lundi 16 septembre 2019

à propos d'un conflit entre les avocats et un notaire royal de Dunkerque en 1785


MEMOIRE
POUR MES OLIVIER, VANDERCRUCE, DOUVILLIER, MONTGEY, COUESNON & LIEVEN, tous Avocats en Parlement, exerçans ès sièges de la Ville de Dunkerque, & composans le Collège des Avocats de ladite Ville, Demandeurs
CONTRE ME DELSAUX, Notaire Royal en la même ville, Défendeur

Dans un Siège Royal, où les Avocats, se bornant à la noblesse de leurs fonctions, n’y réunissent point la postulation, un Notaire peut-il, en conservant sa charge, exercer aussi la profession d’Avocat ?
 
Dans un Corps qui a su maintenir la pureté de son institution, dont les Membres ne considerent dans la juste rétribution d’un travail honorable, que le témoignage flatteur d’une reconnoissance libre, dédaignent toute espèce de titre auquel seroit attaché le droit de l’exiger, & ne doivent enfin qu’à une confiance de choix l’avantage d’être les défenseurs & les dépositaires de l’état, de l’honneur & de la fortune des citoyens, doit-on admettre celui qui, en achetant à prix d’argent le droit d’être le témoin nécessaire des conventions, de constater par sa signature, non pas toujours ce qui devroit être, mais ce qui est dans le fait, a engagé pour la sûreté des dépôts dont cet office même le charge, sa liberté civile en même-temps que sa fortune, toute à la rigueur des Loix.
 
Telle est la question à décider. Soutenir l’affirmative, c’est dire à la Justice qu’il est peu d’importance de ménager la délicatesse dans les organes destinés à lui transmettre la vérité. C’est attaquer l’harmonie qui résulte dans la société, de la distinction entre les différens états, & vouloir familiariser celui qui met un juste orgueil a exercer une profession épurée avec l’idée qu’in peut déroger à la noblesse ?

Trop d’exemples prouvent chaque jour le relâchement des principes sur cet objet d’administration publique, pour que la Cour ne soutienne pas un corps qui, en voulant se conserver ce qu’il est de tout temps, ne fait que réclamer l’exécution des réglemens par lesquels elle a déjà statué sur la question.

FAITS
Ce n’a été que par l’expérience des temps que l’on a appris combien il étoit important de distinguer dans l’état, & dans l’administration de la Justice en particulier, les différentes fonctions de chacun de ceux qui pouvoient y concourir.
 
La disette de gens instruits, dans des siècles moins éclairés, avoit porté à tolérer, à favoriser même, la réunion des fonctions différentes sur le peu de personnes qui en étoient capables. Mais les lettres, en répandant leurs lumières sur toutes les classes d’hommes, apprirent à distinguer les professions, & à les appliquer à leur objet, pour porter chacune à la perfection dont elles étoient susceptibles.
 
La vénalité des offices venant ensuite, eut au moins cet avantage de déterminer spécialement les fonctions dont le produit devoit être pour le Titulaire le fruit de ses fonds, en même temps que de son travail, & cette ciconscription, travée à chacun, devint un objet de politique & de lucre pour le Gouvernement, en même-temps qu’un moyen d’utilité plus certaine pour les sujets.
 
Le besoin de procurer des états aux citoyens s’y joignit encore, & ajouté un motif nouveau à l’utilité déjà reconnue de la limitation des professions.
 
C’est une vérité qui de nos jours a été lieux sentie que jamais. Aussi voit-on, depuis plusieurs années, le Ministère soigneux à maintenir cette division d’offices, dans tous les Sièges qui, par leur étendue, offrent dans chaque classe un fort honnête & suffisant.
 
Ce fut ainsi que le Gouvernement envisagea la Ville de Dunkerque en 1780.
 
Jusques-là, les fonctions de Notaires & de Procureurs y avoient été réunies, & neuf titulaires de ces offices géminés les exerçoient cumulativement. Mais les inconvéniens s’étoient souvent fait sentir ; il fallut donc y pourvoir. En conséquence, par Edit du mois de Juin 1780, registré en ka Cour le 29 Juillet suivant, le Roi  a désuni les offices de Notaires & ceux de Procureurs. Les Notaires ont été réduits au nombre de quatre, & les Procureurx à celui de cinq.
 
De ce moment donc les fonctions de Juridiction contentieuse ne purent pas être cumulées avec celles de la Juridiction volontaire. Les intentions du Souverain sur cet objet n’étoient pas équivoques, & toute voie de les enfreindre étoit réprouvée ?
 
Cette défusion, conforme à la régularité des choses, n’avoit apporté rien de nouveau dans ce qui concernoit le Ministère des Avocats exerçans à dunkerque. Ce Corps, qui s’est toujours renfermé dans ses fonctions, n’y avoit point admis de concurrence avec les Notaires – Procureurs. Mais la désunion qui étoit prononcée de ces deux Offices, prouvoit de nouveau la distinction absolue qu’il falloit faire entre les Notaires & tous les Officiers exerçans au Siège.
 
Voici cependant ce qui arrivé : Au nombre des quatre Officiers qui avoient préféré le titre de Notaire, étoit M. Delsaux. S’il perdoit d’un côté le bénéfice de la postulation, il gagnoit de l’autre, comme chacun de ses Confrères, l’avantage d’exercer un ministère qui se trouvant resserré en quatre personnes, au lieu de neuf, étoit devenu plus lucratif. Mais il voulut trouver un moyen d’éluder la Loi, en cumulant le bénéfice que l’état de Notaire alloit lui procurer avec le produit, peu digne d’envie cependant, qu’on ne peut retirer de la défense des citoyens dans les Tribunaux. Il parvint à obtenir des degrés de licence, prêta serment en la Cour, & présenta ensuite sa matricule à l’enregistrement, tant au bailliage & Echevinage de Dunkerque, qu’en l’Amirauté.
 
Le Corps des avocats fit ses représentations en la Chambre de l’Echevinage ; mais il ne crut pas devoir former opposition à l’enregistrement, jusqu’à ce que l’on connût quel usage Me Delsaux prétendoit faire de son nouveau titre. On avoit vu à Dunkerque plusieurs exemples d’avocats qui, après avoir fait enregistrer leur matricule, n’avoient cependant cherché à en remplir aucune fonction. ON attendit que Me  Delsaux se présentat pour suivre le Siège, & y exercer comme Avocat. Ce fut ce qui arriva bientôt, & de ce moment, tous refusèrent de plaider & de communiquer avec lui.
 
Cependant le Magistrat de Dunkerque qui avoit ordonné l’enregistrement de la matricule de Me  Delsaux, & qui par conséquent l’avoit mis, par provision, en possession de l’état d’Avocat, faisoit droit sur ses poursuites, & l’intérêt des particuliers en souffroit un préjudice notable. Il ne restoit donc d’autre parti à prendre que de traduire Me Delsaux en la Cour, & de plaider contre lui, en attendant que la contestation fut jugée ; mais sans consulter nu communiquer dans l’intérieur des Cabinets, sans le traiter en Confrère, ni le convoquer à aucune assemblée, à aucune délibaration ? Ce fut le parti que les Avocats adoptèrent à cet effet.
 
Un Arrêt obtenu sur leur requête, le 10 mai 1783, leur permit d’y faire assigner Me Delsaux, pour voir dire que les réglemens concernans la profession d’Avocat seroient exécutés, & qu’en conséquence il lui seroit fait défenses d’exercer les fonctions du Ministère d’Avocat, & de se présenter dans les différens sièges de la Ville de Dunkerque, pour y plaider avec les Avocats tant qu’il seroit pourvu & titulaire de l’Office de Notaire Royal qui le soumet à la contrainte par corps, & aux Juges desdits Sièges de l’admettre à plaider.
 
Me Delsaux a défendu à cette demande. Il conclut à ce qu’elle soit déclarée nulle & irrégulière, & subsidiairement que les Avocats de Dunkerque y soient  déclarés non-recevables ; ou en tout cas qu’ils en soient déboutés. Il demande à être maintenu dans le libre exercice des fonctions d’Avocat, avec défenses de l’y troubler, impression & affiche de l’Arrêt.
 
Tel est l’objet de l’instance.

MOYENS
Il est, en matière d’incompatibilité d’états, des principes généraux qui tiennent à l’utilité publique, & des considérations particulières qui dérivent, soit de la nature des fonctions attachées à chacun, soit des devoirs qu’il impose, soit des prérogatives dont il doit jouir ?
 
Nous avons déjà parlé des premiers, on sent assez combien il est intéressant pour le corps politique de multiplier & de diviser les professions qui peuvent former l’état de chacun de ceux qui les exercent. Ajoutons que, par le même motif, il importe à l’harmonie de la société qu’aucune considération résultante de la chose en elle-même, ne nuise à l’exercice des différens emplois. Le bien public souffriroit nécessairement, si celui qui prend sur lui un office capable d’occuper tous ses momens, y réunissoit d’autres fonctions qui suffiroient elles-mêmes pour les absorber. Ou bien cette réunion le metttroit dans l’impossibilité de satisfaire aux devoirs de l’un des deux états, ou l’un & l’autre ne seroit rempli qu’avec une négligence contraire au bien général & à l’intention du Législateur.
 
Au premier cas, le Public & le Souverain seroient trompés, puisque comptant avoir le nombre d’Officiers, de chaque nature, nécessaire à la constitution du corps politique, il s’en trouveroit qui n’auroient qu’un vain titre, & qui entraînés par des occupations d’un autre genre, abandonneroient celles auxquelles cependant ils ont fait vœu de se livrer principalement.
 
Le Notaire, par exemple, qui voudroit en même-temps être Avocat, détourné sans cesse par les exercices de cette dernière profession des soins & de la résidence qu’exigent les opérations dont un Notaire peut être chargé, n’offriroit plus au public l’officier prêt à recevoir les conventions des hommes entr’eux, les dispositions d’un testateur, &c. Séduit par l’exercice plus flatteur du barreau, sur-tout dans une Ville comme Dunkerque où les sièges sont multipliés [1], il donneroit sont temps à la suite des audiences, & le citoyen ayant dans le fait un Notaire de moins, seroit gêné dans le choix que le nombre lui devoit offrir entre différens Officiers capables d’être les dépositaires de sa confiance.
 
De même aussi le plaideur malheureux qui croyant trouver un défenseur dans celui qui se dit Avocat, lui aura confié une affaire qui exige tous les instans, ne trouvera en lui qu’un avocat de nomn qu’un homme livré à des soins différens de ceux de cette profession, & qui sans cesse entraîné par son utilité personnelle, sera principalement occupé d’un office qui doit lui être plus lucratif ?

Supposera-t-on qu’il parvient à réunir les occupations des deux états dans une proportion à-peu-près égale ? dans ce cas, le tort que le public éprouveroit bientôt sera plus dangereux encore. 
 
Les Notaires-Avocats qui, comme Notaires, seroient toujours les premiers confidens des Parties, deviendroient, pour ainsi dire, leurs conseils nécessaires ; & ce seroit, d’un côté, gêner la liberté de la part des Cliens, & de l’autre mettre un obstacle à cette noble émulation qu’établit toujours une rivalité, qui n’a pour objet que l’usage des talens & l’emploi des connoissances acquises. Bientôt tous les Notaires seroient en même-tems Avocats ; & dans peu les justiciables ne trouveroient plus que des défenseurs peu instruits, distraits par trop d’affaires de l’étude profonde qu’exige la profession d’Avocat, & superficiels dans tous les genres, par l’impossibilité de les embrasser tous avec succès.
 
Nous ne parlerons point ici de dangers d’une autre espèce que la délicatesse & le désintéressement des Avocats de Dunkerque, ne leur permet pas d’envisager. Il n’entre dans leur défense aucune vue d’utilité personnelle, & rien dans l’espèce particulière, ne pourroit les en faire soupçonner.
 
On répondroit en vain que, dans les sièges intérieurs, il est rare qu’une seule profession remplisse tous les instans d’un homme. Ce n’est point dans notre espèce que cette objection peut avoir lieu. Le règlement fait par l’Edit récent de 1780, y fournit la réponse. Car le Roi, en créant de nouveaux offices de Notaires à Dunkerque, n’en a porté le nombre à quatre que parce qu’il a été reconnu que ce nombre étoit nécessaire pour suffire aux affaires & à la commodité des habitans de cette ville.
 
Il ne seroit donc pas possible que l’intérêt du public ne souffrit de la réunion que veut introduire Me Delsaux, & déjà ce motif doit suffire pour l’écarter.
 
Mais l’Edit de 1780, fournit encore une autre considération qui n’est pas  moins décisive ? C’est d’après la connoissance que le Souverain a prise des inconvéniens qui résultoient de la cumulation des fonctions qui tiennent à la juridiction volontaire avec celles qui ont rapport à la juridiction contentieuse qu’il a ordonné pour Dunkerque, la désunion des offices de Notaire & de Procureur, c’est parce qu’il a été reconnu que le Siège de Dunkerque étoit assez considérable pour ne point y laisser subsister l’abus, que la nécessité fait tolérer ailleurs, de la cumulation de fonctions différentes.
Or le même motif qui a fait exclure les Notaires des fonctions de Procureurs, doit également les exclure de celles des Avocats, qui, dans un genre plus distingué, ont néanmoins le même objet & concourent aux effets quant à l’ordre politique & civil, c’est-à-dire, à la défense des citoyens dans les affaires contentieuses.
 
En sorte que ce qui doit exister d’après des principes généraux incontestables, est ici en particulier la chose jugée, déterminée par le Souverain lui-même, & par une loi nouvelle, exécutée & en vigueur ?
Ces premières considérations tirées de l’ordre public devroient suffire, sans doute, à la défense des Avocats de Dunkerque. Elles ne laissent à Me  Delsaux aucun prétexte raisonnable qui ne soit d’avance combattu par l’application des vrais principes.
 
Mais si l’on veut entrer dans l’examen de celles qui peuvent résulter des usages constamment observés à Dunkerque, relativement à la profession que Me Delsaux ambitionne, de nouveaux motifs viendront se joindre à ces vues générales. 
 
Le Corps des avocats exerçans dans les Sièges de Dunkerque, s’est toujours distingué des autres Officiers. Lorsque les offices de Procureurs & de Notaires étoient réunis, les Avocats faisant un corps séparé, se maintenoient dans toute la pureté de la profession, & ce corps se régloit dès-lors, & de tout temps à l’instar de l’ordre des Avocats attachés à la Cour. Aucun ne s’est immiscé jamais dans la postulation. Ne faisant point communauté avec les Procureurs, ils n’ont point de registres de délibérations, mais les règles d’honneur & de sentiment qu’ils se sont prescrites de tout temps, & dont le souvenir se perpétue par la pratique, y sont gravées dans le cœur de tous ceux qui suivent réellement la profession. 
 
Plusieurs Licentiés, après avoir prêté le serment en la Cour, ont fait d’abord enregistrer leur matricule aux Sièges, & se sont depuis oivrés à des occupations toutes différentes. Les uns ont pris des charges, les autres ont embrassé le commerce ; mais de ce moment ces particuliers, quoique les noms soient restés au Greffe, n’ont plus été regardés comme faisant Corps avec les Avocats exerçans, & aucun d’eux ne se croiroit permis ni de s’engager dans des opérations de commerce, ni de se charger d’aucune négociation étrangère à leur profession.
 
Défenseurs des Habitans d’une Ville dont l’ame est le commerce, souvent dépositaires des effets les plus importants ; de traités qui engagent les fortunes de toutes les familles, ils ne connoissent envers leurs Clients, d’autre lien que celui d’une confiance libre & entière, & d’un honneur dont jamais la délicatesse ne reçut d’atteinte, & ils ont le plus grand intérêt à se maintenir dans cette possession aussi flatteuse qu’honorable.
 
Or ils ne pourroient, sans y déroger, admettre parmi eux un homme qui, par un titre acheté à prix d’argent, s’est sommis à la contrainte par corps, & chez qui le Public voit un Officier revêtu d’un Office vénal & pécuniaire, qui offre à la sûreté un autre gage que celui de l’honneur même.
 
Ils sont d’autant plus dans ce cas de n’admettre que ceux qui ne se livrent uniquement qu’à l’étude des loix, que la coutume du Pays, peu étendue dans ses dispositions, s’est référée expressément aux droit Romain, pour les cas qu’elle n’a pas exprimée, en sorte que celui qui se destine à suivre la profession d’Avocat, trouve devant lui un vaste champ d’étude, à l’étendue duquel la vie suffit à peine, & que l’on ne peut parcourir avec fruit, si d’autres occupations principales apportent à ce travail un obstacle perpétuel & toujours renaissant.
 
Ce rapport de la Coutume au droit Romain, ajoute encore une considération à la nécessité où ils se trouvent de refuser d’admettre Me Delsaux pour Confrère.
 
La liberté de se conformer au droit écrit, est l’un des Privilèges dans lesquels la Ville de Dunkerque a été conservée, tant par les Capitulations accordées par M. de Turenne, les 23 & 24 Juin 1658, que par la Déclaration du mois de Novembre 1662, on peut donc dire que c’est d’après les principes du droit Romain, & dans la classe où il a placé Me Delsaux, qu’il faut l’envisager.
 
Or l’on fait que le droit Romain n’a jamais regardé les Notaires, Tabularii, que comme des gens d’un état très peu relevé, pour ne rien dire de plus. On sait qu’ils étoient toujours pris dans la classe des esclaves, & que l’entrée aux Offices leur étoit interdit suivant la loi : Cod. De tabulariis. Nulli omnino ex Tabulariis officio militent. La profession d’Avocat, au contraire, n’est-elle pas regardée parmi nous comme une profession noble, à laquelle ne peut prétendre quiconque est susceptible de toute autre exclusion ?
 
Au reste, si, en joignant à la fonction originaire des Notaires en France, le dépôt des Actes qu’ils reçoivent, on a rendu leurs offices dignes d’une juste considération, au moins est-il incontestable qu’ils ont toujours des caractères très-distinctifs de la profession que Me Delsaux veut y réunir, caractères qui suffisent pour établir qu’entr’eux une exclusion nécessaire.
 
Indépendamment de contrainte par corps, dont nous avons parlé ci-dessus, le bénéfice qu’ils peuvent retirer de leurs charges, ne forme point pour eux un pécule dont ils aient la disposition ? Cette remarque, faite d’abord par Dumoulin, ad consilium Alexand. 2, a depuis été adoptée par Ferriere, sur Guy-Pape, quest. 190, par Laroche-Flavin Liv. VI, arr. 4, &c. Elle est même fondée sur des Arrêts du Parlement de Toulouse : his solis qui in dignitate aliquâ & honore sunt hoc jus concedit……. Quod ad Notarios extendum non est. Et ita judicatum fuisse D. Duranti princeps sematus Tholos, Arresto Tholos contra Notarium quemdam Bellicardi, &c.
 
On sait qu’il est parmi les fonctions de Notaires des Actes qu’il leur sont communs avec les moindres Officiers de la Justice, puisqu’ils sont concurremment avec les Huissiers, les protêts, les sommations respectueuses, les offres réelles, &c. & même les ventes de meubles par-tout où il n’y a pas de Jurés-Priseurs en titre. Comment admettra-t-on que celui dont le ministère embrasse des fonctions communes avec un Huissier, peut partager aussi celles qui sont regardées comme les plus distinguées & les plus recommandables ?
 
Que Me Delsaux, d’après ces exemples, ne vienne plus nous dire « qu’en descendant dans l’examen de l’emploi d’un Notaire, on trouvera par-tout qu’il tient à celui de l’Avocat ».
 
C’est un privilège, c’est un devoir même pour les Avocats de remplacer les Juges & de monter sur le Siège, suivant l’ordre d’ancienneté, pour les substituer. L’Avocat-Notaire ne se trouveroit-il pas à chaque instant, exclus de cette prérogative comme ayant reçu ou signé en second, l’acte qui fait la matière de la contestation ? Or celui qui prétend à la faculté de remplir une fonction honorable, ne doit point porter avec lui une cause aussi fréquente de récusation.
 
Enfin si la dérogeance attachée à l’office de Notaire a reçu quelquefois des exceptions pour les Notaires au Châtelet de Paris, au moins un Notaire de Province n’oseroit-il pas la contester.
 
Mais nous n’avons pas besoin sans doute de porter plus loin le parallèle : une profession qui n’a pour objet que l’étude des loix & la défense des Citoyens, connoit bien au-dessus d’elle, dans l’ordre judiciaire, le Privilège de les juger, mais sa noblesse n’admet pas d’égalité ?
 
Or, par cette raison seule, elle ne permet point d’alliage, & quiconque prétend y participer dans un Siège Royal, dans une Ville importante où elle s’est maintenue dans toute sa pureté, doit abdiquer tout état qui n’a pas pour unique base la même liberté & les mêmes principes ?
 
Il seroit étonnant, sans doute, que la Jurisprudence ne nous fournit pas des exemples qui eussent donné la sanction à cette vérité.
 
Sans nous arrêter à citer plusieurs Arrêts, qui ont jugé qu’un Avocat ne pouvoit réunir un office de Greffier, même dans un autre siège que celui où il exerce, ni d’autre profession quelconque, bornons-nous à ceux qui ont précisément statué sur la question.
 
On en trouve d’abord d’anciens dans le recueil de Des-corbiac, titre 16, ch 5 & 7.

L’un du 30 Janvier 1616 qui a défendu de réunir les fonctions de Notaires & d’Avocat ;

L’autre du 4 Octobre 1748, rendu aux grands Jours, contre le Syndic des Notaires de Rhodès, « qui a fait défenses à ces Notaires & à tous autres du ressort, à peine de perdition de leur état, de s’ingérer à l’exercice de l’état d’Avocat de quelque manière que ce soit, &c. »
 
Il n’est pas étonnant, sans doute, que depuis que l’utilité de la distinction des professions a été reconnue, il se soit trouvé peu de Notaires qui aient osé soumettre une pareille prétention au jugement de la Cour. Nous en avons cependant deux exemples qui ont été recueillis par Jouffe, sans son Traité de la Justice Civile, titre des Avocats, tom.2, page 475.
 
Le premier, « du 4 août 1760, rendu pour Compiègne, a defendu au sieur de Mouchy, de faire en même-temps les deux professions d’Avocat & de Notaire à peine d’interdiction. 
 
« Le second, rendu au rapport de M. poitevin de Villiers le 23 Janvier 1766, sur les conclusions de M. le Procureur-Général, contre le sieur Bocquillon Notaire à Saint-Quentin, qui vouloit exercer en même-temps la fonction d’Avocat audit Siège. »
 
Il est donc vrai de dire que la prétention de Me Delsaux est également contraire  à la chose jugée, aux principes de l’administration de la Justice, & même à ceux de la saine politique.
Il présente cependant, pour la soutenir, des objections de toute espèce, mais leur nombre n’ajoute point à la valeur, il suffit, pour les réfuter toutes, de les parcourir sommairement.
 
[OBJECTION] Une première consiste à dire que ses adversaires ne sont qu’au nombre de six tandis que le tableau des Avocats, exposé dans la salle de l’Echevinage de Dunkerque, offre les noms de vingt-huit.
 
[REPONSES] La réponse résulte de l’observation déjà faite, qu’on ne peut pas considérer comme Avocats ceux qui, n’ayant fait autre chose que présenter leur matricule à l’enregistrement, n’ont jamais exercé, ou se sont retirés peu de temps après. Que leurs noms soient toujours restés dans le tableau de l’Auditoire, qui n’y est exposé que par une ancienne habitude, & de la part des Juges, sans que ce tableau soit l’ouvrage des Avocats, il n’en est pas moins vrai que tous ont pris des professions différentes & incompatibles. La plupart sont aujourd’hui des négocians connus, & même plusieurs sont absents de Dunkerque ; enfin le Corps des Avocats, dans la vérité n’est composé que de ceux que Me Delsaux a dans ce moment pour adversaires. C’est un fait notoire, & dont il n’ignore point. Ce n’est donc point, comme il le dit, l’opinion isolée de quelques membres. C’est l’unanimité des suffrages qui lui refuse l’admission au Barreau.
 
[OBJECTION] Une autre fin de non-recevoir est encore invoquée de sa part. Une compagnie, dit-il, ne peut intenter d’action qu’en vertu d’une délibération arrêtée dans une assemblée ; où est celle qui a autorisé les six Avocats à diriger l’action contre lui ? A faute d’en représenter ils sont non-recevables.
 
 [REPONSES] Cette objection de forme n’est pas présentable, la demande même est la preuve de la délibération, puisqu’elle est faite au nom de chacun des Avocats qui fréquentent le Barreau & qui, depuis leur enregistrement, se sont maintenus dans l’intégrité de la profession. Si cette délibération n’a point été écrite, c’est parce que le Corps des Avocats de Dunkerque, ainsi que nous l’avons dit, en cela semblable à celui de la capitale, ne tient point de registre. Me  Delsaux ne pourroit pas alléguer qu’il en existe. Le pouvoir donné par eux pour intenter l’action, vaut bien sans doute la délibération par écrit.
 
[OBJECTION] Me Delsaux, fertile en fin de non-recevoir, en a ajouté deux autres ; il n’appartient point, dit-il, à un collège d’Avocats d’agir activement En la Cour, si l’Ordre ne veut pas admettre un sujet, il se borne à ne point communiquer avec lui. S’il veut rejetter se son sein un sujet admis, la radiation sur le tableau le retranche du Corps, mais on ne forme pour cela aucune demande, à ce que défenses lui soient faites d’exercer la profession. L’autorité de l’Ordre sur les membres n’est qu’une autorité passive, elle se borne à la liberté incontestable de ne pas communiquer.
 
[REPONSES] A cet égard, il ne pourroit pas e, être à Dunkerque comme en la Cour, parce que l’usage de ce Siège n’a point été jusqu’ici que les Avocats eussent un tableau. Celui qui est dans l’Auditoire, n’est encore une fois, que l’état des personnes qui ont fait enregistrer au Siège leur matricule ; il n’est point celui des Avocats exerçans, il n’est point leur ouvrage. L’enregistrement de la matricule est, pour les Avocats exerçans à Dunkerque, ce que la prestation de serment d’un Licentié en la Cour, est pour les Avocats au Parlement. Ce tableau prétendu de Dunkerque ne peut s’assimiler qu’au registre qui contient en la Cour l’état de ces prestations de serment, mais non point au tableau mis au Greffe chaque année par le Bâtonnier.
 
Les Avocats peuvent bien faire d’abord aux Juges leurs représentations sur cet enregistrement, mais ils ne peuvent rien de plus. On a eu soin d’en faire, lorsque Me Delsaux s’est présenté à la fin de 1784. Les Avocats en la Chambre de l’Echevinage observent que leur délicatesse ne leur permettroit jamais de reconnoître Me Delsaux pour Confrère ; & les Juges ayant cru devoir passer outre, on espéroit que Me delsaux se feroit justice à lui-même, d’après le refus exprimé du Corps où il vouloit entrer.
 
Mais lorsque ce moyen ne suffit pas, lorsque l’honneur seul ne parle pas assez haut pour repousser l’homme incapable, si les Juges ont autorisé l’admission de forme, il ne reste plus au Corps des Avocats que le moyen dangereux de l’incommunication ou celui de l’action judiciaire.
 
Le premier a d’abord été tenté contre Me Delsaux pendant l’année 1782, lui-même l’avoue dans sa défense. Mais, abusant des liaisons que lui donne son état de Notaire, & de celles qu’il a pu conserver comme ayant été Procureur, il n’a pas craint de braver la résistance & de se présenter. L’enregistrement de sa matricule l’avoit saisi par provision. Il ne restoit donc d’autre voie que celle de le traduire en la Cour, & les avocats l’ont prise en 1783, ainsi qu’ils y étoient forcés. L’intérêt public auroit trop souffer, s’il eût fallu continuer de laisser Me Delsaux la liberté d’obtenir par défaut des jugemens injustices, & de réduire les Parties à n’avoir ‘autre moyen que celui de l’appel. On a donc cru devoir se conformer à l’intention que la Cour a manifestée dans ces circonstances semblables. Quelques avocats se sont en effet présentés contre lui, sous la protestation résultante, soit de l’action intentée, soit du refus de toute autre communication que celle de l’Audience, & de tout acte de confraternité. On a pris enfin les seules voies que les circonstances permissent.
 
Nous ne croyons pas devoir répondre à un autre moyen que l’on a voulu tirer, de ce que, par leurs premières conclusions, les Avocats de Dunkerque ne se sont pas d’abord rendus appellans des ordonnances d’enregistrement. Cette formalité a été remplie depuis e, tant que besoin, mais elle n’étoit nullement nécessaire ; l’enregistrement n’étant point l’ouvrage des Avocats, n’étant point ordonné avec eux, ne sauroit les engager. Ce n’est point comme enregistré au bailliage que les Avocats attaquent Me Delsaux, mais bien comme se présentant au Barreau pour exercer des fonctions dont il est exclu par l’office dont il est revêtu.
 
Toutes les fins de non-recevoir auxquelles Me Delsaux ne rougiroit point de devoir faire son état, n’annoncent donc pas plus une défense réflechie, que sa prétention en elle-même ne prouve sa délicatesse. Voyons comment il la soutient au fonds.
 
Sa base est d’établir une différence considérable entre les Avocats en la Cour & ceux des Juridicitions du ressort, & de Dunkerque entr’autres, mais quels en sont les caractères ?
 
Tant que des Avocats se bornent à leur profession exclusivement, elle est par-tout aussi honorable en elle-même ; puisque par-tout elle a pour objet la défense des citoyens. Si celle des Avocats en la Cour reçoit un lustre de plus de la dignité du Tribunal auquels ils sont attachés, cet avantage inestimable sans doute, mais relatif  à la prééminence de la Cour, ne change rien à l’essence de leurs fonctions en elles-mêmes ; & les Avocats de Dunkerque, jaloux de les remplir avec le même honneur, ont droit d’apporter la même délicatesse dans le choix de leurs membres.
 
« Ils se chargent, dit-on, de procurations »
 
Si jamais il y en eu des exemples, ce n’a été que lorsqu’elles avoient pour objet d’éviter aux parties, par la voie des transactions, les dangers & les frais des procès, & ils s’en font honneur. Si parmi les Avocats enregistrés, mais qui n’exercent pas, quelqu’un en a reçu d’autres, c’est la suite sans doute du commerce ou de la profession auxquels il s’est livré. Rentré dans le commun des Citoyens, il a pu faire tous les actes usités dans la société, les adversaires de M. Delsaux n’ont point intérêt de les contester.
 
« A Dunkerque, dit-on, les Avocats font toutes les écritures du ministère des Procureurs »
 
Me Delsaux, qui veut être Avocat, ne devroit pas ignorer qu’il a été fait le 22 Juillet 1707, un règlement homologué en 1708, qui porte que les Procureurs de Dunkerque ne peuvent faire aucunes écritures, telles que défenses, répliques, mémoires, avertissements, contredits, &c. même les requêtes & demandes dans certaines causes. L’utilité des Citoyens à nécessité ce règlement, à raison de ce que les affaires du commerce donnent lieu à quantité de délibérés, qu’il eût été dangereux de laisser juger sur la seule instruction des Procureurs.
 
« Quelques-uns, dit-on encore, vont plaider aux Consuls, ce qui n’a pas lieu dans la Capitale »
 
Mais on concevra bien que dans une Ville toute commerçante, il peut se présenter au Consulat des affaires de la première importance.
 
2° Les Consuls sont Juges Royaux & rien ne place cette Juridiction dans un genre inférieur à plusieurs tribunaux, où les Avocats, même en la Cour ne rougissent point & n’ont point à rougir de plaider. Rien, en effet, ne les empêcheroit de plaider aux Cosuls, si leur ministère y étoit requis, & q’il pouvoit être utile au bien public. Toutes les fois que l’appel se porte directement en la Cour, il est important pour les Parties que leur cause soit présentée avec tout l’avantage que peuvent donner les lumières d’Avocats instruits.
 
Enfin Me Delsaux invoque quelques exemples qui ont lieu, dit-il, dans d’autres Villes de Flandres & sous le Parlement de Douai, telles que Bapaume, Valenciennes ?
 
Mais, I° ces exemples ne sont point tous dans l’espèce à juger, car les preuves mêmes que Me Delsaux rapporte, donnent lieu à reconnoître qu’à Bapaume il n’y a point de corps d’Avocats séparé des Procureurs. Elles établissent que la difficulté ne s’est élevée qu’à l’égard des Procureurs a des Notaires, qui demandoient qu’il fut défendu à Me Doudan, Notaire, d’exercer la profession d’Avocat. Que M. le Garde-des-Sceaux auquel il paroît qu’on s’étoit adressé, n’ait pas fait droit sur cette prétention des Procureurs de Bapaume, il n’en peut rien résulter pour le Corps des Avocats de Dunkerque, qui n’a jamais eu rien de commun avec la postulation, & qui ne veut rien admettre d’étranger à la noblesse des fonctions dans lesquelles il se renferme.
 
2° quant aux abus de ce genre, qui peuvent exister sous le ressort du Parlement de Douai, où il paroît même qu’un Notaire est en même-tems Procureur du Roi, il est ridicule de proposer de tels exemples comme une règle que la Cour doive adopter.
 
Un ancien Arrêt du Parlement de Provence paroît avoir jugé, qu’un Notaire pouvoit exercer la profession d’Avocat dans une affaire pour laquelle il n’avoit point passé d’acte, mais peu importe encore cet exemple d’une Jurispridence étrangère ?
 
On voit d’ailleurs dans Boniface, I° qu’il n’a été rendu que pour la petite Ville de Colmars, où il n’existe qu’une simple Vigerie, qui ne ressortit point dans une Cour souveraine. 2° qu’il l’a été en faveur d’un Notaire, Licentié, qui n’avoit pour adversaire qu’un simple Praticien.
 
Il n’en peut donc rien résulter pour une Ville comme Dunkerque, où la fonction de Notaire est absolument distincte de la Juridiction contentieuse, sut-tout depuis l’Edit de 1780.
 
Encore moins doit-on faire attention à ce qui a été dit dans les livres de la Science des Notaires, & autres semblables, dont les Auteurs sont plus que suspects, quand ils donnent leur opinion sur les droits de ceux pour lesquels ils travaillent. On les voit également soutenir que les Notaires peuvent être Procureurs & ce n’est pas un doute ici que cette fonction leur est interdite. Le Souverain a considéré l’administration de la justice à Dunkerque, comme embrassant un ressort assez important, pour y diviser les fonctions des différens Officiers, il a même exprimé en l’ordonnant, qu’il ne faisoit que renouveller les dispositons des Ordonnances sur l’incompatibilité des fonctions, pour prévenir les inconvéniens & abus qui peuvent en résulter (préambule de l’Edit de 1780).
 
Ces mêmes inconvéniens, ces mêmes abus revivroient dans toute leur étendue, si l’on admettoit un moyen d’éluder les vues du souverain en cumulant avec le titre de Notaire une profession qui, en réunissant les mêmes motifs d’incompatibilité, que celle de Procureur doit encore être plus interdite au titualire, puisqu’il est de son essence & de sa noblesse de ne permettre la réunion d’aucune autre fonction ?
 
C’est, on peut le dire, s’élever contre les notions de la simple raison, que de soutenir que celui auquel il est défendu d’exercer les fonctions de Procureur dans un Siège, puisse y remplir celle d’Avocat, ce seroit admettre à un emploi plus relevé, celui que la Loi déclare incapable du moindre : qui non potest minus, non potest majus. Les Avocats de Dunkerque, justement attachés à l’honneur d’une profession qui est par-tout la même, quand ceux qui l’exercent sont attachés à ces règles, ne doivent pas douter que la Cour confirmera de son autorité une réclamation qu’ils devoient au serment qu’ils ont prêté entre ses mains, & qui ne prouve que la délicatesse la plus épurée ? dans un état qui ne se soutient ce qu’il doit être, que par la scrupuleuse observation des Principes, il est de la première importance de prévoir tout abus, & d’en prévenir même la possibilité.
 
Eh ! N’est-ce pas un abus déjà existant, que de se présenter au Barreau, comme le fait Me Delsaux, avec la prétention de conserver un Office, auquel il ne peut tenir que par l’espoiur d’un gain géminé ? N’en auroit-il pas déjà fait le sacrifice, s’il étoit vraiment animé du zèle pur & du désintéressement qui sont les qualités premières, sans lesquelles on est indigne de participer aux fonctions honorables qu’il ambitionne.
 

Monsieur PASQUIER, Rapporteur
Me BARRE, Avocat
MATHELAT, Proc.

Veuve HERISSANT, imprimeur du Cabinet du ROI, 23 Juillet 1785

Au dos, manuscrit contre la reliure, M. Target, avocat au Pt
Rue Sainte-Croix de la Bretonnerie


[1] Nota Les Avocats plaident tant au Bailliage & Echevinage qu’en l’Amirauté , & même au Consulat.

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