vendredi 17 mars 2017

Dunkerque, la mise en place de la forteresse de Frisius



In A. Chatelle & L. Moreel « Dunkerque libérée, juin 1944-mai 1945 », éditions SILIC, Lille, 1954, 203 p., pp. 68-70

« D’ouest en est, la poche allemande s’étend sur 20 kilomètres de côtes, de Mardyck à Bray-Dunes. Au sud, elle atteint les abords de Bergues. Elle affecte la forme d’un rectangle de vingt kilomètres sur huit, dont une grande partie est submergée.
S’il est une place qui justifie la « promotion » au titre de forteresse (comme disaient avec ironie Von Rundstedt et con état-major ) dont le Führer s’est plu à honorer les ports qui jalonnent le mur de l’Atlantique, c’est bien sans conteste Dunkerque. Lorsqu’après la guerre, l’on fit l’inventaire des défenses de la côte de la Mer du Nord, on trouva le secteur littéralement truffé de batteries de tous calibres, allant jusqu’au 210. De Zuydcoote à Fort-Mardyck, ce n’était pratiquement qu’une batterie continue. Le secteur de la pointe du Clipon, tombé entre les mains des Canadiens après la chute de Gravelines, ne comportait pas moins de 19 pièces de 210 : la batterie des Dunes, avec six canons pouvant tirer sur tout l’horizon, la batterie de la Chapelle, avec neuf pièces, la batterie de la ferme Masson, aux Huttes, avec quatre 210. A Loon-Plage, il y avait quatre 155. Plus, bien entendu, toute la DCA, radar, postes de direction de tir sous béton, nids de mitrailleuses, champs de mines, etc… A juste titre, les Allemands avaient particulièrement fortifié cette pointe de terre qui commande étroitement l’entrée du chenal de Dunkerque.
  
Déjà en 1940, sitôt forcé le passage de l’Aa à Gravelines, ils s’étaient empressés de mettre en position au Clipon leur artillerie de 105 tractée pour interdire le chenal ouest de Dunkerque aux navires de l’évacuation. Ceux-ci avaient dû en conséquence prendre la route directe à travers les bancs, ce qui ne leur évitait pas d’ailleurs de passer sous le feu allemand car ils devaient tourner à la bouée 6 W, presque en face de Mardyck.
Cette puissante artillerie du Clipon ne nous intéresse déjà plus. Elle est tombée aux mains de la 2e Division Canadienne, et c’est maintenant le colonel Leakey, commandant le 7th royal tank régional britannique qui a établi son PC dans l’énorme blockhaus édifié à la sortie de Loon-Plage.
Mais l’amiral Frisius en a de reste pour se défendre. Il n’est pas nécessaire d’infliger au lecteur la longue et fastidieuse énumération des pièces de tout calibre qui lui permettent encore de battre profondément la périphérie du camp retranché de Loon-Plage à Socx, Quaedypre, Hondschoote et Adinkerke. (…)
 
On evaluait au début d’octobre (1944) les forces de Frisius à plus de 13.000 hommes. C’était bien plus que le maréchal Montgomery n’avait l’intention de laisser en barrage devant Dunkerque, lorsqu’il avait donné l’ordre au général Crerar, le 27 septembre, de pousser toutes ses forces le plus vite possible en direction des bouches de l’Escaut. Nous verrons tout à l’heure de quoi se composent ces forces d’investissement et comment elles vont s’accroitre progressivement sans atteindre jamais le chiffre des forces allemandes qui compteront encore au moment de la reddition, 12.000 hommes dont 2.000 appartenant à des formations de SS.
Or, au début du mois de septembre 1944, lorsque Von Zangen avait commencé sa retraite vers l’Escaut maritime, la garnison allemande de Dunkerque s’élevait à peine à 3.000 hommes. Si le 21e Groupe d’Armées avait pu lancer une partie de ses forces directement sur Dunkerque au moment de son avance sur Anvers, il est vraisemblable que la place serait tombée presque sans coup férir. Les passages de la Lys avaient été forcés dès le 6, et la presque totalité des Flandres françaises libérées. Au prix d’un dernier effort, on pouvait peut-être atteindre Dunkerque et couper du même coup de l’Escaut une partie de la 15e Armée allemande.
(…)
 
Au contraire, Montgomery, en 1944, a comme objectif essentiel Anvers et la côte belge. En poussant ainsi vers le Nord-Est, il a laissé plus de champ à Von Zangen pour sa retraite, et nous savons comment celui-ci en a profité. D’autre part, la Iere Armée canadienne n’est pas assez forte pour mener de front l’attaque du Havre qui va retenir tout le Ier Corps jusqu’au 12 septembre, et celle des ports du Nord, qui sera l’œuvre du IIe Corps.  C’est pourquoi Boulogne et Calais ont été attaqués l’un après l’autre. Il eût peut-être été d’un meilleur rendement de commencer par Dunkerque qui se trouvait, à cette époque, la place la moins garnie de troupes. Mais Boulogne et Calais, c’était les grosses batteries de Gris-Nez, les aires de lancement des V-1, et nous savons ce que cela représentait de terrifiant pour les Anglais.
 

Pendant tout ce mois de septembre, les choses ont changé à Dunkerque. Dès avril 1944, la Kriegsmarine avait procédé – au Freycinet VI – à de savant essais de destruction. Les pionniers enfoncèrent à 2 m.50 de profondeur, tous les 20 mètres, des obus de 70 centimètres de diamètre. Ils les placèrent à trois mètres des quais. Leurs premières tentatives n’ayant pas donné les résultats escomptés, ils augmentèrent les charges des explosifs et les enterrèrent plus profondément.
Des brèches de 26 mètres de longueur et de 12 mètres de largueur s’ouvrirent dans les quais lors de chaque explosion. Ils parvinrent par la suite à les détruire systématiquement.
L’amiral Frisius qui s’attendait à subir l’assaut allié avait donné l’ordre de poursuivre les démolitions portuaires, tandis que ses forces s’accroissaient rapidement. De Boulogne et de Calais, il lui arriva 2 à 3.000 hommes. Il s’en replia d’Ostende, de Nieuport. Finalement, tout ce qui n’avait pas réussi à gagner la poche de Breskens revint faire tête sur Dunkerque, exactement comme les armées alliées en 1940. Non plus pour s’échapper par mer, les Allemands n’en avaient pas les moyens, mais avec l’ordre d’y résister jusqu’au bout. »

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