Dixmude
est — ou était plutôt, car il n'en reste qu'un monceau de décombres —
une paisible petite ville de 4 000 âmes. Jadis port mouvementé, quand
l'Yser y creusait son estuaire (aujourd'hui reculé jusqu'à Nieuport),
ensuite place de guerre, elle a connu des fortunes plus brillantes,
avant de se voir réduite à la silencieuse quiétude d'un marché au
beurre. De ce temps-là datent la grand'place, l'église Saint-Nicolas,
célèbre par les merveilleuses ciselures d'un jubé où fleurissent toutes
les mignardises de la Renaissance, et un béguinage blanc et rose, mais
d'un rose délicieusement passé, près d'un pont rouillé-qui se mire dans
une eau dormante, entre des quais aux pierres disjointes et couvertes
de saxifrages. Une vieille maison décorée d'ancres en fer forgé, à
l'enseigne du Papegai (Perroquet), reste le seul souvenir de son passé
maritime.
A part un faubourg, auquel la relie un pontroute,
Dixmude est tout entière bâtie sur la rive droite de l'Yser canalisé, et
dresse — je veux dire dressait - son beffroi gothique au centre d'une
plaine basse et marécageuse, le schoore, que des centaines de petits
fossés divisent en champs minuscules. Là dedans paissent les nombreux
troupeaux, source du beurre tant vanté en Angleterre. Abandonnées par
leurs maîtres qui ont dû s'enfuir précipitamment devant l'invasion, les
malheureuses bêtes erreront entre les Allemands et nous jusqu'à ce
qu'elles aient été toutes mangées, et occasionneront plus d'une alerte
nocturne. Quant à l'Yser, il roule ses flots limoneux entre deux digues
surélevées, comme le sont aussi les chemins et villages du pays, afin de
ne pas être submergés à la moindre averse. Peu d'arbres, sauf le long
des routes, mais beaucoup de moulins. Chose curieuse, leurs ailes se
remettront à tourner après l'exode des meuniers, et cela chaque fois que
nos marins esquisseront un mouvement quelconque. Car, des espions,
l'ennemi a trouvé le moyen d'en avoir partout. A quelques centaines de
mètres dans le Sud de Dixmude est le cimetière, où nous serons obligés
de nous retrancher. Il s'y passera des scènes dignes de figurer dans une
nouvelle Danse Macabre ; entre autres lorsqu'une « marmite » déterrera
le cercueil d'une jeune fille, dont les marins horrifiés verront sauter
le pauvre corps en pleine décomposition.
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in : Commandant Émile Vedel - "Nos marins à la guerre (sur mer et sur terre)... " , Payot, Paris,1916
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