mercredi 15 avril 2020

La Flandre sous le règne des Français


            Peu avant la mort de Louis XIV, les Intendances des Flandres maritime et intérieure furent réunies sous l’autorité d’un unique intendant. Depuis lors, la Flandre ne quitta plus le giron français et devait ressembler au reste du royaume. Les Bourbons y placèrent leurs fidèles par nomination ou par vente des charges d’officiers. La francisation devint ici la règle: les actes administratifs sont réglementés et rédigés en français dans toute l’Intendance. Si cela ne posait aucun problème en Flandre Gallicane ou Wallonne, l'habitude fut plus difficile à perdre au nord de la Lys. Des siècles d’usage du flamand et une certaine résistance ne rendirent la francisation réellement définitive qu'avec la IIIe République... sans toutefois parvenir à effacer totalement les traces des racines flamandes...



Une plus forte influence méridionale
 
            Durant le Moyen-âge, la Flandre était un comté du sud des Pays-Bas; à partir du XVIII° siècle, elle s’intégra, avec l’Artois et le Hainaut, aux Pays-Bas Français. Les Lumières conquièrent Lille où des loges maçonniques sont fondées dès 1744. Le classicisme architectural gagne peu à peu les villes: les places royale et dauphine à Dunkerque, le palais de Justice de Bailleul, la rue Royale de Lille en témoignent. 
 
            Partout s'élèvent des hôtels particuliers, richement décorés où le goût français s'impose. Dans les campagnes, le style français se répand. Le caractère castral des anciennes demeures seigneuriales s’efface puis disparaît... Au besoin même on reconstruit pour répondre aux nouveaux canons esthétiques. Le bien-être devient la règle. L’installation définitive des Français correspond à la mise à mort des fortifications privées. Les châteaux deviennent réellement résidentiels, réservant les aspects fortifiés aux enceintes urbaines, aux forts et à quelques fermes car les temps, après tout, ne sont pas si sûrs... Dans ces nouvelles résidences, les murs s’ouvrent de larges fenêtres. Les douves deviennent des éléments décoratifs quand le terrain oblige à leur conservation, des ponts dormants sont jetés au-dessus d’elles pour remplacer les anciens pont-levis. Les seigneurs flamands s’étaient adaptés à un nouveau style de vie. 
 
            Il reste quelques rares témoins de ce XVIII° siècle triomphant que les guerres ou l’urbanisation n’ont pas mis bas...  Ainsi à Baisieux, le manoir d’Escarmain construit dans les premières années du XVIII° siècle où la pierre et la brique se mêlent harmonieusement pour rythmer la façade.
 
            Un des plus beaux exemples de cette architecture qui nous soit parvenu se trouve à Bondues. Le Château du Vert-Bois offre au regard une magnifique tour-porche érigée en 1666, qui permet d’accéder au château reconstruit en 1743 sur une motte castrale. La façade, percée de nombreuses baies, est ornée de pilastres toscans et l’ensemble, bien que massif, est des plus harmonieux. De l’ancienne fortification rurale ne subsistent plus que les larges douves... Avec toutes ces grandes et larges fenêtres, le siècle français se résume à l’intrusion de la lumière. 
 
            Dans la même commune, on peut parfois admirer un exemple rare d’austérité du XVIII° siècle au château de la Vigne, construit par Lesaffre en 1777 pour Michel Aronio de Romblay. Sans exubérance, rompant avec les habitudes du XVI° siècle et des escrigniers flamands, la brique y prédomine mais sans fioritures. Comme au Vert-Bois, le toit est couvert d’ardoise et la pierre ordonne les façades avec des chaînes et des bandeaux saillants.
 
            Il n'est pas une ville de Flandre où l'on n’érige de luxueux hôtels particuliers. L'Ancien Régime finissant, Lille ressemble un peu plus à Paris. La noblesse, sans délaisser totalement la campagne où elle a transformé radicalement son style de vie, adopte de nouvelles habitudes. Quelques architectes, à Lille, imposent une nouvelle façon de construire. Les cours intérieures sont encadrées d'ailes percées de larges fenêtres.  Fermées de grilles, ces cours ne sont pas cachées à la vue des passants. Colonnades et guirlandes ordonnent la façade d'entrée ou rythment les porches. Quelques hôtels, certainement parmi les plus beaux fleurons du dernier siècle royal nous sont parvenus en assez bel état. L'Hôtel d'Avelin, intégré au Rectorat académique, est l'œuvre de Lequeux, qui comptait parmi les plus actifs à Lille. Si l'hôtel resta célèbre pour avoir accueilli Louis XVIII sur la route de l'exil vers Gand, il est un témoin émouvant de ces nouvelles normes. Partout à Lille, on peut constater le succès de ces nouvelles habitudes de construction, l'Hôtel Petitpas de Walle et l'Hôtel de la garde, rue de l'Hôpital militaire, l'Hôtel de l'Intendance, abritant aujourd’hui l'Evêché.

            Le style français influence aussi les peintres et la littérature devient de plus en plus francophone. Malheureusement pour la Flandre, si l’époque est florissante pour les Arts, la situation est plus difficile pour l’économie. La Flandre subit la rude concurrence des Pays-Bas et de l’Angleterre et ses produits subissent une forte taxation à la barrière douanière qui la sépare du reste du royaume. Au cours de la lente agonie de l’Ancien Régime, seule l’Agriculture est saluée comme un modèle d’ingéniosité et de prospérité. Les campagnes de Flandre ont de forts rendements grâce aux efforts constants dans l'assèchement des marais, parce que l’eau est abondante et surtout parce que les cultures industrielles comme le lin ou le chanvre sont en plein essor. Tous les visiteurs qui sillonnent la Flandre saluent unanimement cette avance sur ses voisins et la maîtrise des paysans flamands.

Une fin de siècle difficile
 
            La profonde crise économique de la fin du XVIII° siècle préfigure déjà la révolution de 1789. Le chômage est endémique, les vivres sont chères, l’indigence profonde. Les cahiers de doléances sont presque tous unanimes dans leurs réclamations: constitutions d’Etats propres à la Flandre maritime nettement séparés de la Flandre Gallicane, abolition des barrières douanières mais plus forte taxation des produits étrangers, unification des poids et mesures qui varient souvent d’un village à l’autre, fin des juridictions, des droits et des exemptions issus de la féodalité, réalisation de grands travaux de voirie... On réclame surtout un traitement égal en matière de justice et de fiscalité...
 
            La Révolution révèle la richesse nouvellement acquise de quelques spéculateurs, enrichis grâce aux biens nationaux et à la thésaurisation de leurs pécules face à un assignat sans cesse dévalué, seule monnaie disponible pour le petit peuple. Pour beaucoup, la seule solution pour gagner une maigre pitance reste de s’engager dans les armées révolutionnaires, ceux qui restent sont sans cesse soumis aux combats et aux représailles des belligérants, quel que soit le pavillon sous lequel ils combattent.
 
            Si au début de la Révolution,  il n’était nullement question de remettre en cause l’ordre établi, on fit malgré tout officiellement table rase du passé, notamment en niant la place de la religion dans la vie quotidienne et dans l’organisation sociale. Cette question religieuse s’est posée avec acuité. La Constitution civile du clergé ne recueille pas l’assentiment des Flamands, chez qui on trouve pléthore de réfractaires. Nombreux furent les prêtres qui prirent la route de l’exil avec quelques rares émigrés nobles. A l’opposé d’autres régions de France, la Flandre refuse la Terreur, la guillotine ne s’accommode pas du climat. Cela n’empêcha pas le patriotisme républicain de s’épanouir face aux armées des princes étrangers comme en témoigne la résistance héroïque devant les Autrichiens en 1792, de la ville de Lille retranchée derrière les admirables fortifications héritées de Vauban.

François Hanscotte & Eric Vanneufville - "Vues de la Flandre monumentale, de Dunkerque à Douai, du Siècle d'Or à l'an 2000", 2001, Dunkerque, 

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