Peu avant la mort de Louis XIV, les
Intendances des Flandres maritime et intérieure furent réunies sous l’autorité
d’un unique intendant. Depuis lors, la Flandre ne quitta plus le giron français
et devait ressembler au reste du royaume. Les Bourbons y placèrent leurs
fidèles par nomination ou par vente des charges d’officiers. La francisation
devint ici la règle: les actes administratifs sont réglementés et rédigés en
français dans toute l’Intendance. Si cela ne posait aucun problème en Flandre
Gallicane ou Wallonne, l'habitude fut plus difficile à perdre au nord de la
Lys. Des siècles d’usage du flamand et une certaine résistance ne rendirent la
francisation réellement définitive qu'avec la IIIe République... sans toutefois
parvenir à effacer totalement les traces des racines flamandes...
Une
plus forte influence méridionale
Durant le Moyen-âge, la Flandre
était un comté du sud des Pays-Bas; à partir du XVIII° siècle, elle s’intégra,
avec l’Artois et le Hainaut, aux Pays-Bas Français. Les Lumières conquièrent
Lille où des loges maçonniques sont fondées dès 1744. Le classicisme
architectural gagne peu à peu les villes: les places royale et dauphine à
Dunkerque, le palais de Justice de Bailleul, la rue Royale de Lille en
témoignent.
Partout s'élèvent des hôtels
particuliers, richement décorés où le goût français s'impose. Dans les
campagnes, le style français se répand. Le caractère castral des anciennes
demeures seigneuriales s’efface puis disparaît... Au besoin même on reconstruit
pour répondre aux nouveaux canons esthétiques. Le bien-être devient la règle.
L’installation définitive des Français correspond à la mise à mort des
fortifications privées. Les châteaux deviennent réellement résidentiels,
réservant les aspects fortifiés aux enceintes urbaines, aux forts et à quelques
fermes car les temps, après tout, ne sont pas si sûrs... Dans ces nouvelles
résidences, les murs s’ouvrent de larges fenêtres. Les douves deviennent des
éléments décoratifs quand le terrain oblige à leur conservation, des ponts
dormants sont jetés au-dessus d’elles pour remplacer les anciens pont-levis.
Les seigneurs flamands s’étaient adaptés à un nouveau style de vie.
Il reste quelques rares témoins de
ce XVIII° siècle triomphant que les guerres ou l’urbanisation n’ont pas mis
bas... Ainsi à Baisieux, le manoir
d’Escarmain construit dans les premières années du XVIII° siècle où la pierre
et la brique se mêlent harmonieusement pour rythmer la façade.
Un des plus beaux exemples de cette
architecture qui nous soit parvenu se trouve à Bondues. Le Château du Vert-Bois
offre au regard une magnifique tour-porche érigée en 1666, qui permet d’accéder
au château reconstruit en 1743 sur une motte castrale. La façade, percée de
nombreuses baies, est ornée de pilastres toscans et l’ensemble, bien que
massif, est des plus harmonieux. De l’ancienne fortification rurale ne
subsistent plus que les larges douves... Avec toutes ces grandes et larges
fenêtres, le siècle français se résume à l’intrusion de la lumière.
Dans la même commune, on peut
parfois admirer un exemple rare d’austérité du XVIII° siècle au château de la
Vigne, construit par Lesaffre en 1777 pour Michel Aronio de Romblay. Sans
exubérance, rompant avec les habitudes du XVI° siècle et des escrigniers
flamands, la brique y prédomine mais sans fioritures. Comme au Vert-Bois, le
toit est couvert d’ardoise et la pierre ordonne les façades avec des chaînes et
des bandeaux saillants.
Il n'est pas une ville de Flandre où
l'on n’érige de luxueux hôtels particuliers. L'Ancien Régime finissant, Lille
ressemble un peu plus à Paris. La noblesse, sans délaisser totalement la
campagne où elle a transformé radicalement son style de vie, adopte de
nouvelles habitudes. Quelques architectes, à Lille, imposent une nouvelle façon
de construire. Les cours intérieures sont encadrées d'ailes percées de larges
fenêtres. Fermées de grilles, ces cours
ne sont pas cachées à la vue des passants. Colonnades et guirlandes ordonnent
la façade d'entrée ou rythment les porches. Quelques hôtels, certainement parmi
les plus beaux fleurons du dernier siècle royal nous sont parvenus en assez bel
état. L'Hôtel d'Avelin, intégré au Rectorat académique, est l'œuvre de Lequeux,
qui comptait parmi les plus actifs à Lille. Si l'hôtel resta célèbre pour avoir
accueilli Louis XVIII sur la route de l'exil vers Gand, il est un témoin
émouvant de ces nouvelles normes. Partout à Lille, on peut constater le succès
de ces nouvelles habitudes de construction, l'Hôtel Petitpas de Walle et
l'Hôtel de la garde, rue de l'Hôpital militaire, l'Hôtel de l'Intendance,
abritant aujourd’hui l'Evêché.
Le style français influence aussi
les peintres et la littérature devient de plus en plus francophone.
Malheureusement pour la Flandre, si l’époque est florissante pour les Arts, la
situation est plus difficile pour l’économie. La Flandre subit la rude
concurrence des Pays-Bas et de l’Angleterre et ses produits subissent une forte
taxation à la barrière douanière qui la sépare du reste du royaume. Au cours de
la lente agonie de l’Ancien Régime, seule l’Agriculture est saluée comme un
modèle d’ingéniosité et de prospérité. Les campagnes de Flandre ont de forts
rendements grâce aux efforts constants dans l'assèchement des marais, parce que
l’eau est abondante et surtout parce que les cultures industrielles comme le
lin ou le chanvre sont en plein essor. Tous les visiteurs qui sillonnent la
Flandre saluent unanimement cette avance sur ses voisins et la maîtrise des
paysans flamands.
Une
fin de siècle difficile
La profonde crise économique de la
fin du XVIII° siècle préfigure déjà la révolution de 1789. Le chômage est
endémique, les vivres sont chères, l’indigence profonde. Les cahiers de doléances
sont presque tous unanimes dans leurs réclamations: constitutions d’Etats
propres à la Flandre maritime nettement séparés de la Flandre Gallicane,
abolition des barrières douanières mais plus forte taxation des produits
étrangers, unification des poids et mesures qui varient souvent d’un village à
l’autre, fin des juridictions, des droits et des exemptions issus de la
féodalité, réalisation de grands travaux de voirie... On réclame surtout un
traitement égal en matière de justice et de fiscalité...
La Révolution révèle la richesse
nouvellement acquise de quelques spéculateurs, enrichis grâce aux biens
nationaux et à la thésaurisation de leurs pécules face à un assignat sans cesse
dévalué, seule monnaie disponible pour le petit peuple. Pour beaucoup, la seule
solution pour gagner une maigre pitance reste de s’engager dans les armées
révolutionnaires, ceux qui restent sont sans cesse soumis aux combats et aux
représailles des belligérants, quel que soit le pavillon sous lequel ils
combattent.
Si au début de la Révolution, il n’était nullement question de remettre en
cause l’ordre établi, on fit malgré tout officiellement table rase du passé,
notamment en niant la place de la religion dans la vie quotidienne et dans l’organisation
sociale. Cette question religieuse s’est posée avec acuité. La Constitution
civile du clergé ne recueille pas l’assentiment des Flamands, chez qui on
trouve pléthore de réfractaires. Nombreux furent les prêtres qui prirent la
route de l’exil avec quelques rares émigrés nobles. A l’opposé d’autres régions
de France, la Flandre refuse la Terreur, la guillotine ne s’accommode pas du
climat. Cela n’empêcha pas le patriotisme républicain de s’épanouir face aux
armées des princes étrangers comme en témoigne la résistance héroïque devant les
Autrichiens en 1792, de la ville de Lille retranchée derrière les admirables
fortifications héritées de Vauban.
François Hanscotte & Eric Vanneufville - "Vues de la Flandre monumentale, de Dunkerque à Douai, du Siècle d'Or à l'an 2000", 2001, Dunkerque,
François Hanscotte & Eric Vanneufville - "Vues de la Flandre monumentale, de Dunkerque à Douai, du Siècle d'Or à l'an 2000", 2001, Dunkerque,
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