jeudi 30 avril 2020

Une trêve entre tranchées ennemies à Noel 1914


de la revue 'La Grande Guerre du XXe Siècle' No. 11

'Une Trêve Entre Tranchées Ennemies'
Noël 1914


 
Les communiqués officiels des belligérants ont montré que, loin de s'arrêter, la lutte avait été plus vive encore peut-être en cette fête de la naissance du « Roi pacifique ». Il n'y eut donc pas de trêve générale.
 
Pourtant certains récits du front ont fait connaître qu'une espèce de convention tacite fut conclue entre certaines tranchées adverses et que l'œuvre de mort fut suspendue à Noël 1914. En voici un exemple: cette lettre a été écrite par un collaborateur de la République de l'Isère.
 
Front Nord, 26 décembre 1914. - Je vous ai laissé, hier soir, vers minuit, car j'avais été invité à un plantureux réveillon par des sous-officiers d'infanterie. Jusqu'à a heures du matin, nous avons fait bombance et chanté autour d'une longue table dressée dans une chambre de chauffe, salle souterraine de 7 à 8 mètres de long sur 2 de large, creusée dans l'épaisse couche de terre glaise et couverte au moyen d'énormes madriers, de portes, de volets, de fagots, de paille et de terre. A minuit presque simultanément, comme si l'on, se fût accorde sur l'heure, une pièce de ma batterie et une pièce allemande ont tiré douze coups.
 
Du côté de S..., à 800 mètres au nord de mon poste, un quinquagénaire grisonnant, engagé pour la durée de la guerre, est allé planter un immense drapeau tricolore dans les réseaux de fils de fer allemands. Il n'a pas essuyé un seul coup de mauser, car les Boches faisaient, paraît-il, une ripaille effrénée et ne s'inquiétaient pas des Français.
 
Un adjudant nouvellement promu et un patrouilleur audacieux ont planté près du drapeau un superbe pin orné de rosés en papier: ils ont pris soin d'adapter au tronc de cet arbre de noël singulier un fil de fer aboutissant à un grelot dans une tranchée française. Si quelque Boche prend l'idée d'arracher le sapin, il fera bien de prendre certaines mesures de prudence!
 
À F..., toujours près d'ici, nos fantassins se sont montrés beaucoup moins machiavéliques; hier matin, l'un d'eux a brandi un drapeau blanc au-dessus de la tranchée; les Boches ont répondu de la même manière. Comme les tranchées sont à 80 mètres les unes des autres, un dialogue s'est établi en français. Il a été convenu que de chaque côté cinq hommes sortiraient de la tranchée et se rencontreraient en avant du réseau de fils de fer français.
 
Les Boches sont sortis les premiers. Les dix hommes se sont serré la main et ont échangé du chocolat contre des cigarettes. Sous les regards curieux de leurs camarades restés dans les tranchées, ils ont conversé quelques instants; de part et d'autre on tenait à fêter la Noël en toute tranquillité; d'un commun accord il a été décidé que l'on ferait trêve de coups de fusil pendant quelques jours. Au cas où, sur l'ordre des officiers ou par suite d'une relève des contractants, l'un des deux camps voudrait rompre la trêve, un coup de fusil devrait être tiré en l'air.
 
Depuis hier, le pacte a été fidèlement observé; ce matin une nouvelle rencontre a eu lieu entre les deux tranchées; les Allemands ont apporté aux Français deux bouteilles de Champagne d'excellente marque. Le notaire et le médecin de F... devaient avoir des caves bien garnies.
 
H. A. P., République de l'Isère. 6 janv. 1915

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