VII. — L'AFFAIRE DE BEERST
Le
18, un général belge, à la silhouette mince et fière, passe rapidement
en revue la garnison de Dixmude, alignée sur la chaussée en bordure du
canal. C'est le roi Albert, roi de l'Yser comme Charles VII fut un temps
celui de Bourges. Il est venu s'assurer que nous sommes prêts à
repousser de nouveaux assauts, imminents et formidables.
Et l'occasion va s'en présenter encore plus vite qu'on ne le suppose.
Pas
plus tard que le lendemain, l'ennemi attaque sur le front
Keyem-Vladsloo, qu'occupent les Belges, et ceux-ci demandent à l'amiral
d'envoyer à leur secours. Vers 9 heures du matin, le 2e régiment reçoit
ordre d'avancer dans la direction de Beerst-Keyem. Il est mené par son
chef, le capitaine de vaisseau Varney, d'une bravoure qui demeurera
proverbiale. Insuffisamment éclairé, le bataillon d'avant-garde (1er
bataillon - commandant Jeanniot) trouve Keyem déjà fortement occupé
parles Allemands, mais le village est repris à la baïonnette par la 6e
compagnie(capitaine Perlus), que va soutenir la 8e compagnie (capitaine
Hébert) du 2e bataillon (commandant Pugliesi-Conti). En même temps, la
5e compagnie (capitaine de Maussion de Candé) est envoyée vers Beerst
que nous croyons toujours au pouvoir des Belges. Or, à 400 mètres des
premières maisons, elle est littéralement fauchée, et reste collée au
sol, malgré la perte de son capitaine.
En approchant des lignes
entre Keyem et Beerst, que les Belges ont évacuées, la 8e compagnie est
également reçue par un feu nourri.
Arrivé à une ferme, vers la
petite agglomération de Kasteelhoek, M. Hébert envoie
son lieutenant, l'enseigne de vaisseau de Blois, en reconnaissance avec
les 1re et 2e sections (cette dernière oommandée par l'officier des
équipages Fossey) pendant qu'il se retranche dans la ferme, où vient le
renforcer le lieutenant de vaisseau de Roucy, avec des mitrailleuses. Un
peu plus loin, M, de Blois rencontre le commandant Jeanniot qui lui
donne l'ordre de se porter franchement en avant. Mais, au premier bond,
M. de Blois est grièvement blessé (emporté par le 2e maître Echivorel)
et M. Fossey tué. Les deux sections ne s'en accrooheront pas moins
bravement au terrain, la 1re commandée maintenant par le second maître
Carré et le quartier-maître Le Chanteur, l'autre par le 2e maître Le
Galès.
Sous le feu le plus violent, M. Hébert tenait toujours
dans sa ferme, secondé par le 2e maître Morice, un sourd, qu'il était
obligé de courber à terre par force, chaque fois qu'arrivait un obus.
Avec
le reste de son bataillon,le capitaine de frégate Pugliesi-Conti les a
rejoints. Alors, on rallie les débris des 8e et 6e compagnies, cette
dernière dont l'officier des équipages Le Pannerer a pris le
commandement, et il est enjoint à la 7e compagnie (capitaine Gamas) de
reprendre l'attaque contre Beerst, ce à quoi il procède par un mouvement
tournant des mieux réussis. En route, il recueille l'enseigne du Réau
de la Gaignonnière (resté avec la réserve de la 8e) qui, apprenant que
M. de Blois n'est plus là, court le remplacer, quoique blessé lui-même.
Grossi par les petits détachements qu'il recueille chemin faisant, M.
Gamas s'empare brillamment des premières maisons de Beerst et s'y
retranche. A lui les honneurs de la journée. Des renforts arrivent
ensuite, et le combat dure jusqu'à 5 heures du soir, où les Allemands
finissent par évacuer Beerst.
Succès chèrement acheté ! Deux
cents tués, dont le lieutenant de vaisseau de Maussion de Candé, de tout
premier ordre ; l'enseigne de vaisseau Boussey et l'officier des
équipages Fossey, deux héros. Parmi les blessés, les lieutenants de
vaisseau Pertus, qui pleurait
d'abandonner sa compagnie, de Roucy, Hébert, grand apôtre de la culture
physique et fondateur de ce collège des athlètes de Reims qui a préparé
tant de solides défenseurs de la patrie ; les enseignes du Réau de La
Gaignonnière et de Blois, lequel, sous le pseudonyme d'Avesnes, a écrit
des livres charmants que tout le monde a lus et dont le dernier paru est
un très beau roman intitulé la Vocation. Mais on avait atteint le
but, qui était de soulager le reste du front belge, et il ne pouvait
être question d'agrandir le nôtre, déjà trop large pour le petit nombre
de ses défenseurs. A 6 heures, ordre de se replier sur Dixmude, qu'on
traverse par une pluie battante, pour rentrer, vers minuit, dans les
cantonnements de Saint-Jacques-Cappelle. Ce sont de véritables arches de
Noé où les marins s'entassent pêle-mêle avec des artilleurs et des
cavaliers, et leur premier soin est de préparer un peu de café chaud.
in : Commandant Émile Vedel - "Nos marins à la guerre (sur mer et sur terre)... " , Payot, Paris,1916
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