mardi 7 janvier 2020

le sexe plus fort que la philosophie

Où l'on apprend à l'école que ce sont les philosophes des Lumières qui ont pratiquement provoqué la Révolution Française... sauf que ... l'immense majorité de la population ne sait pas lire et que les livres sont reservés à une élite... par contre le sexe... tout le monde en a un (même le clergé le moins observant et sait plus ou moins s'en servir...


Le coït interrompu a-t-il provoqué la Révolution de 1789 ?
  
Croissez et multipliez…

« Dieu les bénit et Dieu leur dit « Fructifiez et multipliez-vous, remplissez la terre et soumettez la ; dominez les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel et sur tout être vivant qui rampe sur la terre. » 
(Gen 1, 28)…  
 
 Par cette injonction divine, le premier couple d’hommes reçoit un ordre simple. Leur premier but est d’avoir une descendance, à plus forte raison qu’après avoir gouté au fruit défendu, ils sont chassés du « paradis terrestre », condamnés à gagner leur pain à la sueur de leur front pour l’homme et à la femme d’enfanter des enfants dans la peine. La chose est entendue, la relation sexuelle doit, dans cette optique, aboutir à une procréation et la notion de plaisir en est exclue…
 
Ceci est d’autant plus important que les Hébreux sont une population minoritaire et nomade, dont le groupe doit être préservé, notamment par la filiation per ventrem… La femme doit concevoir pour maintenir les effectifs du groupe et de fait, elle assure aussi la filiation, car de la mère l’on est toujours certain… Obligation donc est faite de la fidélité matrimoniale et, normalement, de la monogamie.
 
Tout ce qui n’est pas du domaine de la procréation est donc hautement condamnable et subit l’anathème immédiat. La destruction de Sodome pour les mœurs de ses habitants, l’interdiction de la bestialité commune à nombre de cultes païens, de la prostitution sacrée des hiérodules consacrés aux dieux de Canaan vont en ce sens. Pis encore, le crime d’Onan, qui préfère perdre sa semence sur le sol au lieu d’épouser sa belle-sœur acte dans le même ordre d’esprit : non seulement les biens de son défunt frère ne doivent pas passer à autre famille mais il faut continuer d’assurer la pérennité du groupe. Il n’est pas ici de question de masturbation, improductive, mais de condamner le coït interrompu car le mariage n’est pas consommé et n’aboutit pas à une perpétuation du groupe… Ce n’est que le Moyen âge qui l’associe à la masturbation.
  
Les funestes secrets du Siècle des Lumières
 
Terribles sont les funestes secrets, honnis des confessionnaux. Encore faut-il s’accorder sur ce qu’ils sont. Avec les Lumières est apparu un nouveau courant littéraire associé à un mode de pensée : le libertinage. Certes, si l’on évoque le libertinage du XVIIIe siècle, un nom vient à l’esprit, c’est automatiquement celui du marquis de Sade. Pour l’interprétation que l’on en fait, les écrits libertins sont avant tout un exercice de style qui s’affranchit des conventions, plus crument chez Sade que Chanderlos de Laclos, lequel n’est sulfureux finalement que pour le rôle qu’il donne aux femmes dans les jeux amoureux, plus cruels dans les comportements et les relations que dans l’accomplissement de l’acte sexuel lui-même. Chez Sade, par contre, les figures de style utilisées pour les descriptions sont fort imagées mais Sade peut se révéler décevant puisque certaines fins sont assez moralistes… « Justine ou les infortunes de la vertu » tourne assez court quant à la destinée finale de l’héroïne… ce qui donnait le frisson honteux à l’époque est finalement loin de ce qui fait vibrer ces cordes sensibles aujourd’hui.
 
Néanmoins, les confesseurs entendent de bien nouvelles pratiques. Si le condom est assez peu répandu et souvent préconisé comme moyen prophylactique (voir les fabuleuses mémoires du Prince de Ligne, ci-après) mais la difficulté pour s’en procurer, tout comme la « mauvaise publicité » qui l’entoure ne permet pas réellement sa diffusion auprès du grand public… et pourtant ce n’est pas faute d’exister depuis longtemps puisqu’on l’utilise déjà dans l’Egypte antique.
 
Alors qu’est-ce qui peut bien agiter ainsi les rideaux des confessionnaux ? Rien de moins que le coït interrompu.
  
Une pratique à la portée de toutes les bourses
 
La vie sexuelle médiévale comme durant l’Ancien Régime est assez monotone finalement… Passons sur les interdits nombreux que nous avons déjà évoqué, ce n’est pas la peine d’en dresser le catalogue d’autant plus long qu’il a été dressé par tous les pénitentiels et les catholiques n’ayant rien inventé, la plupart des théologiens chrétiens se sont finalement référés au Lévitique.
 
Mais entre interdictions et traditions, la vie sexuelle n’est pas alors un long fleuve tranquille d’autant plus que chez les hommes, il n’y a pas de périodes de « chaleur »… L’envie ou l’action peut persister longtemps et à toute heure.
 
Déjà, pas de sexe hors mariage, du moins en théorie (laissons de côté l’adultère, c’est un autre débat)… Aussi avant les fiançailles… Rien… Pendant, non plus ! La durée étant variable, de quelques mois à quelques années, il vaut mieux alors s’armer de patience…  Encore que les mariages soient assez précoces, l’adolescence est un phénomène récent lié à l’allongement de l’espérance de vie, l’on se marie tôt car l’on meurt tôt et jusqu’une période récente, les veufs sont plus nombreux que les veuves car nombre de femmes meurent en couches. Il suffit de relire la plupart des comédies de Molière pour en comprendre les implications sociales. 
 
Le mariage passe… Déjà il faut passer le cap de la nuit de noces. Si dans certaines couches de la société, l’on se contente de bénir le lit nuptial et d’y laisser les mariés, quitte à montrer le lendemain les linges de virginité permettant de prouver que la défloraison a été faite et surtout que le mariage a été consommé donc est valide, plus l’on monte dans la hiérarchie, moins le secret est possible. Il est des nuits de noces publiques comme des accouchements : avec témoins afin de ne laisser nul doute, notamment dans les familles royales ou de haute noblesse.
 
Puis vient le temps des privations, voire des frustrations.
 
Le tabou des menstruations fait que l’on ne consomme point en cette période récurrente… cela évacue déjà quelques jours dans le mois.
 
Puis pendant la grossesse, l’on ne fait pas plus… les lieux sont occupés et la crainte implicite de blesser l’enfant est là. Que personne ne s’en offusque mais nombre de gynécologues et autres personnels de santé sont confrontés à cette fameuse question chez les couples primipares. Ce qui revient à dire que dès que le cycle est interrompu, l’on se dirige vers une longue période d’abstinence.
La naissance et les relevailles sont passées, c’est le temps de l’allaitement qui peut durer jusque trois ans… surtout quand l’emploi de nourrice est assuré. La faute à qui si une croyance populaire prévalait dans certaines catégories de la société que le mouvement du coït ferait tourner de lait (et qu’on ne fasse pas de mauvais esprit…) ?
 
Seulement, contrairement à nos sociétés occidentales contemporaines, l’on ne se contente pas d’un ou deux enfants. Jusqu’au XXe siècle, les femmes ont en moyenne une quinzaine de grossesses car les enfants ont une espérance de vie très basse et peu survivent à leur première année.
 
A cela s’ajoutent les temps de l’année religieuse où l’abstinence est de règle… Le carême est le plus important et où les relations sexuelles sont régulièrement proscrites… et que dire des autres fêtes carillonnées, des saints protecteurs des lieux ou des corporations, etc. ?
Les occasions sont donc rares !
 
 
Le sexe plus influent que les philosophes dans la genèse de la Révolution de 1789 ?

La contraception est donc basique : abstinence ou coït interrompu. Nos sociétés modernes ont oublié le confort de la pilule contraceptive ou du stérilet. Mais comment se répand-t-elle dans toutes les strates de la société ? 
 
D’abord, si l’on peut user de l’expression, par « le bouche à oreille », pas de père en fils (ces discussions-là sont récentes avec la libéralisation récente de la société) mais entre amis, surtout entre hommes… Plus encore, ce sont les prostituées et l’armée qui ont le plus contribué à l’expansion de la pratique susnommée. Avec les guerres quasi permanentes de Louis XIV mais plus encore avec celles de la Révolution et de l’Empire, peu de Français ont pu échapper à l’appel aux armes. Bien que le Premier empire ait réglé la question de l’approvisionnement avec la création du Train des Equipages, l’habitude d’avoir aussi une foule de professions itinérantes n’a pas été perdue immédiatement. Dans l’entourage des troupes, qu’elles soient en mouvement ou en garnison, l’on trouve des bourreliers, des forgerons, des taverniers mais aussi des prostituées. Elles aussi usent des mêmes procédés que leurs consœurs des établissements de bains, les bordels (bord-de-l’eau, qui a donné le terme « bordello » en anglais) où les dames publiques officiaient depuis le Moyen-Âge. Car connaissant les « restrictions d’usage » liées aux mentalités, elles ne peuvent se permettre de tomber enceintes (quoique l’on puisse gager que cela les réfrénaient moins que leurs clients)… 
 
De retour dans leurs foyers, les soldats ne pouvaient que répercuter les pratiques alors apprises (d’ailleurs si l’on s’approche de notre époque, force est de constater que l’armée, surtout en France, est un monde aux règles différentes de la société civile. On y a toujours fait de la propagande prophylactique et les BMC, Bordels Militaires de Campagne, n’ont été abolis qu’après la guerre d’Algérie, qui s’est déroulée longtemps après l’instauration de la loi Marthe Richard)
 
Quelle est donc l’implication du coït interrompu dans le déclenchement de la Révolution ? Est-il plus important que les philosophes des Lumières ? Convenons déjà que les philosophes ne sont connus que d’une élite, une infime part éclairée de la population. Si l’on considère que la population sachant lire et écrire en France sous l’Ancien Régime est très faible, que si les livres, imprimés donc plus abordables, circulent dans le pays mais quelle est la part réelle de la population pouvant les acquérir si ce n’est là aussi une élite. Le petit peuple ne peut être réduit qu’à la gazette ou à l’information orale…
 
Quant à trouver un élément déclencheur, il faut bien le chercher dans l’inconscient des masses auprès des pratiques sexuelles, mais encore faut-il bien insister qu’il ne s’agit que de l’inconscient ! Jamais jusque preuve contraire il n’y eut de mot d’ordre lancé publiquement en faveur de cela et l’on sait que la prêtrise était largement confrontée à ces pratiques puisque référencée dans les pénitentiels, c’est bien qu’elle était pratiquée… On en revient à la Genèse : croissez et multipliez ! L’Eglise ne conçoit le sexe que dans le cadre du mariage et pour la bonne cause : produire des enfants. Voilà que lentement mais surement s’insinue l’idée que l’on puisse réellement en tirer quelque plaisir, pas uniquement au moment de la procréation mais à chaque fois que l’on en use… Les habitudes changent et l’obéissance au commandement impérieux lancé par Yahvé, relié par les prêtres et devenu norme sociale et comportementale s’affaiblit… La littérature, la philosophie, les gazettes ont commencé à distiller une idée de volonté de changement.
 
Ne plus suivre, de façon inconsciente, un commandement essentiel de Dieu, c’est donc déjà remettre en question l’ordre de la société, surtout que des trois ordres qui la composent, le premier d’entre tous étant le clergé, à la fois puissance temporelle et spirituelle. La première barrière tombe implicitement mais elle n’est pas une déclaration publique d’hostilité à l’organisation sociale ou politique car relevant de l’intime et du privé. Condamnée par l’Eglise, elle reste confinée au couple ou au cercle des intimes. 
 
L’organisation sociale est construite selon la volonté de l’Eglise. Le roi d’ailleurs en France est dénommé « roi très chrétien » (comme le roi des Espagnes est le « roi très catholique »). Selon le concile de Bologne de 1516, le roi de France est maître de l’Eglise de France. Le gallicanisme assure donc la primauté politique du roi sur celle de Rome. 
 
Finalement, contester l’ordre divin c’est aboutir à contester l’ordre social, l’ordre politique ; ne plus suivre l’ordre divin, c’est déjà envisager des bouleversements, que ce soit des réformes voire des révolutions. Si le roi est le « lieutenant de Dieu sur terre » ainsi que le théorisait Louis XIV, en quoi ne serait-il pas contestable, ses ordres, son « bon plaisir » est-il un commandement impérieux ? De fait, les volontés réformatrices des philosophes ne peuvent plus trouver qu’un terrain favorable… 
 
Quelle meilleure preuve de cette remise en question de la société que le 21 janvier 1793 ! Le régicide comme acte fondateur (combien de civilisations sont fondées sur un meurtre fondateur !!!), porté plus loin encore avec l’instauration de l’éphémère culte de l’Etre suprême et le calendrier révolutionnaire…
  
Bref...
De là à dire que le coït interrompu est plus important que les philosophes des Lumières, il serait difficile de sauter le pas (et pourquoi seulement le pas ?), mais son expansion dans toutes les catégories de la société n’est pas anodine car si les premiers ont permis de penser à une réorganisation de la société, celle-ci n’aurait pu se faire sans cette révolution discrète des esprits…


* * *
« Un médecin nommé Guilbert de Préval, vint me proposer de faire sur lui-même l’essai d’un préservatif qu’il crut nécessaire à notre société, si je voulais le faire admettre pour en faire l’expérience. Nous le menâmes à la petite maison de Fronsac et d’abord après souper, elle commença. J’avais été chargé de lui procurer les deux pierres de touche de son savoir. C’était tout ce qui était le moins bien portant dans Paris qu’un coureur à moi avait été chercher dans les égouts de la rue Saint-Honoré.
            Le docteur avec sa perruque à trois marteaux bien poudrée se met en chemise et commence. La chaleur et peut-être le grand public lui en impose. Il se tournait d’un air piteux devant M. le duc d’Orléans et lui disait : «Monseigneur vous voyez que ce n’est pas ma faute. Je fais tout ce que je peux.» enfin, à force  de lui dire: «Remettez-vous, nous vous donnons du temps», il acheva son expérience et prouva par l’examen de sa santé, pendant deux mois, qu’on pouvait en tirer un grand parti.
            Ses confrères qui craignirent de perdre une grande branche de leur commerce et les théologiens sous prétexte d’un encouragement que cela donnait aux mauvaises mœurs, le firent rayer du tableau et écrivirent et déclamèrent contre lui et contre nous. »

            Prince de Ligne (1735-1814), Fragments de l’histoire de ma vie,
D’après l’édition de mme de staël, 1809
In, Lettres et pensées, TALLANDIER, collection In-Texte,
1989, 388 p., pp. 322-323

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