Tel
est le cadre dans lequel va se jouer la première partie de
l'interminable bataille des Flandres, qui dure encore. L'enjeu : Calais,
que les Boches espèrent bien prendre après Anvers, et où l'empereur
Guillaume se tient prêt à faire une entrée triomphale,comme à Paris,
puis à Nancy, et partout avec le même succès. D'un côté, 250 000
Allemands qui arrivent à la façon du choléra, sous le commandement du
prince de Wurtemberg. De l'autre, nous avons vu les Belges se replier
d'Anvers sur Bruges, couverts par nos héroïques matelots, puis de Bruges
sur l'Yser. L'armée du roi Albert en occupe maintenant tout le cours
inférieur, de Dixmude à la mer, que surveillent nos troupes.
En
amont, il y a de la cavalerie française, qui sera prochainement
remplacée par une division territoriale, et, plus loin, vers Ypres,
les Anglais. Mais Dixmude reste le nœud de la position, à cause d'une
gare où se croisent les lignes Ypres-Nieuport et Furnes-Gand.
C'est
pourquoi on en confie la défense à la brigade navale, avec ordre de
tenir coûte que coûte — le mot reviendra souvent dans ses fastes —
pendant au moins quatre jours, le temps qu'arrivent des renforts. Aucun
retranchement préparé.
Comme artillerie, des pièces de campagne
belges, incapables de riposter aux écrasantes batteries lourdes que les
Allemands vont amener, et toujours à court de munitions, hélas !
D'ailleurs ni avions, ni ballons captifs pour régler le tir, et absence
complète de tout service de renseignements.
La brigade belge du
général Meyser, réduite à 5 000 hommes, coopérera efficacement à la
résistance, il est vrai. Ajoutons-y quelques goumiers, avec de grands
manteaux rouges et des petits chevaux arabes, assez imprévus sur les
routes de Flandre, aux arbres dénudés. Mais l'amiral Ronarc'h n'en aura
pas moins un front de 7 kilomètres à garnir avec seulement six
bataillons, alors que le double serait nécessaire. Ce qui n'empêchera
pas ses marins d'y rester cramponnés trois semaines en plus des quatre
jours demandés, et quand, diminués de moitié, ils devront évacuer la
bicoque en ruines qui a fini par leur crouler sur le dos, ce ne sera que
pour passer le pont et recommencer. Aussi le général Joffre les
appellera-t-il sa « garde » à lui, déclarant qu'il ne les céderait pas
contre 20 000 n'importe quels autres.
« Jeudi 15 octobre. — Nous
arrivons à Dixmude vers 9 h. 30 du matin, au milieu d'un encombrement
indicible. Campé, pour déjeuner, dans un champ labouré et détrempé à la
sortie ouest de la ville, passé l'Yser. (Journal du lieutenant de
vaisseau Cantener.) A midi, nous traversons la ville en sens inverse
pour établir, aux abords, des tranchées défensives. Le secteur nord est
dévolu au 3e bataillon du 1er régiment (commandant Rabot) et à ma 11e
compagnie revient la portion comprise entre la route de Keyem et le
canal d'Handzaeme (qui se jette dans l'Yser, à Dixmude même).
Heureusement, nous ne perdons pas de temps, car à peine nos tranchées
sont-elles couvertes, à la chute du jour, que nous recevons une première
volée de balles et de shrapnells. *-
«Vendredi 16. - Perfectionné nos tranchées.
Les pauvres fermiers, dont nous occupons terres et granges, font en hâte leurs paquets et se sauvent.
Nous avons déjà cuisiné leur basse-cour. C'est la dernière fois que nous payerons nos réquisitions.
Nous ne trouverons plus ensuite que du bétail à l'abandon. Le soir, grosse attaque des Allemands.
A
4 heures du matin, le docteur Chastang trouve un espion rôdant au fond
d'un fossé qui longe nos lignes. J'ai bien regretté de ne pas l'avoir
fait fusiller sur place, au lieu de le remettre à la gendarmerie belge
qui le relâchera peut-être. »
C'est ainsi que la brigade prit terre à Dixmude.
L'amiral
en partagea aussitôt la garde entre ses deux régiments : le premier,
chargé de la zone située au Nord du diamètre Caeskerke-Dixmudecanal
d'Handzaeme ; le second, de la partie restant au Sud de la même ligne.
Comme on vient de le voir, le plus pressé fut de creuser, à 500 mètres
en avant de la ville, un demi-cercle de retranchements dont les deux
extrémités s'appuyaient à l'Yser. La rive gauche du canal, également
fortifiée, abritait réserves, artillerie, convoi, munitions, poste de
commandement, et assurait la retraite.
Les mitrailleuses du
lieutenant de vaisseau de Meynard, toujours traînées à bras par leurs
infatigables servants, demeurèrent groupées au centre de la défense,
prêtes à se porter où besoin s'en ferait
sentir. En réalité, c'était presque uniquement avec des poitrines
d'hommes qu'on allait barrer le passage aux Allemands, mais d'hommes
accoutumés à braver la colère de tous les éléments.
in : Commandant Émile Vedel - "Nos marins à la guerre (sur mer et sur terre)... " , Payot, Paris,1916
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