tel qu’il lui a été dicté et pag. 156, un autre arrêt de la Cour de Cassation du 18 janvier 1809, qui prononce la même chose.
 
Dans le journal des Notaires, tome Ir . art. 173, pag. 339, il est dit « Que plusieurs Cours d’appel et la Cour de cassation, ont par des arrêts, rapportés dans le guide des Notaires, consacré le principe que l’intention du Législateur n’était pas que la validité ou l’invalidité des testamens dépendit des diverses argumentations qu’on pourrait faire naître, qu’il a, au contraire, impérieusement exigé l’accomplissement des formes auxquelles ces actes sont textuellement assujetis par le code ». Page 76, arrêt de la Cour de cassation par rapport aux termes équipollens en matière de testamens, et dire qu’il n’y a d’expressions equipollentes que celles qui sont synonimes et identiques avec celles exigées par la loi ». au tome 3, art. 553, pag. 280 l’on ne saurait trop répéter combien il est important en cette matière de suivre littéralement les expressions de la loi et de ne pas se réduire à la nécessité d’invoquer des équipollences ». Tome 4.  Article 650. page 80, arrêt de la Cour de Cassation du 10 juin 1811,  il est dit dans le texte « que la preuve doit résider dans la mention expresse que prescrit la loi, que le Législateur n’a point abandonné le sort des testamens aux argumentations et aux conjectures, qu’il a donné pour garantie de la volonté du disposant l’accomplissement des formes auxquelles les actes qui la contiennent sont textuellement assujetis » Tome 2, art. 347, pag. 298, arrêt du Tribunal de cassation su 13 Septembre 1809 ». Les juges d’appel, a dit Mr Pons, substitut du procureur général ont pensé que la mention de la lecture, faite à la Testatrice en présence des témoins, se trouvait dans le testament par équipollence : ces expressions, lecture faite à la Testatrice et aux témoins leur ayant paru remplir le vœu de la loi. S’il est vrai que la mention qu’une lecture du testament faite au Testateur et aux témoins ne soit pas la même chose que la lecture faite à l’un en présence de l’autre, s’il est possible qu’on a lû le Testament à la Testatrice et aux témoins séparement, il est par conséquent que la Cour d’appel s’est écarté de la lettre et de l’esprit de la loi : quand la loi prescrit une mention expresse, elle ne se contente pas d’une mention équipollente car ces mots expresse et équipollente, loin d’être synonimes, sont tout le contraire.
 
Il faut, a ajouté ce Magistrat, assurer au code sa pleine et entière exécution et empêcher que par des interprétations arbitraires, on ne se jete dans le vague des équipollences, il n’est pas d’écart en ce genre qu’on ne puisse excuser par des raisonnemens, mais on ne doit raisonner ni pour ni contre, si sur la loi, on doit l’exécuter telle qu’elle est et s’attacher rigoureusement à son texte ».
 
Nous ne sommes pas réduits à dire avec Mr Pons, qu’il est possible que le Notaire Lippens a écrit autrement qu’il n’a été dcité, mais nous pouvons dire avec vérité qu’il a écrit autre chose, que rien ne lui a été dicté, que la prétendue Testatrice n’était point capable de dicter ni en français ni en flamand ce qu’il a écrit, et qu’il suffit qu’il n’a fait aucune mention d’avoir écrit ainsi qu’il a été dicté, il n’a fait que servilement copier ou défigurer un modèle qui lui a été remis par le demandeur, et ce qu’il a écrit est insignifiant, inexplicable, contradictoire, et ne tend qu’à semer le trouble dans différentes familles qui croyent, mal à propos, par lui avoir été appelées à la succession que le demandeur prétend présentement s’approprier en vertu du même ouvrage, et après avoir de son côté chanté à différens parens que quelque chose était fait en leur faveur.
 
Son instrument ne fait aucune mention que la défunte a comparu pardevant lui, ni qu’il a été appelé près d’elle, ni du jour, ni de l’an, ni du lieu, ni par quelle fatalité ou occasion ils se sont trouvés ensemble, ni qu’elle lui aurait déclaré vouloir faire un Testament, ni si c’est dans son lit, dans la cuisine ou bien dans quelque chambre qu’il l’a trouvée, ni qu’elle lui a dicté son Testament et qu’il l’aurait écrit ainsi qu’il a été dicté, sans dire que c’est son Testament et qu’il a écrit ainsi que suit, en quoi on ne voit que jullité et contravention à la loi ;
 
N’étant point juge de l’état du Testateur, ce que dit le Notaire à cet égard n’est que style et la preuve du contraire est admissible sans inscription de faux, telle est la jurisprudence ancienne et moderne constatée par la arrêt du Tribunal de cassation du 19 décembre 1810, journal du barr. 2e partie, tome 6, page 135, su la disposition ne contient rien de sage, c’est à celui qui l’attaque à prouver que le Testateur n’était pas sain d’esprit, et à celui qui en profite à prouver que le Testateur était sain d’esprit, si la disposition est déraisonnable.
 
L’acte est radicalement nul comme Testament, aux termes des art. 972 et 1001 du code, à défaut de mention expresse que la défunte a dicté son Testament et qu’il a été écrit ainsi qu’il a été dicté.
 
Si cette assertion se trouvoit, le signifié pourrait au besoin prendre la voie de l’inscription en faux contre icelle et même contre tout le contenu de l’acte, qui était déjà rédigé avant que le Notaire Lippens a trouvé la défunte avec quatre témoins, en présence desquels rien ‘a été dicté ni écrit, elle était moribonde et non saine d’esprit, exténuée de toutes ses qualités morales et physiques, par une maladie de consomption depuis plusieurs années, elle est éteinte comme une chandelle sans aucun secours, ni assistance spirituelle, y étant déjà plus d’un an qu’elle ne pouvait plus prendre du bouillon, ainsi qu’a rapporté au signifié le sieur Verrons, qui lui est venu annoncer sa mort de la part du demandeur, le quatre Octobre vers les neuf heures du matin ; elle n’a été visible par personne, ni parent ni prêtre ne la vue non-obstant qu’elle demeurait la maison attenante au cimetière, personne n’a été prévenu ni averti, et il ne fallait rien d’autre que suspendre sa signature, si tant est qu’elle n’est point supposée, c’est un vol manifeste qu’on a tenté de faire, et pour la consommation duquel le Notaire a coopéré comme complice, par le contenu de l’acte, qui n’a point de sens commun quoique malicieusement concerté, a deux objets, 1° de donner au survivant tout le mobilier avec les conquêts, vers et secs catheux, 2° de semer le trouble entre les parens pour le partage des propres.
 
La première stipulation est très-mal conçue, elle commence par une espèce de disposition universelle et elle finit par un partage entre le survivant et les héritiers ; on ne voit pas que le survivant prétendait autre chose que ce partage avant de faire dresser l’acte, on voit qu’en après il n’a voulu que le même partage, et en voulant à présent détruire partie l’acte pour avoir toute la propriété, il autorise le signifié à conclure pour la nullité de l’acte entier qui est nul tant au fond qu’à la forme.
 
Cette stipulation indivisible de sa nature est anéantie en entier, non seulement par la clause révocatoire de tous testamens, mais encore par le règlement de succession qui suit immédiatement après. « Je veux finalement que mes héritiers viennent à ma succession, etc. » voilà la dernière volonté et qui seule doit sortir effet, si tant est qu’on pouvait attribuer l’ouvrage à la défunte.
 
Ce ne sont pas les parens et ceux qui avaient le droit de succèder selon les lois anciennes qu’on appele à la succession, mais ce sont les héritiers qu’on appele pour succéder par représentation et par souches selon les lois en vigueur en 1790 ; le demandeur et le Notaire Lippens ont tort de dire qu’ils ont appelé les parens, si leur volonté a été telle, pour semer le trouble, ils doivent l’imputer à leur ignorance, et il n’était point en leur pouvoir de disposer de la fortune d’autrui.
 
Si la défunte avait voulu appeler les arrières descendans de deux autres tantes maternelles, elle aurait fait sa déclaration au sieur Vanhaecke ainsi qu’il a été proposé à la conférence du mois de Juillet 1811, ne l’ayant point fait, elle est censée ne point avoir voulu le faire, ou le sieur Vanhaecke a négligé de prendre ou de solliciter ses ordres. Elle pouvait, par leur nom ou par leur descendance appeler tels parens qu’elle voulait et les égaler au signifié ou leur donner tels bien qu’elle jugeait à propos, mais elle ne pouvait ordonner, au mépris de la loi régnante, de partager sa succession selon les lois anciennes, l’ordre de succession est de droit public, privatorum pactis jurispublico non derogatur, et il n’est pas plus permis à l’homme de faire opérer une loi abolie que de faire revivre un homme mort.
 
Il y a une différence totale entre héritier et parent, tout héritier est parent mais tout parent n’est point héritier, celui qui appele ses héritiers n’appele que ceux que la loi reconnait pour tels, et la défunte n’a jamais été instruite de l’ancien ni du nouvel ordre de succession, s’il y a de la différence et si la législation est changée avant ou après l’année 1790. Tout est dans le fait du Notaire et du demandeur qui par là donne à connaître qu’il n’est et ne peut être légataire universel, il ne connaissait point les parens hormis le signifié puisqu’il a envoyé chez le sieur Vanhaecke pour avoir une liste afin de les inviter aux funérailles, il n’est donc point surprenant qu’il ne les a pu appeler par leur nom ou leur descendance dans son prétendu testament.
 
Aux termes de l’art. 972 du code, le Testament public ne doit pas seulement être dicté par le Testateur et écrit par le Notaire ainsi qu’il a été dicté, mais la lecture doit être donnée et de tout doit être fait mention expresse ;
 
Le Notaire Lippens ne fait pas mention qu’il a donné lecture du Testament, mais il fit finalement après lecture faire, sans de quoi il a fait lecture, si c’est des prières de l’agonie ou de la gazette, à ladite Testatrice déclarée avoir compris le tout et être de sa dernière volonté : à qui a-t-il fait lecture ? Qui est la prétendue Testatrice ? De quoi a-t-il fait lecture ? Rien n’est mentionné dans son acte : on ne voit pas que la défunte a fait un Testament, encore moins qu’elle aurait dicté un Testament qui par lui aurait été écrit comme il a été dicté, on ne voit point qu’elle a comparue pardevant lui ou qu’elle l’aurait appelé ou fait appeler près d’elle, on ne voit point qui est la prétendue comparante et on ne voit de plus que cette supposée comparante aurait dicté un Testament par lui ainsi écrit ainsi qu’il a été dicté mais on voit seulement que cette comparante idéale a dictée, sans dire quoi elle a dictée et qu’il a écrit ainsi que suit ?
 
L’acte produit est en français, la défunte, ne sachant point le français, n’a pu répondre avoir compris le contenu, su tant est que le Notaire a fait lecture du même acte, d’ailleurs toute lecture soit être entière et la moindre omission ou la moindre addition, après la mention de lecture, emporte nullité, arrêté de la Cour de cassation du 13 Septembre et 7 Novembre 1809, jour. du barr. 2e partie, tome 4, pag. 103 et tom. 5 pag. 157. Pour le même défaut le Testament de la Dame Lysensoone a été déclaré nul au Tribunal d’appel à Douai, vers le mois de mai 1812, plaidans les sieurs Pierens et Boogaert.
 
De quoi a-t-on fait lecture et de quoi a-t-on pu faire lecture ?
 
Dans ce qui regarde la forme, il faut exactement observer l’ordre ! La lecture et la mention des signatures est et doit être la fin de tout acte, le Notaire Lippens n’a et il n’a pu donner lecture de ce que précède cette mention de lecture, finit par ces mots, EN MIL SEPT CENT QUATRE-VINGT-DIX, jusqu’à là on ne voit aucune trace du jour, de l’an et du lieu que l’acte aurait été passé, il est donc nul et ce serait d’une pièce nulle dont on aurait fait lecture.
 
Il n’a pu écrire, APRES LECTURE FAITE, d’avoir donné lecture et autrement il aurait écrit un faux ; n’ayant pu l’écrire qu’après la lecture faite, il est évident qu’il n’a pu donner lecture du passage qui suit cette mention de lecture, par conséquent, l’acte n’a point été lu en entier et du même chef il est nul.
 
L’acte contient trois parties 1° ce qui est avant la mention de lecture, 2° la mention de lecture et 3° ce qui suit cette mention « à la maison de ladite Testatrice audit Bollezeele le trente Septembre 1812, à onze heures et demi du matin.
 
La première partie a pu être lue et la troisième n’a point été lue et elle n’a pu être lue, vu qu’elle n’existait pas encore lors de la mention de lecture.  Cependant sans son existence, il n’y a point d’acte valable, on ne voit point quand cette partie a été ajoutée mais il est toujours évident qu’elle n’existait pas encore lorsqu’on a fait lecture, que de ce chef l’acte n’a point de valeur n’ayant été rédigé dans un seul et même contexte, elle n’a pas pu être ajoutée qu’après la surprise de la signature et ne conste point encore du lieu où le prétendu acte aurait été passé, attendu que la défunte avait différentes maisons à Bollezeele et que la maison, dans laquelle elle se trouvait, n’est point à elle, de sorte qu’on peut avec raison douter de sa signature, le prétendu acte ayant été rédigé d’avance, à quel égard les témoins pourront donner quelques éclaircissemens étant interrogés devant le Juge ; le public jugera en même-temps, si le demandeur a mérité d’avoir la propriété générale, s’il mérite d’avoir la jouissance et s’il a mérité de jouir si long-temps d’une revenu si considérable et d’un pareil mobilier que possédait la défunte ?
 
Enfin, le signifié espère avoir établi que les fortunes particulières ne sont point exposées à la rapine et au pillage ; que le Testament n’est point un acte nécessaire mais un acte volontaire ; que l’homme tient le privilège de pouvoir tester de la loi civile et en se conformant au prescrit d’icelle, que les formalités requises doivent être observées par ordre : que le Testament public doit se passer pardevant Notaire et témoins; que  le Notaire et témoins doivent être du choix du Testateur, que le lieu où l’acte se passe, doit être inserré, qu’il doit être fait sans intervalle, d’un seul contexte et sans entremêler quelque affaire étrangère, que le Testament doit être dicté par le Testateur, que l’ordonnance du mois d’Août 1735 a maintenu toutes ces formalités et permis de faire valoir toutes sortes de moyens de nullité et de suggestion sans recours à la voie d’inscription de faux ; que les témoins testamentaires ne rendent qu’un témoignage privé, qu’ils doivent comparaître et répondre devant le Juge, sous la religion du serment, sur toutes les circonstances qui sont de leur connaissance étant requis, que le code civil n’a rien abrogé mais ordonné au surplus que le Testament public doit valoir comme acte notarié et comme testament, qu’il doit être dicté par le Testateur et écrit par le Notaire ainsi qu’il a été dicté, que lecture doit être donnée au Testateur du testament en entier et que mention expresse doit être faite, que l’acte produit est nul comme acte notarié et comme Testament, que celui qui ne connait la langue française, ne peu passer un Testament public à défaut de le pouvoir dicter, qu’aucune loi n’a dispensé de cette formalité essentielle, qu’aucun Notaire ne peut avoir à la fois deux qualités incompatibles, celle de Testateur et celle de rédacteur ; que la défunte ne se savait la langue française, que le Notaire Lippens ni les témoins n’ont été de son choix : qu’elle ne l’a point fait appelé ni fait appeler près d’elle, et qu’auparavant elle ne l’a jamais vu ni parlé, que rien n’est du fait de la défunte ; que c’est une spoliation de sa fortune, un vol manifeste ; que le demandeur a fait dresser lui-même en la ville de Cassel un modèle de Testament ; que feu le Notaire Charle n’a voulu se prêter pour surprendre une signature, que le Notaire Lippens a empris la besogne, que par reprises, il a envoyé le sieur Deknuydt de Volckerinckhove chez le rédactuer du modèle, que ni lui ni ledit rédacteur n’a jamais vu ni parlé à la défunte, que son acte était déjà rédigé, et contenait la clause que la prétendue Testatrice était saine d’esprit, avant qu’il s’est présenté près d’elle, qu’il n’a rien écrit en sa présence, et que ce n’est après coup, peut-être après le décès, qu’il a ajouté le dernier passage sans lequel son ouvrage ne ressemble à un acte notarié ni à un Testament ; que le tout a dû se consommer d’une manière précipitée ; que la défunte était moribonde, exténuée d’une longue maladie, qu’il y avait plus d’un an qu’elle ne savait plus prendre du bouillon : qu’elle n’avait vue ni par médecin, chirurgien, parent ou prêtre et qu’on l’a laissée éteindre comme un chandelle sans aucune assistance ni secours spirituel, de crainte de découvrir le mistère, que le demandeur a reconnu le droit de propriété des héritiers en faisant dresser le prétendu Testament, qu’il a reconnu le même droit en après par ses démarches, qu’il vient trop tard pour prétendre lui-même la propriété et faire annuler partie de son acte, qu’il doit être débouté de ses conclusions prises à cet égard avec dépens, dommages et intérêts, que contrevenant lui-même à son ouvrage, il a autorisé les héritiers pour se défendre et pouvoir soutenir que ledit ouvrage est nul, sans contrevenir de leur part à la volonté de la défunte qui ne les a pas exclus de sa succession, que l’acte contesté est valable comme un acte révocatoire de toutes dispositions antérieures aux termes des articles 1035 et 1037 du code, qui pour ce ne doit être revêtu d’aucunes formalités, suffisant d’être l’ouvrage du demandeur et rédigé par un Notaire, et qu’en conséquence il ne reste qu’à déclarer ledit demandeur déchu de tous avantages contractuels et coutumiers tels que douaire et autres, avec ordonnance d’entrer ne partage des biens de la communauté, le tout avec pareille condamnation aux dépens, dommages, intérêts, c’est à quoi le signifié conclut sous les implorations ordinaires.

Signé Desmyttere
TESTAMENT
PARDEVANT NOUS Jean-Baptiste Lippens, Notaire Impérial de la résidence de Volkerenkhove, canton de Wormhoudt, premier arrondissement du département du Nord, en présence des sieurs Antoine Quesnelle, marchand épicier ; Jacques Laurent, marchand ; François Saison, serrurier et Pierre Bloeme, jeune homme majeur, demeurans tous quatre à Bollezeele, témoins à ce requis et interpellés en personne dame Marie Catherine ROMMELAERE, épouse du sieur Charles-Benoît Vanderborgh, vivant de ses biens, demeurant audit Bollezeele ; laquelle comparante était saine d’esprit, mémoire et entendement ainsi qu’il est apparu à nous notaires et témoins, par ses paroles et discours, et voulant faire son Testament et ordonnance de dernière volonté, elle a dictée à nous notaire, présents lesdits témoins, et que nous notaire l’avons écrit en présence des mêmes témoins, ainsi qu’il suit :

Je donne et lègue à Charles-Benoit VANDERBORGH, mon mari, l’universalité de mes biens, tant meubles qu’immeubles en pleine propriété, si cependant tous mes héritiers naturels et légitimes sans exception d’un seul approuvant unanimement le présent mon Testament dans les six semaines à compter du jour de mes funérailles, auquel jour il leur en sera donné connaissance, je veux et l’entends que dans ce cas ils auront seulement la nue propriété de mes fonds de terre propres autres que les conquêts, attendu que j’en lègue l’usufruit à mondit époux avec les catheux tant verts que secs en pleine propriété, de manière que mesdits héritiers naturels et légitimes n’auront la pleine propriété de mesdits fonds de terre propres nus au dépouilles de tout catheux, qu’au décès de mondit époux qui demeurera seul et sans répétition ni recours ; je déclare au surplus de révoquer tous les Testamens que je pourrais avoir fait jusqu’à ce jour ; je veux finalement que mes héritiers naturels viennent à ma succession par représentation et par souche, non suivant le nouvel ordre de choses réglé par le code Napoléon, mais de la manière que cela avait lieu dans ces contrées en mil sept cent quatre-vingt-dix ; après lecture faite par nous notaire à la dite testatrice en présence desdits quatre témoins, ladite testatrice a déclarée avoir compris le tout et être de sa dernière volonté, et ont lesdits témoins signé avec nous à la maison de ladite testatrice audit Bollezeele le trente Septembre mil huit cent douze, à onze heures et demi du matin.

Signé M.C. Rommelaere, P.F. Saison, A. Quenelle, jacques Laurent, P. Blomme, et J.B. Lippens

Enregistré à Wormhoudt, le 5 Octobre mil huit cent douze ?

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A Hazebrouck, de l’imprimerie de Debaecker Itzweire.