S’il nait le 3 décembre 1853 à Dunkerque, Georges
Vancauwengerghe s’éteint le 13 janvier 1929 dans sa commune de
Saint-Pol-sur-Mer. Il est parmi les patrons les plus représentatifs de cette
révolution industrielle du Nord de la France où les entrepreneurs mêlaient
engagement politique, conduite et affaires et magistère moral par une action
paternaliste en tous domaines.
Fils d’industriel, Georges Vancauwenberghe entre à l’Institut Industriel du Nord à Lille en
1873. Diplôme d’Ingénieur en poche deux
ans plus tard, il satisfait immédiatement à ses obligations militaires puis
prend le poste de directeur de la
filature de lin fondée par son père et H. Davenport à son retour à la vie
civile. La filature est déjà une usine importante, édifiée dans ce qui n’est
encore qu’un hameau dépendant de la commune de Petite-Synthe. Comme nombre
d’usines de l’agglomération, elle s’élève en bordure d’un canal, premier
vecteur de la Révolution industrielle. Ici, c’est le canal de Mardyck, creusé
en 1715 pour pallier la destruction du port de Dunkerque par le traité
d’Utrecht mais ruiné sur ordre anglais deux ans plus tard. Hors des remparts
qui corsètent Dunkerque, pas très loin du port, elle se place sur la véritable
artère économique qu’est ce bras mort et qui lui permet d’acheminer les
matières premières jusque dans l’enceinte de l’usine. Pas moins de 2.000
ouvriers et ouvrières y sont employés… Bien évidemment, comme dans toutes les
villes industrielles de la région, un quartier s’élève autour de l’usine,
séparé très nettement du noyau originel du Tornegat… Entre les deux, quelques
maisons et… des fermes… Les hameaux prennent vite l’allure de petits quartiers.
Une carrière politique
liée à sa commune
Lors de la création de la commune en 1877, il en est nommé
maire immédiatement et assume cette charge jusqu’en 1910. Sa carrière politique
commence rapidement : en 1893, il entre au Conseil d’Arrondissement de
Dunkerque dont il assure la présidence deux décennies durant. En 1904, il est
élu Conseiller Général puis Président du Conseil Général de 1910 à 1922. Malgré
ces postes importants, il se montre dans l’arrondissement à de multiples
occasions, même pendant la Première Guerre Mondiale, alors que l’agglomération
est toute entière tendue vers l’effort de guerre. Saint-Pol grouille de soldats
et de travailleurs étrangers et paye un lourd tribut lors des bombardements, le
tissage, d’ailleurs, ne fait pas exception…
Durant son mandat majoral, tout est à faire. Bien que la
veuve Hubert-Boulanger, dont l’époux fut maire de Petite-Synthe, ait déjà bien
œuvré. Son époux ayant par ailleurs aplani les dunes. D’un hameau, il faut
faire une commune moderne : pavage des rues, construction d’une
mairie-école, adduction d’eau aux pompes publiques (qui ne se fait qu’à partir
de 1906 dans l’agglomération dunkerquoise), construction d’une usine à gaz,
électrification, tramway et mise sur pied de services sociaux.
Le "père des
malades"
Le bilan sanitaire du Nord n’est guère brillant en ce XIXe siècle
finissant : nombreux sont les enfants qui – n’ayant pas des conditions de vie
salubres – sont rachitiques ou scrofuleux. L’ensemble de la population n’est
pas épargnée par les maladies, notamment épidémiques et les épisodes de choléra
déciment régulièrement les quartiers.
Le seul établissement qui soit le plus proche se situe à
Berck, bien trop éloigné pour convenir à la population locale. Il importe donc
de créer un accueil sur le littoral dunkerquois. En 1886, il obtient un premier
envoi d’enfants dans des familles de pêcheurs de la côte. Seul maire ayant
répondu positivement à son appel, le maire de Gravelines, M. Demarle, place une
quinzaine de filles alors que Vancauwenberghe, trouve des familles d’accueil
pour autant de garçons. Néanmoins, les soins ne sont pas assurés de la
meilleure façon qui soit. Ces enfants représentent pour les familles d’accueil
un complément de revenus et les stigmates de la maladie ne sont pas très
engageants, il faut l’avouer.
Bien qu’il n’intervienne pas dans les décisions d’ordre
médical, Vancauwenberghe cherche par tous les moyens à prouver le bien-fondé de
son projet. Le suivi des malades est des plus scrupuleux et ne néglige aucun
détail. Bien que le Conseil Général accepte l’idée, l’assemblée refuse
d’engager d’y dépenses. Es qualité de maire de Saint-Pol-sur-Mer décide donc de
regrouper les patients dans un pavillon
pour les malades nécessiteux qu’il possède à proximité de la plage, mais qui
reste désesperement vide faute de crédits. Avec l’aide d’Alphonse Bray, fondateur
de la station balnéaire de Bray-Dunes, il fonde le sanatorium dont l’existence
est provisoire.
En 1886, l’ établissement devient mixte et est finalement
financé par le Conseil Général à partir de 1890. Il faut rapidement accueillir
des enfants du reste du département puis de l’Oise, de la Meuse, des Ardennes… A
partir de 1896, Vancauwenberghe met en place des séjours préventifs.
Un établissement
modèle
il dresse les plans du sanatorium et suit personnellement
les travaux, ordonnant des modifications ou dirigeant les ouvriers sur le
chantier, ce qu’il répétera d’ailleurs pour le sanatorium de Zuydcoote quelques
années plus tard, celui de saint-Pol devant déménager
Le sanatorium, en bord de mer, se présente sous la forme de
trois bâtiments séparés et parallèles. Longs de 80 mètres de type Trollet (construits
successivement en 1889, 1891 et 1896) remplacent le « dispensaire » des
premiers temps. Le dispositif est ingénieux : chaque bâtiment est longé d’une
véranda vitrée afin de pouvoir circuler librement et la ventilation est assurée
par de larges baies vitrées tout au long des salles.
Le tout a alors une capacité d’accueil de 350 à 400 lits avec
des salles de bains et des étuves pour assurer la désinfection.
Il s’agit d’ailleurs d’un établissement modèle plusieurs
fois primé, totalement autonome de toute structure hospitalière ou municipale.
Il comprend une cuisine, une brasserie – on donne de « petite bière » d’un
titre de 2 degrés d’alcool environ car l’eau est rarement potable dans la
commune à moins de recourir aux citernes d’eau pluviales, et encore… - une
boulangerie, une buanderie une conciergerie… Tout est fait pour assurer le
confort des malades : un jardin potager, une prairie, une basse-cour et, luxes
suprêmes, une école mixte (alors que les écoles de la commune ne connaissent
pas cette organisation) confiée à une institutrice.
Côté structures médicales, le sanatorium possède des blocs
d’orthopédie ainsi qu’un appareil de radiographie après 1895. Enfin, quand il
n’est plus possible de soigner sans opérer, il n’hésite pas à faire venir des
chirurgiens lillois.
Enfin, l’établissement est entièrement éclairé à l’électricité
et possède le téléphone.
Toute chose a une fin : le port de Dunkerque, voisin de
quelques centaines de mètres, doit être agrandi, les élus en prennent la
décision en 1900 ; il faut donc faire place nette et donc déménager. Georges
Vancauwenberghe décide donc le déplacement à Zuydcoote où le nouveau sanatorium
sera beaucoup plus grand : 80 hectares contre 4 à Saint-Pol, une capacité de
1.500 lit au lieu de 350-400 et une ferme (la ferme Nord) pour nourrir les
pensionnaires… Cette augmentation des capacités d’accueil n’est pas inutile
car, outre des malades individuels, Saint-Pol reçoit de plus en plus de
colonies scolaires. Le transfert est décidé et se fait le 18 juillet 1910 en
train, utilisant pour cela les infrastructures ferroviaires du port.
La municipalité vend le terrain en 1912 avec la plage pour
les travaux d’agrandissement du port. L‘année suivante, un terrain d’aviation
est inauguré dans le voisinage immédiat des bâtiments du sanatorium puis la
Grande Guerre survient. Le sanatorium devient une caserne pour accueillir les
marins, les fusiliers-marins et surtout les aviateurs, notamment Nungesser qui
n’a le droit de voler qu’à l’expresse condition de recevoir des soins.
Abandonné après 1919, l’établissement se dégrade et est finalement abattu.
Quant à Zuydcoote, le sanatorium poursuit son fonctionnement
de façon autonome en devenant sanatorium national en 1923 puis Hôpital maritime
en 1971.
Paternaliste et
progressiste
Georges Vancauwenberghe habite dans sa commune, comme patron
puis comme élu, il est confronté à la misère d’une population ouvrière et
encore en grande partie rurale dont il est – avec le port – le premier
employeur. Paternaliste, il finance personnellement une grande partie des
actions sociales mises en place. A l’instar de nombreuses usines de la région,
son tissage est recouvert de slogans et affiches appelant à la tempérance et au
respect du travail. Il n’hésite pas à sanctionner les manquements de ses
employés, qu’il s’agisse de la filature ou des infirmières du sanatorium.
Néanmoins, en fusionnant avec l’usine de son oncle fondée à
Dunkerque, dans une société qui préfigure le futur Comptoir Linier, ses actions
se multiplient : ne met-il pas en place une crèche et une société de secours
mutuel à une époque où aucune loi n’obligeait les patrons à agir en ce sens et
où l’Etat ne connaissait pas l’idée d’ « Etat-Providence » mais dont les
pratiques sont courantes chez les patrons du Nord.
Comme élu, il est profondément républicain, de « gauche non
socialiste », l’on pourrait donc le rapprocher des centristes progressistes. La
commune connait une expansion rapide durant son mandant, passant de 2.800 à
8.000 habitants entre 1877 et 1910. Les conditions de vie et d’hygiène étant
difficiles (plusieurs épidémies nationales ont pris naissance dans la commune
avant 1877), le travail ne manque pas. Ainsi, à partir de 1895, il finance sur
ses deniers personnels un « œuvre de maternité » pour aider les femmes en
couches et une « œuvre de soupe populaire » qui reçoit jusque 500 bénéficiaires
par jour.
En 1902 surtout, il met en place avec son ami Davenport la «
Goutte de Lait », rue de la République, face à la rue Jean Bart. L’emplacement
n’est pas anodin car elle se trouve dans la partie la plus peuplée mais aussi
la plus industrieuse de la commune, face à la rue qu’empruntent ses ouvriers
pour rejoindre sa filature. Les enfants en bas âge y reçoivent gratuitement du
lait pasteurisé et il y installe une consultation de nourrissons.
Comme Président du Conseil Général, il crée un Préventorium
à Wormhout pour les enfants pour qui les séjours en bord de mer sont
contre-indiqués. Profitant de la démobilisation des armées, il investit les
baraquements de l’hôpital militaire belge de Bourbourg. Le succès est tel qu’il
est cédé en 1932 à la ville de Lille.
Décédé le 13 janvier 1929, il est inhumé au cimetière de
Dunkerque.
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