In GOUDINEAU Ch. & GUILAINE J. (s.d.) – DE LASCAUX AU
GRAND LOUVRE – Archéologie et histoire en France – Edition Errance, 2e
édition, 1991, article de Pierre Demolon
« Du portus à la ville marchande
A partir du IXe siècle, et
notamment dans le Nord de la France, se développent des portus, lieux d’accostage de bateaux, qui donnent naissance à des
quartiers commerçants ou à de petites agglomérations (vicus). Tel est le cas à Quentovic ou Dorestad (Pays-Bas). Mais ces
places ne sont pas réellement des agglomérations. Lieux de passage, de
prélèvement de taxes, elles peuvent devenir un enjeu politique et en subir
toutes les vicissitudes. L’histoire du Moyen Age révèle la création rapide de
centres « urbains » de première importance, mais aussi des
régressions, d’intenses périodes d’activités artisanales et commerciales, puis
des abandons irréversibles.
Cependant, lorsque les portus sont la matérialisation d’une
région active, ils sont fréquemment à l’origine de villes du Moyen Age :
Valenciennes sur l’Escaut, Tournai, Dinant, Namur et Huy sur la Meuse…
Rapidement, ces centres de
concentration de population s’entourent d’une enceinte à la valeur symbolique,
se dotent de bâtiments collectifs, de maisons de villes et de halles.
Avant les XIIe et XIIIe siècles,
les matériaux et les techniques de la construction urbaine sont à base de bois,
de chaume et d’argile qui ne différencient pas le bâti urbain du bâti rural, du
moins pour les bâtiments d’habitation. Seules les installations d’artisanat
diversifié et de commerce font la différence : la ville n’a de sens en
effet que si elle est marchande et prospère.
A l’abri du pouvoir politique
Centre marchand, la ville est
l’objet de convoitises du pouvoir. Mais pour se développer et se consacrer aux
affaires, les bourgeois ont besoin d’être libres et de s’administrer :
avoir l’autonomie de gestion mais non la charge d’organiser la défense. Les
tensions vont se multiplier jusqu’aux XIIe et XIIIe siècles, époque à laquelle les
bourgeois obtiendront des chartes communales.
Malgré ces accords, la méfiance
est de règle. Le château seigneurial, souvent situé dans un angle de l’enceinte
urbaine, tourne ses défenses aussi bien vers l’extérieur que vers l’intérieur,
vers la ville. Les conflits, notamment sur les droits de justice, sont nombreux
et fréquents. Progressivement, on assiste à une bipolarisation entre la ville
« haute », enfermée dans son « castrum primitif » associant la tour féodale et le pouvoir
religieux, et la ville « basse » où règnent les bourgeois, presque
sans partage.
Le domaine des bourgeois
La ville est économiquement un
centre de consommation en raison de la densité de sa population et du nombre de
non-producteurs parmi ses habitants. Sa vie dépend donc de son
approvisionnement par la campagne avoisinante.
Le marché prend toute sa
signification et en tire son importance : marché aux grains, aux légumes,
aux poissons, aux bestiaux. Ils sont jumelés, groupés ou individualisés. Ils
font l’objet d’une surveillance (par les eswardeurs) et d’une législation
tatillonne (les bans). La fouille d’une partie de la Grand-Place de Lille, avec
ses nombreuses installations d’étalages semi-permanents donne une image bien
différente de celle des peintures et des gravures flamandes, où la place est un
vaste espace vide. Quant aux foires, les fouilles n’en ont pas trouvé de
témoins directs.
Quel commerce ?
Le premier marché est celui du
grain. Ce commerce nous est connu par les comptes des villes ou les bans. Même
su le contexte encore rural de certains quartiers de villes montre des silos
enterrés, le reste de la production est présenté sur les marchés, généralement
en sacs ouverts et qui ne possèdent pas de plomb d’identification, seule trace
matérielle que les fouilles pourraient éventuellement découvrir.
L’autre production exportée en
grande quantité est évidemment le drap, spécialement dans les villes du nord où
les halles aux draps, en général semi-enterrées, sont à proximité où à
l’intérieur des halles échevinales. Ces draps, munis de plomb de reconnaissance
à partir des XVe et XVIe siècles, sont diffusés à travers toute la Flandre, les
Pays-Bas et une grande partie de l’Angleterre.
L’archéologie trouve généralement
peu de traves de ce négoce, si ce n’est exceptionnellement l’ensemble des lieux
de fabrication. C’est ainsi qu’à Douai, un ensemble de parcelles d’habitation
et d’ateliers des XIIIe au XVe siècles ont mis en évidence les vestiges de
quelques fours destinés à chauffer l’eau nécessaire à la teinture et au
blanchiment des draps. On trouve aussi les fosses de rinçage et les biefs de
dérivation pour amener l’eau de rivière, grâce à des écluses, jusqu’aux
installations artisanales.
Un autre domaine, objet d’un
négoce actif, concerne la boisson et spécialement le vin, qui est importé
parfois sur de très longues distances. C’est ainsi qu’à Saint-Denis, un cellier
enterré a été récemment découvert. On y accédait par un escalier, et il était
construit en bel appareil de pierre. Il est daté du milieu du XVe siècle, et
ses deux extrémités aboutent les rues du Grand Pichet et du Petit Pichet !
Le négoce au quotidien
C’est le marché plus spécialement
régional ou local qui draine les quelques dizaines de kilomètres aux alentours
d’une ville. Il porte notamment sur les bestiaux : la fouille de certaines
places publiques a montré des traces d’abreuvoir et d’enclos pour des
ovicapridés (Douai). Pour les autres commerces, les traces archéologiques
montrent essentiellement les déchets des artisans-commerçants que sont les
dinandiers, les tanneurs, les cordonniers savetiers – qui ressemellent sur
place les chaussures et dont on trouve les fosses-dépotoirs remplies de
milliers de chutes de cuir -, les potiers, etc. Certaines maisons urbaines avec
ouvroir-échoppe donnant sur la rue témoignent de cette activité quotidienne. A
la fin du XVe siècle, des quantités
importantes de jetons à compter (dits jetons de Nuremberg) sont les témoignages
les plus éloquents d’un commerce urbain très actif. »
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