lundi 18 mai 2015

piqure de rappel : une Flandre ou des Flandres ? Là est la question



Une Flandre ou des Flandres?


La confusion est augmentée encore par l'emploi fréquent du pluriel Flandres. On dit couramment les Flandres pour la Flandre, et dans le monde savant plus que dans le peuple. En usant de ce pluriel peut-être veut-on confusément exprimer que la Flandre n'est qu'une juxtaposition de petites régions sans unité, artificiellement rassemblée par un fragile lien politique [note de l'auteur : C'est ce que dit formellement Michelet : " Ce nom, les Flandres, n'exprime pas un peuple, mais une région de pays fort divers, une collection de tribus et de villes. Rien n'est moins homogène" (Histoire de France, édition de 1837, tome III, pp 45-46)]. Mais que l'on examine les origines de ce pluriel, et l'on verra que les nombreuses raisons qui ont fait distinguer de tout temps en Flandre plusieurs Flandres ne sont pas d'ordre géographique et n'empêchent pas de considérer le pays flamand comme une région naturelle. Sans doute le nom même de Flandre, "de Vlaanderen", est un pluriel. Pourtant, il ne s'agissait guère, à l'origine du nom, de désigner plusieurs régions artificiellement réunies; rien n'était plus simple que ce petit territoire situé au Nord et à l'Ouest de Bruges, cette étroite marche de défense contre les Normands; mais le mot était employé au pluriel soit qu'il vint du latin Planaria et indiquât les vastes terres plates de la région poldérienne, soit qu'il fut à la fois le nom du pays et celui des habitants et désignât la terre des fugitifs. C'est du flamand, et par habitude, que le pluriel passé à l'équivalent latin, s'étendit au comté tout entier, et fit employer jusqu'au XIII° siècle les termes de "Flandriae" et de "Comes Flandriarum». Vinrent ensuite les motifs de distinguer plusieurs Flandres, lorsque les comtes agrandirent leurs domaines de terres qui appartenaient à l'empire; et l'on eut à côté du comté proprement dit, placé sous la suzeraineté française, une Flandre impériale, dépendant de l'Empereur, et comprenant les quatre-Métiers, le Pays de Waes, le comté d'Alost et la ville de Grammont. Dans la partie relevant de la France, on ne manqua jamais de faire non plus la différence entre pays de langue française et pays de dialecte germanique, Flandre wallonne et Flandre flamingante. Même la partie flamingante comportait encore deux autres divisions : d'un côté l'Ost-Flandre, le pays de Gand, de l'autre le West-quartier, distinction qui correspondait à peu près aux deux circonscriptions ecclésiastiques: à l'ouest l'évêché de Thérouanne s'étendant jusqu'à l'Yser, à l'Est l'évêché de Tournai. Toutes ces distinctions de suzeraineté, de langue, de pouvoirs temporels et spirituels, se compliquèrent encore à partir du XVII° siècle, lorsque la Flandre fut partagée entre trois puissances. Les Hollandais annexèrent le Nord, qui fut dès lors connu sous les noms de Flandre des Etats, ou Flandre zélandaise, la plus grande partie du comté, restée à l'Espagne, fut la Flandre espagnole, plus tard autrichienne; le Sud devint français. Même dans ce territoire assez restreint de la Flandre française, le pluriel parvint à se glisser encore, car le gouvernement de Louis XIV fit de sa conquête deux petites provinces; la Flandre Wallonne au Sud de la Lys avec Lille, Douai et Orchies; la Flandre maritime ou "du côté de la mer" entre la Lys et la côte. Cette distinction disparue avec la Révolution, une autre naquit dans la Flandre autrichienne, divisée par la République en départements de la Lys et de l'Escaut, dont le gouvernement hollandais fit en 1815 les deux provinces de Flandre Orientale et Occidentale. Ainsi de nos jours encore il existe quatre Flandres: Française, Hollandaise, Orientale et Occidentale. Et c'est de cette division arbitraire, due aux hasards des conquêtes, que vient la survivance du pluriel, sans compter la confusion entre Flandre et pays de langue flamande, qui fait parfois appeler Flandres ou région flamande, toutes les provinces germaniques de la Belgique.


L'unité attestée par l'histoire

Rien n'autorise donc à nier l'unité géographique de la Flandre dans ces distinctions de Flandre impériale, hollandaise, française, wallonne, flamingante, dues à la situation du pays dans une contrée ouverte et riche, facile à l'invasion, au contact des deux idiomes et de deux races refluant sans cesse l'une sur l'autre. L'Histoire de Flandre, au contraire, à laquelle ces dénominations sont pourtant dues, semble prouver d'un bout à l'autre l'existence d'une Flandre homogène, durable et puissante. Ces luttes de ville à ville, Gand contre Bruges, Ypres contre Gand, qui ont frappé les historiens et leur ont inspiré des doutes sur l'unité du pays, étaient fatales au moyen-âge entre concurrentes ayant les mêmes besoins et les mêmes intérêts, dès lors jalouses et rivales; les mêmes phénomènes se retrouvent à la même époque dans les puissantes cités italiennes, et pourtant personne ne nie l'originalité géographique de la Lombardie ou de la Toscane. Quant à la durée, rares sont les provinces françaises qui ont eu si longtemps une existence distincte; pendant huit siècles, du milieu du IX° siècle à la fin du XVI° siècle, la Flandre est restée elle-même, et elle n'a commencé d'abdiquer sa personnalité que dans la gloire de donner, en la personne du Gantois Charles Quint, un maître à l'Europe. Seule en France, elle avait acquis dès le XII° siècle et retrouvé aux XIII° et XV° siècles une puissance et une richesse incomparables. Elle est encore la seule province qui ne se soit jamais laissée enserrer dans les mailles du domaine royal, malgré les tentatives d'une Philippe-Auguste, d'un Philippe le Bel, d'un Louis XI et qui ait affirmé de siècle en siècle, à Courtrai, Cassel, Roosebeke et Gavere, son autonomie à l'encontre des rois et des comtes de sang étranger. Sa personnalité s'est révélée à certaines époques jusque dans une littérature et un art originaux. Il y eut en Flandre au XV° siècle une floraison d'écrivains et d'érudits qui a peut-être contribué largement à la renaissance de l'humanisme en France, et surtout un art bien flamand, qui exprime la tranquille nature du pays, introduit le réalisme flamand dans la convention des objets sacrés, élève des monuments adaptés aux goûts et aux besoins des bourgeois de Flandre. Cette originalité intellectuelle, cette indépendance si farouchement défendue et conservée, cette puissance et cette durée, ce sont là des traits qui semblent l'expression d'un pays homogène, conscient de son unité; la présence d'une forte individualité historique est au moins une présomption que cet organisme politique s'est développé dans une région naturelle différenciée. S'il est vrai que les régions naturelles "sont celles qui conservent la plus longue durée dans l'histoire, celles qui sont aptes à atteindre le plus grand développement matériel et la plus grande force" [note de l'auteur : Barrois, Ch. : des Divisions de la Bretagne (Ann. Géog. VI, 1897, pp 23-24)], la Flandre est bien une de ces unités privilégiées.



Incertitude des limites historiques

Il est vrai que si l'histoire atteste qu'il y eut une Flandre, elle ne nous en donne guère les limites. Rien de plus variable que ces frontières politiques du comté. Au X° siècle, nous le trouvons étendu du Zwin à la Canche; Arras en est la capitale, et les pays romans y tiennent presque autant de place que les contrées germaniques. Au XI° siècle, le comte Baudoin de Lille annexe les Quatre-Métiers et le pays de Waes, franchit l'Escaut et étend ses domaines jusqu'au-delà de la Dendre. La Zélande lui appartient, et le protectorat du Hainaut; Cambrai tome entre les mains des Flamands. Puis le reflux se dessine; Philippe-Auguste met la main sur l'Artois et refoule la Flandre au-delà de Tournai; la Zélande échappe au protectorat, et la Flandre ne sauve sa liberté qu'en abandonnant la partie wallonne à la France. Même l'extrémité occidentale du West-quartier, désagrégée en douaires et apanages, semble se détacher du comté. Cependant l'expansion recommence; la politique des ducs de Bourgogne récupère la Flandre Wallonne, Philippe le Bon et Charles le téméraire portent leur frontière bien au-delà de la Canche, et l'on bataille deux siècles encore pour la possession de l'Artois. Si les frontières politiques de la Flandre ont été de bonne heure fixées au Nord et à l'Est, on peut dire que vers le Sud-Ouest le pays n'a jamais eu de limites historiques. L'histoire nous a bien révélé l'énergique vitalité de la petite patrie flamande, qui s'affirme encore aujourd'hui dans les mœurs, les sentiments religieux et les idées politiques des Flamands de France, de Belgique et de Hollande; mais elle n'a pu ni en définir les caractères géographiques, ni en fixer les limites."

 In R. BLANCHARD, Etude géographique de la plaine flamande (en France, Belgique, Hollande) - Université des Lettres de Lille, 1906

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