jeudi 18 avril 2019

"Flandre et migrations : entre mythes et réalités, des faits aux fantasmes."


ci après, le texte de la conférence donnée au LIHF, à Bailleul, le 4 avril 2019


L’on est toujours l’étranger de quelqu’un d’autre. C’est une notion subjective qui dépend de nombreux facteurs, souvent dits « de proximité ». L’étranger est l’autre ; qu’il s’agisse de quelqu’un qui vient d’une autre ville, d’un autre état, qu’il vienne s’installer ou qui est juste de passage. L’idée de l’« étranger » est un concept délicat dans une région frontière, surtout si l’on garde à l’esprit que les habitants du Nord en général et les Flamands en particulier ont longtemps été des « étrangers de l’intérieur ». C’est qu’ils sont devenus Français tardivement avec les conquêtes de Louis XIV, qu’il s’agisse du rachat de Dunkerque en 1662 ou la guerre de dévolution cinq ans plus tard. Cela importe, bien que nous ne soyons pas les derniers à être devenus définitivement Français, puisque le dernier agrandissement du territoire métropolitain remonte à 1862 avec la Savoie et le Comté de Nice.
 

L’acquisition de la France ne coulait d’ailleurs pas de source, car si l’on excepte les cas dunkerquois, les Flamands sont restés longtemps réticents à passer sous le drapeau blanc des rois de France. A Lille d’ailleurs, l’on préféra encore de longues années arborer la croix de Saint-André des Bourguignons. La méfiance est d’ailleurs partagée car il faut tout le talent de Vauban pour convaincre Louis XIV de ne pas remplacer tous les cadres autochtones (seuls les Intendants à la tête des généralités nouvellement créées ne sont pas des locaux) et de laisser ses officiers épouser des Flamandes, qui bénéficient de libertés et de droits plus avantageux que leurs consœurs françaises. 
instruction de Louis XIV pour l'usage du français 
dans les procedures judiciaires à Dunkerque (1663)
 
Pour faire bonne mesure, en Flandre Flamingante (au nord de la Lys), Louis XIV met immédiatement en place une politique de francisation, appliquant en cela l’édit de Villers-Cotterêts.  Une politique unificatrice certes mais qui ne trouve son aboutissement que sous la IIIe République.

La situation des étrangers reste diversement appréciée selon les lieux et les origines. Certes les contingents de populations immigrées sont encore restreints et dépendent avant tout du négoce comme des différents accords entre les états. Ainsi, à Dunkerque avant la Révolution, les Anglais ont quelques privilèges liés aux différents traités de commerce, quant aux autres, il s’agit surtout de liens relatifs aux affaires et aux échanges familiaux, qui sont, il est vrai, souvent mis à mal par les différents conflits européens voire même certaines décisions lourdes de conséquences comme l’édit de Fontainebleau en 1685.

Il importe alors de régler au cas par cas, par des édits mais aussi par des accords entre échevinages pour savoir qui relève de quelle compétence, comme par exemple le règlement des Tables des Pauvres en 1762 entre les différentes villes de West Flandre, de part et d’autre de la frontière dessinée par les Traités d’Utrecht. Accueillir des nécessiteux de villes voisines certes, mais en les laissant à charge des cités d’origine (c’est d’ailleurs encore le cas pour les funérailles des indigents).


Il faut donc que la frontière devienne tangible, stable et pérenne, acceptée même pour pouvoir enfin définir ce qu’est un étranger. C’est le cas avec la limite d’état dessinée par Utrecht, plus encore lorsque celle-ci est confortée par la naissance de l’état belge en 1830 puisque nul ne songe à la contester. L’immigration, définie en tant que telle, de masse devient alors une réalité.
 

I.                   L’appel d’air de la Révolution Industrielle
Les conditions sont idéales pour le développement rapide et précoce de la Révolution Industrielle dans le département du Nord comme en Flandre. Il existe un réseau urbain relié par les canaux puis par les routes (pour mémoire, le réseau ferré est plus une conséquence qu’une cause de la révolution industrielle). Depuis le Moyen-Âge, il existe déjà une proto-industrie notamment textile, avec des villes qui ont fondé depuis longtemps leur prospérité sur les tissages.

La Révolution Industrielle avait commencé à s’appuyer sur la force des moulins, elle prend son véritable essor grâce aux charbonnages de la faille du Midi (qui marque la limite géologique méridionale de la Flandre) dans le Douaisis. La Flandre est d’ailleurs un vivier propice à ces transformations radicales car elle est déjà peuplée, urbanisée et ses campagnes, prospères, riches, envoient déjà des populations dans les villes où se créent des industries pourvoyeuses d’emplois. Si l’on produit encore du textile dans les caves de Lille ou les fermes des Flandres, les grandes filatures concentrant toutes les étapes de fabrication du produit sortent de terre.
À cela s’ajoute une bourgeoisie entreprenante qui a depuis longtemps pris les rênes du pouvoir économique et politique, infléchissant à son profit les règles du recrutement transfrontalier. Si les campagnes commencent à se vider, il faut trouver un autre réservoir de main d’œuvre.
Déjà fortement développés, les centres urbains connaissent une explosion démographique et urbanistique qui marque encore aujourd’hui la région.

Roubais au XIXe s (photo Seeberger)

Alors, quid des migrations du XIXe siècle ? La Flandre a l’avantage – pour une fois – de jouir de sa position frontalière, avec un fort bassin démographique de chaque coté de la limite d’état. Les villes sont déjà de véritables conurbations et il suffit de traverser la frontière quotidiennement, parfois juste en traversant quelques rues. C’est donc avant tout un phénomène de migrations pendulaires (comme nous en connaissons encore avec le phénomène des banlieues) … mais petit à petit, l’exigence de travail pousse à l’installation permanente, tant pour ceux qui viennent de l’autre côté de la frontière, comme pour ceux qui viennent des campagnes alentours.
Moment difficile pour des populations qui n’ont pas encore de « conscience de classe », qui ne sont pas encore tout à fait urbaines, plus tout à fait rurales, pas encore français mais plus réellement belges et qui ont gardé des liens avec les villages de départ surtout au moment où il faut accepter un travail saisonnier. Ces populations, bon gré mal gré, se regroupent dans de nouveaux quartiers, enfin réellement ouvriers, sans mixité sociale, qui naissent au pied des usines et qui, finalement, voient des regroupements en fonction des emplois, des origines, de la langue : Roubaix, Tourcoing sont des villages qui deviennent des villes. Moulins, Esquermes, Wazemmes à Lille sont des campagnes qui deviennent des quartiers usines et les banlieues de Dunkerque évoluent de même, en lien avec les filatures, les activités portuaires et la pêche. D’ailleurs au XIXe siècle, avec une seule usine édifiée intra-muros (les Huileries Marchand), Dunkerque, close de remparts, voit sa population diminuer au profit des villages et hameaux immédiatement voisins où l’on ne manque pas de place pour construire ces nouvelles usines.

Les causes ce ces migrations de masse sont nombreuses et concomitantes : à l’offre d’emploi industriel en France et en Flandre répondent les crises agricole et textile flamande (qui elle ne connait pas la frontière), auxquelles s’ajoutent les crises frumentaires et la maladie de la pomme de terre en Belgique, privant hommes et bétail de nourriture. Il y a aussi et surtout, pour les Flamands de Belgique, l’impossibilité pour les néerlandophones de faire carrière dans une Belgique dominée par les Wallons francophones et riches de leurs industries lourdes. Pour être trivial, le flamand belge est le « bouseux » incapable d’évolution sociale (sauf à abandonner sa langue), objet de dédain voire de mépris et obligé de quitter le pays pour survivre.
Pour la Flandre belge, l’on est à l’inverse exact de l’âge d’or médiéval…

 Du tissage domestique (Bailleul)
 à la filature moderne
 

A cela s’ajoute un facteur de modernité – si l’on peut dire – pour les Français comme pour les Flamands de France : le pays a déjà entamé sa transition démographique. Entamée sous le règne de Louis XIV, elle n’est plus le pays le plus peuplé d’Europe. La France, et notre région n’y échappe pas, est obligé de recourir à l’immigration alors que ses voisins européens voient leurs populations obligées de partir pour survivre. Mieux encore à cela s’ajoute l’exode rural : l’on manque de bras dans les campagnes (le point d’équilibre population rurale/population urbaine se situe en 1914). Les campagnes se mécanisent certes mais à l’image de l’industrie, toutes les activités ne sont pas encore mécanisées, et il faut de la main d’œuvre saisonnière. L’on ne débattra pas ici de savoir si les campagnes se sont mécanisées parce qu’elles se vident ou si elles ont perdu des populations à cause de la mécanisation, l’on ne peut que se borner à constater qu’elles ne peuvent plus fournir des emplois toute l’année. De fait, les villes connaissent une expansion exponentielle. Il faut bien que les étrangers s’installent et vivent au quotidien. Néanmoins, l’intégration dans ces nouveaux quartiers (et dans une moindre mesure dans les villages) ne peut qu’être lente car le Flamand reste largement utilisé : l’école n’est en théorie obligatoire jusque 12 ans qu’à partir des Lois Ferry de 1881 mais nombre d’enfants travaillent (à l’image de mes arrière-grand-pères à l’âge de 9 ans parce que les salaires des adultes sont notoirement insuffisants et que les allocations familiales ne sont qu’un doux fantasme politique. Mais attention cependant, ce qui est vrai pour les immigrés flamands belges l’est aussi pour les petits français de la Flandre flamingante. L’École a fort à faire pour imposer le Français dans des campagnes où le Flamand reste la langue usuelle.

En quoi consiste cette immigration ?
Elle est d’abord agricole car l’on manque main d’œuvre dans les cultures industrielles. L’on a donc d’abord recours à des contrats collectifs, négociés en groupe. Les villages s’emplissent de bandes de travailleurs saisonniers là où la mécanisation n’est pas encore possible. Elle est ensuite industrielle car si le Premier Empire a favorisé l’essor de l’industrie et de la transformation sur place des productions agricoles en raison du blocus de 1806, le Second Empire oblige à une industrialisation à marche forcée. Elle reste l’époque du grand capitalisme, de la productivité érigée en dogme et du nationalisme économique. En effet, l’Empire est protectionniste, les frontières sont fermées aux productions étrangères, il est nécessaire de produire à outrance… et au moindre coût, si possible en mettant la pression sur les salaires. Même paternalistes (une autre façon de renforcer la sujétion des employés), le patronat flamand n’est pas philanthrope. Il nous semblerait incongru aujourd’hui de voir les contremaîtres enfermer les ouvriers le soir dans les courées comme cela se pratiquait couramment au XIXe siècle ! La République n’y change rien, elle est une organisation politique, pas économique.  C’est ainsi qu’en 1881, la chambre de commerce de Tourcoing s’oppose à toute velléité de limitation des étrangers, qui comme les autochtones, sont sous la coupe totale du patronat.

Le textile se concentre sur Lille – Roubaix – Tourcoing, Armentières et la vallée de la Lys… et draine de la population des régions de Tournai, Courtrai, Mouscron puis Poperinge, Bruges quand ces villes ne peuvent plus fournir de populations. Il en est de même sur le littoral avec le textile, la pêche et les ports. A la veille de 1914, le Nord tisse la totalité des lin, chanvre, jute, les trois quarts de la laine et la moitié du coton. Quant au Bassin minier qui commence dans le Douaisis, l’on profite d’une main d’œuvre abondante, docile, souvent déjà formée pendant les grèves car Belges utilisés pour briser les mouvements sociaux.
 


La spécificité des Belges flamands est de pratiquer l’entre-soi (un autre terme pour le communautarisme). La communauté belge flamande a ses associations, sa presse, ses prêtres (qui prêchent en Flamand), ses fêtes mais petit à petit, l’on observe un recul de la langue avec la scolarisation devenue obligatoire avec la loi Ferry pour se cantonner à l’espace privé. Ainsi au XIXe siècle, Wazemmes Esquermes sont totalement néerlandophones, ainsi que le rapporte Pierre Pierrard. Pas très loin de là, en 1886, à Roubaix, la moitié de la population est flamande belge mais le recensement ne prend pas en compte les journaliers car par définition, ils sont non-résidents… or, rappelons-le, Roubaix est en Flandre francophone comme Lille. Seconde spécificité de cette migration de masse : le solde migratoire dépasse le solde démographique. Ces villes-usines sont donc réellement attractives. L’usine, la manufacture, est gourmande en hommes, en femmes et enfants, ces deux dernières catégories étant particulièrement prisées pour le salaire plus bas qui leur est octroyé.

Au final, l’immigration jusque 1914 est essentiellement belge, une immigration que l’on qualifiera de voisinage : 97 à 99 % des contingents viennent de l’état voisin auxquels s’ajoutent quelques contingents très spécifiques : des Anglais à Dunkerque à cause du port, des Ecossais à Coudekerque-Branche amenés par le filateur Dickson . La frontière est pérenne depuis longtemps, l’on ne les perçoit déjà plus comme des « cousins » éloignés mais bien comme des étrangers, hors de la communauté nationale.



II.                Les besoins des reconstructions

-                     Après la Première guerre :
A l’issue de la première guerre mondiale, les destructions matérielles concernent avant tout le quart Nord-est du pays, l’occupant allemand a pillé les territoires occupés (outre des indemnités d’occupation exorbitantes, des usines entières sont démontées pour partir outre-Rhin, des quantités astronomiques de bien privés sont réquisitionnées comme les matelas, machines à coudre, etc.). Les mines ont été noyées par l’occupant. Des villages entiers sont rasés et les champs où ont eu lieu les combats sont à remettre en culture et à déminer (et c’est loin d’être fini !).
 


Quant aux populations, les décès de soldats, les mutilations invalidantes, la perte de populations civiles provoquent une crise démographique profonde à laquelle d’ajoute le déficit de naissances de cinq années à occuper les hommes sur le Front. L’on manque de bras et il faut aller chercher des travailleurs ailleurs.

La Belgique elle aussi a été ravagée (seules 8 communes ont échappé à l’occupation mais pas aux combats) et fait face aux mêmes problématiques mais là encore sans que la reconstruction ne provoque une industrialisation en Flandre, l’industrie lourde reste en Wallonie. L’on se tourne alors vers un nouveau bassin de population : la Pologne. Celle-ci nait à la suite du Traité de Versailles, c’est donc naturellement que l’on passe des conventions avec ce jeune état. En 1919, un accord est passé entre le Comité des Houillères et le gouvernement polonais pour importer de la main d’œuvre de Silésie. Les contingents sont élevés. Par exemple, entre 1921 et 1926, la population polonaise est multipliée par 7 (aussi dans Douaisis). En 1931, Ostricourt voit sa population composée de 70% de Polonais. Ce qui vaut ici vaut dans toutes les villes minières. Si en 1931, la moyenne nationale est de 6% étrangers, la moyenne du département Nord est de 11%, celle du Pas-de-Calais est de 14 %. Comme pour les belges du siècle précédent, les Polonais adoptent une vie très marquée par le communautarisme.


Au milieu des années 30, la crise de 1929 atteint France. La structure du capital est plus familiale et nationale, il y a peu de capitaux américains, l’on se replie sur les colonies pour les matières premières et pour écouler une partie des productions mais comme la crise atteint nos clients à l’international, l’on se résout à mettre en place une politique de rapatriement à partir de 1934-1935 pour se « débarrasser » de bras devenus inutiles car inemployables… Ce qui pose problème pour les Polonais de la deuxième génération qui ne connaissent pas le pays d’origine de leurs parents, ni toujours la langue d’ailleurs. À ceux-là s’ajoutent les contingents d’Italiens arrivés dans la région qui ont quitté leur pays parce que le Fascisme n’a pas su résoudre les problèmes économiques du pays (pas plus que la plupart des gouvernements mis en place après la seconde guerre mondiale).  

Cependant comme durant la première guerre mondiale où l’on décourage les unions avec les soldats étrangers, les autorités craignent mariages avec les immigrés par peur que les familles partent avec enfants alors que l’on est toujours en déficit de naissances, que les classes creuses de la guerre n’ont pas été remplacées.


-                     Après la seconde guerre mondiale
En 1945, les destructions concernent tout le pays. Outre les infrastructures, l’on a un besoin criant d’acier et de charbon pour la reconstruction, l’état décrète la « bataille du charbon » qui va de paire avec la fondation de la CECA (Communauté Européenne du Charbon et de l’Acier) … 


De toute façon, pour produire de l’acier, il faut du charbon et donc relancer les mines. Il est nécessaire d’opérer une reconstruction totale des moyens de production, des voies de communication, de villes entières (voir l’agglomération dunkerquoise), et, en même temps, faire face au baby-boom. Cette fois-ci, le recours aux Polonais n’est plus possible. L’Europe de l’Est elle aussi dévastée et la guerre froide a scindé le continent en deux. Ainsi que l’a dit Churchill, un rideau de fer est tombé sur L’Europe de Trieste à Stettin. À cela s’ajoute la force politique (réelle ou supposée) du parti communiste en France, il est difficile de faire venir des populations d’un pays sous domination soviétique. La France – et donc la Flandre – a un dernier atout à jouer : le Maghreb !
Après tout, si Tunisie et Maroc sont deux protectorats, l’Algérie se compose de 3 départements d’Outre-mer et où les populations sont théoriquement francophones, jeunes et normalement françaises (jusque 1962). Dans le même temps, l’on mène des négociations avec l’Italie pour de la main d’œuvre. Les Maghrébins sont avant tout dirigés vers l’industrie lourde et les mines, où le travail dur et peu qualifié, ce qui permet encore une tension sur les salaires. Outre offrir une force de travail abondante, l’immigré a une autre utilité pour le patronat local : réduire la dépense en termes de salaires.


Ils occupent la même position que les Flamands belges du XIXes : on dispense peu de formation et de logements, et avant le regroupement familial, l’on assiste à la naissance des foyers de travailleurs… La première vague concerne les travailleurs algériens. Pour le Nord-Pas-de-Calais, les populations sont de plus en plus nombreuses : 9.500 en 1948, 16.200 en 1949, 18.300 en 1954 et 23.400 en 1962. Mais à la différence des belges, outre le problème de langue, se posent les rivalités ethniques (entre berbères et kabyles), la religion et surtout la guerre d’Algérie. Car s’il y a une défiance envers une population que la France réprime pendant la « guerre d’Algérie », provoquant chez certains un ressentiment durable, cela suscite d’autres problèmes au niveau local chez les immigrés algériens entre partisans de Messali Hadj et du FLN, reportant les tensions de l’autre côté du bassin méditerranéen dans les villes industrielles flamandes.

La 2e vague concerne les travailleurs marocains, mais qui eux sont sous l’autorité de leurs régimes respectifs donc qui ne bénéficient pas du même statut que les algériens. Cette fois, ce n’est plus la France qui opère le tri et la sélection entre les candidats à l’immigration en France. Ils sont destinés avant tout aux mines, à l’industrie lourde et portuaire, notamment à Dunkerque. L’on les trouvera autant dans les mines que dans le bâtiment. Pourtant leur retour est programmé car ils sont liés à des contrats courts et à l’obligation de pratiquer le métier mentionné par le contrat. Leurs contingents sont d’ailleurs réduits car le déclin des mines programmé dès les années 60.

Ceci cependant ne doit pas occulter les migrations temporaires et saisonnières ne disparaissent pas pour autant. Nombre d’Espagnols ou de Portugais sont embauchés dans les campagnes de Flandre pour le travail agricole dont certaines activités ne sont pas encore mécanisées comme le démariage des betteraves.



III.              Une dernière migration de transit et non d’installation
Officiellement, nous avons atteint un solde migratoire nul c’est-à-dire qu’il n’y a non plus aucune entrée mais autant d’entrées que de sorties. La différence avec les périodes précédentes, c’est que depuis 1974, nous subissons une crise économique profonde qui se traduit dans la région par une réelle désindustrialisation.
La crise a quasiment détruit l’industrie lourde. Les derniers charbonnages ont fermé en 1990, la sidérurgie s’est réduite de façon drastique et la pétrochimie est remise en question. Avec la montée endémique du chômage, les villes-usines ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Elles font de même l’objet de projets de requalification car non seulement les usines ont fermé, rien ou quasi rien ne les a remplacées et nombre de quartiers ont été conçus comme des dortoirs. La banlieue où s’entassait les ouvriers n’était pas conçue pour autre chose que le temps de repos … Il suffit de circuler à Fives, Roubaix ou Tourcoing pour se rendre compte de la profondeur de la crise. Et encore faut-il garder à l’esprit que l’immigration de l’après seconde guerre mondiale a créé des quartiers ghettos où les populations immigrées se sont regroupées, placées là par les bailleurs sociaux, les édiles ou l’impossibilité de se loger dans des centres-villes chers. À cette crise économique et urbaine se superpose une crise « existentielle » des 2e et 3e générations. Même nés ici, ils sont perçus comme étrangers et dans le pays d’origine des parents, ils sont étrangers car français. Au passage, l’on défiera quiconque de pouvoir se construire une identité sur de telles bases… ou absences de bases. Ce sont des « minorités visibles », souvent ghettoïsées (voir Roubaix – Tourcoing, Grande-Synthe) encore en cours d’intégration même si elles en sont déjà à la 3e génération, voire la 4e, et pour lesquelles se ressentent de façon aigüe le problème religieux et le non-emploi fortement élevé avec un taux de chômage triple des non-maghrébins. Néanmoins, le passif de la guerre d’Algérie ne joue plus depuis une vingtaine d’années dans une grande part de la population, les anciens combattants étant maintenant moins nombreux. Comme pour les immigrés des siècles précédents, le communautarisme est fort mais peut-être pas nécessairement voulu, il devient une échappatoire parce qu’il n’y a pas de réelle intégration par les populations autochtones.

Il n’y a donc plus d’immigration massive dont le but serait l’installation définitive mais cela n’empêche en rien actuellement crise des « migrants » auquel on préfèrera le terme de réfugiés. Une crise d’autant plus importante que ces personnes ne demandent qu’un passage vers le Royaume-Uni, lequel a fermé totalement ses frontières tout en nous en confiant la gestion et la surveillance. Ceci dit, il est vain de vouloir susciter des polémiques puisque pour l’heure, il n’est pas de solution. L’on ne peut dresser que des constats.

L’immigration telle que nous la connaissons reste un sujet d’actualité (et de polémique) mais il faut tout de même convenir que l’immigration choisie est un mythe, puisqu’une politique de quotas ethniques ou géographiques est impossible à mettre en place. De plus, les frontières surtout dans le Nord sont poreuses et incontrôlables à moins de placer un garde tous les 50 mètres, les fraudeurs le savent bien. Enfin, la Fandre recueille un très petit nombre au regard d’autres pays (que ce soit en Europe ou au Moyen-Orient). Et si l’on se tient aux chiffres estimés, 600.000 individus n’est pas un raz-de-marée tel que le décrivent les tenants du soi-disant grand remplacement. Quant aux allocations versées aux réfugiés n’est pas suffisante pour vivre, tout juste pour survivre et encore n’est-elle octroyée qu’à ceux qui ont fait une demande d’asile. Pour ceux-là, plus question de passer outre-Manche. L’on ne peut pas dire que le coût est exorbitant !


quand la frontière était visible à Halluin

Quand on se targue de faire de l’histoire, le plus important est aussi et surtout de se confronter à des évidences historiques et – éventuellement – opérer des projections au regard des données du passé. Il faut se rappeler une évidence :    NOUS AVONS ETES MIGRANTS / REFUGIES

Pendant la Première guerre, une grande partie de la Flandre française est concernée par les combats et l’occupation, des villages entiers sont rasés, certaines villes sont vidées de toute ou partie de leur population et ce autant pendant le conflit que pendant une longue reconstruction.
Ainsi dès 1914, Dunkerque évacue ses « bouches inutiles » (ainsi ma grand-mère maternelle, alors enfant, est évacuée à Mur-de-Sologne dans le Loir-et-Cher). La ville n’est pas immédiatement sur le front mais elle n’en est pas loin. Que dire de ceux qui ont dû quitter des bourgs comme Méteren ou Armentières ?

Cependant, la France n’a rien prévu pour les populations déplacées, françaises ou belges, puisque l’on pense que la guerre sera finie aux moissons. Les soldats sont partis la fleur au fusil, persuadés que la guerre sera rapide. Il en est de même pour les civils et les autorités. Pourtant les réfugiés, Français comme Belges, ne sont pas livrés à eux-mêmes, ils dépendent du ministère de l’intérieur. En tant que populations déplacées, les réfugiés perçoivent une allocation spécifique au même taux que les femmes de mobilisés soit 1,25 F / J / adulte et 0,50 F / J / enfant. Néanmoins, ils accusés de mettre une pression inouïe sur le travail et les prix de l’alimentaire et du charbon (qui manque puisque les mines sont en territoire occupé et que Carmaux et Saint-Etienne sont loin). Il n’est même pas nécessaire d’être déplacé loin à l’image des Lensois qui trouvent refuge en Belgique en 1918.

Mais pour le cas des populations néerlandophones, françaises comme belges (c’est notamment le cas des personnes âgées françaises), elles sont confrontées au même problème que les Alsaciens : le flamand/néerlandais est langue germanique d’où une méfiance voire une hostilité ouverte envers elles.
On les accuse de profiter des allocations, or au début de la guerre il est vrai que nombre d’entre eux ne cherchent pas de travail car on leur dit que la guerre sera courte, ou à l’inverse de cumuler allocation avec un travail (cependant pendant la première guerre, le chômage n’existe pourtant officiellement pas). Nombre d’accusations souvent inouïes et relevant souvent de la pure xénophobie, même à l’encontre de populations françaises.

La problématique est la même 20 ans après mais différence profonde entre les deux guerres est réelle : depuis la libération de Lille en 1918, les habitants sont affublés par un journaliste parisien du titre de « boches du nord », insulte qui se fait encore régulièrement entendre. Quant aux Belges, les Français ne parlent pas de la Belgique héroïque d’Albert Ier mais de la Belgique capitularde de Leopold III, responsable par sa reddition d’avoir précipité la défaite française, accusés d’être de la 5e colonne (c’est le cas des refugiés belges accusés de signaler les convois de refugiés aux pilotes allemands grâce à des couvertures rouges fournies par … la Croix-Rouge !). Autant dire que l’accueil fut régulièrement « frais » !
 de la Belgique héroïque d'Albert Ier
à la Belgique capitularde de Leopold III

Pour ces réfugiés du Nord et de la Flandre, la situation est difficile car l’article 16 de la convention d’armistice charge le gouvernement français de prendre le rapatriement à ses frais hormis pour les résidents de la zone interdite (justement le département du Nord) qui restent exilés sans possibilité de retour.

Quatre ans plus tard, en 1944, On recommence à l’évacuation de la poche de Dunkerque. La population restée dans la ville est évacuée en zones libérées à l’exception d’environ 500 habitants qui sont internés. Le phénomène migration forcée / refugiés n’est donc pas un concept inconnu mais oublié, au point de lire de terribles bêtises et d’amalgames douteux.

évacuation de la Poche de Dunkerque - 1944
 
En conclusion, nous avons été une région de passage puis d’accueil, avec une tradition ininterrompue de migrations et d’intégration plus ou moins heureuse, plus ou moins facile qu’il importe de préserver. Si l’on peut reprocher à une grande partie de la population d’avoir la mémoire courte (voire de faire montre d’un courage exemplaire derrière un écran grâce aux réseaux sociaux), l’on peut aussi reprocher le manque de prospective car la possibilité d’être demain en position de quitter la Flandre reste une possibilité.  L’évolution climatique, politique ou économique ne garantit pas que nous ayons une place pérenne en Flandre ou en tout cas au nord de la France, surtout si les projections de la montée des eaux se vérifient. Le risque de voir submerger une partie de la Flandre littorale et des bassins versants fluviaux est réel à plus ou moins long terme ce qui pourrait nous forcer de quitter à nouveau la région (mais après tout le nom de Flamand est bien « celui qui fuit devant les eaux »). Reste à savoir si l’accueil, demain, sera bon…

 et si demain nous devions fuir ?

3 commentaires:

  1. Bonjour,
    J'aimerais connaitre le nom de l'auteur de cette contribution et ses coordonnées svp ?

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. bonjour, vous pouvez le contacter par la page facebook "de dunkerque vers ailleurs"

      Supprimer
  2. Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.

    RépondreSupprimer