mardi 10 mai 2016

descendre sous la terre : en visite à la crypte de la cathédrale de Boulogne sur Mer

La crypte décryptée de Boulogne-sur-Mer

Récemment rouverte au public, la crypte de la cathédrale Notre-Dame de Boulogne est l’une des plus vastes de France. Elle se visite comme un passionnant musée d’art et d’histoire, se parcourt comme un lieu portant à la rêverie. 

 

Si l’on était réalisateur de cinéma, on retiendrait très vite la crypte de Notre-Dame de Boulogne comme décor d’un prochain film ! Difficile de résister à son charme mystérieux, à ses vastes espaces cloisonnés dont les perspectives se dévoilent peu à peu, dans une impression paradoxale d’immensité et d’intimité.
« Dans ma jeunesse, se souvient Dominique Dupilet, ancien président du conseil général du Pas-de-Calais, le lieu n’était ouvert qu’une fois par an, le Vendredi saint. Je ne manquais jamais d’y aller, à la fois fasciné et vaguement effrayé. À peine éclairée, peu entretenue, la crypte offrait un terrain propice à toutes les imaginations enfantines ! »

parcours pédagogique et immersion poétique

Aujourd’hui, depuis sa récente réouverture solennisée par la présence de la ministre de la culture Fleur Pellerin, elle accueille les amateurs d’art comme le ferait un musée mais sans renier pour autant la richesse de son histoire ni les particularismes, voire les bizarreries, de son architecture.
« Nous proposons un parcours pédagogique mais aussi une immersion poétique, se félicite Frédéric Debussche, animateur du patrimoine de la ville de Boulogne. Pour retrouver un peu de l’esprit de l’abbé Haffreingue qui, au XIX e siècle, a réalisé ici une œuvre esthétique et mystique parfaitement originale. »
Ce prélat entreprenant, directeur du petit séminaire de Boulogne, espère alors rendre à la cité le siège épiscopal qu’elle a perdu depuis la Révolution. Mais la cause est difficile à défendre avec une cathédrale en ruines.

un chantier colossal

L’abbé en rachète le terrain et les travaux commencent par la construction d’une chapelle dédiée à la Vierge, puis d’un dôme néoclassique aux dimensions vertigineuses. C’est alors que les vestiges d’une crypte romane sont mis au jour, épousant le plan de l’ancienne église médiévale, elle-même bâtie sur un ancien casernement romain… « Il faudra des dizaines d’années pour que la crypte que nous connaissons aujourd’hui soit déblayée et renforcée, tandis que l’abbé Haffreingue lance un colossal chantier iconographique, recouvrant les parois (4 000 m  2    peints !) de scènes de l’Ancien et du Nouveau Testament mais aussi d’épisodes de l’histoire de Notre-Dame de Boulogne et de son pèlerinage marial qui a rayonné au Moyen Âge », explique Frédéric Debussche. Alors que la cathédrale haute, baignée de lumière, symbolise et illustre l’Église « militante » et « triomphante », la crypte, elle, raconte l’Église « souffrante ». Ainsi, au bout du chemin, non loin de la tombe de l’abbé Haffreingue, un Golgotha dresse ses trois croix, dans une reconstitution de la Passion très XIXe , un brin kitsch mais puissamment évocatrice…

un trésor remarquable

De salle en salle, le visiteur découvre, exposés à flanc de muraille ou sous vitrines, de remarquables pièces lapidaires ou d’orfèvrerie, richesses du trésor de Notre-Dame de Boulogne. Là encore, selon son humeur et son désir d’apprendre, il peut les admirer rapidement tels de brillants joyaux magnifiant l’édifice ou s’attarder sur les plus remarquables d’entre elles.
Voici un étonnant chapiteau du XIe  siècle aux dessins mi-réalistes, mi-géométriques figurant deux lions. Plus loin, sculptée dans l’albâtre, une délicate image du jeune Louis XIV offrant à Notre-Dame de Boulogne un cœur d’or : le visage grave, le manteau aux plis fleurdelisés et la couronne ouvragée témoignent de la virtuosité de l’artiste.
Fierté de Boulogne, voilà un reliquaire circulaire dit du « Saint-Sang » en émail de plique (1), or et cristal de roche, attribué à la main experte de Guillaume Julien, l’orfèvre de Philippe le Bel. Il renfermait un fragment d’étoffe taché du sang du Christ envoyé de Jérusalem par Godefroy de Bouillon en 1100…
En face, bouleversant, pathétique, un Jésus en ivoire agonise, les lèvres ouvertes, la tête penchée et le regard douloureusement levé vers le ciel.
Ostensoirs, ciboires et calices illustrent l’évolution des styles et des techniques, jusqu’à cette « orfèvrerie mécanisée du XIX  e    siècle, dont les modèles sont reproduits en atelier sur catalogue mais qui compte aussi ses grands artistes comme Poussielgue-Rusand », plaide Frédéric Debussche. La crypte tout entière réhabilite ce siècle partagé entre foi dans le progrès technique et désir de retrouver les racines ancestrales d’une France bousculée par la succession des régimes politiques et les tensions entre État et religion. Mais aussi entre raison et sensibilité.

Un vaste édifice souterrain

 De 2009, date de la mise en place du projet de restauration, au printemps 2015, la rénovation et le réaménagement de la crypte de Notre-Dame de Boulogne auront coûté 4 millions d’euros.
 D’une superficie de 1 400 m 2 (ce qui en fait sans doute la plus vaste de France), la crypte est divisée en 12 salles. Ses 101 mètres de long (sur 40 de large) offrent au regard du visiteur une perspective remarquable.
 Les collections lapidaires et d’orfèvrerie – dont une part est désormais exposée – comptent près de 500 œuvres, depuis l’époque romaine (un buste sans doute vestige d’une statue d’empereur) jusqu’au XIXe siècle.
 Exécutées au XIX e  siècle sur un projet de l’abbé Haffreingue, des fresques recouvrent les parois, totalisant une surface peinte de 4 000 m2. Demeurent également des traces, fort abîmées hélas, de peintures médiévales.
 
EMMANUELLE GIULIANI (à Boulogne-sur-Mer)
(1) Une technique d’émail cloisonné.










































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