vendredi 7 septembre 2012

AUX DEBUTS DU MONACHISME EN GAULE DU NORD : LES FOUILLES DE L‘ABBAYE MEROVIGIENNE ET CAROLINGIENNE DE HAMAGE (NORD)



Etienne Louis, conservateur au Musée de Douai, in « XVe centenaire du baptême de Clovis – colloque interuniversitaire et internationale, Reims 19 septembre-25 septembre 1996 – recueil des résumés préliminaires- deuxième session »

« En 1990, le service archéologique du Musée de Douai organise deux petits sondages qui confirment l’existence de vestiges du haut Moyen-Age à l’emplacement de l’ancien prieuré de Hamage, héritier d’une abbaye fondée au VIIe s. et disparue à la fin du IXe s. Depuis, les fouilles se poursuivent chaque année sur ce site exceptionnel.

L’évangélisation du bassin scaldien est sans doute parmi les plus tardives de la Gaule. Partout ailleurs sur ce qui deviendra le territoire français, des évêques s’installent dans les cités romaines au plus tard au milieu du IVe s. Déjà, des oratoires se créent dans les campagnes, le plus souvent à l’initiative de l’aristocratie locale. Pourtant, deux siècles plus tard, la christianisation ne semble guère avoir dépassé de manière significative les limites Nord de l’Artois et du Cambrésis. Les missionnaires, tous de langue latine et de culture (gallo) romaine se sont arrêtés aux lisières des plaines septentrionales peuplées par des Germains d’Outre-Rhin parfois dès le IIIe s.

Une des première avancées missionnaires est l’œuvre de Saint-Amand, un aquitain, vers 620-650, avec comme « bases-arrière » quelques monastères qu’il fonde dans la vallée de la Scarpe, affluent de l’Escaut, principale voie de pénétration vers les confins septentrionaux. Les premiers d’entre eux sont Elnone (aujourd’hui Saint-Amand, Nord), sur une terre donnée par le roi Dagobert, Marchiennes et Hamage (Nord) fondés par et pour les femmes d’une riche famille locale, Rictrude à Marchiennes, Gertrude à Hamage. Ce dernier est sans doute la plus ancienne fondation monastique du Nord de la France, de Belgique et des Pays-Bas.

Il s’agit d’un monastère double autour d’une église saints-Pierre-et-Paul. Au milieu du VIIe s., Eusébie, arrière-petite-fille de Gertrude, abbesse à l’âge de 12 ans, fonde un oratoire où elle sera enterrée et meurt en odeur de sainteté à 23 ans.

Après les invasions vikings qui dévastent les monastères de la Scarpe en 881 et 883, le couvent semble disparaître. En 1131, l’abbé de Marchiennes Amand y réinstalle un modeste prieuré de 4 ou 5 moines, qui dure jusqu’à la Révolution.

L’intérêt tout particulier du site de Hamage vient précisément de sa disparition rapide qui offre l’occasion rarissime d’observer un site peu remanié depuis le haut Moyen-Age. En effet, dans toute l’Europe occidentale, aucune fouille archéologique n’a encore révélé l’organisation et les bâtiments d’un monastère antérieur au IXe s. Victimes de leur succès et des reconstructions successives, nous ne connaissons de l’origine de ces établissements qui ont tant contribué à la culture et à l’histoire de l’Europe, que quelques églises et quelques lambeaux de fondations.

Le site naturel est celui de la plaine marécageuse et jadis boisée de la Scarpe. Le substrat sableux est recouvert d’un niveau noirâtre, dans lequel se situent les vestiges archéologiques. Les variations de couleurs et de consistances sont particulièrement faibles, la lisibilité des structures archéologiques demande donc beaucoup d’attention et de minutie.

Au cœur du monastère mérovingien
Pour l’instant, la trace la plus ancienne est un vaste fossé dont le comblement a livré des céramiques de la première moitié du VIIe s. Il s’agit très certainement de la limite ouest de l’enclos monastique, tracé dès l’origine du site et qui ne varie plus jusqu’à nos jours.

Au VIIIe s., les traces deviennent plus nombreuses. Les bâtiments sont tous en bois et se révèlent par des trous de poteaux, des calages de pierre, quelques traces de sols d’occupation et l’empreinte des poutres en bois qui servaient de base aux parois. Le principal d’entr’eux mesure 15 m. sur 17. Il est composé de toutes petites cellules (2 à 3 m. de côté), munies chacune d’un foyer, autour d’une grande pièce centrale. Les foyers, un four domestique extérieur et des latrines montrent qu’il s’agit d’une habitation. Le dépotoir situé au pied des murs a livré de nombreuses céramiques de table (cruches, écuelles, bols et gobelets). Plusieurs de ces derniers portent des inscriptions gravées par leur propriétaire, en particulier des noms féminins : Aughilde et Bertane.

Les fouilleurs ont également retrouvé dans le même dépotoir des perles en verroterie, des agrafes de vêtement en bronze ou en argent et de nombreux peignes en os. Les oraisons, les activités manuelles attestées par la fouille (filage, tissage, couture) n’excluent pas les loisirs (les dés, pourtant mal vus par l’Eglise), ni la consommation de viande, ni la bonne humeur : un gobelet porte le graffiti « MITTE PLINO », ce qui voudrait dire à peu-près : Verse à ras bord !

Les religieuses entretenaient de nombreux artisans qui ont abandonné aux alentours leurs produits, leurs outils et leurs déchets : verriers, bronziers, forgerons, pêcheurs, menuisiers… L’abondance et la qualité de ce matériel suggère un contexte social de niveau élevé.

La réforme bénédictine, vue de Hamage
Au IXe s., la topographie du monastère est totalement remaniée. Au nord, l’église dédiée à Sainte Eusébie n’a pas encore été fouillée ; mais on sait qu’il s’agit d’un bâtiment de pierre, d’environ 15 m. de largeur sur une trentaine de m. de longueur. Le long du mur sud, une galerie large de 2,50 m. est limitée par un alignement de 5 poteaux. Deux tombes y sont aménagées.

Par sa taille, ce sanctuaire se place bien évidemment loin derrière les grandes abbatiales royales comme Saint-Denis, Saint-Riquier ou Fontenelle ; toutefois, il égale une église aussi célèbre que sainte-Gertrude de Nivelles, fondée à la même époque et avec l’appui de saint Amand.

Perpendiculairement à l’église, un vaste bâtiment de bois, de 7 m. de largeur sur plus de 22 m. de longueur se détermine par trois files d’imposants poteaux de bois. En 1995, un retour vers l’est a été clairement mis en évidence, ainsi qu’une galerie de circulation. Autrement dit, nous sommes devant un cloître de bois de la première moitié du IXe s., au moment où Louis le Pieux, en 816-817, fait diffuser d’autorité dans tous les monastères de l’Empire la règle de saint Benoit et ce qui sera désormais le plan-type de toutes les abbayes médiévales. Avec la construction du premier cloître de Hamage, dans les niveaux duquel précisément deux deniers de Louis le Pieux ont été retrouvés, l’archéologie saisit peut-être pour la première fois de manière aussi nette une des mutations fondamentales de l’Eglise d’Occident.

Cette période de termine par un pillage des tombes et une démolition de l’église, qui pourrait être mis en relation avec les Vikings (880-881) et le semi-abandon qui suivit.
En 1133, l’abbé de Marchiennes, qui tente de récupérer le patrimoine de Hamage, tombé aux mains de seigneurs locaux rebâtit un petit prieuré, autour de la vieille église plus ou moins restaurée et d’un nouveau cloître, désormais en pierre. La fouille a analysé les 3 cloîtres qui se succèdent alors jusqu’au XVIe s., ainsi que la grange et les bâtiments associés. Après un saccage par les Calvinistes en 1566, la chapelle et le prieuré se réduisent à leur volume actuel, et l’on peut toujours voir sur le site les dernières constructions, édifiées par Dom Jonat Mehay en 1720. »

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