vendredi 7 septembre 2012

QUI A INVENTE LA FRANCISQUE ?


Mme Michèle Cointet, professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Tours, in « XVe centenaire du baptême de Clovis – colloque interuniversitaire et internationale, Reims 19 septembre-25 septembre 1996 – recueil des résumés préliminaires- deuxième session »



« Il est surprenant de voir, dans la ville d’eaux de Vichy promue capitale de l’Etat français, les vestons s’orner en 1941 d’un curieux insigne : une francisque tricolore à deux tranchants dont le manche est constitué d’un bâton de maréchal de France. En 1942, la pièce d’un franc de Lucien Buzor diffusa, dans tous les foyers français, une francisque surgissant au-dessus d’épis de blé. Résurgence d’un passé enfoui dans une mémoire légitimiste ? Simple hommage au prénom du joailler-fabricant Augis qui est « Francisque » ? Création méditée d’un symbole politique dont le sens est à préciser ?

Rien n’étant vraiment spontané en histoire, il y a lieu de rechercher les origines de la dernière (sans doute) des apparitions de l’arme des Francs dans notre histoire. Le XXe siècle a bien aimé les symboles politiques mais le scepticisme nouveau des Français se contentait des trois couleurs jusqu’à ce qu’il fut bousculé par la défaite. A Londres renaissait une belle croix chrétienne, guerrière et lorraine. L’Etat français se devait de créer son symbole. Ce régime politique qui attache tant de prix à la propagande et qui la paye bien, ne manquait ni d’inventeurs ni d’artistes. De nombreuses francisques ont été mises en vente dans le commerce. L’opération apparait comme un moyen de tester la popularité personnelle du Maréchal Pétain en face de celle, compromise, de ses chefs de gouvernement, Pierre Laval puis François Darlan. Le succès fut grand et s’accompagna d’effets pervers. Des personnages à la moralité douteuse et aux sources de revenus inavouables affichaient ainsi de bons sentiments politiques. Il a fallu réglementer par la loi du 16 octobre 1941 qui créa une « distinction décernée par le Maréchal et destinée à tous les Français ayant servi l’œuvre du Maréchal et dont le passé est le garant du présent et de l’avenir. » Un conseil de huit membres se réunit chaque semaine à l’Hôtel du Parc pour sélectionner les Français dignes de la porter : 2.626 noms sont connus.


J’avais tout d’abord donné la paternité de la francisque au conseiller de Philippe Pétain, Lucien Romier, un chartiste devenu directeur du Figaro. Je pense que l’inventeur à plus de chances de se trouver parmi les « huit de l’Hôtel du Parc ». Après avoir éliminé les conseillers d’Etat et les généraux, j’ai retenu deux noms. Le directeur du cabinet civil du Chef de l’Etat, Henri du Moulin de Labarthète, l’inspecteur des Finances est trop ironique et trop sceptique pour diriger une telle opération. Je conclurai que l’inventeur est le docteur Bernard Ménétrel, médecin privé du Chef de l’Etat.

Bernard Ménétrel est fils d’un médecin ami de Pétain. Il apparaît comme le fils adoptif, épris de facéties de plus ou moins bon goût, auquel Pétain, qui le tutoie, lui pardonne tout. Frustré d’activité par l’excellente santé du Chef de l’Etat, le médecin se tourne vers la politique. Chef du secrétariat privé, il ne lâche jamais Pétain d’un pas, l’accompagnant dans sa promenade quotidienne, en vacances, partageant sa table, lui offrant les douceurs d’une famille de remplacement (Pétain n’a pas d’enfants) égayée par trois bambins. Il a la responsabilité – et le budget afférent – de la «propagande sociale» du Maréchal. Il veille jalousement sur son domaine, l’image du Chef de l’Etat, c’est-à-dire les visites aux bonnes villes (un goût pour l’époque médiévale), les cadeaux, les jeudis de réception de délégations. Son goût des objets est vif. Ses idées politiques sont traditionnalistes. Il tient du commandant Bonhomme, officier d’ordonnance de Pétain, le nom d’un capitaine, Robert Ehret qui sait dessiner. Appel est lancé dans la presse pour proposer de nouvelles armes à la France. Des joaillers, André Arthus-Bertrand et Francisque Augis reçoivent les commandes.

La francisque a son histoire. Elle fut l’objet de la convoitise des cercles ultra collaborationnistes de Vichy mais le « clan pétainiste » réussit à garder le contrôle de l’insigne (circulaire du 4 juillet 1942 imposant des exigences politiques strictes et un serment à Pétain). Maréchaliste toujours, la francisque a un sens antilavaliste. Il est possible, à la limite, de recevoir la francisque (après l’avoir demandée) en 1942 tout en finissant dans la Résistance.
Par la grâce d’un médecin du Chef de l’Etat aux connaissances historiques superficielles, voire erronées, la francisque permit à ceux qui l’arboraient de méditer un peu sur les vertus chrétiennes de la nation française, quelque peu sur ses origines franques mais surtout sur les vertus de la hache du vaincu Vercingétorix unificateur des tribus gauloises. »

1 commentaire:

  1. le concepteur de la francisque en tant que symbole remplaçant le RF dévoyé est un Alsacien, le capitaine Ehret, alors en convalescence à l'hôpital militaire de Vichy. C'est un immense honneur pour l'Alsace ! Comme il devait garder l'or de ses patrons les joailliers juifs Van Cliff and Arpels réfugiés aux US, Pétain l'a pris sous sa protection et recruté dans son cabinet civil (voir Girard, dans Mazinghem)

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