mercredi 11 octobre 2017

Vauban le poliorcète... Maître dans l'art de rendre une ville imprenable




Les «systèmes» de fortifications de Vauban
            Par goût de l’ordre, par souci de vulgarisation, ses successeurs ont modélisé la pensée de Vauban en trois systèmes. Au moment où celui-ci préside aux destinées de la nouvelle frontière, ces «systèmes» ne sont alors que des idées générales. Et encore, ces systèmes ne valent-ils que pour les seules fortifications en plaine, à l’image de celles des Provinces du Nord. A peine arrivé, il s’attache immédiatement à la réalisation des citadelles d’Arras et de Lille. Les deux réalisations offrent l’opportunité d’offrir un premier aperçu de son système de fortifications. Préféré au directeur général des fortifications Clerville, il arrête un projet qui s’inspire assez largement de ses prédécesseurs. A Lille comme à Arras, il accorde toute l’importance à l’infanterie au détriment de l’artillerie.  Suivant en cela Jean Errard, il dessine des bastions de grande taille qui encadrent des courtines réduites. Limité dans un premier temps par la portée des mousquets qui doivent battre les flancs par leurs tirs croisés, il préfère alors que l’artillerie ne soit utilisée qu’en dernière extrémité. Pour peu qu’ils soient finalement mis en œuvre, ils ne seront jamais en nombre suffisant face à un assaillant qui peut toujours en amener plus. D’ailleurs la poudre est difficile à conserver et s’avère assez dangereuse.

            Le «premier système» de Vauban, si toutefois il a été réellement conçu en tant que tel, comprend des évolutions sensibles depuis les travaux de Jean Errard et de ses successeurs. Les murs d’escarpe à la base des bastions et des demi-lunes sont bâtis de manière à offrir le maximum de résistance. Il importe de gêner l’avancée des sapeurs adverses et d’être le plus résistant aux tirs directs des canons ennemis. S’inspirant autant de la fausse braie que de la contre-garde voulue par Pagan, le mur est levé devant les bastions pour en assurer la protection et les escarpes renforcées s’enrichissent de tenailles. Il s’agit d’un bourrelet de terre établi parallèlement au mur de la courtine. Il ne touche pas les murs des bastions, de façon à laisser ainsi libre le fond du fossé, comme on peut encore le voir au fond de la fosse de la Porte de Gand à Lille. Surmontée d’un parapet, la tenaille peut servir d’ultime point de résistance pour les fantassins après l’évacuation du chemin couvert qui s’améliore pour ne plus offrir de cible lors de tirs en enfilade. L’espace nécessaire pour la construction des ensembles fortifiés est plus important car la nécessité lui commande d’établir des places d’armes servant à regrouper les troupes et mettre en œuvre des contre-attaques. 

            L’angle mort est définitivement oublié. car les défenseurs doivent pouvoir croiser leurs feux alors que l’assaillant ne doit pas trouver d’angle de tir satisfaisant. La fortification se résume comme une succession de lignes brisées. Tout flâneur peut éprouver encore la difficulté d’approcher les murs. Malgré la quiétude des lieux, l’impression qui s’en dégage peut s’avérer oppressante. A la porte de Mons, à Maubeuge, la profondeur de la fosse, la largeur de l’espace à découvert et la hauteur de ces murs lisses que l’on ne peut escalader s’ajoutent à l’absence de recoin où s’abriter. Cette place construite selon le premier système de Vauban se complète par des solutions plus anciennes tels des bastions à oreillons qui permettent d’abriter l’artillerie sans casemates. A Lille, la fosse de la Corne de Gand, pourtant creusée par des ingénieurs au service du roi d’Espagne donne la même impression.

            L’adaptation aux évolutions stratégiques suscite de nouvelles réflexions. Le «second système Vauban» répond à une double préoccupation: accentuer à la fois la résistance de la fortification contre les fantassins et atténuer les effets de l’artillerie adverse. La solution préconisée opère une séparation entre les courtines et les bastions. Devenus autonomes, ces derniers prennent une apparence proche des demi-lunes. Cette disjonction renforce le rôle affecté à la courtine. Elle ne s’offre au canon adverse qu’au moment où le bastion tombe entre les mains de l’ennemi, sa perte n’entraîne pas la chute de toute la fortification. Ce système préfigure la défense discontinue qui s’impose un siècle après. Pour compenser les nouveaux risques, Vauban impose alors la construction de tours à canons, établies en casemates et fait disposer les tenailles plus an avant dans le fossé pour permettre une visée facilitée.

            Quant au «troisième» système, que l’on peut encore observer dans les provinces du  Nord, il se présente comme une ultime évolution du précédent. Le système adapte le tracé bastionné à la courtine afin de multiplier le nombre de réduits défensifs en cas de perte d’un bastion. L’usage des tours à canons est amélioré car les artilleurs peuvent balayer plus efficacement l’espace au pied du rempart. Les demi-lunes sont aussi perfectionnées car l’ingénieur les évide de façon à créer un ultime refuge pour ses défenseurs. La démultiplication des obstacles à franchir par l’assaillant complique d’autant ses travaux d’approche. Il est obligé de détourner ses efforts de l’attaque principale pour contrer les petits groupements retranchés dans ces réduits. L’affaire est d’autant plus compliquée que les fossés qui en autorisent l’accès sont susceptibles d’être à la fois inondés et soumis aux tirs des défenseurs. La citadelle de Lille opère une fusion entre les premier et troisième systèmes, avec des courtines simples et des bastions évidés. Leur visite impose une évidence: nulle part l’assaillant n’est à l’abri.

parapets, glacis et tunnels: défendre dessus, autour, en-dessous...
            L’organisation des fortifications de Vauban ne s'arrête pas là. Dans chacun de ses systèmes, il prévoit la concentration des tirs depuis les parapets. Cette densification du tir permet de concentrer la défense sur les glacis. L’approche est d’autant plus délicate que la pente de ces derniers s’ajoute à la longueur de la zone à parcourir à découvert, venant en plus des fossés inondables. Toute approche frontale est nécessairement vouée à l’échec, sauf à ruiner totalement un front, soit une courtine et les bastions qui l’encadrent. Les glacis créent un no man’s land, contribuant à l’impression de puissance, de force qui doit se dégager de l’édifice. Cette lente montée vers l’enceinte principale réduit considérablement la masse visible des remparts qui, par effet d’optique,  s'intègrent au paysage en créant l’illusion d’être enterrée.

            Autres points communs à la plupart des fortifications que Vauban édifie ou  améliore, il se trouve aussi des moyens de défense invisibles au visiteur. Reprenant la même formule  qu’à la citadelle de Cambrai, les maçons installent dans de nombreuses courtines des contre-mines ou contre-sapes. Ces tunnels voûtés se trouvent sous les courtines les plus exposées aux attaques des sapeurs ennemis, dont le travail est des plus dangereux. Alors que l’attaque principale en surface opère ses travaux d’approches, les mineurs s’approchent de la courtine en creusant une galerie souterraine qu’il faut creuser sans bruit, en étayer la mine, et mettre hors d’eau. Il faut alors passer sous la fosse pour se placer au plus près du mur d’escarpe ou de la courtine qu’il faut faire exploser pour ouvrir une brèche et envahir la place. Une fois la présence des ennemis détectée, l’attente commence dans le tunnel pour neutraliser l’attaque dès que possible. Le choix de l’emplacement des tunnels de contre-mine revient à déterminer les points faibles de l’enceinte. A la citadelle de Lille, ils sont creusées ultérieurement par Guitard sous les courtines qui regardent la paroisse de Lambersart, justement les plus exposées. L’enjeu est tel que des cheminées d’aération y sont ménagées régulièrement pour que les hommes y résistent le plus longtemps possible...

L’eau pour alliée

            Des moyens de défense temporaires de grande ampleur s’ajoutent au dispositif en prenant en compte les ressources naturelles. Les techniques autochtones sont privilégiées. S’inspirant des Hollandais, Vauban recourt à l’utilisation de l’eau pour inonder les fossés et recouvrir le plus de terrain possible au voisinage immédiat des murailles. Les Provinces manquent de pentes pour créer des lacs de retenues et renforcer le débit. Il faut aussi rendre l’eau disponible en toute saison. Vauban tire profit de la topographie et des travaux hydrauliques locaux. En utilisant écluses et portes d’eau, il augmente la capacité des étangs de retenue. L’inondation n’est pas un raz-de-marée. Ce n’est pas une lame de fond qui doit emporter la troupe mais rendre le siège le plus insupportable possible. La boue, qui avait mis à rude épreuve l’ost français à Bondues en 1314, est un allié précieux pour l’assiégé, tout comme l’eau. Une faible épaisseur permet de gêner la progression des assiégeants. La citadelle de Lille devait bénéficier - au maximum - d’une épaisseur d’eau de 55 centimètres sur une superficie de 1.700 hectares. Dans de telles conditions, il est difficile de dresser un campement et d’y allumer des feux. Creuser des tranchées d’approches et des mines est périlleux voire impossible. Canons et chevaux ont une mobilité plus que réduite, interdisant les changements rapides de position. Avec la stagnation de l’eau, les fièvres clairsèment les rangs des troupes ennemies. Autant dire que la question revêt une importance capitale, surtout lorsque les étangs et les viviers ne manquent pas. Si Boulogne, Montreuil, Bapaume, Ham, et plus loin, la plupart des places ardennaises ne peuvent pas compter sur les inondations pour renforcer leurs lignes de défense, l’eau s’impose ailleurs dans les autres organisations défensives. Ainsi au nord du dispositif, Calais, Gravelines, Dunkerque, Saint-Omer, Aire, Béthune, Lille, Douai, Bouchain, Arras, Cambrai, Valenciennes, Landrecies, Avesnes sur Helpe, Maubeuge sont inondables sur une face au moins. A Aire-sur-la-Lys, par exemple, une série d’écluses et de batardeaux canalise les sept cours d’eau qui rejoignent la cité. Ces dispositions retardèrent efficacement la conduite du siège par les Hollandais en 1710. A Calais, Vauban fait reconstruire le Fort Nieulay, un quadrilatère flanqué de quatre bastions qui commande les écluses permettant d’inonder les approches septentrionales et orientales de la ville. A Avesnes-sur-Helpe, les vannes du Pont des Dames, une fois fermées, permettent d’inonder un bonne partie du pied des remparts.
            Les mêmes dispositions sont mises en œuvre à Saint-Venant, à Condé-sur-Escaut, pour la ville du Quesnoy et à Péronne, plus au sud sur la Somme. Ainsi, quand les Français enlèvent le Quesnoy aux Espagnols, ils remarquent que la plupart des faces sont protégées par des fossés en eau ou des marécages mais que le relief empêche l’inondation des fossés au nord. Vauban refond complètement les bastions et des demi-lunes, il renforce aussi la protection des approches par des fossés surcreusés, profonds de 12 pieds (environ 4 mètres). Pour régler la question de l’eau, il canalise les marécages en les transformant en étangs (étangs du Gard ou du fer à cheval), commandés par des batardeaux. Plus au sud, les villes d’Amiens, d’Abbeville et saint-Quentin sont fortifiées selon les mêmes principes. Ailleurs, les autres places fortes pourvues de capacités d’inondations sur plusieurs faces réduisent d’autant les possibilités pour l’ennemi de conduire des attaques efficaces, obligatoirement concentrées sur les courtines restées hors d’eau. La gestion des ressources en eau suppose que les écluses et les retenues soient construites et gérées par les autorités militaires.

            L’eau des polders peut s’y ajouter pour défendre les villes de plaine maritime asséchée de longue lutte par les comtes de Flandres à l’aide de digues dont il reste quelques rares vestiges à Saint-Pol-sur-Mer. Les zones basses, parfois en deçà du niveau de la mer, sont étendues, notamment aux Grandes Moëres, gigantesques marais asséchés par Wenceslas Coebergher sur ordre des Archiducs Albert et Isabelle. Toute la plaine maritime est quadrillée par de nombreux watergangs, des fossés de drainage qui permettent de rejeter les eaux à la mer à marée basse. Ces travaux de salubrité peuvent cependant être remis en question à tout moment en laissant la mer entrer dans les terres ou en empêchant l’eau d’être évacuée. L’occasion fut d’ailleurs offerte de tester ces dispositifs lors des dernières guerres mondiales, avec néanmoins des résultats moins heureux face à des troupes mécanisées... 

            Ces travaux prennent une importance accrue entre Bergues et Dunkerque. Vauban complète les défense de l’ancien burgus par la canalisation systématique des cours d’eaux. la ville constitue alors un pivot entre Dunkerque et Bourbourg. Tous les cours d’eau sont mis en relation, créant pour Dunkerque un camp retranché. Cette relation privilégiée entre les deux villes explique l’établissement de deux forts intermédiaires - le fort-Castelnau, aujourd’hui Fort-Louis qui a été démantelé après 1945, et le Fort Vallières- dressés sur le bord du canal. Ces deux forts étaient maçonnés et entourés de larges douves, preuve de leur importance stratégique. A Dunkerque, les murs sont alors précédés de vastes fossés, verrouillés par des écluses et des portes d’eau. Quant à Bergues, sa défense est renforcée par le creusement de la Couronne d’Hondschoote, protégeant le front nord, interdisant toute approche par la succession de demi-lunes et de tenailles et des fosses inondées.
            A l’eau constamment présente, il faut ajouter des défenses temporaires. Lorsque les menaces contre les garnisons se précisent, les troupes dressent des pieux le long des chemins couverts. Cette vallation supplémentaire doit prolonger encore la résistance des assiégés. Ce renfort n’est mis en place qu’en cas de péril imminent, comme au Quesnoy, sauf à la citadelle de Lille où la troupe entretient jusqu’à la fin du XVIII° siècle une palissade permanente haute de deux mètres, composée de 30.000 pieux de 22 centimètres de large en ajoutant la défense des contre-gardes.

Les «petites villes»
            Dès que possible, Vauban construit des citadelles autant pour des raisons stratégiques que politiques. La citadelle, héritée des Italiens, est un symbole. La «cittadella» est une petite cité, une petite ville qui doit être capable de subvenir à ses besoins et  tenir un siège seule. Louis XIV prévoit leur érection pour suivre l’exemple de ses pères mais aussi pour surveiller les populations susceptibles de se révolter ou de passer à l’ennemi. Les rois de France avaient créé à Lille un précédent avec le Château de Courtrai au XIII° siècle car la ville est le lieu de toutes les promiscuités et de toutes les révoltes. La citadelle est un ultime réduit défensif car la guerre se conçoit comme une succession de sièges et de places à enlever. Des considérations politiques président à leur installation. Ainsi à Lille, les accords de la capitulation stipulent que le roi doit prendre à sa charge les frais de logement des troupes, en casernes. Les bourgeois ne fourniront plus que lits, matelas et couvertures. A Lille, les possibilités de loger sont assez réduites et la promiscuité est difficile à vivre. La citadelle servira à loger le plus grand nombre de soldats, tant pour les réunir plus vite que pour éviter les incidents avec la population. Ainsi, la monarchie devance d’un quart de siècle la séparation entre les civils et les militaires, inaugurant la vie de garnison.

            Dans ce domaine particulier de la poliorcétique, Vauban ne fait pas œuvre de précurseur. Ses prédécesseurs eurent aussi loisir d’en ériger comme Errard à Doullens et Amiens et, selon toute vraisemblance, à Calais. Chaque citadelle, chaque fort est organisé de la même façon: une enceinte bastionnée, à l’image des enceintes urbaines, des casernements, des greniers, et parce que le roi est «lieutenant de Dieu sur Terre», une chapelle.

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