jeudi 26 février 2015

L'épopée des Fusiliers-marins : V - arrivée à Dixmude

V. — ARRIVÉE A DIXMUDE
Dixmude est — ou était plutôt, car il n'en reste qu'un monceau de décombres — une paisible petite ville de 4 000 âmes. Jadis port mouvementé, quand l'Yser y creusait son estuaire (aujourd'hui reculé jusqu'à Nieuport), ensuite place de guerre, elle a connu des fortunes plus brillantes, avant de se voir réduite à la silencieuse quiétude d'un marché au beurre. De ce temps-là datent la grand'place, l'église Saint-Nicolas, célèbre par les merveilleuses ciselures d'un jubé où fleurissent toutes les mignardises de la Renaissance, et un béguinage blanc et rose, mais d'un rose délicieusement passé, près d'un pont rouillé-qui se mire dans une eau dormante, entre des quais aux pierres disjointes et couvertes de saxifrages. Une vieille maison décorée d'ancres en fer forgé, à l'enseigne du Papegai (Perroquet), reste le seul souvenir de son passé maritime. 
 
A part un faubourg, auquel la relie un pontroute, Dixmude est tout entière bâtie sur la rive droite de l'Yser canalisé, et dresse — je veux dire dressait - son beffroi gothique au centre d'une plaine basse et marécageuse, le schoore, que des centaines de petits fossés divisent en champs minuscules. Là dedans paissent les nombreux troupeaux, source du beurre tant vanté en Angleterre. Abandonnées par leurs maîtres qui ont dû s'enfuir précipitamment devant l'invasion, les malheureuses bêtes erreront entre les Allemands et nous jusqu'à ce qu'elles aient été toutes mangées, et occasionneront plus d'une alerte nocturne. Quant à l'Yser, il roule ses flots limoneux entre deux digues surélevées, comme le sont aussi les chemins et villages du pays, afin de ne pas être submergés à la moindre averse. Peu d'arbres, sauf le long des routes, mais beaucoup de moulins. Chose curieuse, leurs ailes se remettront à tourner après l'exode des meuniers, et cela chaque fois que nos marins esquisseront un mouvement quelconque. Car, des espions, l'ennemi a trouvé le moyen d'en avoir partout. A quelques centaines de mètres dans le Sud de Dixmude est le cimetière, où nous serons obligés de nous retrancher. Il s'y passera des scènes dignes de figurer dans une nouvelle Danse Macabre ; entre autres lorsqu'une « marmite » déterrera le cercueil d'une jeune fille, dont les marins horrifiés verront sauter le pauvre corps en pleine décomposition.
 in : Commandant Émile Vedel -  "Nos marins à la guerre (sur mer et sur terre)... " , Payot, Paris,1916

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