mercredi 19 septembre 2012

Des aspects méconnus de l’occupation allemande à Lille pendant la Grande Guerre




In R. Deruyck – « Lille : 1914-1918, dans les serres allemandes », éditions la VOIX DU NORD, Lille, 1992, 279 p, pp. 176-177

«  Ce fut, toutefois, dans les balbutiements de l’année 1915 que les Allemands durcirent leur position et révélèrent que leurs menaces constantes n’étaient pas paroles en l’air. Le 12 février de cette année-là, ils bouclèrent la Grand Place et s’appliquèrent à massacrer les pigeons qui, habituellement, se perchaient sur le toit des maisons. Cette hécatombe fut assortie d’une injonction : les pigeonniers, nombreux à Lille et dans toute la région, devaient être instantanément détruits. Pour ne pas s’être plié à cette mesure, un mineur de Liévin, Paul Busière, fut fusillé. Les occupants appréhendaient par-dessus tout les espions, eux qui les avaient disséminés dans le monde entier et dont ils n’ignoraient pas l’efficacité ; ce fut chez eux une véritable phobie. Cette hantise permanente ne fut probablement dénuée de fondements : tout porte à croire que l’espionnage, dans la capitale des Flandres surtout, fut très actif : les pigeons s’avéraient, au surplus, dans ces années-là, un excellent moyen de communication.

Afin de mieux maîtriser le flot de la population, les Allemands, dès 1915, créèrent la carte d’identité, qui n’avait jamais existé, en France. D’abord, pour les hommes de quinze à cinquante-cinq ans, mesure étendue aux femmes ensuite, puis, en 1916, aux enfants de quatorze ans. Les cartes d’identité furent établies par les communes, à leurs frais, bien entendu. On suppose que les municipalités, par le truchement de leurs agents complices, l’accordèrent aux personnes en situation irrégulière, comme les soldats, qui, au terme de la capitulation, s’étaient fondus dans la foule accueillante, et n’avaient pas eu l’opportunité de gagner la France libre. Les contrôles plurent, et les amendes aussi, pour inobservation de la règle exigeant de porter toujours sur soi ce moyen d’identification. Des mesures d’accompagnement furent édictées : obligation d’afficher, bien en vue, dans chaque immeuble, une fiche de « maison », qui comprenait les noms, prénoms, date de naissance, nationalité et profession de chacun des habitants, y compris des enfants. Un changement de résidence  à l’intérieur de la ville, même le simple fait de passer une nuit hors de chez soi contraignaient à de fastidieuses formalités.

L’isolement de Lille fut, progressivement, amené à son plus haut degré. Un communiqué du général Von Heinrich, en date du 3 janvier 1915, disait : « Il ne sera délivré aucun laissez-passer pour les localités situées à l’ouest de la ligne La Forgette, Verlinghem, Pérenchies, Lomme, Englos, Haubourdin. Il est interdit sous peine de mort, de franchir cette ligne. » Puis il n’y eut que les portes conduisant à Roubaix, Tourcoing, La Madeleine, Fives et Hellemmes qui purent être traversées sans laissez-passer.

Au bois de la Deûle, séparant Lille de ses banlieues, il fut placé des barrières, étroitement gardées par des soldats. Il était toléré, le long de cette ligne de démarcation de venir prendre des nouvelles de parents ou d’amis résidant dans lesdites banlieues, puis l’on se séparait sur l’injonction d’une sentinelle, qui jugeait que l’entretien avait assez duré. Si l’on ne s’était pas tout dit, on gagnait, chacun de son côté, les berges de la Deûle, et l’on criait ce que l’on devait encore se dire.
Le plus pénible, sans conteste, était lé défense de passer la porte des Postes, chemin obligé pour se rendre au cimetière du Sud. Il était fréquent qu’un préposé à la délivrance d’un sauf-conduit refusât l’accompagnement à sa dernière demeure, d’un parent, fût-il très proche. Les convois, de toute façon, étaient escortés par la troupe et il était absolument prohibé de s’en éloigner. Au fur et à mesure que le conflit se prolongea, les occupants réduisirent le cortège à une petite dizaine de personnes. »

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