A l'occasion du dernier roman de Philippe Jaenada, "La petite femelle", occasion est donnée de revenir sur la tragique histoire qui mit un temps Dunkerque sous le feu des projecteurs...
«La
vie est un combat, seuls les forts s'en tirent.» S'inspirant de Nietzsche, voilà le credo que lui enseigne son père, un ingénieur sorti de Centrale, colonel de réserve fou
de bateaux, titulaire de la Légion d'Honeur et brillant entrepreneur de travaux publics à
Malo-les-Bains. Dejà cette jeune fille brillante ne suit pas les conventions sociales et le carcan moral de l'époque. Se sent elle à l'aise avec la trouble atmosphère de l'Occupation? L'accusée est plutot jolie, fière, indépendante mais dans le contexte de l'après-guerre, le procès revêt alors une dimension qui dépasse le simple crime passionnel...
Enfance turbulante
Née en 1927, dernière enfant d'une fratrie qui compte trois frères, au sein d'une famille protestante rigoriste, mais où la
volonté d'être libre de ses actes ne choque nullement. Seule condition : que
les autres ne sachent pas que l'on réprime ses élans spontanés et que
l'on ne livre pas à autrui ses sentiments! ce serait un signe de faiblesse impardonnable. Son père la fait élever
par des précepteurs jusqu'à l'âge de 8 ans, avant de l'envoyer au lycée
de Dunkerque, où elle se révèle être «une enfant insupportable» qui
tient tête à ses maîtres et méprise ses camarades, qu'elle domine par son intelligence.
Dès
l'âge de 14 ans, la puberté produit des effets devastateurs, et la voilà qui
fait ses premières armes amoureuses avec des marins de la Kriegsmarine. Dunkerque occupée ne manque pas de ces jeunes hommes.
Elle est renvoyée du lycée apres avoir été surprise en pleins ébats , sans bruit, par égard au notable qu'est son
père. Il décide de prendre en charge lui même
l'éducation de sa fille et lui pardonne tout autant son caractère indomptable que son goût précoce pour le sexe mâle. Son père décide alors de l'envoyer démarcher les Occupants pour gagner, espère-t-il de nouveaux contrats, comprenant l'attirance qu'elle suscite auprès des hommes. Elle réussit tous ses examens, obtenant son baccalauréat en candidate libre en 1943, non sans devenir, à 17 ans, la maîtresse du
chirurgien-chef de l'hôpital allemand de Dunkerque où elle s'est faite engager en stage comme infirmère. Il est son aîné de 38 ans...
Le fait que deux de
ses frères soient morts au combat, l'un commandant de sous-marin,
l'autre aviateur, ne lui cause aucun trouble.
En 1945, les Allemands ont perdu la guerre. C'est dans un contexte de revanche que les collabo et les
femmes aux moeurs légères sont sommairement jugés. Les gangs
d'épurateurs n'ont pas oubliés Pauline Dubuisson. Une troupe
d'épurateurs débarque un soir chez elle toutes sirènes hurlantes pour rameuter le plus de monde possible, on lui tond le crane en place
publique en même temps que d'autres infortunées, coupable aux yeux de
leurs accusateurs de « collaboration horizontale ». Après avoir été
déshabillée, insultée et molestée elle est conduite manu militari au QG
des épurateurs où elle subit un viol collectif (ce qu'évoque d'ailleurs Henri-Georges Clouzot qui s'inspire de sa vie pour son film "la Vérité"). Après un semblant de
procès, elle est condamnée à mort. Elle ne doit son salut qu'à son père,
colonel de l'armée de réserve et chevalier de la légion d'honneur. Le
soir même où son père la fait libérer elle tente de se suicider à saint-Omer où ils se sont réfugiés.
Reconstruire une vie après la Guerre
Elle file à Lyon - on se sait si c'est de son plein grè - et y prépare ses examens, car elle
a décidé de se consacrer à des études de médecine. Elle travaille
négligemment — mais réussit — tout en volant de lit en lit et en
inscrivant scrupuleusement sur un carnet les proies qu'elle abat, comme
un chasseur les beaux coups de fusil qui ont couché le gibier à ses
pieds.
Après
Lyon, elle s'inscrit à la faculté de médecine de Lille, plus proche de
ses lieux d'origine. C'est là que, sur son tableau de chasse, elle inscrit le nom de Félix
Bailly. Il a 25 ans et appartient au genre «excellent jeune homme».
Grand, athlétique, beau, travailleur, sérieux (il fait d'excellentes
études de médecine), sympathique, la crème des crèmes des garçons, sa
naïveté de coeur pur le désigne pour être le parfait pantin (comme dira
Me Floriot, l'avocat de la partie civile).
II tombe éperdument amoureux. Elle joue. II l'adore. Elle le
tient en laisse et le trompe sans vergogne. Quand il apprend ses
infortunes, il pardonne ou supplie. « Rendez-moi Pauline, dit-il un
jour, prenant son courage à deux mains, à un professeur de médecine de
la fac que Pauline a séduit. Vous n'avez pas besoin d'elle, alors que
moi, je l'aime. » Le prof, attendri, essaie de raisonner son étudiante.
Elle rit. « Félix est un faible et je méprise les faibles. Ce n'est pas
ma faute s'il m'aime et si je ne l'aime pas. »
Ça dure près de
deux ans. Le jeune homme ne se rebiffe pas mais, bonne tactique, prend la fuite
pour aller terminer ses études à Paris et, là, comme il mesure 1 mètre
81 et a tout pour plaire, fait la connaissance d'une
jeune fille, une vraie, dont il ne tarde pas à s'éprendre, en plein ciel
bleu, après avoir échappé à l'emprise de Pauline.
Entre lui et Monique, fraîche et douce, c'est l'idylle parfaite, la
paix, le bonheur, les fiançailles et, à l'horizon, le mariage. Un mariage qu'ils revent heureux et prolifique. Dix huit mois
passent. Des camarades de Lille lui racontent la
vie que continue de mener Pauline. II leur dit : « Ne la laissez pas
tomber tout à fait. Le fond n'est pas mauvais. C'est seulement dommage
qu'elle soit si pute. ». Pendant ce temps, elle continue de collectionner les conquêtes...
En
Autriche, au cours de vacances, elle abat un sympathique ingénieur
autrichien, Legens, avec l'espoir de l'épouser un jour, qui sait ?Ensuite, elle part
retrouver à Ulm le colonel Domnitz, 60 ans, auprès duquel elle
roucoule leur mutuel passé de 1944, avant de se lancer à l'assaut d'un
médecin, le Dr Senneville, qui, prudent, repousse ses offres de
mariage.
Reconquérir Félix
C'est alors qu'elle se souvient de Félix... Fiancé ? Aucune importance. Il est encore ce qu'elle a trouvé de mieux dans son tableau de chasse. Cette Monique Lombard blonde, bleue et rose, et qu'il veut
épouser, ne va pas peser lourd. face à sa rivale, Pauline se decouvre brusquement jalouse.
Le 6 mars 1951, elle débarque chez Félix, rue de
la Croix-Nivert, et remet en marche le pouvoir qu'elle croit toujours
exercer sur lui mais si Félix est
gentil, il reste froid et reservé, d'ailleurs, il éconduit rapidement la jeune femme.
Le 14 mars,
elle revient à Lille. mais elle n'avale pas la défaite cuisante, elle si habituée à obtenir des hommes ce qu'elle désire...A son amie logeuse,
elle confie qu'elle a réussi à acquérir un revolver en prétextant que
les rues sont peu sûres, la nuit, quand elle rentre de l'hôpital. Le
permis de port d'arme lui a été délivré. Elle boucle sa valise pour repartir à Paris. L'amie, inquiète, téléphone au père de Félix:
«Prévenez votre fils, qu'il prenne garde.» Pour plus de sûreté, elle
envoie deux télégrammes au jeune homme : « Pauline veut vous voir.
Méfiez-vous, elle semble prête à tout. » A moitié sceptique, Félix
déserte sa chambre, le soir, et va coucher chez des amis. Bonne idée :
Pauline l'avait attendu jusqu'à 1 heure du matin.
Le
surlendemain, à une heure matinale, elle sonne à la porte du logis de Félix. II
refuse d'abord de lui ouvrir mais elle insiste tant et si bien qu'il cède. Dépitée, elle s'aperçoit qu'un ami du jeune homme est là et
semble surveiller ses gestes. Voulant lui parler sans témoins, elle lui donne rendez-vous au métro le plus proche mais met une ruse sur pied : elle se poste dans un
café, en face de l'immeuble et guette. Las d'attendre en vain devant
la station de métro, Félix revient. Elle le suit. Elle sonne. II ouvre,
il est surpris ; cette fois, il est seul. «Je me suis assise sur un
fauteuil. II est resté derrière la table. Je lui ai dit que je ne
pouvais pas vivre sans lui. II a fait un mouvement vers moi. Ensuite, je
ne sais plus ce qui s'est passé. » Amnésie bien étrange : elle a sorti vivement le revolver de son sac et a
tiré une première balle qui a atteint Félix en plein front ; il a
vacillé en demi-tour, et un deuxième projectile l'a frappé dans le dos.
Ensuite, derrière l'oreille droite, le coup de grâce.
Pauline file
à la cuisine, arrache le tuyau de gaz, le met dans sa bouche et ouvre
le robinet. Mais trois détonations, c'est bruyant et cela tranche avec le calme de l'immeuble:
les voisins accourent. Les pompiers la réaniment. On lui demande si elle regrette son
geste : « Le remords est un sentiment inutile et stupide. » Son père, apprenant le crime commis
par sa fille, s'isole puis dans l'après-midi, il reçoit son
fils, l'aîné de deux ans de Pauline. «J'ai tout gâché. Ma vie est finie.
Je vais te donner des instructions parce que je ne pourrai pas
m'occuper de l'entreprise.» Le jeune homme reste trois heures avec son
père. II dédaigne le repas que son épouse a préparé et sort sous la pluie. II rentre à 20 heures. Sa
femme est couchée. II écrit quatre lettres, se rend dans la salle de
bains, se rase, enfile un pyjama. Ensuite, calmement, il branche sur le
réchaud à gaz un long tuyau dont il fixe l'extrémité, avec du sparadrap,
sur sa bouche. II fourre sa tête sous un sac imbibé d'éther, s'étend
sur son lit. Quand,
dans la chambre voisine, sa femme entend un râle et se précipite, il
est trop tard. Le docteur appelé ne pourra que constater, par suicide,
la mort.
A l'épreuve des Assises
Pauline aussi, après avoir abattu Félix, avait voulu, par deux
fois, se suicider. D'abord, en retournant contre elle l'arme qui
s'enraya. Ensuite, en ouvrant le gaz. Elle essaiera, d'une troisième tentative, trois semaines avant son procès, après avoir écrit la lettre
où elle déclare vouloir jouer un bon tour aux «foules hurlantes de la
Révolution». «Simulatrice ! » s'écriera l'avocat général Lindon. Pour lui, l'étudiante en médecine avait calculé chaque détail de son geste et
savait qu'elle serait sauvée, le garrot lui permettant de choisir une
veine — la radiale — dont l'écoulement peu rapide lui permettrait
d'attendre l'arrivée de la surveillante. Mais pourquoi ne pas croire que ces tentatives de suicide
étaient vraies ? L'orgueilleuse Pauline n'était pas lâche et, capable de
tuer, on peut la supposer aussi capable de mettre fin à ses jours D'être son seul
juge et son seul bourreau. Me Floriot eut ce mot féroce : « En somme,
vous ne réussissez que les assassinats ! »
Trop belle, trop intelligente, trop
ardente, trop égoïste, trop orgueilleuse... Voilà comment l'accusée apparait à ses juges et jurés. Tout au long des audiences, au cours du mois de novembre 1953, elle ne fait montre d'aucun
regret, d'aucun remords. Un seul instant, lorsque son avocat,
Me Paul Baudet, eut terminé sa péroraison, on vit cette criminelle
hautaine, stricte robe noire et col blanc, essuyer des larmes. Mais pour la Cour, ces remords semblent bien trop tardifs pour etre une réelle preuve de componction.
Un an auparavant, le même juge et le même
procureur ont acquitté une ménagère, meurtrière de son mari par
jalousie. Cependant, dans le prétoire, l'accusée a contre elle sa
réputation de
légèreté. Ce n'est pas une épouse trompée, c'est une séductrice amorale
et méprisable, loin de ce que l'on attend d'une femme "respectable" à
l'époque. Le réquisitoire de
l'avocat général Lindon ne laisse aucun doute aux jurés des Assises: sa
culpabilité est totale. L'ombre funeste de la guillotine plâne sur la
jeune femme. La seule femme du jury,
Raymonde Gourdeau, couturière a des doutes et ne peut cacher son émotion
quand parle Pauline... Le
verdict sera «de clémence » : travaux forcés à perpétuité.
En 1959, détenue modèle, elle est libérée pour bonne conduite. Mais elle
n'obtient même pas le droit à l'oubli, car la sortie d'un film, « La
vérité », la replace sous les projecteurs. Entre temps, Pauline a fait
changer son prénom en Andrée dans l'espoir de se réhabiliter.
Une nouvelle vie outre-mer
Elle s'exile pour le Maroc et, en 1962, elle est engagée comme médecin auxiliaire à l'hôpital d'Essaouira, sous la direction du docteur Joseph. Elle est décrite comme étant une originale qui ne lie aucune amitié, passionnée par les animaux, qu'elle recueille en grand nombre. Elle fait toutefois la connaissance d'un ingénieur. Elle est selon toute vraisemblance devenue fidèle.
Lui est un
solide garçon, ingénieur géologue de 30 ans, qui s'occupe de prospection
pour une industrie pétrolière. II se prénomme Jean. Elle, c'est une
belle femme aux traits réguliers et à la chevelure châtain-roux. Les
Arabes l'appellent « la fille aux cheveux rouges ». Elle se prénomme
Andrée. Infirmière à l'hôpital depuis quatre ans, elle y exerce en
vérité les fonctions de médecin. Hors du service, où elle adopte une
tenue discrète et commode, elle s'habille avec beaucoup d'élégance et,
quand elle reçoit collègues ou amis, arbore même des robes de soirée.
Elle a pour les animaux — les chevaux, les chats et même un petit chacal
— un amour irraisonné. Normal, dit-on, elle a déjà 36 ans. «Une vieille
fille...» Le
Dr Joseph, pour expliquer cette passion, a une autre idée, car il
connaît «le secret» mais ne l'a jamais révélé à personne. « C'était le
sien, il ne m'appartenait pas. » Au mois de juin, Andrée avait fait la
connaissance de Jean. Il vient la chercher à l'hôpital,
puis l'emmene aux «apéritifs» de la colonie européenne qui ne manque de jaser. En septembre 1963, elle décide de l'accompagner à Rabat où il doit se rendre car elle a des choses à lui dire en évoquant au passage des projets de mariage.
Une fois à Rabat, elle lui avoue
qu'elle ne s'appelait pas Andrée mais Pauline Dubuisson, qu'elle avait
assassiné son amant Félix Bailly, son condisciple à la faculté de
médecine de Lille, qu'elle avait purgé 2 555 jours de prison après avoir
été condamnée aux travaux forcés à perpétuité, qu'elle a été libérée
après six ans de détention et décidé de se racheter en quittant la
France pour s'enterrer au Maroc et refaire sa vie dans le secret le plus absolu... Le choc des aveux est terrible pour Jean qui décide de rompre. Elle lui écrira une dernière lettre pour lui annoncer son suicide. Rapidement, il se rend chez elle en espérant arriver à temps. Une première tentative huit jours plus tot avait échoué, alors Pauline calcule les doses létales, consigne les résultats, rédige quatre lettres. Le dimanche, on la trouve étendue en pyjama sur son lit, un disque de Mozart tourne sur l'electrophone...
On l'enterrera le surlendemain. Aux
Européens, deux cents personnes, qui suivirent l'enterrement, on a dit
que Mlle Andrée Dubuisson avait fait «cette malheureuse bêtise» à cause
d'un chagrin d'amour.
Le livre de philippe Jaenada est parfait. Pauline ne demandait qu'à être heureuse lorsqu'elle a rencontré le dernier amant de sa vie.
RépondreSupprimerJ'aurais aimé entendre le son de sa voix.