In Serge Blanckaert - La 2eme
guerre mondiale à Dunkerque, le siège le plus long (septembre 1944-mai 1945) -
éditions le Phare, Dunkerque, 1976
Les armées de libération en
Flandre
La 2e Armée britannique, ayant
libéré Amiens, Arras, Lille, puis Gand, a atteint Anvers le 5 septembre. Le
port est intact mais inexploitable car les Allemands tiennent encore l'estuaire
de l'Escaut. Les éléments de la 1ere Armée canadienne, parvenus à Montreuil le
4 septembre, se sont heurtés aux défenseurs de Boulogne et à ceux de Calais. Ce
mercredi 6 septembre, ils investissent les deux places mais continuent leur
marche vers le Nord et ils pénètrent en Flandre Maritime. Avançant entre les
Britanniques et l'Armée canadienne, à laquelle elle est d'ailleurs rattachée,
la Ière Division Blindée polonaise (reconstituée en Grande-Bretagne) a passé la
Somme, la nuit du 2 au 3 septembre, marché sur Hesdin, puis Saint-Omer (libérée
le 5 septembre), a contourné Cassel et elle franchit, ce 6 septembre, la
frontière belge, s'emparant de Poperinghe et approchant d'Ypres. C'est une
voiture blindée polonaise qui, vers 15 heures, concrétise la libération
d'Hazebrouck, tandis que des soldats britanniques sont acclamés à Bailleul et
que les Canadiens sont sur le point d'entrer à Watten. Les Canadiens suivent
aussi la R.N. 28 en direction de Zegerscappel, qui arbore le drapeau tricolore,
et, de là, obliquent vers Esquelbecq.
A Wormhout, le même jour, les
drapeaux tricolores sont sortis peu avant l'arrivée des Canadiens et, à la vue
de ces emblèmes, deux motocyclistes allemands, venant de la direction de Bergues,
rebroussent chemin. Partout, les libérateurs sont accueillis dans
l'enthousiasme. On les fleurit. On leur offre ce que l'on a à boire et à
manger. Et on découvre, non sans plaisir, que certains des Canadiens parlent
français alors que l'on attendait des Anglais. Le curé de Saint-Folquin,
impatient d'annoncer la libération à ses paroissiens, est monté dans son
clocher. Il voit, au loin, la poussière que soulèvent les chars canadiens à
Guemps. Les habitants, aussitôt informés de l'imminence de leur délivrance,
s'empressent au-devant des Alliés. Il est près de 16 heures quand deux blindés
légers, couverts de fleurs comme pour une cavalcade, entrent dans Saint-Folquin
pavoisée. Les deux véhicules militaires voudraient pousser une reconnaissance
en direction de Bourbourg. Mais les Allemands ont fait sauter le pont sur l'Aa
et dans l'après-midi même, ils ont installé un canon dans les ruines de
l'église et posté des hommes sur les routes du Guindal et de Saint-Nicolas. Ne
pouvant donc franchir l'Aa, les deux blindés canadiens se dirigent, à 17
heures, vers Gravelines. Mais une troupe de 250 Allemands vient d'établir dans
cette place. Un de ses camions est en vue lorsque les Canadiens arrivent près
du pont de l'Ecluse et ils le mitraillent. Les occupants du véhicule allemand
ripostent au fusil et au pistolet. Les Canadiens reçoivent alors un ordre de
repli et, à 19 heures, leur unité bivouaque à la ferme Crève-cœur.
Un ordre d'évacuer la ville est
signifié ce même jour, 16 septembre, aux habitants de Dunkerque, par les
autorités allemandes. Les Berguois s'apprêtent à recevoir des réfugiés de la
cité de Jean Bart quand, au cours de la soirée, des Allemands font irruption
dans leur ville. Les soldats constatent que le dispositif de minage du pont de
la porte de Cassel, mis en place précédemment, a été démonté par des
"terroristes". Ils se répandant aussitôt dans les rues et sous la
menace de leurs armes, font sortir les hommes des maisons et les rassemblent en
différents points de la cité. La nuit suivante, les Allemands font sauter des
ponts desservant Gravelines et Bourbourg. Mais le Génie de l'Armée canadienne
en construit un entre Saint-Folquin et le Guindal et, au petit jour, une
colonne se met en route vers Bourbourg, bombardée par artillerie. Dans cette
localité, les Allemands ont rageusement pris connaissance des
"attentats" commis par les Résistants et libéré leurs propres soldats
faits prisonniers. Vers 13 heures, le 7 septembre, un officier et quelques
soldats allemands arrêtent un homme dans la rue et lui intiment l'ordre de les
conduire chez le maire, M. Meesemaecker. Or, cet homme est un Résistant, M.
Louis Braems, et il porte dans ses vêtements un plan de la ville avec
indication du dispositif allemand. Ce document est destiné aux Canadiens, sont
informés par les F.F.I. des positions défensives de l'ennemi. M. Braems, donc,
s'exécute et, chez M. Meesemaecker qui est marchand de vêtements, il parvient à
dissimuler son plan entre deux coupons de tissu. Les Allemands exigent que le
maire leur remette des otages qui seront exécutés au moindre attentat contre
les soldats allemands. Le maire, M. Braems et trois autres hommes sont ainsi
enfermés, tandis que la menace des Allemands est colportée de maison en maison
par un employé communal qui met les habitants en garde. Mais à 16 heures, des
soldats canadiens traversent le canal de Bourbourg sur des canots et ils
s'emparent de la distillerie. Les Allemands cèdent le terrain. Les Canadiens
atteignent le Plantis et les abords de la gare. La libération de Bourbourg est
entamée.
Celle de Bambecque est chose
faite et, en cette matinée pluvieuse du 7 septembre, les Canadiens de la 6e
brigade de la 2e Division d'Infanterie rentrent à Hondschoote où les habitants leur
offrent du lait et de bonnes bouteilles précieusement conservées pour le grand
jour. Quelques Allemands qui, dans la cave d'une maison de la ville,
attendaient d'être capturés, sont pris en charge sans incident. Des patriotes
armés assument la garde des ponts. Le même jour, les Canadiens venant de
Wormhout, passent à West-Cappel, Rexpoëde et Oost-Cappel, puis entrent en
Belgique. A midi, ils libèrent Warhem. Une dizaine d'Allemands retranchés près
de la ferme veuve Brygo, non loin du village, vers la Basse-Colme, sont
attaqués par les F.F.I. Un franc-tireur est tué. Les Canadiens interviennent et
les Allemands sont capturés. L'ennemi a fait sauter les ponts sur la
Basse-Colme en-deçà de laquelle il a posté des mitrailleuses. Les Canadiens ont
toutefois trouvé un pont intact, celui du Pauwkensverve. Mais, c'est après
avoir traversé le canal à bord de canots pneumatiques qu'ils attaquent des
Allemands installés dans les maisons près du pont-à-Moutons. Ils font plusieurs
prisonniers.
A Bergues, les Allemands ont
relâché les hommes qu'ils avaient arrêtés et qu'ils voulaient employer à des
travaux de fortification de la place. Les autorités civiles se sont opposées à
cette prétention. Les Allemands ont placé une pièce anti-char sur la butte du
rempart et le premier tank canadien qui se présente en vue de la porte de
Cassel, ce 7 septembre, est canonné. Le siège de la cité de Saint-Winoc
commence, à grand renfort d'artillerie. Il y aura, malheureusement, des
victimes parmi la population civile.
Gravelines est aussi sous le feu
des Canadiens. Dans cette journée du 7 septembre, des obus ont chassé de la
tour les observateurs allemands. Dans la soirée, des fusants s'abattent sur la
ville que l'Occupant évacue la nuit suivante, en détruisant les ponts de sortie
vers Dunkerque. Les Allemands se replient dans Loon-Plage. Ils abandonnent
aussi totalement Bourbourg, ayant fait sauter le Pont-Rouge et la passerelle du
Coin du Bois à Bourbourg-campagne, et incendié le château Duriez. A 6 heures du
matin, le 8 septembre, les Canadiens du Régiment de Maisonneuve (5e Brigade de
la 2e D.I.) occupent l'ensemble de Bourbourg. A la même heure près, accompagnés
par des F.F.I., les Canadiens occupent Gravelines où ils capturent une
quarantaine de soldats allemands. Puis les Calgary Highlanders portent leur
effort sur Loon-Plage où l'ennemi se maintiendra jusqu'à la nuit suivante.
Au-delà d'Hondschoote, en Belgique, les Canadiens de la 6e Brigade, ayant pour
éclaireurs les résistants de l'organisation belge "Armée secrète",
entrent à Furnes, franchissant un pont provisoire improvisé par les habitants
pour remplacer le pont d'Ypres que les Allemands ont fait sauter. Le même jour,
les Canadiens entrent à Nieuport, à Adinkerke, déserté par les Allemands partis
vers Ghyvelde, et à Ostende. Mais, à Warhem, les Allemands contre-attaquent.
Venus d'Uxem, ils détruisent le pont de Pauwkensverve sur la Basse-Colme. Et,
au Pont-à-Moutons, ils mitraillent les Canadiens. La bataille toutefois à
l'avantage des Alliés qui font une cinquantaine de prisonniers, dont plusieurs
blessés, mais qui n'occupent pas la position, regagnant leur point de départ au
village de Warhem. La Basse-Colme n'est donc toujours pas franchie. Dans le
secteur de la Haute-Colme, les Canadiens du Black Watch Regiment, venant de la
direction de Looberghe, s'emparent, ce 8 septembre, vers 17 heures, du côté
nord du hameau du Grand-Millebrugghe. Les Allemands font feu de la distillerie
et des maisons situées de l'autre côté du canal. Les Canadiens franchissent
celui-ci sur un canot pneumatique et entreprennent de nettoyer le secteur,
opération qui est interrompue à la nuit et reprend le lendemain.
Le matin du 9 septembre, les
Canadiens entrent à Loon-Plage. Ils prennent en charge quatre prisonniers
allemands qui s'étaient rendus aux gendarmes. L'ennemi a évacué la localité,
nous l'avons dit, au cours de la nuit. Il s'est replié sur l'ancien canal de
Mardyck et s'y maintenir solidement. Les Canadiens de la 4e brigade de la 2e
D.I. sont contenus à Spycker, au grand-Millebrugghe, à Bergues et le long de la
Basse-Colme en-deçà de laquelle la zone des wateringues est inondée. Mais, ce 9
septembre, le Black Watch Regiment occupe Coppenaxfort. En Belgique, les
Canadiens sont à La Panne qu'ils occupent totalement le 10 septembre et ils
engagent le combat en direction de la frontière française. Les 13 et 14
septembre, les Queen's own Cameron Highlanders, rejoints par un bataillon du
South Saskatchewan Regiment, attaquent les Allemands qui se cramponnent à
Bray-Dunes. Ils libèrent cette localité avec l'aide des F.F.I. mais ne peuvent
outrepasser la rue des Marins. Le front se stabilise dans ce secteur aussi, les
Allemands gardant la ferme Vandevelde. Les habitants de Bray-Dunes que les
Allemands arrosent d'obus sont évacués le 15 septembre. Ils partent pour La
Panne, la plupart à pied, et sont hébergés dans différents hôtels, après
recensement et visite médicale à l'hôtel Continental. Le même jour, l'aviation
alliée bombarde Ghyvelde et dans l'après-midi, les Canadiens français des
Fusiliers Mont Royal se lancent à l'assaut de cette localité. Des groupes de
F.F.I. les ont rejoints et ils participent le lendemain au nettoyage du village
et des environs où quelques nids de résistance allemands subsistent.
A 22 heures, les Allemands
chassent de leurs demeures les habitants de Grande-Synthe. Le village est
évacué, ils font sauter l'église et le clocher, des maisons et même les arbres
le long de la Route Nationale. Dans le même temps, les Allemands sont en
effervescence à Bergues qu'ils s'apprêtent à évacuer. A trois heures du matin,
le 16 septembre, ils chargent d'explosifs le beffroi et le clocher de l'église.
A 5 heures du matin, ils quittent Bergues pour se replier vers Dunkerque.
Soudain une formidable explosion secoue la cité de Saint-Winoc. Des témoins
voient le superbe beffroi s'élever à trente ou quarante mètres de hauteur,
telle une fusée, puis se casser dans les airs et retomber en débris. La tour de
l'église saute elle-aussi et un dépôt de munitions dont les Allemands n'ont pas
voulu faire profiter leurs adversaires, s'en va en explosions et en fumée. Vers
10 heures, nouvelle explosion : deux maisons de la rue Nationale à Bergues se
sont volatilisées. À leur place, s'est creusé un profond cratère. Des corps
humains mutilés sont été projetés aux alentours. Il faudra deux journées pour
recueillir les restes de toutes les victimes. Le soir du 16 septembre,
vingt-deux d'entre elles sont identifiées. Mais, leur nombre, d'abord imprécis,
se fixera à quarante-deux. Une soixantaine de blessés ont été dirigés vers
l'hôpital de Socx et, de là, vers les hôpitaux de Bailleul et d'Armentières.
L'explosion des deux maisons que les Allemands ont piégées avant leur départ,
émeut les habitants de toute la région libérée.
Les Dunkerquois croyaient encore
à ce moment que leur ville ne tarderait plus à être libérée. Mais, les
intentions de l'Etat-Major allié allaient autrement. Eisenhower a écrit à ce
sujet dans sur rapport sur "Les opérations en Europe des Forces
Expéditionnaires Alliées" : "Dunkerque était assiégée; mais, comme
l'emploi de ce port moyen n'était pas indispensable, j'estimai inutile de faire
de très grands efforts pour nous emparer. Comme pour les ports bretons, je
décidai qu'il était préférable de contenir avec le minimum de forces
nécessaires les troupes ennemies estimées à 12.000 hommes, plutôt que de monter
une attaque de grande envergure."
Et Montgomery qui, précédemment,
avait chargé Crerar de prendre rapidement les ports de Boulogne, Calais et
Dunkerque, lui demanda le 13 septembre de dégager Anvers. C'était multiplier
les tâches des Canadiens que, dans une instruction du 14 septembre,
"Monty" déchargea de la prise de Dunkerque. "D'abord,
écrivait-il, s'emparer de Boulogne puis de Calais. On s'occupera de Dunkerque
plus tard. Pour l'instant, il suffira de l'investir. Toutes les énergies de
l'Armée seront employées aux opérations destinées à dégager Anvers, pour
permettre l'utilisation de son port..." Ainsi, Dunkerque ne présentait
aucun intérêt aux yeux de l'Etat-Major allié. Il est vrai qu'aux dommages
causés par les batailles et les bombardements de 1940 à 1944, les Allemands
avaient ajouté des destructions systématiques, opérées au début du mois de
septembre. Même libéré, le port n'aurait pu être exploité avant d'imposants
travaux de remise en état. Les brigades de la 2e Division d'Infanterie
Canadienne, qui avaient bouclé Dunkerque, continuèrent donc leur marche vers la
Belgique et, le 16 septembre, elles laissèrent à la 4th Special Service Brigade
(4e Brigade de Services Spéciaux, composée de commandos) le soin de contenir
les Allemands de la "poche" de Dunkerque.
Quelques jours plus tard, les
Allemands déclenchèrent une vigoureuse offensive dans le secteur est. Dans la
soirée du 27 septembre, ils attaquèrent les F.F.I. et des soldats écossais qui
tenaient Ghyvelde. Les Alliés durent se replier et ils ne reconquirent leurs
positions qu'après l'arrivée de renforts le matin.
Après cette tentative d'extension
du territoire de la "poche", les limites de celle-ci se stabilisèrent
pour un certain temps..."
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