lundi 18 mai 2015

quand un touriste porte un jugement sur les Flamands et Dunkerquois en 1876

« Les Flamands sont presque tous gros et grands. Leur naturel est pesant et indolent; cependant ils sont laborieux, tant pour la culture des terres que pour les manufactures el le commerce, qu'aucune nation n'entend aussi bien qu'eux. Ils sont grands amateurs de la liberté, et on les gagne plus aisément par la douceur que par la force. Ils se piquent et se réconcilient facilement. Ils se confient de tout ce qui leur arrive en pensant qu'il pourrait leur arriver pis. Ils ont de l'esprit et du bon sens, sans avoir l'imagination vive. C'est peut-êlre pour cela qu'ils aiment à boire entre eux et à faire leurs affaires le verre à la main. Ils sont fort attachés à la religion catholique, ils assistent régulièrement à la messe et au sermon.

« Les Flamands naissent tous avec du courage, cependant ils n'aiment pas la guerre, tant parce que la fortune ne s'y fait point assez promptement à leur fantaisie, que parce qu'ils n'aiment pas à l'acheter par une sujétion qu'ils regardent comme une bassesse. Les femmes y sont belles et blanches; mais leur beauté passe aisément. Le mariage a de si grandes vertus en Flandre, qu'il fait toujours une femme vertueuse d'une fille coquette; aussi les maris n'y sont point jaloux. Les femmes font la plus grande partie des affaires de la maison et jouissent d'une entière liberté, prenant part aux divertissements comme leurs maris.

« La nourriture la plus commune pour le peuple est le pain bis, le lait, le beurre et la chair salée. Les Flamands sont aussi sobres dans leur domestique, qu'ils aiment la bonne chère en compagnie. Ils sont louables en ce qu'ils proportionnent toujours leur dépense à leur revenu, ne se faisant point de peine de retrancher leur train et leur équipage lorsque leurs rentes diminuent. I1 y aurait eu bien des familles à la mendicité sans cette ressource pendant la guerre. Au reste, ils sont tous, hommes et femmes, grands amateurs des fêtes publiques. Chaque ville et chaque village a la sienne, qui dure huit jours, et c'est ce qu'on appelle la Kermesse. L'ouverture s'en fait par une procession du Saint-Sacrement, où l'on ne manque jamais de voir des représentations de géants, de poissons monstrueux, de saints du paradis et de l'enfer. Tout cela marche en cortège dans la ville et fait le divertissement général du peuple. »

« Entre toutes, la ville de Dunkerque a religieusement conservé les traditions des kermesses, et nulle autre ville de France ne célèbre le carnaval avec plus de ferveur et de magnificence. Tandis que Paris et nos grandes villes abandonnent l'antique usage du carnaval, dédaignent les déguisements et mascarades qui faisaient la joie de nos aïeux, les Flamands semblent protester contre le mépris des vieux us. On dirait que ce bon peuple gros et lourd, qui sommeille tout le cours de l'année, ne se met en gaieté qu'une fois, et ne se permet le rire qu'un seul jour. Ce jour-là, il est vrai, c'est un rire formidable, retentissant, tout à fait pantagruélique.

« Ici, douze mois, nous disait un ami habitant Dunkerque, se passent à trouver et à fabriquer des costumes et à imaginer des mascarades; c'est à qui inventera les plus riches, les plus bouffonnes. les plus grotesques. Toute la vide pendant trois journées appartient au dieu joufflu du carnaval. Des bandes aux costumes bariolés parcourent les rues jour et nuit; chacun prend part aux ébats, c'est un long défilé de chars, de brillants cortèges el de cohortes de musiciens, de groupes, de monstres, d'emblèmes, de bateaux superbement ornés, el qui semblent marcher d'eux-mêmes en cédant aux efforts des rameurs. Jean Bart, chef d'escadre, est naturellement au gouvernail; puis s'avancent les quatre parties du momie. Je paradis, l'enfer, les géants populaires, les Pirlala, le Grand lieuse. Pendant ces défilés, le carillon tinte à triple volée; on se presse, on se bouscule, et les vieux refrains flamands se font entendre à coeur joie. »

« Savez-vous ce que c'est qu'une chanson flamande ? Cette langue, patois anglo-allemand, est belle, sans aucun doute, mais nous connaissons, de par ce monde, un plus doux parler. Au hasard, je prends un chaut populaire, de carnaval, connu sous le nom de Ik a Pintje {la Pinte). Or, lisez et prononcez couramment si vous en avez la force.

Drink ik à pintje

'K drinken 'lyk a zwyuijne,

Drink ik a kannetje,

'K drinken 'lyk a mannelje.

Drink ik a stoopje,

K Volley in a hooptje

Kooyt van me leven meer,

K, en drinkey geen geneveruieer!

Eu langue wallonne ou française, celte harmonieuse poésie signifie : « Si je bois une pinte, je bois comme un petit porc. Si je bois une canette, je bois comme un homme. Si je bois un pot, je m'affaisse. Jamais de la vie je ne boirai plus de genièvre! »

Nous craignons de nous être un peu avancé et d'avoir calomnié les Flamands, et principalement les Dunkerquois, en leur supposant un seul accès annuel de gaieté durant trois jours. Or, les demoiselles de Dunkerque ont la réputation de faire durer le carnaval beaucoup plus longtemps. Le goût de la danse est tellement vif, tellement répandu, tellement impérieux, que nulle servante, nul domestique ne consentira à entrera votre service, si vous ne lui accordez préalablement le droit absolu de sortir à certains jours et à telles heures pour aller danser. C'est un usage qui est devenu une loi à laquelle personne ne peut se soustraire. Il faut ajouter que les trois journées et nuits de carnaval sont considérées comme vacances de droit. Ceci est a la lettre les familles les plus aisées de Dunkerque sont forcées pendant les êtes de se priver de leurs domestiques; chaque dimanche, heure des repas doit être modifiée pour permettre à ces demoiselles de l'office de vaquer à leurs plaisirs.

Il serait injuste d'attribuer au reste des Flandres des moeurs et les habitudes qui sont particulières à Dunkerque. II ne faut pas oublier que Dunkerque est un port de mer des plus fréquentes, un centre d'industrie considérable, et que celle agglomération d ouvriers de tout pays entraîne fatalement une perturbation du trouble, malheureusement, n'agit pas seulement sur les moeurs privées ; la démoralisation de Dunkerque a de plus graves inconvénients • l'esprit révolutionnaire, antireligieux, le courant républicain, en un mol, qui s'accommode si aisément des moeurs faciles et dissolues, semble avoir élu domicile a Dunkerque


"Lettres flamandes : Cassel, Bergues, Saint-Winoc, Dunkerque, Ypres, Oxelaere" d'Henry d'Ideville (1830-1887) , Éditeur : impr. de A. Pougin (Paris), 1876, 27 pages

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