lundi 18 mai 2015

poliorcétique régionale : la défense de Lille par le Maréchal de Bouflers en 1708



 « Le royaume était déjà presque épuisé par de longues guerres lorsque Louis XIV entreprit la plus grande affaire de son règne, l’établissement d’un de ses petits-fils sur le trône d’Espagne. Le roi d’Espagne Charles II, frère de la reine de France Marie-Thérèse mourut sans prospérité (1700), Marie-Thérèse était morte déjà, mais Louis XIV prétendait à la succession pour ses enfants. D’ailleurs, par un testament qu’on avait su obtenir de lui, Charles II avait laissé la monarchie espagnole, qui comprenait l’Espagne, les Pays-Bas, le royaume de Naples, à un petit-fils de Louis XIV, le duc d’Anjou. Louis, malgré les périls qu’il prévoyait, accepta le testament. 

L’Europe s’effraya de la puissance que cet avènement d’un prince français au trône d’Espagne donnait à notre pays et alors commença une guerre acharnée qui se prolongea treize ans.

Les premières années, Louis XIV soutint la lutte avec avantage, les généraux français eurent pourtant affaire à de redoutables adversaires, tels que le général anglais Churchill, duc de Marlborough, et le prince Eugène de Savoie. Le maréchal de Villers gagna les deux batailles de Friedlingen et d’Hochstedt. Pendant qu’il était occupé en France à réprimer la révolte des Camisards ou protestants des Cévennes, la fortune de nos armées changea. Celles-ci avaient eu la supériorité aux Pays-Bas, en Allemagne, en Italie ; elles furent successivement obligées, devant les savantes manœuvres de Marlborough et d’Eugène, devant les rudes coups qu’ils frappèrent aux batailles de Blenheim, de Turin, de Ramillies, d’Oudenarde, de se retirer en France.

En 1708, la France fut entamée. L’importante place de Lille fut assiégée. Le maréchal de Boufflers la défendit avec une vigueur qui a rendu son nom célèbre. C’est une des belles figures de notre histoire et elle mérite qu’on s’y arrête : « L’ordre, dit Saint-Simon dans ses mémoires, l’exactitude, la vigilance, c’était où il excellait. Sa valeur était nette, modeste, naturelle, franche, froide, il voyait tout et donnait ordre à tout sous le plus grand feu, comme s’il eût été dans sa chambre. Sa bonté et sa politesse, qui ne se démentaient en aucun temps, lui gagnaient tout le monde, son équité, sa droiture, son attention à prendre conseil, sa patience à laisser débattre avec liberté, sa délicatesse à faire toujours honneur de leurs conseils, quand ils avaient réussi, à ceux qui les lui avaient donnés, et des actions à ceux qui les avaient faites, lui dévouèrent tous les cœurs. Les soins qu’il prit en arrivant pour faire durer les munitions de guerre et les vivres, l’égale proportion qu’il fit garder en tous les temps du siège, en la distribution du pain, du vin, de la viande et de tout ce qui sert à la nourriture, où il présida lui-même, et les soins infinis qu’il prit lui-même des hôpitaux, le firent adorer des troupes et des bourgeois.

« Accessible à toute heure, prévenant pour tous, il fatiguait pour tous, se trouvait partout et sans cesse voyait et disposait par lui-même. Il couchait tout habillé aux attaques et il ne se mit pas trois fois dans son lit depuis l’ouverture de la tranchée. On lui reprocha qu’il s’exposait trop ; il le faisait pour tout voir de ses yeux et pourvoir à tout à mesure ; il le faisait aussi pour l’exemple et pour sa propre inquiétude que tout allât et s’exécutât bien. Il fut légèrement blessé plusieurs fois, s’en cachait tant qu’il pouvait et n’en changeait rien à sa conduite journalière ; mais un coup à la tête l’ayant renversé, il fut porté chez lui malgré lui. On le voulut saigner, il s’y opposa de peur que cela lui ôtât des forces, et voulut sortir. Sa maison fut investie, il fut menacé par les cris des soldats, qu’ils quitteraient leurs postes s’ils le revoyaient de plus de vingt-quatre heures, il les passa assiégé chez lui, forcé à se saigner et à se reposer. Quand il reparut, on ne vit jamais tant de joie. »

Boufflers, malgré l’héroïsme de sa défense, ne put sauver la ville, mais l’ennemi, pour rendre hommage à sa valeur, lui accorda la capitulation la plus honorable. Boufflers ne crut pas tout terminé. Il avait tenu deux mois dans la ville, il se retira dans la citadelle où il tint encore deux mois. A bout de munitions et de vivres, il ne rendit la citadelle que sur un ordre écrit de la main du roi. Le prince Eugène, qui commandait l’armée ennemie, rendit les plus grands honneurs à Boufflers qui demeura libre et fut créé par Louis XIV duc et pair. Sa réception au parlement fut un triomphe : en y allant, « il trouva, dit Saint-Simon, par les rues et dans le palais, sur tout son passage, une grande foule de peuple criant et applaudissant : je ne vis jamais spectacle si beau, ni si satisfaisant, ni homme si modeste. »



In Gustave Ducoudray – Cent récits d’histoire de France – deuxième édition, Hachette, Paris, 1878, np, récit LXXXI

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