mercredi 17 février 2016

quand il pleut en enfer (en février au camp de Grande-Synthe)

Les anciens Germains comme les Scandinaves ne voyaient pas l'enfer comme un feu ardent qui consume les chairs. Pour eux, la punition éternelle était un séjour des morts dans un marécage, froid, humide et soumis à la nuit perpétuelle... Le camp de réfugiés de Grande-Synthe en donne un aperçu saisissant... Ne nous leurrons pas, à l'abri de nos maisons, dans le confort de nos salons, l'hiver est on ne peut plus clément cette année... Deux ou trois jours de gel début février, et depuis hier, le 16 février, les températures négatives ont fait place à la pluie incessante. Pour celui qui regarde le temps derrière sa fenêtre, l'anecdote revient dans les conversations au coin des rues ou au comptoir des bistros, mais pour le réfugié collé à la boue du camp de Grande-Synthe, ce qui n'est qu'une anecdote revêt une toute autre signification...







 Si au terrain du Basroch, en bordure du Stadium, ils n'étaient que 600 à 800 il y a un an, c'est pas loin de 2.000 personnes qui se pressent les uns contre les autres en ce moment... On savait le terrain inondable, la vision de la réalité en apporte un démonstration éclatante s'il en était besoin. Là où les tentes se pressaient les unes contre les autres, il ne reste plus qu'un immense bourbier où les bottes sont devenues indispensables. Le radier qui, posé en allées autour du terre-plein central, permettait il y a encore deux mois de circuler à pied sec est totalement recouvert d'une épaisse couche de boue.
 



 
Le terrain central où les réfugiés jouaient au foot cet été s'est mué en une vaste pièce d'eau boueuse. Pour celui qui est habitué aux cartes postales de la première guerre mondiale dans la région, curieuse est l'impression de faire partie d'un tableau oublié, des rigoles sont creusées pour tenter vainement d'évacuer le trop-plein, des chemins de palettes sont créés, moyen dérisoire pour aller d'un point à autre du camp...
 




 
Depuis les derniers événements ayant nécessité l'intervention des forces de l'ordre, il faut un laisser-passer pour entrer dans un camp dont les limites ne sont marquées que par des arbustes: il faut rassurer civils et réfugiés en contrôlant les allers et venues, les véhicules et parfois les chargements.
 





 
Un léger progrès se voit : quelques lavabos à peine protégés d'un toit de tôle et des toilettes chimiques ont été installés mais l'on sent que l'effort est dérisoire face à la multitude qui désormais a planté ses tentes sous le couvert des arbres... Partout la boue, l'eau, le froid... Où que l'on porte le regard, l'on croise des enfants qui tentent vainement de jouer, des hommes qui font la queue pour recevoir là des colis, là des bouteilles d'eau, des femmes sortir la tête des tentes et s'y cachent aussitôt... et toujours sous une pluie froide et fine. Quelques tentes abattues par la dernière tempête gisent dans une mare froide. La boue colle aux bottes, la pluie perce les habits. L'on vient apporter de l'aide et l'on ne rêve que de prendre une douche chaude, s'installer près de son radiateur, et oubliant que ce confort là leur est interdit.
 




 
Le camp de réfugiés est devenu au fil des mois une ruche cosmopolite. Les associations qui interviennent depuis le début comme Salam n'ont pas plié bagage et n'ont pas baissé les bras devant ce gigantesque tonneau des Danaïdes installé à quelques encablures du centre-ville. Partout les chasubles blanches de Medecins de Monde et de Médecins sans Frontières quadrillent inlassablement le terrain. Il est vrai que les conditions sanitaires vont en se dégradant. La misère aime la compagnie des maladies et il faut déployer des trésors d'ingéniosité et parfois de culot pour détecter les malades, empêcher d'éventuelles épidémies.
 



 
L'on perçoit l'écho de langues qui nous sont plus communes, des accents plus familiers. Si nombre de réfugiés sont arabophones ou ne parlent que le kurde, l'on tente de communiquer en anglais... et l'on sait comme les Français sont généralement peu doués pour les langues...  Néanmoins, l'on s'aperçoit vite que les Français ne sont plus seuls pour les aider à affronter la situation. A discuter avec les volontaires qui s'affairent dans tout le camp, l'on rencontre des locaux certes, mais aussi des Belges, Flamands et Wallons, parfois venus de loin comme ces Bruxellois qui ont chargés leurs voitures de colis. Une "cantine" a été posée au milieu du camp. Elle est autant un point de ralliement pour les réfugiés que les bénévoles qui viennent souffler un peu. Là on y rencontre des Suisses... 
 



 
Des camionnettes entrent dans le camp, voilà des Anglais et des Ecossais... De l'autre côté de la Manche aussi l'on s'affaire pour ravitailler et aider des "naufragés" que la France semble oublier (nous y reviendrons) et cela en faisant fi des barrières nationales et religieuses car des organisations laïques, chrétiennes et musulmanes se croisent en ces lieux. Pour ceux qui n'ont pu obtenir le sésame pour passer la barrière, ils se retrouvent sur un parking où ils organisent leur distribution.
 
Pour certains qui s'offusquent du "gaspillage" au camp, il faut cependant nuancer certaines choses. Vous désirez donner, ne venez pas de votre propre chef mais adressez vous aux associations qui oeuvrent sur les lieux, elles vous indiqueront les besoins ! 
 
En effet, si les initiatives personnelles sont louables, elles ne correspondent pas toujours aux attentes pour les habitudes alimentaires (nombre de réfugiés mangent plus facilement du riz ou des lentilles corail que des pâtes, bases alimentaires chez nous), le besoin en eau potable est important. Pour les vêtements, n'oubliez pas que les besoins sont permanents. Oui, au camp le vêtement est jetable mais comment faire quand on ne peut ni laver si secher et que l'on vit dans un bourbier... oui, il y a des enfants avec des besoins d'enfants... une école a été créée par des bénévoles, aidez-les... Ne deposez pas vos vetements à la lisère du camp: ce qui n'aura pas trouvé preneur restera là, c'est humain... aussi faites confiance aux associations, elles sont nombreuses, ont la connaissance du terrain et des gens, elles sont faciles à trouver... ainsi aucun bienfait ne sera perdu...
 
L'affaire n'est pas tant une préoccupation humanitaire qu'une affaire d'état. En effet, la tâche est devenue titanesque. Le camp en effet est un arbre qui cache la forêt. L'on sait depuis plus de dix ans que le camp de Calais, la fameuse "jungle" s'est considérablement étendu et qu'il est hors de contrôle par les autorités depuis la fermeture de Sangatte. Grande-Synthe focalise dans le département l'attention de tous mais c'est oublier qu'en Belgique, près d'Ostende et de Zeebrugge, d'autres camps se forment puisque les réfugiés tentent toujours de rallier l'Angleterre. Que certains correspondants évoquent la naissance de campements ailleurs, à Dieppe avons nous entendu dire, car le lien transmanche y est présent aussi et il est fort à parier que ceux que l'on déplacera autoritairement rallieront rapidement ces points de départ outre-manche...
 
Une partie de la Vox Populi rétorque que si les réfugiés veulent être aidés, ils n'ont qu'à demander le statut de réfugiés. L'état y travaille malgré tout, des volontaires sillonnent le camp pour expliquer la procédure mais ils doivent veiller à leur sécurité car la démarche ne peut assurément être appréciée des passeurs qui perdraient là leur manne providentielle. Et les mauvaises intentions sont partagées par beaucoup car on ne compte pas les fausses informations, rumeurs, accusations sans fondement qui sont le quotidien des réseaux sociaux, attisant des peurs et une xénophobie qui pourtant, ces dernières années, s'était légèrement mise en sourdine. Qu'une agression ait lieu, le coupable est tout trouvé. Vaste entreprise de destabilisation qui appelle aux bas instincts de certains, faisant couramment appel à la violence et au meurtre. Mais pourquoi diable ne demandent-ils pas un statut de réfugié? Tout simplement parce qu'en faisant cela, s'il etait accepté, il ne leur serait plus possible du tout de passer en Angleterre: le statut permettrait de les renvoyer dans le pays où la demande a été faite. Non assurément, cela devient difficile après tant de mois d'errance et d'attente.
 
 
L'on nous parle de "destruction" de la société française et/ou occidentale, vaste et profond fantasme de l'extreme-droite française. La population et la nation se sont construites par l'apport de populations diverses. Les rois ont fait la France à partir de peuples qui se côtoyaient et parfois se détestaient cordialement, la révolution l'a rendue universelle et la république, notamment du temps des colonies, l'a bigarrée... Or, si l'on estime qu'il y a en France 350.000 à 450.000 réfugiés, ils sont à côté de 66 millions de Français... On est encore loin du "Grand" remplacement évoqué par les officines de roite extrême... Du coup, et surtout après les événements de Paris, l'on nous parle du risque terroriste. Là encore c'est jouer avec des peurs indicibles que les médias ne tentent pas vraiment de calmer... Jusqu'à présent, la quasi majorité des terroristes sont nés et ont été élevés en France, que l'on argue que certains soient arrivés avec les réfugiés est logique puisque "clandestins", l'on a pas pu les contrôler... De là à ce que tous soient des terroristes en puissance, rêvés ou avérés il n'y a qu'un pas... sauf que ceux qui sont à Grande-Synthe ont quitté des pays en guerre et fuient les fondamentalistes assassins et, chose qui a tendance à être oubliée, la plupart avaient des positions sociales enviables chez eux car pour parvenir jusqu'ici, il a bien fallu payer les passeurs.
 
Se focaliser sur les 4 à 6.000 de Calais et les 2 à 3.000 de Grande-Synthe est humain. Chacun voit midi à sa porte mais encore faut-il garder à l'esprit une mesure permettant de relativiser. L'on estime que la France a recueilli, volontairement ou non 350 à 450.000 réfugiés... alors que craindre quand on sait qu'au Liban, pour une population de 4,5 millions d'habitants, on ajoute 1,5 millions de réfugiés syriens. Là, on peut parler de destabilisation à plus ou moins long terme car le Liban, contrairement à la France, n'est pas sorti depuis longtemps d'une guerre de 15 ans, que les minorités ethniques et religieuses sont nombreuses et souvent s'affrontent, que le pays n'est pas riche et que la masse de réfugiés peut et va profondément affecter les équilibre sociaux et financiers... Sans oublier que la Syrie a activement participé à la guerre du Liban, qu'elle est encore intervenue dans le pays encore après les accords de Taef, que ce pays n'a jamais renoncé à garder une emprise sur le Liban pour élargir son accès à la mer et qu'Israel continue de garantir militairement sa frontière... sans compter l'action du Hezbollah pro-iranien qui profite de la dégradation de la situation. Convenons en, la France est encore loin de cela ! Plaçons nous dans le contexte de la dernière guerre si cher aux détracteurs des réfugiés : aurions nous eu autant de "grâce" à accueillir plusieurs millions d'Allemands après l'occupation et ses exactions?
 

Cependant, et dans un futur plus proche qu'il n'y parait, nous allons être confrontés à des soucis importants. 
Tout d'abord la place de l'Etat dans la question des réfugiés. Hors des réseaux sociaux anti-migrants (et qui ne sont pas sans intentions politiques nationales), de plus en plus de gens se posent la question de l'absence de réactivité de l'Etat. A juste titre ! L'Etat français déploie sans problème troupes et fonds en cas de catastrophe à l'étranger, qu'il s'agisse d'envoyer des médecins, des militaires spécialisés sans l' "Humanitaire", de faciliter l'envoi des containers des associations et ne bouge quasiment pas pour ces camps, laissant la place aux associations, les laissant même payer (2,5 millions d'euros fournis par MSF pour le nouveau camp de Grande-Synthe) et laissant aux bénévoles français et étrangers le soin de ravitailler et soigner ! C'est tout simplement que les réfugiés sont devenus les otages de la politique européenne et de la petite cuisine interne entre Britanniques et Français. Car il est évident pour tout le monde que lorsque les Britanniques ont préféré la CEE puis l'UE au "Grand Large" du Commonwealth, peu de dispositions européennes allaient leur agréer. Nous sommes condamnées aujourd'hui à revivre les années Tchatcher! Les gouvernants français ne bougeront pas puisque les réfugiés rêvent d'une Angleterre qui s'est toujours sentie hors des problemes européens par sa sacro-sainte insularité, que l'opinion europhobe y est largement répandue, préférant les mannes européennes octroyées sur les budgets et refusent les contraintes: n'oubliez pas que les Anglais ont refusé Schengen mais aussi la monnaie unique au nom de leur "indépendance nationale"... Le maintien du refus des Britanniques sur la question des migrants tient lui à une politique de bras de fer : s'ils ne cèdent pas, alors la France devra s'en occuper... Il faudra alors compter sur un Brexit pour voir la question se régler. En effet, avec les accords du Touquet, la Frontière anglaise est... en France: que vous embarquiez sur le ferry ou preniez le tunnel sous la Manche, le contrôle des identités se fait sur le sol français, pas de l'autre côté de la Manche. une sortie britannique de l'Union européenne replacerait ipso facto la frontière à Douvres et donc les camps de réfugiés, immanquablement s'y installeraient, ce qui "désengorgerait" les camps français... Voilà donc la vraie nature du débat franco-britannique: un bras de fer dont les réfugiés sont les otages au nom de deux conceptions de l'Union européenne.
 

En attendant, il faudra néanmoins s'attendre à de nouvelles catastrophes. L'hiver n'est pas terminé et l'on connait tous le fameux dicton "Noël au balcon, Pâques au tison". L'on a vu assez d'hivers tardifs devenus rigoureux. Faudra-t-il attendre une épidémie ou - pire - la mort d'enfants pour avoir une réaction officielle d'ampleur? Les beaux jours reviendront et avec le verrouillage des routes "à pied sec" vers l'Angleterre, se posera la question du passage outre-manche envers et contre-tout... Après tout à Dunkerque, la Manche n'est large que d'une petite quarantaine de kilomètres... Dejà les secours en mer ont ramené un esquif à la dérive et les tentatives par la mer finiront par se faire dans un espace restreint, dangereux par ses courants (à cause du goulet d'étranglement du Pas-de-Calais) et encombré de navires puisque le détroit est la zone la plus fréquentée au monde... Nul doute que certains s'émouvront enfin quand le public, lors de ses promenades sur nos plages de sable fin, devra enjamber des cadavres comme cela est devenu malheureusement banal dans les parages grecs...
 



 
Voilà des questions d'actualité qui bientôt seront des pages d'histoire et qui, plus que surement, seront jugées séveremment par ceux qui nous survivront...

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