jeudi 17 octobre 2019

Georges Vancauwenberghe, élu et philanthrope (1853-1929)



   
S’il nait le 3 décembre 1853 à Dunkerque, Georges Vancauwengerghe s’éteint le 13 janvier 1929 dans sa commune de Saint-Pol-sur-Mer. Il est parmi les patrons les plus représentatifs de cette révolution industrielle du Nord de la France où les entrepreneurs mêlaient engagement politique, conduite et affaires et magistère moral par une action paternaliste en tous domaines.
 
Fils d’industriel, Georges Vancauwenberghe entre à  l’Institut Industriel du Nord à Lille en 1873.  Diplôme d’Ingénieur en poche deux ans plus tard, il satisfait immédiatement à ses obligations militaires puis prend le  poste de directeur de la filature de lin fondée par son père et H. Davenport à son retour à la vie civile. La filature est déjà une usine importante, édifiée dans ce qui n’est encore qu’un hameau dépendant de la commune de Petite-Synthe. Comme nombre d’usines de l’agglomération, elle s’élève en bordure d’un canal, premier vecteur de la Révolution industrielle. Ici, c’est le canal de Mardyck, creusé en 1715 pour pallier la destruction du port de Dunkerque par le traité d’Utrecht mais ruiné sur ordre anglais deux ans plus tard. Hors des remparts qui corsètent Dunkerque, pas très loin du port, elle se place sur la véritable artère économique qu’est ce bras mort et qui lui permet d’acheminer les matières premières jusque dans l’enceinte de l’usine. Pas moins de 2.000 ouvriers et ouvrières y sont employés… Bien évidemment, comme dans toutes les villes industrielles de la région, un quartier s’élève autour de l’usine, séparé très nettement du noyau originel du Tornegat… Entre les deux, quelques maisons et… des fermes… Les hameaux prennent vite l’allure de petits quartiers.
 
Une carrière politique liée à sa commune
Lors de la création de la commune en 1877, il en est nommé maire immédiatement et assume cette charge jusqu’en 1910. Sa carrière politique commence rapidement : en 1893, il entre au Conseil d’Arrondissement de Dunkerque dont il assure la présidence deux décennies durant. En 1904, il est élu Conseiller Général puis Président du Conseil Général de 1910 à 1922. Malgré ces postes importants, il se montre dans l’arrondissement à de multiples occasions, même pendant la Première Guerre Mondiale, alors que l’agglomération est toute entière tendue vers l’effort de guerre. Saint-Pol grouille de soldats et de travailleurs étrangers et paye un lourd tribut lors des bombardements, le tissage, d’ailleurs, ne fait pas exception…
 
Durant son mandat majoral, tout est à faire. Bien que la veuve Hubert-Boulanger, dont l’époux fut maire de Petite-Synthe, ait déjà bien œuvré. Son époux ayant par ailleurs aplani les dunes. D’un hameau, il faut faire une commune moderne : pavage des rues, construction d’une mairie-école, adduction d’eau aux pompes publiques (qui ne se fait qu’à partir de 1906 dans l’agglomération dunkerquoise), construction d’une usine à gaz, électrification, tramway et mise sur pied de services sociaux.
 
Le "père des malades"
Le bilan sanitaire du Nord n’est guère brillant en ce XIXe siècle finissant : nombreux sont les enfants qui – n’ayant pas des conditions de vie salubres – sont rachitiques ou scrofuleux. L’ensemble de la population n’est pas épargnée par les maladies, notamment épidémiques et les épisodes de choléra déciment régulièrement les quartiers.

Le seul établissement qui soit le plus proche se situe à Berck, bien trop éloigné pour convenir à la population locale. Il importe donc de créer un accueil sur le littoral dunkerquois. En 1886, il obtient un premier envoi d’enfants dans des familles de pêcheurs de la côte. Seul maire ayant répondu positivement à son appel, le maire de Gravelines, M. Demarle, place une quinzaine de filles alors que Vancauwenberghe, trouve des familles d’accueil pour autant de garçons. Néanmoins, les soins ne sont pas assurés de la meilleure façon qui soit. Ces enfants représentent pour les familles d’accueil un complément de revenus et les stigmates de la maladie ne sont pas très engageants, il faut l’avouer.
 
Bien qu’il n’intervienne pas dans les décisions d’ordre médical, Vancauwenberghe cherche par tous les moyens à prouver le bien-fondé de son projet. Le suivi des malades est des plus scrupuleux et ne néglige aucun détail. Bien que le Conseil Général accepte l’idée, l’assemblée refuse d’engager d’y dépenses. Es qualité de maire de Saint-Pol-sur-Mer décide donc de regrouper  les patients dans un pavillon pour les malades nécessiteux qu’il possède à proximité de la plage, mais qui reste désesperement vide faute de crédits. Avec l’aide d’Alphonse Bray, fondateur de la station balnéaire de Bray-Dunes, il fonde le sanatorium dont l’existence est provisoire.
 
En 1886, l’ établissement devient mixte et est finalement financé par le Conseil Général à partir de 1890. Il faut rapidement accueillir des enfants du reste du département puis de l’Oise, de la Meuse, des Ardennes… A partir de 1896, Vancauwenberghe met en place des séjours préventifs.
 
Un établissement modèle
il dresse les plans du sanatorium et suit personnellement les travaux, ordonnant des modifications ou dirigeant les ouvriers sur le chantier, ce qu’il répétera d’ailleurs pour le sanatorium de Zuydcoote quelques années plus tard, celui de saint-Pol devant déménager
 
Le sanatorium, en bord de mer, se présente sous la forme de trois bâtiments séparés et parallèles. Longs de 80 mètres de type Trollet (construits successivement en 1889, 1891 et 1896) remplacent le « dispensaire » des premiers temps. Le dispositif est ingénieux : chaque bâtiment est longé d’une véranda vitrée afin de pouvoir circuler librement et la ventilation est assurée par de larges baies vitrées tout au long des salles.
 
Le tout a alors une capacité d’accueil de 350 à 400 lits avec des salles de bains et des étuves pour assurer la désinfection.
 
Il s’agit d’ailleurs d’un établissement modèle plusieurs fois primé, totalement autonome de toute structure hospitalière ou municipale. Il comprend une cuisine, une brasserie – on donne de « petite bière » d’un titre de 2 degrés d’alcool environ car l’eau est rarement potable dans la commune à moins de recourir aux citernes d’eau pluviales, et encore… - une boulangerie, une buanderie une conciergerie… Tout est fait pour assurer le confort des malades : un jardin potager, une prairie, une basse-cour et, luxes suprêmes, une école mixte (alors que les écoles de la commune ne connaissent pas cette organisation) confiée à une institutrice.

Côté structures médicales, le sanatorium possède des blocs d’orthopédie ainsi qu’un appareil de radiographie après 1895. Enfin, quand il n’est plus possible de soigner sans opérer, il n’hésite pas à faire venir des chirurgiens lillois.
 
Enfin, l’établissement est entièrement éclairé à l’électricité et possède le téléphone.
 
Toute chose a une fin : le port de Dunkerque, voisin de quelques centaines de mètres, doit être agrandi, les élus en prennent la décision en 1900 ; il faut donc faire place nette et donc déménager. Georges Vancauwenberghe décide donc le déplacement à Zuydcoote où le nouveau sanatorium sera beaucoup plus grand : 80 hectares contre 4 à Saint-Pol, une capacité de 1.500 lit au lieu de 350-400 et une ferme (la ferme Nord) pour nourrir les pensionnaires… Cette augmentation des capacités d’accueil n’est pas inutile car, outre des malades individuels, Saint-Pol reçoit de plus en plus de colonies scolaires. Le transfert est décidé et se fait le 18 juillet 1910 en train, utilisant pour cela les infrastructures ferroviaires du port.
 
La municipalité vend le terrain en 1912 avec la plage pour les travaux d’agrandissement du port. L‘année suivante, un terrain d’aviation est inauguré dans le voisinage immédiat des bâtiments du sanatorium puis la Grande Guerre survient. Le sanatorium devient une caserne pour accueillir les marins, les fusiliers-marins et surtout les aviateurs, notamment Nungesser qui n’a le droit de voler qu’à l’expresse condition de recevoir des soins. Abandonné après 1919, l’établissement se dégrade et est finalement abattu.
 
Quant à Zuydcoote, le sanatorium poursuit son fonctionnement de façon autonome en devenant sanatorium national en 1923 puis Hôpital maritime en 1971.
 
Paternaliste et progressiste
Georges Vancauwenberghe habite dans sa commune, comme patron puis comme élu, il est confronté à la misère d’une population ouvrière et encore en grande partie rurale dont il est – avec le port – le premier employeur. Paternaliste, il finance personnellement une grande partie des actions sociales mises en place. A l’instar de nombreuses usines de la région, son tissage est recouvert de slogans et affiches appelant à la tempérance et au respect du travail. Il n’hésite pas à sanctionner les manquements de ses employés, qu’il s’agisse de la filature ou des infirmières du sanatorium.
 
Néanmoins, en fusionnant avec l’usine de son oncle fondée à Dunkerque, dans une société qui préfigure le futur Comptoir Linier, ses actions se multiplient : ne met-il pas en place une crèche et une société de secours mutuel à une époque où aucune loi n’obligeait les patrons à agir en ce sens et où l’Etat ne connaissait pas l’idée d’ « Etat-Providence » mais dont les pratiques sont courantes chez les patrons du Nord.
 
Comme élu, il est profondément républicain, de « gauche non socialiste », l’on pourrait donc le rapprocher des centristes progressistes. La commune connait une expansion rapide durant son mandant, passant de 2.800 à 8.000 habitants entre 1877 et 1910. Les conditions de vie et d’hygiène étant difficiles (plusieurs épidémies nationales ont pris naissance dans la commune avant 1877), le travail ne manque pas. Ainsi, à partir de 1895, il finance sur ses deniers personnels un « œuvre de maternité » pour aider les femmes en couches et une « œuvre de soupe populaire » qui reçoit jusque 500 bénéficiaires par jour.

En 1902 surtout, il met en place avec son ami Davenport la « Goutte de Lait », rue de la République, face à la rue Jean Bart. L’emplacement n’est pas anodin car elle se trouve dans la partie la plus peuplée mais aussi la plus industrieuse de la commune, face à la rue qu’empruntent ses ouvriers pour rejoindre sa filature. Les enfants en bas âge y reçoivent gratuitement du lait pasteurisé et il y installe une consultation de nourrissons.
 
Comme Président du Conseil Général, il crée un Préventorium à Wormhout pour les enfants pour qui les séjours en bord de mer sont contre-indiqués. Profitant de la démobilisation des armées, il investit les baraquements de l’hôpital militaire belge de Bourbourg. Le succès est tel qu’il est cédé en 1932 à la ville de Lille.



Décédé le 13 janvier 1929, il est inhumé au cimetière de Dunkerque.


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