vendredi 17 juin 2016

4 juin 1940... Premier jour de Dunkerque à l'heure allemande

Si Dunkerque est pour quelques jours encore sous les feu de l'actualité pour le tournage du Blockbuster de Christopher Nolan, l'attention du public se concentre finalement sur les péripéties militaires de l'opération Dynamo... Mais pour nombre d'anciens, c'est aussi le souvenir de l'occupation puis de l'évacuation de 1944 qui est tout aussi douloureux... Dans une ville, un port et une plage, devenues une nasse pour les derniers soldats qui n'ont pu embarquer, le réveil est très difficile.

Feu Serge Blanckaert, ancien rédacteur-en-chef de la Voix du Nord de Dunkerque, ajouta de nombreuses pierres à l'édifice de mémoire du Dunkerquois par ses nombreux ouvrages ainsi que par la création de l'association pour la création d'un musée des première et deuxième guerre mondiale à Dunkerque, qui a donné naissance au mémorial du Bastion 32 (dommage cependant que celui ci ne se consacre au final qu'à l'opération Dynamo... mais çà, c'est une autre histoire...). 

Nous nous permettrons cependant d'ajouter quelques illustrations qui ne sont pas tirées de son ouvrage..

ILS SONT LA
In Serge BLANCKAERT « Dunkerque, 1939-1940 » , éditions Serge Blanckaert, Dunkerque, 1980, 122 p., pp. 99-104

Le jour se lève, le 4 juin 1940, dans un calme étrange, sur une plage encombrée de voitures, d’épaves, d’armes, de munitions, d’équipements de toutes sortes. Des cadavres de soldats gisent sur le sable, non loin de chevaux morts, victimes eux aussi de ce grand coup de folie.
Désormais inutiles, les jetées de camions que les Anglais avaient formées pour que les hommes puissent avancer jusqu’aux bateaux, commencent à se défaire sous l’effet des marées.
Des milliers et des milliers de soldats français attendent encore sur la jetée, au port et sur la plage. Des groupes se mettent en marche le long du rivage, vers l’Ouest, tentant d’échapper aux Allemands dont l’arrivée est imminente. Mais avant d’avoir pu atteindre Loon-Plage, ils seront arrêtés par l’ennemi. Quelques hommes seulement parviendront à traverser les lignes allemandes pour passer en territoire encore non occupé.
Certains soldats se mettent en quête de vêtements civils dans le but d’éviter la captivité. La plupart des autres arborent des mouchoirs blancs.
  

A Coudekerque-Branche, la famille Baron, qui s’est abritée, comme de nombreux habitants du quartier, dans les caves de la brasserie Vanoorenberghe, voit ce matin-là, par un soupirail, des soldats allemands approcher à travers champs. Une tête coiffée d’un casque garni de feuillage apparaît bientôt dans l’ouverture. Il y a dans la cave, avec les civils, deux soldats français. L’Allemand les voit et lance une grenade dans le sous-sol. Plusieurs personnes sont blessées, heureusement sans gravité. Elles seront conduites un peu plus tard à l’hôpital, après l’intervention d’un officier allemand.
L’abbé Lecointe, vicaire à Saint-Martin, découvre les Allemands de très bonne heure, devant l’église : « sur le pavé, un immense drapeau à croix gammée, et autour, des soldats allemands allongés sur le sol, mitrailleuses en batterie ; au milieu de la rue, un sous-officier révolver en l’air, faisait des signes et criait d’une voix gutturale ».  A l’intérieur de l’église, le vicaire et l’abbé Marquis, doyen, se trouveront en présence d’un soldat allemand jouant de l’orgue !
 
Vers 6h30, des Dunkerquois qui ont trouvé refuge au collège des Dunes, voient passer les Allemands rue du Lion d’Or. Ils viennent de la Basse-Ville et vont vers le quai des Hollandais, braquant leurs armes en direction des fenêtres des immeubles encore debout.
 
Vers 6h40, M. Fernand Polle, sorti de son abri, rue Dupouy, s’avance parmi les décombres jusqu’à la place Jean Bart où tous les immeubles sont effondrés autour de la statue du corsaire, épargnée. Il recule, en proie à une forte émotion : à 50 mètres de lui, sur la place, une mitrailleuse est « entourée de servants verts au casque large ».
 

A 7 heures, M. Max Labat, rédacteur à la mairie de Dunkerque, voit les Allemands à Petite-Synthe. « Des troupes françaises erraient encore vers Fort-Mardyck et la côte », a-t-il noté.
 
A 7h30, M. Robert Bethegnies (auteur du livre « Le sacrifice de Dunkerque ») aperçoit les « hommes verts, casqués, armés de fusils et de grenades » sur la digue de Malo-les-Bains.
Deux soldats allemands, arme au poing, font irruption dans la sous-prefecture. M. Le Gentil termine sa toilette. Un officier de la Wehrmacht se présente à son tour et il emmène le sous-préfet pour qu’il fasse cesser le tir, car l’Allemand a entendu quelques coups de feu.
Il ne peut s’agir que d’initiatives incontrôlées car à 8 heures, à l’hôtel de ville, les généraux Beaufrère, commandant la 68e D.I. et Teyssère, commandant la 60e D .I., rencontrent le commissaire central et M. Waeteraere, président de la Commission administrative, pour confirmer qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la lutte, la ville ayant déjà considérablement souffert. Le général Beaufrère, plus ancien en grade, prendra contact, est-il convenu, avec l’Etat-Major allemand. L’un des soldats ennemis entré en ville en est avisé. Un peu plus tard, une voiture emmène le général Beaufrère à Malo-les-Bains, dans un café proche du casino où il est mis en présence d’un colonel. Celui-ci annonce au général français qu’il sera reçu un peu plus tard par le général von Krantz, commandant la 18e Division silésienne qui a conquis la ville avec la 61e Division.
 
Sur une place de Dunkerque, se rassemblent une quinzaine d’hommes vêtus de bleus de travail et de vêtements salis, rapporte Jean Beaux, dans son livre « Dunkerque 1940 ». « Ils se sont assis par terre, cassant tranquillement la croûte et parlant allemand sans aucune gêne. Puis, bientôt, une voiture de l’armée allemande arrive. Un officier en descend et tous se lèvent, claquant des bottes et crient « Heil Hitler ». Ces hommes, probablement des agents de la « 5e colonne », partent ensuite en rang, en chantant. »
 
Ailleurs, un aviateur allemand déguenillé s’avance en boitillant à la rencontre des conquérants : « C’est le lieutenant von Oelhaven, capitaine de la 6e escadrille du premier groupe. Son Ju 88 a été abattu par des Spitfires. Fait prisonnier, il devait monter à bord d’un navire britannique » raconte Cajus Bekker dans « Altitude 4000, le journal de guerre de la Luftwaffe ».
« En escaladant un camion qui servait de passerelle, Oelhaven a sauté à l’eau et s’est accroché sous le véhicule. Il a tenu bon 36 heures, jusqu’à ce que la ville soit prise. »
  
A saint-Pol-sur-Mer, à la Cité des Cheminots, un ancien combattant de 1914-18 abat d’un coup de fusil de chasse un sous-officier allemand qui s’approche de sa porte. Il est criblé de balles ainsi que son fils âgé de 19 ans.
 
A Malo-les-bains, un soldat du 511e bataillon régional, qui se tient avec  un groupe de camarades dans la brasserie Ravinet, près de la place Turenne, voit un soldat un soldat allemand déployer un drapeau à croix gammée sur la chaussée d’un carrefour. C’est probablement un signal destiné à l’aviation. Les soldats français sortent de la brasserie les mains en l’air. Un Allemand leur offre des cigarettes et leur recommande de se préparer à partir.
 
A l’ouvrage Ouest à Petite-Synthe, est toujours en activité une batterie d’artillerie dont le chef de secteur ignore que les unités du secteur se sont repliées au cours de la nuit. Un capitaine allemand fait parvenir au maire de la localité un ultimatum exigeant la reddition du fort, faute de quoi une attaque sera lancée sans égard pour la population. Mis au courant de la situation par un parlementaire dépêché par le maire, le commandant de la batterie se soumet.
 
Vers 10 heures, le port est bouclé. Le drapeau à croix gammée flotte sur le Phare. Tous les soldats qui stationnent sur les quais sont faits prisonniers. Suivent le même sort ceux qui errent dans les dunes et sur la plage.
 
A 11 heures, les Allemands se présentent au Clipon, au « Casino » de Loon-Plage, et y capturent un groupe de militaires qu’ils emmènent dans une pâture vers Mardyck.
 
A Dunkerque même, c’est place Vauban et au stand de tir que sont regroupés les prisonniers. D’autres, réunis aux Glacis, forment une sorte de camp qui existera durant près d’une semaine. Il y a encore à l’Institution Saint-Ursule à Malo-les-Bains et à Rexpoëde, dans une pâture où, avant la prise de Dunkerque, les Allemands ont rassemblé les soldats capturés lors des combats dans le secteur. C’est de ces différents endroits que partiront, en de longues et tristes cohortes, vers les stalags et oflags d’Allemagne, les prisonniers de Dunkerque.
 

Pas tous… Certains, domiciliés dans la région, mettent à profit le flottement qui règne les premiers jours de l’occupation pour rentrer chez eux, revêtir des vêtements civils et faire comme si ils n’avaient pas été mobilisés. Les Allemands, parfois avec la complicité de  fonctionnaires locaux impressionnables ou de dénonciateurs anonymes, feront la chasse à ces prisonniers manqués. Mais beaucoup de soldats français seront pourvus de pièces d’identité régulières par les autorités municipales ou de police de Dunkerque et des environs. Certains prisonniers évadés de Dunkerque et d’autres recrutés comme policiers. Le passage en zone non occupée d’autres soldats soustraits à la captivité bénéficiera également de complicités officielles.
 
Quelques soldats britanniques, ayant discrètement quitté l’institution Sainte-Ursule et revêtu des vêtements civils, seront pris en charge par des Malouins. MM. Henri Gugelot, Marcel Petit, l’abbé Charles Lemaire, Mme Marcelle Cousien, Pierre Malraux (15 ans), Patrice Selingue (15 ans) et M. Castelin. Le premier groupe de Résistants réussira à conduire en Angleterre les  « Tommies », à bord d’un canot qui fera plusieurs traversées, en partant de la plage de Saint-Pol-sur-Mer. Mais ces Résistants seront arrêtés un an plus tard et les deux premiers, éxécutés.
 
Les Allemands se présentèrent au sanatorium de Zuydcoote le 6 juin, 48 heures après la prise de Dunkerque. Ils en évacuèrent leurs propres hommes, blessés et capturés au cours des combats. Ils y transférèrent les blessés anglais du Château Coquelle à Rosendaël et emmenèrent par la suite les soldats des B.E.F. en captivité.
 

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