Ce fut la 1re
compagnie du 1er bataillon (2e régiment) qui eut l'étrenne des
Allemands. Déployée entre Gontrode et Quadrecht, elle tint bon jusqu'au
moment où de grosses pertes — dont son capitaine, le lieutenant de
vaisseau Le Douget, un des premiers tués de la brigade — l'obligèrent à
se replier.
Il s'agit alors de gagner, avant les Allemands, le
talus que forme la ligne du chemin de fer de Gand à Termonde. Le
commandant Pugliesi-Conti (2e bataillon du 2e régiment) se met à la tête
de la 8e compagnie (capitaine Hébert) et l'occupe sous un arrosage des
plus abondants. Avec le renfort du 3e bataillon (commandant Mauros), on
repousse toutes les attaques de l'ennemi qui, surpris d'une pareille
résistance, fait mine de se retirer vers le soir, en abandonnant
plusieurs centaines de cadavres sur le terrain. Ce n'est, bien entendu,
que pour revenir un peu plus tard et beaucoup plus nombreux. Seulement,
cette fois, profitant de la nuit noire, les Allemands essayent de se
présenter en amis : « Ne tirez pas, disent-ils, nous sommes des Anglais.
» Comme les nôtres ne sont pas encore au fait de leurs ruses
diaboliques, ils éprouvent quelque hésitation : « Envoyez-nous quelqu'un
», leur répond le commandant Mauros.
Et, personne ne se présentant, le feu est ouvert.
Il
n'était que temps. Déjà, ils ont réussi à surprendre un quartier-maître
mécanicien qu'ils assomment à coups de crosse, parce qu'il refuse de
crier à ses camarades de ne pas tirer. Le quartier-maître devint par la
suite le héros d'une véritable odyssée que nous ne résistons pas au
plaisir de résumer en quelques mots. Conduit devant un officier
supérieur bavarois (c'était à un corps de sa nation que nos marins
avaient affaire) et interrogé sur nos forces, avec menace d'être fusillé
s'il ne s'exécutait pas, il regarda l'officier bien en face et lui
demanda : « Et vous, si vous étiez prisonnier, et qu'on vous posât la
même question, est-ce que vous répondriez?» L'autre fut désarmé par cette
fière présence d'esprit : « Tu es un brave », fit-il en lui tapant sur
l'épaule, et il l'envoya à l'hôpital dans une grande ville belge, où
d'héroïques bonnes sœurs risquèrent tout pour lui fournir un déguisement
sous lequel notre homme parvint à gagner Anvers d'abord, puis la
Hollande. De là, il rentra en France et n'eut rien de plus pressé que de
retourner sur le front. On comprendra pourquoi nous nous abstenons de
le désigner, non plus que les religieuses qui l'ont fait évader. Si nous
le connaissions, nous nous garderions encore davantage de citer le nom
de l'officier bavarois, par crainte de le desservir auprès de chefs qui
ne lui pardonneraient certainement pas de ne pas avoir achevé un blessé
quand il se refusait à trahir son pays.
La fusillade dura toute
la nuit, accompagnée par le grondement de l'artillerie belge, établie
près de Meirelbeke, qui répondait aux batteries ennemies. Dans le
lointain s'allumaient des lueurs sinistres : fermes incendiées,
Allemands brûlant leurs morts, meules se mettant à flamber comme des
torches. Et, inlassablement, à rangs serrés, compagnies après
compagnies, les Bavarois montaient à l'assaut de nos tranchées. Quand
ils n'étaient plus qu'à 10 mètres, les marins sortaient, chargeaient à
la baïonnette, et rentraient jusqu'à la prochaine alerte. C'étaient de
vraies luttes homériques, où les apostrophes ne manquaient même pas,
d'effroyables corps à corps dans lesquels on ne faisait ni quartier ni
prisonniers. Au petit jour, l'attaque ayant cessé, ordre fut reçu de
réoccuper Gontrode, résultat que l'on obtint presque sans coup férir,
tellement l'ennemi était las. En avançant, nos hommes trouvèrent entre
autres morts un officier bavarois, à demi dévoré par les porcs. C'était
le même que, la veille au soir, le Dr Chastang (méd. de 1re cl. de la
marine) avait été soigner au péril de sa vie, ce dont les Allemands
avaient immédiatement pris avantage pour tirer sur lui.
Entre
temps, une division anglaise débarquait à Gand, et envoyait au fur et à
mesure des renforts sur la ligne qu'occupait notre 1er régiment, de
l'autre bord de l'Escaut. On y redoutait un mouvement tournant qui eût mis
en péril la retraite de l'armée belge, alors en pleine marche sur
Eecloo.
Mais nos adversaires avaient des moyens d'informations
dont nous manquions. Un Taube d'abord, puis une automitrailleuse,
opérèrent des reconnaissances complétées par des espions soi-disant
belges.
Voyant leur manœuvre déjouée, ils se rabattirent du côté où nous étions restés les plus faibles.
Attaqués
avec plus de violence que jamais, les fusiliers marins du 2e régiment
furent contraints d'évacuer Gontrode pour la seconde fois, et de se
rabattre sur la voie ferrée, comme le soir précédent. Ils y étaient à
peine quand se leva une brume qui faillit leur devenir fatale, en
permettant aux Allemands de s'approcher sans être signalés. On perçut,
heureusement, le coup de sifflet d'un de leurs sous-officiers, et quand
ils escaladèrent le talus du chemin de fer, précédés par une espèce de
géant roux, ils furent reçus par une décharge à bout portant qui les
faucha comme blé mûr. Dans leur épouvante, ils firent des marins une
nouvelle espèce de diables, les « diables bleus », à ajouter aux «
diables noirs » déjà représentés par nos incomparables chasseurs, et le
reste de la nuit se passa un peu plus tranquillement. Ils n'avaient qu'à
attendre d'être cent contre un, ce qui ne tarderait pas, maintenant
qu'ils pouvaient disposer de toutes les forces précédemment retenues
autour d'Anvers.
Nous avions atteint notre but. L'armée belge
était désormais sauve, et cela, on ne le dira jamais assez haut, grâce à
nos braves petits matelots qui, pour leur coup d'essai, venaient de
tenir les Boches en respect aussi longtemps qu'il l'avait fallu.
Mais
les troupes rassemblées autour de Gand ne formaient plus qu'un îlot
complètement isolé, tandis que la marée ennemie gagnait sur les deux
rives de l'Escaut, menaçant de tout envelopper. En ce qui concernait
plus spécialement la brigade navale, il allait y avoir deux jours et
deux nuits qu'elle se battait sans trêve ni relâche, sans dormir et ne
trouvant même pas le temps de manger.
Pour toutes ces raisons, le
11 octobre au matin, il fut décidé que la retraite s'opérerait à la
faveur de la nuit, et qu'elle serait commencée par les fusiliers marins,
que des Anglais viendraient relever afin de permettre leur « décrochage
».
in : Commandant Émile Vedel - "Nos marins à la guerre (sur mer et sur terre)... " , Payot, Paris,1916
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