Les XIXe et début des vingtième siècles voient de nombreuses publications "touristiques". Ce n'est pas encore le guide Michelin mais les voyages commencent à se développer notamment avec le chemin de fer, encore faut-il préciser que ceux-ci restent réservés à une catégorie restreinte de la population; les congès payés n'existant pas encore. Cependant ces guides sont importants car ils sont le témoignage, pour les régions du Nord, d'un monde largement bouleversé quelques années plus tard. Le cas est particulièrement vrai pour Dunkerque, maintes fois bombardée lors de la Première guerre mondiale et quasiment rasée lors de la Seconde. La ville de la reconstruction n'est plus celle vue par l'auteur de ces pages.
La publication est cependant posterieure d'au moins 2 à 3 ans à sa visite: l'hôtel de ville (dont nous joindrons une photo qui n'est pas tirée de son ouvrage au contraire des gravures ci-après) a été rasé en 1896 pour faire place entre 1897 et 1901 par l'édifice actuel)
In Alexis Martin – « Les
étapes d’un touriste en France, de Dunkerque à Arras, Péronne et Montdidier »,
A. Hennuyer, imprimeur-éditeur, Paris, 1898, 372 pages, pp 26-52
De la gare à la place de la République
Une vaste place où verdoient à
gauche et à droite des gazons ras, tâchés de blancheur par le linge que les
ménagères y étalent au soleil, sert en quelque sorte de vestibule à Dunkerque.
Quand on sort de la gare, une rue, la rue Thiers, plonge devant nous dans la
ville. A droite, au premier plan, nous voyons les bâtiments rouges et fumants
d’une grande fabrique ; un peu plus loin apparaissent la face latérale et
les deux tours pyramidales de l’église Saint-Martin ; à gauche se dresse la
grande maison blanche où s’abrite la gendarmerie ; plus loin ;
au-delà des constructions qui bordent le quai, la tour du beffroi profile sa
silhouette sur le ciel.
A nos pieds, traversé par des
ponts – nous passons sur l’un deux – est le canal de Bergues, qui vient rejoindre
ici l’arrière-port hérissé de hauts mats, rayé de longues vergues, empanaché de
voilures blanches qui se gonflent et se balancent sous les caresses du vent, et
de pavillons aux couleurs agités par un même frémissement.
Allons devant nous, suivons la
rue Thiers ; à son extrémité, nous trouvons la façade postérieure du
Palais de justice ; nous ne faisons pas, pour l’instant, le tour du
monument et, nous dirigeant vers la droite, nous traversons un pont jeté sur le
canal de jonction qui réunit entre eux les canaux de Furnes et de
Mardyck ; nous arrivons auprès du chevet de l’église Saint-Martin.
Construit en 1867 par
l’architecte Lecocq, cet édifice, dont nous gagnons promptement l’entrée, est
conçu dans le style roman : extérieurement, il est bâti en briques et
couvert d’ardoises. La façade, ornée d’une rose et d’une galerie soulignant le
comble, est flanquée de tours carrées terminées par les flèches que nous avons
aperçues tout à l’heure et dont les bases sont accostées de pyramidions.
La pierre reparait dans
l’intérieur affectant la forme cruciale ; la grande nef est partagée en
cinq travées séparées des collatéraux par des colonnes aux chapiteaux
sculptés ; au-dessus des arcs qui retombent sur ces colonnes forment un
triforium praticable dans la nef, simulé dans le transept et qui se retrouve,
formant galerie, dans le chœur. Celui-ci, en forme d’hémicycle, occupe le fond
de l’édifice ; sa coupole est décorée d’un Saint-Marin coupant son
manteau, peint par De Coninck.
Laissant à notre droite l’hôtel de
la Douane que nous signale un gigantesque drapeau, nous revenons sur nos pas,
nous traversons le quai au Bois, nous apercevons à gauche, à l’angle de la rue
Dampierre, le bâtiment en briques du temple protestant ; nous entrons dans
la rue Thiers ; là se développe la façade principale du Palais de justice.
Deux jardinets flanquent le
perron qui donne accès à la modeste porte d’entrée ; au-dessus d’elle
s’ouvre une grande croisée accostée de deux étages de colonnes et couronnée
d’un fronton dont un haut-relief, représentant la Loi, occupe le centre.
Une salle des pas perdus, vaste et nue, donne accès à l’escalier à double
révolution qui conduit aux salles d’audience. Celles-ci sont de belles
proportions, mais sans luxe et sans décor.
Jetons-nous à gauche maintenant,
traversons la place de la République, un triangle, dont une fontaine marque le
point central, jetons un rapide coup d’œil sur la place du marché-au-Blé que
bordent les établissements de la marine et où quelques vieilles voitures,
coucous de 1830, laissent tomber leurs brancards désolés où attendent attelages
ou clients et entrons dans la rue Alexandre III (autrefois rue des Capucins).
C’est une de celles de la ville où le commerce est le plus actif, les magasins
les plus vastes, les étalages les plus coquets ; elle nous conduit à la
place Jean Bart, un vaste rectangle au milieu duquel se dresse la statue du
célèbre marin, œuvre de David d’Angers, exécutée en 1844 et inaugurée l’années
suivante.
Debout sur un piédestal, chaussée
de grandes bottes, un pied posé sur un agrès de navire, une couleuvrine près de
lui, le célèbre Dunkerquois est coiffé d’un grand chapeau à plume ; sa
tête, que de longs cheveux encadrent, est tournée vers la droite ; d’une
main il agite son épée comme s’il commandait un abordage ; de l’autre, il
tient un pistolet semblable à celui qu’on voit à sa large ceinture. Très
décorative, fière d’allure, énergique d’expression, cette belle œuvre est
également digne du héros qu’elle représente et du grand artiste qui l’a signée.
Au nord de la place s’élève
l’hôtel de la Banque de France ; de l’autre côté, haute et fière,
au-dessus des maisons, apparaît la tour du beffroi.
Eglise Saint-Eloi, beffroi
Cette tour, le seul édifice de la
ville qui soit classé parmi les monuments historiques, appartenait jadis à
l’église Saint-Eloi, dont vous voyez le portail vis-à-vis d’elle ; elle en
a été séparée au dix-huitième siècle lorsqu’on perça la rue de l’église,
percement qui enleva à l’édifice religieux les trois premières travées de sa
nef.
Causons un moment de l’église,
visitons-là ; nous reviendrons à la tour ensuite. L’église Saint-Eloi é
été originairement construite vers l’an 1440 ; le feu la consuma lors du
siège de 1588 mais elle fut immédiatement réédifiée sur son plan primitif et
sans importantes modifications ; brûlée encore dans le courant de l’année
1667, elle se releva de nouveau et ses reconstructeurs respectèrent son style
architectural. En 1784, après l’ouverture de la rue de l’Eglise, Louis,
architecte du duc d’Orléans, pansa la blessure qu’elle venait de recevoir par
la construction d’un péristyle romano-grec à colonnes corinthiennes et à
fronton triangulaire, dont vous verrez encore des reproductions photographiques
chez tous les papetiers et qui disparut en 1889 pour faire face au portail,
conçu dans le goût ogival du quinzième siècle, qui s’ouvre devant nous.
Au-dedans, l’église se divise en
cinq nefs correspondant entre elles par des arcades dont les ogives retombent
sur des faisceaux de colonnes ; ces arcades montent hardiment jusqu’à la
voûte et s’y réunissent en élégants pendentifs. Les collatéraux contournent le
chœur et les derniers se divisent au chevet de l’édifice en une suite de
chapelles éclairées par des vitraux modernes dont les couleurs multiples
forment dans ce fond, une sorte de foyer lumineux, éclatant ou mystérieux,
selon les heures, mais toujours d’un saisissant effet.
Outre de belles stalles aux
miséricordes curieusement sculptées, remontant à l’époque de la
renaissance ; outre une chaire du dix-huitième siècle, l’église renferme
quelques tableaux qui méritent d’être vus, tels un Ghérard Seghers représentant
l’Enfant Jésus sur les genoux de sa mère, un Mariage de la Vierge,
copie d’un Rubens que nous verrons au musée, exécuté par Jean de Reyn, élève de
Van Dyck, œuvre qui a la saveur d’un original ; une Descente de crois,
par Mathieu Elias ; d’autres encore. Enfin, l’église conserve les pierres
tumulaires de Jean Bart, de sa femme, Marie-Jacqueline Tugghe, de son fils et
du vice-amiral François Cornil Bart.
La tour de Saint-Eloi ou du
beffroi est, nous l’avons dit, de proportions imposantes ; c’est à environ
60 mètres du sol que se découpent, dans ses façades, les fenêtres ogivales et
garnies d’abat-son de l’étage supérieur. C’est à cette hauteur que l’édifice se
couronne de fleurons ouvragés et de fines tourelles d’angle reliées entre elles
par une balustrade ajourée ; le sommet forme une terrasse dont un pavillon
portant un mat occupe le centre.
Entièrement construite en
briques, cette tour remonte vraisemblablement au quinzième siècle et doit être
le seul reste de l’église primitive ; sa masse, à la fois élégante et
majestueuse, s’appuie sur quatre contreforts à redans qui viennent mourir au
pied de la terrasse ; au cinquième étage sont installés l’horloge et les
vingt-neuf cloches formant le fameux carillon universellement connu depuis
trois siècles (note : la phrase se répète régulièrement toutes
les demi-heures mais les samedis et dimanches, de 11 heures à midi un
carillonneur monte dans la tour et joue des airs variés. Le beffroi est placé
sous la garde d’un surveillant qui dispose d’un appareil télégraphique et
signale les incendies ou les navires en détresse).
Les touristes ont le temps de le
remarquer, mais il n’est point inutile de le dire à nos lecteurs, nous visitons
une ville propre, percée de rues larges se coupant à angles droits, bien pavées
et bordées de trottoirs en grès céramiques. Quant aux maisons, toutes bâties
sur des caves magnifiques, elles ont rarement plus de trois étages, mais leur
agencement est confortable et es logis plus modestes paraissent luxueux grâce
aux soins d’entretien et de propreté dont ils font l’objet.
Cela dit, remontons vers l’est,
prenons la rue des chaudronniers, puis la rue Jean Bart qui lui fait suite et,
au point de rencontre des rue Royer et des Vieux-Remparts, nous nous arrêterons
un instant au théâtre.
Théâtre, bibliothèque, musée
Construit en 1849, le théâtre est
un des beaux édifices que possède la province ; bien que sobrement orné,
il demeure d’aspect assez monumental. Son péristyle forme avant-corps et porche
pouvant abriter les voitures. La scène est belle ; la salle décorée avec
goût, a quatre étages et peut contenir 1.600 personnes. (note : sur
la place du Théâtre, autrefois place Dauphine, se dressait au commencement de
ce siècle le buste en marbre de Jean Bart par Lemot, que nous verrons au musée)
A quelques pas du théâtre,
agrémenté d’un joli jardin ouvert au public, nous rencontrons les bâtiments où
l’on a réuni la bibliothèque et le musée communal. La bibliothèque, bien
aménagée, contient environ 30.000 volumes et plus de 60 manuscrits curieux.
Le musée est relativement
jeune ; la première pensée de sa création ne remonte pas au-delà de 1829,
encore les tentatives qu’on fit pour l’établir n’obtinrent-elles pas le succès
désiré. Il en fut de même quand on renouvela les démarches en 1835, mais, trois
ans plus tard, Paul Lemaire, alors à la tête de la municipalité dunkerquoise,
réussit enfin à réunir une commission d’hommes actifs et amis des arts qui mena
l’entreprise à bonne fin. A sa tête et comme président était Benjamin Morel,
deux fois député de la ville, mort en 1860.
On fit sortir des combles de la
sous-préfecture et de l’hôtel de ville une soixantaine de tableaux et quelques
marbres ; on fit divers achats ; on sollicita et on obtint des
dons ; le tout forma le noyau du musée, qui fut inauguré le 27 juin 1841.
Il était alors installé dans trois salles de l’anciens Palais de justice, qui
sont maintenant annexées au collège. Edmond de Forcade, qui en fut le premier
conservateur et exerça cette fonction pendant quarante années, vit les
collections s’augmenter dans de grandes proportions. En 1874, les salles de
l’ancien Palais de justice étaient devenues insuffisantes. La ville acquit une
propriété qui avait jadis appartenu à Benjamin Morel, après avoir été jadis le
couvent des dames anglaises. On plaça la bibliothèque à l’étage ; on
augmenta le rez-de-chaussée d’une galerie, que construisirent les architectes
Develle et Lecoq, et le musée où nous allons entrer fut ouvert en 1877. Ses
richesses se sont augmentées depuis d’un bon nombre de tableaux et de toute la
collection d’un Dunkerquois mort en 1887, M. Coffin.
Les œuvres réunies ici sont
particulièrement curieuses pour les personnes que l’histoire de Dunkerque
intéresse. On y voit, et souvent exécutées par les artistes nés dans la ville,
une suite de vues du pays à diverses époques et de tableaux rappelant les
principaux événements dont il a été le théâtre.
Parmi les toiles dues à des
Dunkerquois, il en est plusieurs de Charles Carlier, qui, né à la fin du XVIIe
siècle, put voir Dunkerque en 1710, telle qu’il l’a représentée et être témoin
de la Rupture du batardeau en 1720.
Une Vue du bassin de la marine
en 1709 a pu aussi être prise sur nature par Mathieu Elias, à qui l’on doit
encore, entre autres œuvres, le Portrait de l’échevin Gabriel Duval, qui
exerçait ses fonctions en 1700. Non moins authentiques, sans doute, sont les
portraits des amiraux Colaert et Rombout, tous deux enfants de Dunkerque et
peints par Jean de Reyn. C’est encore d’après nature, assurément, que fut
exécuté par un artiste inconnu, le portrait de Pierre Faulconnier, grand bailli
de la ville de Dunkerque, auteur d’une Description historique de Dunkerque,
parue à Bruges en 1730.
Mais les organisateurs du musée,
tout en prenant soin d’y réunir ces œuvres documentaires, ont su les entourer
de tableaux appartenant aux diverses écoles et dont un grand nombre sont fort
remarquables.
Parmi ceux qui captivent le plus
l’attention des visiteurs, nous citerons un triptyque de François Porbus,
représentant le Martyre de Saint-Georges, œuvre datée de 1577 et que la
confrérie de Saint-Georges acheta à l’auteur. A côté de ce talent sévère, voici
David Téniers le jeune, avec des Villageois, un Pèlerin, une Mandoliniste,
etc. ; Brauwer, avec ses Buveurs aux faces violemment illuminées,
Van Ostade, avec un Intérieur séduisant en sa rusticité. Cette Cascade
d’un si puissant effet est signée Ruysdael. Holbein a peint ce magistral Portrait
qu’on suppose être celui de Luther ou de son ami Melanchton. De Brueghel est
cette Noce de village ; de Cuyp, ces Animaux. D’autres
œuvres sont signées Van Dyck, Van Goyen, Van den Hoeck, Ryckaert, Jordaens,
Paul Potter, Gonzales Coques, Van der Meulen, Corneille de Vos, Janssens et
enfin Rubens. De ce grand maître, on voit une curieuse esquisse sur bois du Saint
François agenouillé que possède le musée de Gand ; un Mariage de la
Vierge, dont Jean de Reyn a fait une copie pour l’église Saint-Eloi ;
une Réconciliation de Jacob et d’Esaü, etc.
Le musée est, on devait s’y
attendre, riche en toiles flamandes et hollandaises ; mais les autres
écoles y sont brillamment représentées aussi. Le Titien, Guardi, Il Giorgione,
l’Albane, Césari, Annibal Carrache, Salvator Rosa, chantent la gloire des
Vénitiens, des Boulonnais et des Napolitains. Une Vierge de Murillo, un Saint-Pierre
de Ribéra, une Tête de jeune homme de Velasquez, attestent celle de
l’art espagnol. Nos peintres français des dix-septième et dix-huitième siècle
et ceux aussi de notre temps concourent à la richesse de l’ensemble ;
Mignard est représenté par un fort beau Portrait du duc de Bourgogne,
petit-fils de Louis XIV ; Rigaud par celui de Claude Leblanc,
intendant de Dunkerque en 1707 ; Jouvenet par deux Portraits ;
Sébastien Clerc, par l’Enlèvement d’Europe. Citons encore une
toile de Boucher : Venus et Vulcain ; une Vue de
l’Adriatique, de Hubert Robert ; un Portrait de Carle Van Loo
peint par lui-même ; un Portrait de femme, de Mme Vigier-Lebrun,
qu’on pendrait volontiers pour un Greuze ; une Scène de l’Inquisition,
de Granet ; un Paysage de Corot et, du même artiste, une savoureuse
esquisse des Tours de Dunkerque en 1855. Ajoutons à cette liste déjà
longue une grande œuvre de Dehondencq, le Mariage d’une juive au Maroc ;
les Derniers moments de Charles X, de Detouche ; Louis XIV visitant le champ de bataille des Dunes ,
de Tattegrain ; tableau que nous rappelons avoir vu au Salon de 1889 et
qui ne pouvait être mieux placé qu’ici ; enfin des toiles de Detaille, de
Mme Demont-Breton, de Lansyer, de Lapostolet, de Dardoise, de Pelouze, de
Carrier-Belleuze et de plusieurs artistes nés à Dunkerque : Conseil,
Damman, Bourel, Lequeutre, etc.
Les œuvres de sculpture sont en
moins grand nombre ; à côté de plusieurs bustes, médaillons et statues de
Carl Elschoecht, il faut signaler un beau groupe en bronze représentant le Combat
d’un tigre et d’un crocodile, œuvre puissante où semble s’être condensés
toute la science et tout le talent de son auteur, le grand animalier Barye.
Feuchère retient à son tour l’attention avec un bas-relief en bronze, la Résurrection
de Lazare, œuvre de jeunesse où se révèle déjà les qualités dont l’artiste
devait faire preuve à l’âge mur. Chatrousse nous captive avec une Madeleine
repentante, qui lui valut une médaille au Salon de 1864. Voici encore des
bustes de Bonnassieux ; l’esquisse en plâtre de la Statue de Napoléon
élevée sur la colonne de Boulogne, par Bosio ; un joli bas-relief en
bronze d’Antonin Moine ; un marbre de Canova, Napoléon Ier, le
buste de Jean Bart, dont nous avons parlé plus haut, enfin le Romeo
et Juliette de Noël, très remarqué au Salon de 1875.
Saluons en quittant le musée, un
dernier souvenir local, le Bombardement de Dunkerque par l’Amiral Berkeley,
tableau en camaïeu bleu formé de 540 carreaux de faïence de Delft.
Hôtel de ville, église
Saint-Jean-Baptiste, parc de la marine
Continuant notre promenade vers
l’est, nous laissons au sud le champ de manœuvres et les grandes et belles
casernes qui l’avoisinent ; nous passons devant l’arsenal dont, vous
comprendrez, nous ne franchirons pas le seuil, et nous revenons vers l’ouest
par la rue du Collège. Dans cette dernière, nous rencontrons la Bourse, édifiée
en 1754, et le collège, qui, depuis 1826, occupe la place où s’élevait jadis
l’église des Jésuites ; puis nous arrivons à l’hôtel de ville.
L’édifice municipal est une
construction du dix-septième siècle, augmentée en 1810, d’un péristyle qui
donne à son entrée l’aspect d’un temple grec. La salle des Pas perdus, vaste
mais un peu triste, est décorée du buste de Louis XIV et de ceux de quelques
Dunkerquois célèbres : Pierre Lhermitte, Guilleminot, Thiéry, etc.
Nous avons maintenant quelques
pas à faire pour nous trouver sur le quai des Hollandais, centre d’une
animation ininterrompue. Le port d’échouage fuit à notre droite vers le
nord-ouest et va rejoindre le chenal par deux écluses. Devant nous est le vaste
bassin du Commerce, communiquant au sud avec les bassins de l’Arrière-port
et de la Marine, à peu près égaux en superficie. Au-delà, et relié au
port d’échouage et au bassin de la Marine, s’étendent le vaste bassin Freycinet
et ses quatre darses séparées par des môles. Tous les quais bordant les bassins
sont pourvus de voies ferrées. Plusieurs phares éclairent le port ; le
principal est au sommet d’une tour qui avait été rasée en 1713 et qu’on a reconstruite
de 1838 à 1846 ; faites-en l’ascension, vous vous trouverez au centre d’un
panorama qui n’a pas moins de 10 lieues d’étendue, et permet d’un côté de
planer sur la ville, le port et les bassins, la campagne environnante, et de
l’autre, d’embrasser le spectacle magnifique de la mer du Nord.
Suivons le quai, entre les
maisons basses et propres qui le bordent et la forêt de mats, de vergues, de
coques de navires émergeant du bassin du Commerce, circulons à travers les
wagons qu’on remplit ou qu’on vide ; admirons, en passant, la martiale
physionomie des marins et des travailleurs, et nous arrivons bientôt à l’église
Saint-Jean-Baptiste, où nous nous arrêtons quelques instants.
Cette église Saint-Jean-Baptiste,
bâtie au dix-huitième siècle, appartenait à un couvent de Récollets. C’est une
curieuse accumulation de chapelles richement boisées, décorées avec goût et
renfermant plusieurs tableaux de grands maitres ; ici, l’Enlèvement de
Sainte-Catherine par les anges, de Gaspard de Crayer ; là, une Fuite
en Egypte, du Guide ; plus loin, une Sainte Face, de
Rubens ; un Ecce Homo, de Van Dyck, etc. l’église est, vous le
voyez , une espèce de petit musée chrétien ; aussi ne sommes nous pas
surpris d’y trouver, au-dessous d’un Christ en marbre qu’on attribue à
Canova, la tombe de Karl Elschoecht, le grand sculpteur, né à Bergues, qui
avait fait de Dunkerque sa patrie d’adoption, et à qui tant d’églises doivent
des groupes d’une grande valeur artistique exécutés avec un profond sentiment
religieux.
Continuant à nous diriger vers le
sud, nous longeons le côté est du bassin de l’Arrière-port, nous passons devant
les établissements de la marine et, derrière eux, nous trouvons le parc
agréable et bien planté connu sous le nom de Parc de la Marine. C’est
aussi la promenade favorite des citadins et celle qu’ils ne manquent jamais de
faire visiter aux touristes.
Quand nous aurons parcouru ses
allées plantées de beaux arbres, admiré ses vertes pelouses, respiré le parfum
de ses massifs fleuris, entendu, si notre promenade a lieu un dimanche,
quelques airs joués par la musique militaire, nous aurons fait complétement
notre tour de ville et nous nous retrouverons à une courte distance de notre
point de départ.
Tour du Leughenaër, Notre-Dame
des Dunes, Chambre de Commerce, le port
Cela ne veut pas dire que nous
ayons vu tout ce qui est ici digne d’intérêt ; avant de quitter Dunkerque,
nous nous transporterons vers le chenal et nous nous arrêterons sur le quai des
Hollandais et devant la tour du Leughenaer.
Cet édifice, de forme octogonale
et haut d’une trentaine de mètres, était, au quatorzième siècle, la tour
cornière d’un château qu’habitait la dame de Cassel ; à son sommet
flottaient en ce temps les trois drapeaux des du roi de France, du Comte de
Flandre et du seigneur foncier. Aux heures de danger, on en hissait un
quatrième qui était de couleur noire. S’il en faut croire la légende, on
abusait quelque peu de ce signal d’alarme ; aussi finissait-on par ne plus
y croire et la tour fut-elle appelée Leughenaër, mot flamand qui
signifie menteur. Les drapeaux ne claquent plus dans le vent au faîte de
la tour, mais, nous l’avons dit, elle supporte un feu fixe, et la nuit, les
cadrans que vous voyez sur ses flancs sont éclairés.
A 300 mètres environ de la tour,
au bout de la rue Carnot, nous trouvons le monument commémoratif de la levée du
siège de 1793, édifié à l’occasion de son centenaire ; c’est une colonne
reposant sur un piédestal richement orné et supportant une statue de la
Victoire, dur au sculpteur Lormier. Plus loin s’élève la chapelle Notre-Dame
des Dunes. L’édifice est moderne, il a été bâti au commencement du règne de
Louis XVIII et agrandi en 1858, mais la fondation remonte au quinzième siècle,
car la statuette de la Vierge qu’on y conserve pieusement a été trouvée en ce
temps-là dans les sables de la côte. La piété des marins est toujours vive pour
Notre-Dame des Dunes, ainsi qu’en témoigne la fréquence des pèlerinages qui se
dirigent vers la petite chapelle et innombrables ex-voto qui couvrent
ses murs.
Nous avons fait trois cents pas à
l’est des quais, faisons-en cinq cents à l’ouest et dans le quartier qui fut
autrefois celui de la Citadelle, nous verrons les beaux bâtiments inaugurés au
mois de juillet 1891 où s’abritent les divers services d’inspection du port,
les chambres syndicales et la Chambre de Commerce.
Cette dernière conserve, outre
une riche bibliothèque, des archives d’un grand intérêt local et plusieurs
anciennes vues de Dunkerque très curieuses pour son histoire et pour la
reconstitution de sa topographie passée.
Reposons-nous de la longue course
que nous venons de faire, contemplons le grand et imposant spectacle du large,
voyons les barques et les bateaux entrer dans le port et en sortir, les unes
hardies et légères, les autres majestueux et imposants ; admirons
l’ensemble magnifique que forment les jetées, le chenal, le port d’échouage,
les bassins de Freycinet, leurs quatre darses et la magnifique écluse Trystram,
ceux du Commerce, de l’Arrière-port, de la Marine, enfin les écluses et les
canaux. L’eau est reine ici, mais reine bienfaisante et généreuse ; elle
se répand partout où elle est utile, partout où elle peut ajouter aux facilités
des transactions, à la richesse de la ville, à son originalité.
Au reste c’est le moment de la
faire observer, Dunkerque, par son mouvement maritime, est le quatrième port de
France. Comme importance commerciale, il suit immédiatement Marseille et Le
Havre. On reçoit ici des laines de l’Uruguay et de la Plata, des céréales, des
riz, des légumes secs, des huiles végétales, des mélasses, des fruits, des
gaines oléagineuses. La Russie envoie ses bois à Dunkerque, la Suède et la
Norvège lui adressent leurs goudrons. Sur ce quai, l’on décharge des minerais
de zinc, de cuivre ou de fer ; sous ce hangar, on entasse des peaux de
moutons ; sous cet autre, on emmagasine des produits chimiques ou des
engrais ; ici, arrivent des bitumes, là les écorces à tan, ailleurs des
chevaux, des bœufs et des moutons.
L’exportation n’est pas moins
active. Les pailles et foins pressés, les tourteaux de graines oléagineuses, les
phosphates naturels, le ciment, la craie, la marne, les fers en barre, les fils
et les tissus, les sucres, les farines, et enfin une grande partie de la
production houillère du Pas-de -Calais et du Nord ; tout cela arrive à
Dunkerque et en part pour les destinations les plus diverses en quantités
considérables.
Ajoutons que Dunkerque est desservie
par de nombreuses lignes régulières de navigation et compte deux cents soixante
navires à voiles et à vapeur attachés à son port.
Faisons maintenant quelques
promenades. Suivons les quais qui longent le port d’échouage et nous
atteindrons la jetée de l’Est et, tout en respirant le grand air salin, tout en
regardant au loin le roulis des vagues que le soleil argente, nous verrons le
monument élevé à la mémoire de François Tixier, un sauveteur qui mourut victime
de son dévouement ; son buste, dû au sculpteur dunkerquois Schadet, est
placé sur un socle pyramidal orné d’ancres, il domine le large, et le regard du
courageux marin semble encore fouiller l’horizon pour découvrir une barque en
détresse ou quelque naufragé luttant contre les flots.
Ceci vu, nous allons quitter les
travailleurs pour les oisifs, les marins pour les baigneurs, le port pour la
plage, Dunkerque pour Rosendaël et Malo-les-Bains.
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