L’inconvénient pour une ville où l’histoire n’a retenu qu’un
personnage célèbre, c’est que la mémoire collective occulte les autres. Ainsi à
Dunkerque, le souvenir de Jean Bart, tout exceptionnel que soit le corsaire
anobli par Louis XIV, fait tomber dans l’oubli des cohortes de corsaires et de
marins, qui pourtant n’avaient pas démérité. Finalement, qui connait vraiment Vanstabel qui trône sur
la façade de l’Hôtel de ville de Dunkerque ? Bien peu savent que cent ans
après Jean Bart, il sauva lui aussi la France de la famine.
Né en 1744 à Dunkerque, Pierre-Jean Vanstabel s’engage jeune
chez les corsaires de sa ville natale puis passe vite sur les bâtiments de
commerce. On le remarque assez vite pour lui confier le commandement d’un navire
à seulement 25 ans. Le voila employé par la Compagnie des Indes. En 1778, l’actualité
lui faire prendre un autre cap, la France a besoin d’officiers de marine car
elle participe à la Guerre d’Indépendance américaine, moyen détourné mais
efficace de combattre la perfide Albion. On lui confie successivement trois
corsaires dunkerquois : la Dunkerquoise, le Rohan-Soubise puis le Robecq.
Sur le Rohan-Soubise, sa bravoure ne connait pas de limite. Attaquant le navire
corsaire anglais Amiral Rodney, il reçoit deux balles dans la gorge. Pendant le
combat, il se fait soigner et remonte immédiatement sur le pont pour donner ses
ordres !
Ses actions le font remarquer de Louis XVI qui lui envoie une épée
d’honneur accompagnée du brevet de Lieutenant de frégate auxiliaire. Très rapidement,
il devient un spécialiste des convois maritimes.
En 1790, il accède au grade d’Enseigne de Vaisseau. Durant les
premiers mois de la guerre contre l’Angleterre, il s’empare de 17 navires
ennemis qui, pourtant, faisaient partie d’un convoi malgré tout sous bonne et
forte escorte.
La Révolution n’est pas une période propice pour la noblesse.
Nombre de nobles prennent le chemin de l’exil et parmi eux, un nombre
considérable d’officiers de marine. La France a un besoin vital de commandants
expérimentés. Promu d’office Capitaine de Vaisseau en 1792, il reçoit le commandement
du Tigre, vaisseau de 74 canons. L’année est catastrophique, désespérée même.
La France est attaquée de toutes parts, le pays connait une crise économique
profonde, la population a faim. La famine menace, l’Europe entière est coalisée
contre la France et il faut se résoudre à acheter du blé aux jeunes Etats-Unis.
.
Vanstabel se voit confier une division forte de six vaisseaux de ligne, trois
frégates et trois corvettes. La mission est à la fois simple et compliquée. Il
lui faut escorter un convoi de 127 navires de Brest à Chesapeake et revenir en
évitant les escadres anglaises. Seulement, à son arrivée en Virginie, rien n’est
prêt. Pis encore, il lui faut négocier sa cargaison : 67.000 barils de
farine, 376 de riz, 11.241 de café, 1.139 balles de coton mais aussi de l’indigo
que l’Inde anglaise ne fournit plus, du bois, des peaux, des cuirs, de l’ivoire,
de la morue, du soufre, etc… Un véritable inventaire à la Prévert…
Les cales
pleines, le convoi se met en branle le 10 avril, les Anglais envoient à sa
rencontre l’essentiel de leur flotte de la Manche, sous les ordres de l’amiral
Howe. Les Français dépêchent à leur tour le contre-amiral Nielly et une petite
escadre pour rejoindre Vanstabel alors que l’amiral Villaret de Joyeuse se
porte à la rencontre des Anglais. Villaret et Howe s’affrontent le 13 prairial
An II (1er juin 1794). Cette bataille que les Anglais nomment le « Glorious
First of June » coute à la France six vaisseaux coulés et un pris. Le prix
est certes exorbitant mais aucun Anglais n’est parvenu à croiser la route de
Vanstabel qui entre en rade de Brest le 13 juin. Il n’a pour sa part perdu qu’un
seul navire et son convoi de 127 bateaux est complet. Mieux encore, en route,
il encore fait des prises.
Avec Villaret de Joyeuse, il participe encore à la croisière
d’hiver de décembre 1794 et janvier 1795. En 1795, il escorte un convoi à Ostende.
Finalement il est nommé commandant général des forces navales de la République
dans les mers du nord, pourtant en 1797, il doit se résoudre à demander à être
relevé de ses fonctions car sa santé chancelle. De retour chez lui, il s’éteint
le 30 mars. Comme Jean Bart, à cent ans d’intervalle, il a sauvé la France de
la famine, mais la postérité ne retiendra pas son nom, peut être en raison de
la période trouble durant laquelle il servit brillamment.
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