Par Jules Beck, in Bulletin
de l’Union Faulconnier, tome II, Dunkerque, 1899, 604 pages, pp 349-351
En 1694, la famine décimait la
France; le 27 Mai avait lieu à Paris une procession en l'honneur de Ste Geneviève
pour obtenir « la pluie nécessaire à faire profiter les petits grains appelés
maïs et autres fruits de la terre qui faute d'ycelle rend la terre si sèche
qu'elle est comme stérille », vers le même temps Jean Bart recevait du Roi
l'ordre de se rendre à Vleckeren pour y prendre une flotte chargée de blé ; le
28 Juin il quittait Dunkerque après avoir enterré la veille son dernier-né Paul
; le 29 Juin le hardi marin enlevait la flotte aux Hollandais qui s'en étaient emparée
et comme conséquence le blé qui valait en France 30 livres le boisseau tombait
à 3 livres.
Jean Bart, dit Faulconnier,
arriva à Dunkerque le 3 Juillet, à 2 heures de l'après-midi. Il fut reçu
triomphalement ajoutent d'autres chroniqueurs.
Il est intéressant de se
représenter cette scène.
Jean Bart, âgé de 44 ans, était
capitaine de vaisseau et chevalier de St-Louis. Il débarqua du Maure, frégate de
52 canons, entièrement désemparée à la suite de son abordage avec le vaisseau
amiral hollandais et hors d'état de faire de la Voile, remarque Jean Bart dans
son rapport. A son bord se trouvait le contre-amiral hollandais Heyde de Vries
qui, blessé d'un coup de pistolet dans la poitrine, d'un coup de mousquet dans
le bras gauche et de trois coups de sabre dans la tête, mourut quelques jours
après son arrivée à Dunkerque. Vingt-sept Français revinrent également blessés
de ce glorieux combat. Trente navires chargés de blé entrèrent avec le chef d'escadre
à Dunkerque, les autres ayant été dirigés sur le Havre et d'autres ports.
Parmi les officiers qui montaient
les vaisseaux de l'escadre française, les annalistes nous ont laissé les noms
de MM. le vicomte de la Bruyère, de la Tour, de la Sablière, de Ravenel, de
St-Pol, de Chamblage, du fils de Jean Bart, le jeune François, âgé de 17 ans, et
du beau-frère du héros le sieur Vandermersch. M. Fricambault, lieutenant de
l'Adroit avait été tué et M. Gabarit, premier enseigne de cette même frégate, revenait
blessé.
Le quai était naturellement
encombré d'une multitude avide d'acclamer les vainqueurs, d'embrasser leurs
parents et leurs amis. Toutefois clans cette foule joyeuse ne devait pas se
trouver Jacqueline Tugghe, la seconde femme de Jean Bart, âgée alors de 31 ans,
qui, huit jours auparavant, avait mis un fils au monde.
Parmi les personnages qui
pouvaient assister à cette réception triomphale, il nous est possible de citer: le gouverneur, M. de Medavi ; l'intendant de la Marine, M. Patoulet ; Pierre
Faulconnier, grand bailli ; Jacques Omaer, bourgmestre, entouré des échevins en
robe de soie noire ; M. de Laborri, major de la place ; M de la Hestroy, lieutenant
de l'Amirauté; M. Gervais Desvignes, curé de St-Eloi, bachelier en Sorbonne,
ancien professeur de philosophie à Paris et chanoine de Maëstricht ; M. de la Neuville,
lieutenant du roi ; M. Demadrys, intendant ; M. de l'Ecosse, gouverneur de la
Citadelle ; M. de la Vercautière, commandant de place.
Le cadre où se passait la scène de
la réception n'était pas tel que nous le voyons de nos jours. Pour se faire
l'idée de la Noordpoorte sous Louis XIV, il faudrait voir l'intéressant tableau
qu'en a fait dernièrement M. Schelley; les casemates du rempart n'étaient pas
surmontées de l'étage que les services du Pilotage vont bientôt abandonner ; le
Leughenaer lui-même où des lanternes avaient remplacé en 1645 les pots à feu
légendaires, fut reconstruit en 1753, et il était loin alors d'avoir son
élévation actuelle, l'étage de l'horloge n'ayant été construit qu'en 1759 pour
recevoir les cloches de la tour Gapaert. On sait que cet étage de l'horloge a
été lui-même rehaussé vers 1845 par les Ponts-et-Chaussées, lorsque
l'Administration du port plaça sur le Leughenaer le feu actuel. Plusieurs
tableaux des collections dunkerquoises donnent l'idée exacte du Leughenaer au
XVIIe siècle et à ce propos il est regrettable que l'aquarelle de l'amiral Paris
représentant la visite de l'Entreprenant par Louis XIV en 1680 ait donné à
cette tour l'aspect qu'elle n'a eu que dans ce siècle.
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