lundi 23 mars 2015

Notre-Dame de Lorette lors des combats puis dans l'immédiate après-guerre



In Guides illustrés Michelin des Champs de bataille (1914-1918) - Arras et les batailles d'Artois - Michelin et Cie, Clermont-Ferrand, 1920

Ablain-Saint-Nazaire est dominé au nord par l'éperon de Notre-Dame-de-Lorette. Un chemin qui ouvre à côté de l'église paroissiale conduit à l'endroit où était la chapelle de ce nom, sur la côte 165. On le prendra; au bout de 500 mètres environ, il n'est plus accessible aux voitures. Continuer à pied pour faire la visite, qui s'impose, du massif de Lorette. De l'endroit où l'on quitte la voiture on peut suivre des yeux, à gauche le sentier qui grimpe obliquement vers la crête dans la direction de la chapelle. Plus à droite, on aperçoit un boyau qui monte presque perpendiculairement et, dont se détache, vers le sommet, une tranchée. Cette tranche se dirige à droite vers la pente orientale du massif, d'où l'on voit le mieux le panorama des champs de bataille. On montera par le sentier de la chapelle et l'on redescendra par le boyau après avoir visité le plateau et regardé le panorama.
La croupe de Notre-Dame-de-Lorette est une longue arête de terrain qui s'étend d'ouest en est, du bois de Bouvigny au nord de Souchez et s'avance en promontoire au-dessus de la plaine de Lens jusqu'aux abords même de la région houillère. Au sommet de sa partie orientale, près du point côté sur la carte 165, s'élevait avant la guerre la chapelle de Notre-Dame-de-Lorette, lieu de pèlerinages régionaux. Tandis que les pentes nord du plateau sont relativement douces, celles du versant opposé sont très escarpées. Le massif détache successivement vers le sud-est cinq contreforts abrupts et séparés par d'étroits ravins? Vu du bas-fond d'Ablain-Saint-Nazaire, ils présentent la forme de "côtes de Melon"; tel fut, du moins, le surnom que leur donnèrent les fantassins français. Ce sont, de l'ouest à l'est, l'Eperon Mathis, le Grand Eperon, l'Eperon des Arabes, l'Eperon de la Blanche Voie, et enfin l'Eperon de Souchez qui domine à pic la sortie est d'Ablain-Saint-Nazaire et la sucrerie située sur la route de Souchez. Dès le début de la guerre des tranchées, la 10e Armée française chercha à enlever cette position.

 
En novembre 1914 et janvier 1915, le 21e corps, commandé par le général Maistre, prit pied sur l'Eperon Mathis. Le 15 mars 1915, après une lutte des plus violentes, il s'empara de l'éperon suivant ou Grand Eperon, défendu par trois lignes successives de tranchées et le conserva en dépit de contre-attaques acharnées qui dégénérèrent en corps à corps furieux. Le mois suivant enfin, le troisième éperon (des Araces) fut enlevé.
 
Après ces attaques préliminaires, se déclencha le 9 mai, l'offensive d'Artois. Le corps du général Maistre reçoit la mission de chasser l'ennemi des deux derniers éperons du massif et d'enlever la crête supérieure portant près de son rebord est la chapelle de Lorette, dont les premières tranchées françaises sont encore distantes d'environ mille mètres?
 
L'organisation allemande est formidable. De l'Eperon des Arabes à la route de Souchez à Aix-Noulette (N. 37) qui court au bas des pentes nord-est de la colline, s'échelonnent cinq lignes de tranchées profondément creusées, renforcées six mois durant de sac de terre et de sac de ciment, couvertes par des réseaux doubles ou triples de fils de fer et de chevaux de frise. De cent mètres en cent mètres, des barricades forment de puissants flanquements garnis de mitrailleuses. Plusieurs fortins et des ouvrages avancés servent de points d'appui aux défenses de ces tranchées. L'un d'eux, au nord-est de la chapelle, interdit l'accès de l'extrémité du plateau; il comprend des fossés, des grilles, des casemates et des abris de dix mètres ou plus de profondeur.
Une division d'élite, composée en majeure partie de Badois, a ordre de garder, coûte que coûte, Notre-Dame-de-Lorette, tandis qu'en arrière est dissimulée dans l'énorme agglomération d'Angres et de Liévin, une puissante artillerie, balayant d'un feu continu tout le flanc nord de la colline et le plateau lui-même.
 
La division du général Maistre, chargée de l'attaque, comprend trois régiments d'infanterie et trois bataillons de chasseurs.
 
Le 9 mai, à dix heures, les premières vagues d'assaut s'élancent, deux heures après, elles ont enlevé trois lignes de défense et sont parvenues au réduit de la position, devant le fortin de la chapelle, où, derrière un entassement de sacs à terre et d'épais blindages, les mitrailleurs allemands tirent sans discontinuer. L'attaque se brise devant cet ouvrage formidable. Les unités subissent des pertes graves, certaines compagnies ne sont bientôt plus commandées que par des sergents. La progression s'exécute par bonds d'un trou à obus à un autre. D'énormes réseaux de chevaux de frise, qui précédent dans un repli du terrain le fortin, sont restés à peu près intacts. Les chasseurs cependant ne reculent pas. Décimés, ils s'accrochent au sol tandis que les fantassins les rejoignent. On se bat à coups de grenade, de baïonnette, même à coups de couteau, tandis que les mitrailleuses allemandes ne cessent de tirer.
La nuit tombe, dit le récit officiel, éclairée par les obus et les fusées, déchirée par les cris des blessés, le fracas des explosions, le claquement des balles. Chasseurs et fantassins s'installent comme ils peuvent sur le terrain. Devant un énorme entonnoir de mine de 80 mètres de tour, ils poussent au fond les cadavres allemands et s'organisent sur les bords, derrière des parapets improvisés.
Du 10 au 12 mai, la situation reste la même. Les Français conservent tous leurs gains, les étendent même légèrement, tandis que les mitrailleuses allemandes tirent sans répit. "Il fait chaud et l'odeur est atroce. Tous les morts précédents des mois précédents, enterrés à fleur de terre, ont été projetés par les obus hors de leurs tombes. Le plateau est un charnier..." enfin, le 12 mai, à la nuit, les chasseurs bondissent, en se courbant, hors de leurs retranchements, puis se jetant à plat ventre, rampent jusqu'au fortin. Là, sous les mitrailleuses qui tirent à 75 centimètres au-dessus d'eux, ils arrachent des sacs de terre et, les appliquant sur les créneaux, ralentissent le tir ennemi. Les unités suivantes, profitant de cette accalmie, accourent et le flot passe par-dessus le parapet. A l'intérieur du fortin, dans la nuit épaisse, un corps à corps forcené s'engage. La chapelle effondrée est dépassée. Autour, c'est un inextricable enchevêtrement de souterrains, d'entonnoirs, de trous d'obus bourrés de cadavre et de matériel. Devenus ainsi maîtres de la crête du plateau de Lorette, les Français ne tiennent cependant pas encore le massif en son entier. Les Allemands résistent toujours sur les deux éperons de la Blanche-Voie et de Souchez. La pluie et les nombreuses sources prenant naissance sur la hauteur ont transformé ce terrain argileux en une boue glissante où la progression est particulièrement malaisée. Pourtant l'éperon de Souchez est peu à peu conquis les jours suivants jusqu'au point où il domine la sucrerie de Souchez. Par contre, des feux terribles de mitrailleuses brisent toutes les attaques contre la Voie-Blanche. Jusqu'au 20 mai, la ligne française décrira un vaste demi-cercle depuis l'ouest d'Ablain-Saint-Nazaire jusqu'aux flancs de l'éperon Est, en contournant l'autre contrefort. Huit jours durant, tapis dans leurs retranchements de la Blanche-Voie et dans les maisons qu'ils tiennent encore au nord et à l'est d'Ablain, les Allemands mitrailleront sans arrêt les lignes françaises tandis que les batteries d'Angres et de Liévin dirigeront tous les feux sur le haut du plateau.
 
Le 22 mai enfin, après deux journées de furieux combats, les tranchées de la Blanche-Voie sont emportées et tout le massif de Notre-Dame-de-Lorette, sauf le bas des pentes de l'éperon de Souchez, est occupé. La lutte a duré treize jours. De part et d'autre, les pertes ont été très élevées. Sur le terrain même, 3.000 cadavres allemands ont été dénombrés. A la date du 11 juillet 1915, le général d'Urbal, commandant la 10e Armée, cita en ces termes à l'ordre de l'Armée le 21e corps, ainsi que les 48e et 58e divisions : "Sous le commandement du général Maistre, ont fait preuve, au cours d'attaques renouvelées, pendant plusieurs semaines consécutives et sous un bombardement intense et continu, de jour et de nuit, de l'artillerie ennemie, d'une ténacité et d'un dévouement au-dessus de tout éloge."
Lorsque, venant d'Ablain-Saint-Nazaire, on atteint la crête du massif de Lorette, on découvre un plateau entièrement dénudé. Le sol ne forme qu'une succession d'entonnoirs et de trous d'obus où ne subsiste aucun vestige intéressant des anciennes organisations allemandes.
Quant à la chapelle, quelques assises de pierre formant le soubassement d'un de ses murs en révèlent seules l'emplacement que deux abris en tôle ondulée permettent de reconnaître à distance. Dans l'un de ces abris sont réunis trois statuettes retrouvées dans les décombres lors des déblaiements de la position.
 
De là, on gagne, à droite, à 800 mètres environ, la pente orientale d'où l'on embrasse un vaste horizon : dans le bas, les ruines informes de l'église et des maisons d'Ablain-Saint-Nazaire; derrière, celles de Carency, et au loin, les tours tronquées de Mont-Saint-Eloi; à gauche Souchez, et au-delà, les peupliers clairsemés qui bordent la route de Béthune à Arras; plus à gauche encore, dans le fond, une masse confuse de ruines: Angres, Liévin, Lens.

Après la visite de Notre-Dame-de-Lorette, 0n regagnera Ablain-Saint-Nazaire pour prendre, devant l'église, la route de Souchez, bordée au sud par le ruisseau de la Saint-Nazaire. Le terrain est complétement ravagé: c'est une succession sans fin de trous d'obus qui chevauchent les uns sur les autres. A mi-chemin, in apercevra à droite, à côté d'un cimetière militaire, un entassement de cuves effondrées, crevées par la mitraille et oxydées par la pluie. 






C'est tout ce qui subsiste de la Grande Sucrerie de Souchez qui fut transformée par les Allemands en un formidable point d'appui barrant l'accès de Souchez. Atteinte dès le 15 mai par les Français, elle ne peut être emportée que le 30, après deux journées d'âpres combats; dans la nuit suivante, les Allemands réussirent même à en prendre possession; ils en furent de nouveau et définitivement chassés au point du jour. De furieuses contre-attaques lancées au cours du mois de juin restèrent vaines et ne firent que grossir le nombre des cadavres recouvrant déjà le terrain. 
 
 
300 mètres après la Sucrerie, on arrive aux lisières ouest de Souchez, et à droite de la route, on aperçoit quelques grands arbres déchiquetés se dressant au-dessus d'un sol bouleversé et marécageux. Là s'élevait avant la guerre, au milieu d'un vaste parc, le château de Carleul (moderne), construit près des ruines d'un ancien château entouré d'eau. Puis on entre dans Souchez.


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