In SOLDAT Gaston
DEBALLE ou « Le journal de route d’un vétéran », éditions LA VOIX
DU NORD, Lille, 1990
Mardi 4
juin 1940
Sur les dunes, des drapeaux blancs flottent un peu
partout. La ville s’est rendue. Nous sommes faits.
Gustin est abattu. Des soldats brisent leur fusil,
cassent leurs jumelles. Six soldats allemands circulent tranquillement. C’est
un groupe de prisonniers. Ils se dirigent vers le phare d’où, dix minutes plus
tard, le drapeau à croix gammée flotte. De toutes parts, des troupes motorisées
affluent : autos, side-cars, mitrailleuses. Qu’un de nous fasse feu sur
eux et je parie qu’il y aura un carnage parmi nous. Mais tout est calme.
Les officiers montent sur les grues, les ponts
roulants et inspectent les prisonniers. Assis sur le sable, nous attendons la
suite. Des soldats passent parmi nous, demandent les jumelles et les revolvers.
Nous sommes libres de circuler dans le port, on parle même de nous renvoyer
chez nous. Un canard sans aucun doute !
A onze heures, en rangs par quatre, nous partons à
travers les dunes. Nous passons devant des officiers qui nous démembrent :
40.000 environ… Aucune sentinelle !
De fatigue, nous nous allongeons sur le sable,
d’autres sous une tente improvisée, mangent un morceau de sucre… Le formidable
incendie des dépôts d’huile et d’essence continue. Tout est noir de fumée,
désolé, les routes sont défoncées. Les Allemands jouent au ballon le long de la
mer sans s’occuper de nous.
Le défilé de prisonniers continue. Gustin et moi
allons vers Saint-Pol. Tout n’est que ruines, un tas de casques français est
là, nous jetons le nôtre. Dans les faubourgs de Dunkerque, les abords de la
ville n’ont apparemment pas trop souffert, pas mal d’habitants nous regardent
passer. Puisque nous sommes libres, nous regagnons Lille à pied.
Tout est démoli. Un pont a sauté, des verrières et
marquises sont en ruines. La gare est toute bouleversée, quelques incendies
brûlent encore. A Coudekerque, nous longeons le canal, où nous croisons des
motocyclistes et camions allemands qui ne s’intéressent aucunement à nous.
Drôle de façon de faire des prisonniers ! A cinq heures du soir, nous nous
installons sur un talus où nous mangeons des oignons crus trouvés dans un
jardin. Nous continuons la route vers Bergues. Demain soir, nous serons
peut-être à Lille. Cela va faire la troisième fois que nous allons à Lille en
quinze jours.
Un bel incendie s’élève de Bergues. Nous
franchissons le canal sur un pont de bateaux construit par les Allemands. Au
fur et à mesure que l’on avance, des sentinelles barrent les routes de l’ouest
et du sud. Sans être gardés, nous sommes canalisés sur une seule et unique
route, celle de l’est. Au carrefour de la route de Lille et de Dixmude, nous
voulons prendre la route de Lille, une sentinelle nous envoie un jet de lampe
électrique en pleine face…
-
« Acht so ! Gefangen ? Rexpoëde… »
Lille nous est interdite. Des prisonniers se présentent sans
cesse au carrefour, à chaque fois, la sentinelle leur lance un faisceau de
lumière et ajoute :
-
« Rexpoëde ».
Des prisonniers se joignent à nous, cela fait boule
de neige. A minuit, nous sommes bien deux cents à marcher dans la nuit…
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