mardi 17 décembre 2019

les Poissons volants : la naissance de l'Aéronavale française à Dunkerque


Pendant la Grande Guerre, Dunkerque est une base logistique importante avec la station-magasin anglaise… mais proche de la ligne de front, les habitants de l’agglomération côtoient toutes les armées, toutes les armes et croisent des soldats de toutes les nationalités, y compris les prisonniers allemands qui transitent par le port et la gare vers leurs camps de détention. Beaucoup de troupes sont pour eux « exotiques », des Spahis, des Goumiers. Le port n’a plus grand-chose de civil, car outre les soldats et les dockers « militarisés », partout l’on ne voit que croiseurs, monitors, torpilleurs et sous-marins… Cependant, loin des clichés les plus commercialisés, une présence est tombée dans l’oubli, celle des hydravions.
 
Le 10 août 1914, le premier hydravion à rallier Dunkerque est anglais. Deux officiers britanniques victimes d’une panne rejoignent la plage de saint-Pol. Le choix n’est pas anodin, elle borde le terrain d’aviation inauguré en 1913… 
 
le terrain de saint-Pol (juin 1917)

Quoi de plus logique que d’y trouver refuge. Ils prennent bonne note de ce terrain providentiel puisqu’ils y installent une escadrille dans la quinzaine qui suit. Malheureusement le terrain herbeux n’est pas adapté à ces appareils dont les flotteurs sont dépourvus de roues. L’hydravion n’est pas un amphibie. Quant à la plage, la houle n’est pas propice à la conservation des coques en bois et des frêles entoilages. Les Anglais cherchent un lieu pour stationner leurs appareils quand les Français décident en décembre 1914 de créer leur premier Centre d’Aviation Maritime, le CAM. Le mois suivant, il accueille sa première escadrille sous le commandement d’André Dumont, après un bref passage à Boulogne-sur-Mer, presque entièrement dotée d’hydravions FBA, ainsi que de avions « terrestres » stationnées au terrain de saint-Pol.
  

le FBA 100 ch. (septembre 1915)
 
marins mais aussi pilotes


A peine installée aux chantiers de France, où l’abri relatif de la darse est un lieu idéal pour l’hydroplanage, elle se distingue par sa participation au premier bombardement par des escadrilles d’hydravions du port de Zeebrugge, occupé par les Allemands et qui abrite de redoutables flottilles, notamment de sous-marins. C’est dans cette même unité que se trouvent les premiers héros de l’aviation navale, les lieutenants de vaisseau Marie, Amiot et Battet qui, les premiers attaquent des navires ennemis en mer.
 

le CAM de Dunkerque


la darse du chantier de France (1916)

Ce n’est pourtant pas l’essentiel de leur activité. Leur principale mission est la patrouille maritime, protéger les côtes, repérer les sous-marins en suivant leur sillage lorsqu’ils sont en immersion périscopique et, le cas échéant, porter secours.
  
le  quai du CAM

Lors de leurs patrouilles en mer du Nord, les hydravions vont réaliser un total de 26 attaques contre des sous-marins allemands. Mais les hydravions de patrouille sont victimes au mois de mai 1917 des coups de balai des hydravions de chasse allemands qui en descendent six au cours de deux combats, leurs équipages étant tués ou capturés. Les patrouilles ne reprennent qu’au mois de juillet avec une forte escorte d’hydravions de chasse.
 


la zone d'opération du CAM de Dunkerque

C’est aux hydravions du CAM Dunkerque que revient l’honneur d’être la première troupe alliée à libérer le port de Zeebrugge évacué par les allemands qui l’ont obstrué de mines. Tous les marins se réunissent sur la plage, révolver au poing, pour constater que les allemands sont bien partis et qu’ils sont les premiers à entrer dans la ville ruinée.

Les hydravions du CAM effectueront encore de nombreuses heures de vol après l’armistice pour repérer les mines flottantes du port. Le CAM sera pour sa part dissous au mois de décembre 1918.
 
Sur les FBA, l’armement est réduit pour protéger le port de Dunkerque : une bombe de 105 kg, un fusil Chauchat et … une autonomie de trois heures ! A l’instar des autres pilotes, il n’y a pas de parachute, l’état-major n’en veut pas, mais il n’y a pas non plus de gilets de sauvetage, car ils sont gênants pour piloter. C’est dire si le métier est à risque.

  face à la base anglaise


Les Allemands ne tardent pas à réagir en alignant des appareils plus puissants et plus rapides. De leur côté, les Alliés leur répondent avec des chasseurs « navalisés », ils ont fait leurs preuves sur le front, on leur adjoint donc des flotteurs (ce qui n’est pas toujours probant).
 
Nombreux sont les pilotes qui font preuve d’audace comme l’enseigne de vaisseau britannique Ferrand et le mécanicien Oldfield en attaquant devant Westende un torpilleur à la bombe et en abattant un chasseur ennemi, ou encore l’enseigne de vaisseau Teste qui, à la tête d’un groupe de quatre appareils mène un combat difficile au terme duquel il est abattu et fait prisonnier le 25 mai 1917. Fidèle à l’aviation aéronautique, il sera par la suite le père de l’aviation embarquée française.
 

Les pilotes français, opérant avec leurs homologues anglais, ne peuvent plus sortir sans la couverture de la chasse. L’on met au point un hydravion de chasse, le Sopwith Baby, doté de flotteurs et d’un moteur français de 1000 ch. en 1916 mais les appareils n’arrivent à Dunkerque qu’au début de 1917 et finalement seront remplacés par des Hanriot HD 2 en octobre 1917.  Cela reste insuffisant et très vite les hydravions français sont surclassés. Devenus inefficaces, la base dunkerquoise est abandonnée et les hydravions migrent vers la Méditerranée au ciel moins encombré, non sans avoir inhumé certains de leurs pilotes à la nécropole nationale militaire de Dunkerque…
 

le Sopwith Baby navalisé (1917)


les Sopwith à la manoeuvre dans la darse

le Hanriot D30 au départ (1917)


Leur valeur est cependant reconnue : le 15 juin 1918, l’escadrille de Dunkerque reçoit la fourragère aux couleurs de la Croix de Guerre et deux citations à l’Ordre de l’armée pour son action en Mer du Nord. 

 derniers regains d'activité (juin 1917)
 prêts au comabt (avril 1918)

Après-guerre, elle survit au sein de l’escadrille de bombardement EB 25 en Afrique du Nord, qui devient le squadron 347 dans l’aviation anglaise en 1943 (membre des FAFL) affecté après la seconde guerre à la BA 106 de Bordeaux qui recueille ses Traditions. Elle a un autre héritier purement marin : l’escadrille 2 S devenue 24 F en mars 2000 affectée aux missions de reconnaissance et de liaison à Lann-Bihoué… qui osera dire que les marins n’ont pas la bougeotte ?


flottille  24 F

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