vendredi 27 février 2015

chronique flamande : histoire d'une fille de Masnière (1595)




in "Chroniques et traditions surnaturelles de la Flandre". 3  par M. S.-Henry Berthoud ; publiées par M. Ch. Lemesle, Werdet éditeur, Paris 1831-1834
 



HISTOIRE D'UNE FILLE DE MASNIÈRES
Qui mourut, possédée du démon, le jour des Trépassés de l'an 1590.

Vado rétro Satanas !

FORMULE D'EXORCISME.

Le curieux récit qu'on va lire est traduit textuellement et avec une scrupuleuse fidélité de l'ouvrage latin : Disquisitionum magicarum Ubri sex, par le R. P. Martin DEL-RIO, gros in-4° imprimé sur deux colonnes et devenu assez rare.


.... « Il arriva au même père une aventure singulière , digne d'attention, et dont il n'est jamais advenu de semblable. Mais la personne chez qui elle eut lieu, et tant d'autres témoins affirment qu'ils Font vue de leurs yeux et ouïe de leurs oreilles, qu'il faut les croire de même qu'aux choses qui sont révélées en confession Voici comment la chose est arrivée.

« Une petite Indienne, âgée de seize années environ, que l'on avait prise à la guerre, était élevée chez la femme du seigneur de Masnières ; elle avait été baptisée sous le nom de Catherine. A mesure qu'elle avançait en âge , il se développait chez elle un esprit d'insubordination et de libertinage, de sorte quesamaîtresse dut à diverses reprises la réprimander et la châtier. Elle vint à ce degré de corruption d'avoir en secret plusieurs amans. Sanssnéanmoins s'abstenir du sacrement de pénitence, elle ne dit jamais ce péché, ne metricula aut perdais moribus haberetur.

« Tombée malade, au mois d'octobre 1590, elle fit appeler un prêtre pour se confesser mais elle le fit avec des réticences ; et à deux fois différentes, lorsque le prêtre s'en fut en allé , elle se mit à se moquer de lui, en présence des autres femmes, disant à peu-près : — «Ce que j'ai fait est bien autre chose que les péchés avoués par moi. Elle ajouta d'autres propos déshonnêtes qui firent honte à ses compagnes; elles allèrent les rapporter à leur maîtresse. Celle-ci vint en reprendre Catherine comme elle le méritait, et s'appaisant enfin, lui demanda quels étaient ces péchés qu'elle n'avait point voulu avouer au père. Catherine les conta sans difficulté ; elle ajouta : Toutes les fois que j'ai fait appeler un prêtre, j'ai vu à ma gauche une espèce de nègre qui m'engageait à ne point dire ces péchés tous véniels au plus, et qui pourraient me faire passer pour une débauchée aux yeux du Père.


« A ma droite, au contraire, se tenait sainte Marie-Magdeleine qui m'exhortait à tout avouer sans contrainte.

Le prêtre fut appelé de nouveau; et la maîtresse de Catherine lui conta ce qui en était. Il essaya donc de faire faire à la malade une confession complète ; mais plus il l'y exhortait, plus elle devenait obstinée. Elle alla même jusqu'à vouloir renier le nom de Dieu. Une autre fois, comme on lui présentait un crucifix pour qu'elle portât les yeux sur cette image sainte, et élevât son ame au Seigneur, elle répondit avec indignation , et avec un trouble extrême : Je le sais bien, mais que voulez - vous que je fasse? — Que vous vous tourniez vers le crucifix, répliqua sa maîtresse, vers le Christ, qui vous pardonnera vos fautes, si vous les avouez. — Cessez, répondit Catherine, cessez de me tourmenter, je vous en supplie. Sa maîtresse s'en alla; et la malade se mit à se vanter de ses intrigues et de sa dépravation, ce qui dura plusieurs jours; jusqu'à celui des Trépassés, où sa maîtresse et ses femmes l'entendirent s'écrier : Je suis au supplice ! mon ame a des angoisses cruelles pour avoir péché par luxure. Et depuis cette heure jusqu'au milieu de la nuit, son corps devint raide, on la crut morte, et on songea à l'ensevelir

Trois heures auparavant, on lui avait présenté une croix et un cierge béni, en l'exhortant à invoquer le nom de Dieu. Qui donc est-il? dit-elle. Je ne le connais point. Et se plaçant a l'autre bout de son lit, elle se mit à parler avec quelqu'un que l'on ne voyait pas. Une autre femme qui, malade également,
logeait dans la même chambre, supplia sa maîtresse de lui permettre de coucher autre part. Elle voyait, disait-elle, des spectres noirs qui la glaçaient d'effroi. La nuit où Catherine mourut, toute la maison fut remplie d'une odeur si puante qu'il fallut mettre le cadavre en plein air dans le vestibule. Le frère de la maîtresse du château fut tiré de son lit par un bras mystérieux. Une servante reçut aux épaules comme un coup de soulier. Elle en porta la marque plusieurs jours. Un cheval fort paisible d'ordinaire, devint furieux et courut çà et là toute la nuit, faisant retentir le pavé sous ses pieds. Il en fut de même des chiens qui ne cessèrent ni d'aboyer ni d'errer. Après l'inhumation du corps, une domestique en entrant dans la chambre funèbre sentit jeter sur elle un vase placé sur une tablette élevée. Personne n'était pourtant dans cet endroit.

« En outre , presque tout le village vit des tuiles et du chaume enlevés avec un grand bruit à plus de deux mille pas de là.

« Une autre servante, en présence d'un grand nombre de spectateurs , fut traînée fort loin par les pieds, sans que l'on vît celui qui la traînait. Le 7 novembre, une femme étant dans le vestibule pour y prendre un vêtement, vit Catherine se dresser sur ses pieds et saisir un vase pour le lui jeter à la tête. Le vase frappa si fort contre le mur qu'il s'y brisa en cent morceaux.




« Le lendemain, on mit dans le vestibule une image de papier, où était représentée une croix. Elle fut aussitôt arrachée devant tout le monde, et déchirée en trois pièces. Le même jour, tandis que la dame du château soupait dans son jardin, une brique fut lancée au milieu d'un plat et renversa la table. En même temps, un enfant de quatre ans se mettait à crier : Ma mère, ma mère, Catherine est là qui m'étouffe Tout cela obligea la dame à quitter son château, le laissant à la garde de quelques servantes.

« Le dix du même mois , une servante entra dans la cuisine, pour y prendre un objet indispensable. La voix de Catherine l'appela trois fois. Elle s'enfuit pleine de frayeur; mais ses compagnes, l'ayant exhortée à retourner dans la cuisine, en invoquant le nom du Seigneur, et en s'armant d'un cierge béni, elle se fit accompagner des deux plus résolues. La trépassée lui enjoignit de les renvoyer, de jeter le cierge béni qui lui faisait mal, et de rester seule avec elle.

 « Catherine exhalait des flammes infectes de toutes les jointures de son corps. Sa tête et ses pieds étaient en feu. Son corps était enveloppé d'une bandelette de feu haute de dix doigts : cette bandelette tombait jusqu'à terre. A là vue de ce revenant, la servante devint pâle et tremblante.—Combien de fois t'ai-je appelée? lui demanda le spectre. Mon Dieu, répliqua la pauvre fille, qui n'aurait horreur de votre aspect ?

« Tandis qu'elle parlait, un enfant d'une rare beauté, et vêtu d'une robe blanche, apparut tout-à-coup , exhorta la servante à s'armer de courage et à écouter attentivement ce que lui dirait Catherine »

« La réprouvée fit alors une longue exhortation à son ancienne compagne et l'exhorta à la vertu.

— «Je vous donne ces conseils malgré moi, ajouta-t-elle, mais j'y suis forcée; il faut que je vous montre ce que je suis devenue, et que mon exemple vous serve. »

« La cloche de l'angelus sonna sur ces entrefaites , la trépassée se retira dans un angle de la chambre et s'évanouit. L'ange , car la servante crut que le bel enfant était un ange , ordonna à cette fille d'aller raconter à ses compagnes ce qu'elle avait vu. Elle obéit. »



Tel est ce récit bizarre, traduit avec une consciencieuse exactitude. Seulement, il a fallu parfois élaguer des détails ennuyeux. Des points ont indiqué ces suppressions.

L'ouvrage du P. Martin, Del-Piio, contient encore beaucoup de prodiges non moins merveilleux et non moins absurdes. Comme ils n'auraient point, de même que celui-ci, pour nos lecteurs l'intérêt de la localité et de l'àpropos, nous bornerons là nos extraits des Disquisitionum magicarum libri sex.

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