jeudi 26 février 2015

L'épopée des Fusiliers-marins : VI - tenir coûte que coûte quatre jours

VI. - TENIR COUTE QUE COUTE PENDANT QUATRE JOURS
Tel est le cadre dans lequel va se jouer la première partie de l'interminable bataille des Flandres, qui dure encore. L'enjeu : Calais, que les Boches espèrent bien prendre après Anvers, et où l'empereur Guillaume se tient prêt à faire une entrée triomphale,comme à Paris, puis à Nancy, et partout avec le même succès. D'un côté, 250 000 Allemands qui arrivent à la façon du choléra, sous le commandement du prince de Wurtemberg. De l'autre, nous avons vu les Belges se replier d'Anvers sur Bruges, couverts par nos héroïques matelots, puis de Bruges sur l'Yser. L'armée du roi Albert en occupe maintenant tout le cours inférieur, de Dixmude à la mer, que surveillent nos troupes. 
 
En amont, il y a de la cavalerie française, qui sera prochainement remplacée par une division territoriale, et, plus loin, vers Ypres, les Anglais. Mais Dixmude reste le nœud de la position, à cause d'une gare où se croisent les lignes Ypres-Nieuport et Furnes-Gand. 
 
C'est pourquoi on en confie la défense à la brigade navale, avec ordre de tenir coûte que coûte — le mot reviendra souvent dans ses fastes — pendant au moins quatre jours, le temps qu'arrivent des renforts. Aucun retranchement préparé. 
 
Comme artillerie, des pièces de campagne belges, incapables de riposter aux écrasantes batteries lourdes que les Allemands vont amener, et toujours à court de munitions, hélas ! D'ailleurs ni avions, ni ballons captifs pour régler le tir, et absence complète de tout service de renseignements. 
 
La brigade belge du général Meyser, réduite à 5 000 hommes, coopérera efficacement à la résistance, il est vrai. Ajoutons-y quelques goumiers, avec de grands manteaux rouges et des petits chevaux arabes, assez imprévus sur les routes de Flandre, aux arbres dénudés. Mais l'amiral Ronarc'h n'en aura pas moins un front de 7 kilomètres à garnir avec seulement six bataillons, alors que le double serait nécessaire. Ce qui n'empêchera pas ses marins d'y rester cramponnés trois semaines en plus des quatre jours demandés, et quand, diminués de moitié, ils devront évacuer la bicoque en ruines qui a fini par leur crouler sur le dos, ce ne sera que pour passer le pont et recommencer. Aussi le général Joffre les appellera-t-il sa « garde » à lui, déclarant qu'il ne les céderait pas contre 20 000 n'importe quels autres. 
 
« Jeudi 15 octobre. — Nous arrivons à Dixmude vers 9 h. 30 du matin, au milieu d'un encombrement indicible. Campé, pour déjeuner, dans un champ labouré et détrempé à la sortie ouest de la ville, passé l'Yser. (Journal du lieutenant de vaisseau Cantener.) A midi, nous traversons la ville en sens inverse pour établir, aux abords, des tranchées défensives. Le secteur nord est dévolu au 3e bataillon du 1er régiment (commandant Rabot) et à ma 11e compagnie revient la portion comprise entre la route de Keyem et le canal d'Handzaeme (qui se jette dans l'Yser, à Dixmude même). Heureusement, nous ne perdons pas de temps, car à peine nos tranchées sont-elles couvertes, à la chute du jour, que nous recevons une première volée de balles et de shrapnells. *- 
 
«Vendredi 16. - Perfectionné nos tranchées.
Les pauvres fermiers, dont nous occupons terres et granges, font en hâte leurs paquets et se sauvent.
Nous avons déjà cuisiné leur basse-cour. C'est la dernière fois que nous payerons nos réquisitions.
Nous ne trouverons plus ensuite que du bétail à l'abandon. Le soir, grosse attaque des Allemands.
A 4 heures du matin, le docteur Chastang trouve un espion rôdant au fond d'un fossé qui longe nos lignes. J'ai bien regretté de ne pas l'avoir fait fusiller sur place, au lieu de le remettre à la gendarmerie belge qui le relâchera peut-être. » 
 
C'est ainsi que la brigade prit terre à Dixmude.
L'amiral en partagea aussitôt la garde entre ses deux régiments : le premier, chargé de la zone située au Nord du diamètre Caeskerke-Dixmudecanal d'Handzaeme ; le second, de la partie restant au Sud de la même ligne. Comme on vient de le voir, le plus pressé fut de creuser, à 500 mètres en avant de la ville, un demi-cercle de retranchements dont les deux extrémités s'appuyaient à l'Yser. La rive gauche du canal, également fortifiée, abritait réserves, artillerie, convoi, munitions, poste de commandement, et assurait la retraite. 
 
Les mitrailleuses du lieutenant de vaisseau de Meynard, toujours traînées à bras par leurs infatigables servants, demeurèrent groupées au centre de la défense, prêtes à se porter où besoin s'en ferait sentir. En réalité, c'était presque uniquement avec des poitrines d'hommes qu'on allait barrer le passage aux Allemands, mais d'hommes accoutumés à braver la colère de tous les éléments. 

 in : Commandant Émile Vedel -  "Nos marins à la guerre (sur mer et sur terre)... " , Payot, Paris,1916

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