In P. SCHITTEKAT – « Sous les dunes de Coxyde », Namur, 1960
« La Plaine Maritime est comprise dans la vaste cuvette
que constitue l’ensemble de la Flandre. Cette cuvette date de l’Epoque
Cambrienne de l’Ere Primaire. Serrée entre les renflements de l’Artois et du
Brabant, elle se creusa progressivement.
A l’heure actuelle, les terrains primaires se trouvent à de
grandes profondeurs : - 290 mètres à Bray-Dunes, - 300 mètres à Oostende
et – 346 mètres à Gravelines ?
Les roches primaires sont recouvertes de couches de craie
blanche ou de marne datant du Crétacé. Leur importance est variable car, si
elles sont épaisses de plus de 120 mètres à Hazebroeck, elles n’ont guère plus
de 80 mètres à Oostende et seulement 14 mètres à Roselaere.
Le bassin crétacé peut être figuré comme un énorme plan
incliné qui plonge vers le Nord. C’est ainsi qu’il se trouve en surface à
Lille, à – 90 mètres à Hazebroeck, à – 161 mètres à Bourbourg, à – 179 mètres à
Dunkerque et à – 200 mètres à Oostende.
Alors que le bassin flamand s’enfonce toujours davantage,
les mers de l’Ere Tertiaire abandonnent d’abord des dépôts landéniens qui sont
recouverts à l’Epoque Yprésienne de formations constituées par les très
importantes couches d’argile bleue connues de tout le monde. Ces dernières sont
si considérables qu’elles remplissent presque entièrement la cuvette flamande.
Elles conditionnent irrévocablement, par leur présence dans le sous-sol, la
physionomie de la surface. Elles s’opposent à la pénétration des eaux de pluie
et maintiennent la nappe aquifère à une faible profondeur, créant ainsi le type
humide bien connu. Elles empêchent la remontée des eaux landéniennes qui, à
cause de cet énorme massif imperméable, restent à grande profondeur. On ne peut
les atteindre qu’en procédant à de coûteux forages.
La puissante assise Yprésienne se trouve en surface jusque
Diksmuide et disparaît ensuite sous les sables et les apports plus récents, en
une plongée lente en direction du Nord. Elle atteint l’épaisseur de 35 mètres à
Hazebrouck ; 100 mètres à Bourbourg et Dunkerque et 136 mètres à Oostende.
Vers la fin de l’Ere Tertiaire, la fusion des glaciers
provenant de la glaciation de Mindel provoque des inondations très importantes
et le notable accroissement des précipitations atmosphériques confère une
étonnante activité érosive aux larges cours d’eau dont le lit est encore peu
profond à cette période.
Les régions élevées qui dominent la cuvette flamande et qui
culminent partout à la hauteur du Mont Cassel, entre 130 et 140 mètres sont
ravinées, bouleversées, voire arasées. Les sédiments enlevés affluent vers les
parties basses de la cuvette pour y former cette argile bleue yprésienne dont
il est question plus haut.
L’ensemble du site est complètement transformé. Curieusement
nivelé, il esquisse sa physionomie actuelle. Une couche de plusieurs mètres de
sables Paniséliens se dépose ensuite sur l’argile Yprésienne.
Ces derniers dépôts tertiaires sont le résultat d’une mer
peu profonde et tranquille.
Comment donc se présente la région à l’aube de l’Ere
Quaternaire ? La pénéplaine se prolonge bien au-delà de ses limites
actuelles, jusqu’à la hauteur de la Grande-Bretagne. Elle est couverte d’une
végétation luxuriante et de grands fleuves qui se dirigent vers le Dogger Bank,
où ils ont leur embouchure, la traversent. Le climat, très chaud, permet dès
lors une vie intense dans les vallées peu profondes et sur les rives des
fleuves. On pourrait y rencontrer le rhinocéros, l’hippopotame, le tigre ou le
buffle.
A cette époque, l’homme peut subsister dans la Plaine et il
n’y manque pas, s’y maintenant aussi longtemps que le climat lui reste propice.
Lors de la dernière glaciation, dite de Wurm, qui couvre de
ses glaciers une grande partie de l’Europe et qui descend jusqu’en Allemagne,
en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, la température devient extrêmement
rigoureuse. Une faune différente, comprenant le renne, le mammouth, l’élan et
le bœuf musqué, prend possession de la région.
Est-il nécessaire de dire que l’Homme, en absence de grottes
pouvant l’abriter, est contraint d’abandonner la Plaine, inhospitalière, fort
semblable aux actuelles régions polaires.
Cette Plaine devient toundra durant les courts étés et
l’homme ne fait plus que la traverser pour s’y livrer à la chasse ou, mieux
encore, à la pêche. Il lui est impossible d’y vivre pendant l’hiver.
Avec le réchauffement de la température et la fin de la
glaciation de Wurm surviennent deux événements marquants qui transforment de
nouveau le site.
Il s’agit de l’affaissement progressif de la pénéplaine et
de la disparition de la digue naturelle reliant la Grande-Bretagne au
continent.
Le Baron de Loë affirmait qu’ « avant la rupture de
l’Isthme du Pas-de-Calais, les eaux marines suivaient un rivage sinueux allant
d’Antwerpen à Hasselt, couvrant la presque totalité de la Campine Limbourgeoise
et Anversoise, région qui correspondrait avec l’ancien delta de la
Meuse ».
Il est raisonnable de croire que la raison première de la
rupture de l’Isthme du Pas-de-Calais réside dans l’afflux considérable des
masses d’eau, consécutivement à la fin de la glaciation de Wurm, dans l’Océan
Atlantique. Elles se heurtent sans doute à la digue naturelle située au fond du
couloir que constituait alors la manche et assènent de formidables coups de
boutoir contre cette ultime défense.
Il y avait alors une différence de niveau, estimée à une
vingtaine de mètres, entre la Manche et la Pénéplaine. Lorsque les deux mers,
la Manche et la Moséenne, se rejoindront pour former la Mer du Nord, toute la
partie basse de notre pays se trouvera sous les flots et constituera un immense
golfe limité par les montagnes flamandes.
La mer Flandrienne, appelée ainsi parce qu’elle occupera
pour finir les deux Flandres, subira désormais plus fortement l’effet des marées
qui auront l’amplitude moyenne inchangée jusqu’à nos jours de quatre mètres
cinquante.
Les grands courants marins débouchant du Pas-de-Calais vont
raviner profondément le plateau sous-marin et déposer du sable gris argileux à
l’emplacement de la future Plaine Maritime.
Un nouvel abaissement du niveau marin provoque le retrait
partiel de la mer. Si la limite exacte de ce retrait ne nous est pas connue,
l’ampleur du mouvement peut être estimée par contre à environ vingt-cinq
mètres.
Il est certain que le nouveau régime se situe sensiblement
au nord de la côte actuelle et que les terres émergées furent habitées, sinon
par une population dense, du moins par des groupes humains très différents les
uns des autres et à des époques variables jusque très près de nous, à l’aube de
l’ère chrétienne, comme le prouvent les restes qui, arrachés de la tourbe en
mer, nous sont restitués lors des grandes tempêtes. Nous trouvons échoués sur
nos plages des débris de l’âge du fer, des outils et des armes en silex ou en
os, des poteries romaines. Ce sont là des témoins particulièrement significatifs
d’un passé que l’on voudrait connaître mieux encore.
Que pouvons-nous glaner, dans l’Histoire, au sujet de la
formation et du mode de peuplement de la région qui nous occupe ?
En général, on observe que le choix de l’habitat s’opère
selon un nombre limité de critères, au premier rang desquels figurent les
moyens de subsistance et les moyens stratégiques.
Certains auteurs ont expliqué la présence humaine dans les
sites côtiers par la prédilection de certaines peuplades pour un gibier
particulier (les oiseaux des marais) ; d’autres, par cet attrait de la mer
que l’homme moderne subirait encore inconsciemment.
Nous croyons que la question à envisager d’abord au point de
vue ravitaillement : la mer ne constitue-t-elle pas un garde-manger
inépuisable ?
Notre région était particulièrement bien située pour retenir
l’Homme. A la place des dunes récentes s’étendaient les vastes plateaux
flandriens, secs et peu élevés, coupés de vastes marécages boisés. Nous avons
vu qu’ils s’étendaient bien au large de notre côte actuelle, jusqu’à la limite
de la tourbe.
Ainsi donc, en plus de la réserve que constituait la mer,
les hommes pouvaient alors compter sur les ressources giboyeuses des marécages.
En fait, la nature les mettait providentiellement à l’abri de la famine.
Ajoutons que les occupants de cette région privilégiée
devaient être forts afin de protéger les terres de la convoitise de voisins
moins bien lotis. Les marais aidaient à se défendre contre les incursions de
ces pillards en puissance.
Toute la côte continentale de l’Europe offrait cet aspect.
Des poteries de l’âge du fer, associées à des reliefs de repas, semblables à
celles de La Panne, ont été découvertes jusqu’au Danemark. Elles sont tellement
nombreuses là-bas que les archéologues danois leur ont donné le nom de
Kjökkenmöddinger ou « civilisation des débris de cuisine ».
Les origines ethniques de notre pays, ainsi que de la nation
française d’ailleurs, remontent à la période celtique. Avant elle, il n’y a
qu’un passé amorphe, sans histoire et sans nom.
Les Celtes se seraient insinués en Gaule dès l’âge du Bronze
et particulièrement vers 1.600 à 1.300 ava. J.C. Ils venaient de l’Allemagne du
Sud et, assimilant les populations autochtones, ils constituèrent à l’ouest du
Rhin, une vaste Celtique continentale, englobant la Gaule jusqu’aux crêtes du
Plateau central.
Les Belges, qui incinéraient leurs morts, sont arrivés dans
notre pays au IVe siècle avant notre ère. Ils venaient sans doute de
l’extrémité orientale de la Celtique, celle qui touchait aux Germains, d’où une
certaine harmonie dans les mœurs.
L’apogée de l’expansion celtique se situe au IIIe
siècle, sans aboutir toutefois à un empire. Le même siècle qui marqua le point
culminant de leurs conquêtes en Europe, vit également leur rapide décadence. La
gaule fut bientôt la seule contrée où ils purent se maintenir ?
L’aspect physique des Gaulois ne correspond guère aux
descriptions que nous ont laissées nombre d’écrivains anciens. Ceux-ci ont créé
un type gaulois grand de taille, blond et farouche. Les études anthropologiques
des squelettes attribués aux Gaulois comprennent des échantillons de taille
variable.
L’indice céphalique, lui non plus, n’est pas constant. Il ne
faut donc pas identifier le Gaulois avec le grand dolychocéphale blond des
régions nordiques.
Alors que, primitivement, les Celtes ensevelissaient leurs
morts, à partir de 1.200 av. J.C. apparaissent les tombes à incinération.
Avec la Celtique, nous voyons les débuts de l’âge du fer. A
cette époque, en bordure de la plaine, notre littoral commence à se dessiner
sous forme d’îles basses. Au cours des temps, ces îles se soudèrent les unes
aux autres pour former une chaîne continue protégeant l’intérieur de la fureur des
tempêtes. L’immense plaine maritime se constituait peu à peu.
Mais une première transgression marine s’annonçait ; au
travail sournois des eaux, qui patiemment rongeaient les vieilles dunes
flandriennes, succédèrent les assauts furieux des tempêtes d’équinoxe.
La barrière s’éroda lentement : des chenaux s’ouvrirent
puis se colmatèrent ; cette longue lutte de la mer contre la terre s’étala
sur plusieurs siècles.
Vers le IVe siècle avant notre ère, comme nous l’avons déjà
noté plus haut, les Belges, arrière-garde des peuples celtiques, occupent notre
pays ; une de leurs tribus, les Morins, se dirige vers la mer et s’empare
du littoral où le chapelet d’îles offrait un abri sûr et attirait l’homme. La
civilisation de Kjökkenmöddinger se transforma. La mer apaisée renonça
provisoirement à toute tentative d’annexion de la plaine.
Quatre siècles allaient s’écouler avant que sonne l’heure de
Rome.
Les légions de Jules César, le général qui ne connaissait
pas la défaite, marquèrent le pas dans la plaine. Comprenant qu’il ne pourrait
jamais triompher de la guérilla déclenchée par les Morins, le dictateur se
replia prudemment, laissant à ses successeurs le soin de composer avec ses
farouches adversaires et de se les attacher.
Une nouvelle ère s’ouvrait dans l’histoire de la Plaine
maritime.
César n’a pas trouvé la région si désolée et si marécageuse
qu’on pourrait le croire en lisant ses écrits. Il se devait de justifier son
repli devant les Morins vis-à-vis de l’opinion publique romaine. C’est pourquoi
il peignit la contrée sous les couleurs les plus sombres.
Pourtant quels avantages cette région ne présentait-elle
pas !
Les îles formaient autant de refuges, autant d’oppida pour
les Préhistoriques comme pour les Belges ; les échancrures de la côte et
les lagunes intérieures offraient de bons sites portuaires, bien à l’abri des
tempêtes. Le cinglant échec éprouvé par les légions romaines devant les Morins
prouvait aussi que la défense du sol contre des envahisseurs puissants était
sinon aisée, du moins très possible.
Les Morins, d’ailleurs, n’avaient pas hésité à mettre à
profit les possibilités que leur offrait la côte. Ainsi, lorsque césar prépara
sa descente en Angleterre, c’est dans un de leurs ports, Boulogne,
momentanément conquis, qu’il concentra sa flotte de débarquement, forte de
plusieurs centaines de navires. C’est auprès de marchands morins, habitués de
traverser le Pas-de-Calais, qu’il essaya
d’obtenir des renseignements sur les atterrages de la grande île. Mais
les Morins, qui ne voulaient pas déposer les armes, harcelèrent la flotte
romaine en partant de havres qui devaient se situer dans l’estuaire de
l’Yser ; l’un de ces ports nous est connu, quoique son emplacement ne soit
pas encore déterminé : ISERO PORTUS.
Quelques décennies plus tard, les rives de la mer du Nord
vont devenir l’objet de la vigilance romaine ; voie naturelle, cette mer
constituait une route idéale pour les invasions et les Barbares ne se firent
pas faite de l’utiliser fréquemment.
Gesoriacum, l’ancienne Portus Itius des Morins (Boulogne),
n’en acquit que plus d’importance. Elle devint une ville opulente, ceinturée de
fortifications, défendue par de nombreux ouvrages avancés, tant sur la côte que
vers l’intérieur des terres.
Administrativement, comme presque toutes les autres provinces
belges, la Morinie avait été érigée en cité (cfr. nos arrondissements) avec
comme centre, Thérouanne. De nombreuses bourgades (vici) se multiplièrent et
s’amplifièrent. Par la suite, beaucoup de ces villettes perdirent toute
importance, notamment sous les Carolingiens. Les Normands en rasèrent beaucoup
qui disparurent à jamais.
Au début de l’époque romaine, les techniques de la
construction étaient encore celles des Celtes : de petites fermes en
torchis, fort semblables aux « masures » de Normandie. Elles se
maintinrent fort longtemps. Les fermes gallo-romaines (villae) dont le type
rappelle singulièrement celles de notre époque, étaient la plupart du temps en
matériaux légers ; seules les assises et les caves étaient en pierre ou en
briques.
Si, à ce jour, les restes de ces bâtiments sont rarissimes,
dans la plaine, c’est parce qu’ils gisent inviolés sous le limon récent ou
encore parce qu’ils ont été démantelés au moyen-âge par les habitants du pays.
Les routes, dont le réseau devait être serré, étaient constituées
d’un radier de grès diestien recouvert de gravier. De Cassel en partaient
sept ; deux notamment se dirigeaient vers le Nord. Ces dernières
s’interrompent brusquement à la limite de la plaine maritime. Elles se
prolongeaient évidemment bien au-delà, mais elles ont sans doute été anéanties
par les transgressions dunkerquiennes II et III. Nous pouvons les suivre encore
par Hoymille, l’autre par Steene : elles ont gardé leur nom
caractéristique de Steenstraete.
Un document d’époque romaine nous a gardé les noms de
quelques localités qu’elles unissaient. Sur le littoral : Marcis (Marck ? Mardyck ?), Gesoriacum (Boulogne), Epatiaci (indéterminée), locus Quartenis (Etaples ?), Isero Portus (indéterminée).
Les fluctuations de la côte, pour toute la région englobée
par l’estuaire de l’Yser, rayèrent de la carte plus d’un établissement qui, en
son temps, jouissait d’une certaine importance.
Les vestiges de certaines agglomérations se trouvent
peut-être encore sous les flots, car les plateaux flandriens dont nous parlions
plus haut s’étendaient vraisemblablement jusqu’à plusieurs kilomètres au large
de la côte actuelle. Les poteries d’époque romaine qui s’échoue de temps à
autre sur nos plages étayent solidement cette proposition. Comment expliquer
autrement l’origine de ces découvertes
En 285, Carausius se souleva contre Rome. Après sa défaite,
les autorités impériales réorganisèrent complètement les défenses de la mer du
Nord. Il leur fallait contenir les incursions des corsaires nordiques, cités
dans les textes sous le vocable de « Saxons ». Cet ensemble de
peuples comprenait notamment les Chauques (Cauci), des Frisons et bien entendu
aussi des Saxons. Ces hardis navigateurs mettaient toutes les côtes en coupe
réglée. Les Romains organisèrent donc un système défensif le long du littoral.
Des forts furent élevés au bord de la mer, à intervalles réguliers. Chacun
servait de base à une unité de troupes rapides protégeant un secteur nettement
délimité.
L’ensemble prit le nom de Litus Saxonicum et fut placé sous les ordres d’un Comes Litoris Saxonici. Il faut
évidemment interpréter cette dénomination « Litus Saxonicum » non
comme une ligne de défense confiée aux Saxons mais plutôt construite contre
eux. Nous y verrions plutôt les descendants des Morins qui taillèrent naguère
des croupières aux légions romaines de César et qui furent sans doute assimilés
entre temps.
Les Romains furent étonnés par le genre de vie de certaines
peuplades côtières. Pline l’Ancien, dans la première moitié du Ier siècle après
J.C. décrivait l’habitat des Chauques de cette façon :
« Là, l’Océan s’élance deux fois en vingt-quatre heures
avec une force monstrueuse, s’étend au loin et recouvre un espace dont la
nature est telle qu’on ne sait pas s’il appartient à la terre ferme ou si c’est
une partie de la mer. C’est là que le misérable peuple habite sur des tertres
ou des échafaudages élevés par la main de l’homme. On dirait des navigateurs,
mais par marée basse, ils ont l’air de naufragés. Ils cuisent leurs aliments
avec de la boue séchée au vent plutôt qu’au soleil (tourbe). »
Ces collines étaient des élévations artificielles, moyen
primitif de se protéger de la destruction par les flots ; on en retrouve
les restes tout le long des côtes de la mer du Nord ; leur nom diffère
selon le pays où elles se trouvent : « Terpen » aux Pays-Bas,
« Warfen ou Wurten » en Allemagne.
Peu avant 300, le Gaulois Eumène célébrant les victoires de
Constance Chlore sur Carausius et ses alliés germains, déclarait :
« Ce pays mérite peu le nom de terre, car ce sol est tellement imbibé
d’eau que non seulement dans les parties les plus marécageuses il cède aux
efforts et se dérobe sous les pieds, mais dans les endroits où il paraît plus
ferme, il frémit sous le pas et semble flotter sous les abimes. »
Déjà au Ve siècle avant J.C., Pythéas avait été frappé par
la nature particulière de ce sol ; il parle d’un endroit dont la terre et
la mer se disputent tour à tour l’étendue. Il s’agit vraisemblablement de la
Wattenmeer des Allemands, à moins qu’il ne soit question, ce qui est possible,
des slikkes de l’embouchure de l’Yser. L’explorateur marseillais concluait que
ni la marche ni la navigation n’y étaient possibles ;
On est frappé par la similitude de ces descriptions qui
s’étalent sur une longue période. Il faut toutefois tenir compte de la forte
impression laissée par l’ampleur des marées de la Mer du Nord chez les
voyageurs issus d’un pays où le flux et le reflux sont inexistants.
Entre le Ier et le IVe siècle après J.C., les populations
autochtones furent assimilées par les conquérants romains et prirent part
désormais à la défense des frontières de l’empire.
Notons également que c’est à partir de cette époque que le
littoral a été envahi par un nombre croissant de Germains, les uns déportés
pour lettre les terres incultes en valeur, les autres appelés à contribuer à la
défense de la frontière maritime. D’autres s’installèrent de force en l’un ou
l’autre endroit du territoire. On les connaissait sous le nom de Suèves ou
Saxons. Or, il semble que ces mêmes Saxons avaient assimilé au préalable les
pirates Chauques (Cauci), dont le nom, ainsi que ceux des Chérusques, des
Angrivarciens et des Chamaves, disparaît définitivement des sources vers cette
époque.
Les aptitudes navales de ces Barbares étaient innées, au
point que plus d’un historien considère ces derniers comme les ancêtres directs
des Vikings.
Ces Saxons gardèrent longtemps leur individualité,
semblables en cela aux Frisons, demeurés pareils à eux-mêmes depuis l’ère
chrétienne.
Durant toute la période de la décadence romaine, l’aspect
physique du littoral méridional (notre côte ouest) de la mer du Nord a subi une
lente érosion. Une nouvelle transgression marine (Dunkerque II) a rongé les
protections naturelles et humaines dressées en bordure de la plaine. Cette
érosion fut si active que, vers la fin de l’Empire, une bonne partie de la
Flandre Occidentale et de la Flandre française se trouva submergée par les eaux
de la mer du Nord. Cette invasion marine parait avoir eu lieu au Ve siècle mais
elle a débuté longtemps auparavant. Le cordon dunier désarticulé, tronçonné
en plusieurs morceaux, constitua dès
lors une série d’îles littorales qui, de même que les parties élevées de la
plaine, restèrent à l’abri des eaux. Ces points émergés acquirent une grande
valeur, surtout au point de vue stratégique, comme l’atteste notamment
l’occupation de Marck par des cavaliers dalmates. Ce site, remarquons-le, est
constitué d’une élévation de galets vierges de toute alluvion marine. C’est
pourquoi les Dalmates s’établirent sur cette île littorale qui, comme les
autres d’ailleurs prit une signification particulière dans la défense de la
côte.
Il est prouvé que les inondations ont été le résultat d’une
subsidence, c’est-à-dire d’une transgression provoquée par un lent mouvement de
l’écorce terrestre vers le bas.
Plusieurs îles résiduelles nous sont connues aussi bien dans
la plaine maritime que le long du littoral : Holque dans le delta de l’Aa,
Bergues-Saint-Winoc, Lo, Zevecote et Veurne. Une ou plusieurs îles littorales
existaient sous le massif des dunes actuelles. Nous n’en connaissons pas encore
les dimensions exactes ; tout au plus savons-nous qu’à Ghyvelde, De Panne,
Koksijde et Nieuwport existent des gisements de sable flandrien sans aucune alluvion
moderne. De nos jours encore, ils dépassent de quelques mètres le niveau moyen
de la région.
Selon l’opinion généralement admise, et que d’autres
adopterons, il devait s’agir d’une terre isolée, s’étendant d’une traite, à ses
origines du moins, de Nieuwpoort St. Georges à Malo. On comprendra sans peine
l’importance que revêtait une telle émergence dans l’ensemble tel qu’il est
cité plus avant, du dispositif de défense établi par les Romains. Nous aurons
l’occasion de revenir sur ce point.
En résumé, il faut admettre qu’il est hautement
vraisemblable que la plaine maritime, à partir de cette époque, se réduisit à
quelques îles basses, protégées par une vaste ceinture de marais quasi
infranchissables. La côte, sensiblement en retrait par rapport au littoral
actuel, ne devait pas, vers le nord ou l’ouest, s’éloigner des limites
méridionales et orientales des terres poldériennes. Quant à l’Yser, il
débouchait dans un immense et profond estuaire.
Contenus longtemps sur les frontières de l’Empire par les
légions romaines, les Francs brisèrent les défenses disposées le long du Rhin
et envahirent la Gaule à partir du IVe siècle.
La plaine maritime semble toutefois avoir été épargnée par
cette invasion. Difficilement accessibles par terre, les îles littorales servirent
de refuges à l’ancienne population poldérienne qui y demeura vraisemblablement
de longs siècles et refusa généralement de fusionner avec les envahisseurs.
Lorsque le VIIe siècle, saint Eloi se risqua sur ces îles, il s’y trouva des
« Flandrenses, Andoverpenses, Frisiones et Suevi » nettement
différents des Francs de l’intérieur.
C’est à partir de cette époque que l’envasement progressif
de la plaine maritime permit aux autochtones de s’y aventurer et de créer de
nouveaux établissements.
L’argile des polders recouvrit la tourbe sur une épaisseur
de 2 m 50 à 4 mètres. Les trouvailles faites au niveau de la tourbe datent, au
plus tard, du début de la décadence romaine mais, dans l’argile des polders, on
n’a découvert aucun monument antérieur au XIIe siècle.
C’est également à partir du VIIe siècle que se formèrent les
dunes modernes qui, prenant de plus en plus d’importance, ensevelirent
complétement les anciennes îles littorales résiduelles de la vaste plaine
flandrienne préhistorique.
Au IXe siècle, bien qu’existaient encore sous le nom d’Isero
Portus, la baie de l’Yser était déjà considérablement amoindrie.
Par ailleurs, dès le VIIe siècle, les textes signalent la
renaissance d’établissements humains dans la plaine et l’arrivée de
saint-Bertin à Sithiu en 648.
A l’abri des îles côtières, la plaine maritime se comble
rapidement. Les « blikken » se transformèrent en
« Schorren ». Les nouveaux habitants de la plaine élevèrent les
derniers « terpen » pouvant atteindre de 7 à 10 mètres de haut
(Steene, Vlissigem). Les localités dès lors se multiplièrent en 700, saint
Ursmar trouve 400 milites de mœurs rudes installés à Oostburg ;
Lampernisse est cité en 857 ; à Veurne, dès 860, on construit un château
pour se protéger des Normands (cette localité est sans aucun doute notablement
plus ancienne, car située sur une île intérieure lors de la grande
transgression marine, donc point important à ne pas négliger) ; Gemps
apparaît en 826, Coulogne en 881, Marck en Bourbourg en 887, Téteghem en 974,
Lo en 944, Uxem en 981, Testereph en 922…
La plaine fut à nouveau inondée de façon permanente.
En 879, une armée normande débarquait en Angleterre. Mais le
roi de Wessex, Alfred le Grand, lui opposa une telle résistance qu’elle dut se
replier. Les pillards se tournèrent alors vers le nord de la Francia,
c’est-à-dire nos régions. Peut-être profitèrent-ils des troubles ayant suivi la
mort de Baudouin Ier. Toujours est-il qu’ils occupèrent la région de l’Yser
pendant quatre années, de 881 à 885. Ils en firent une base d’où ils
rayonnèrent afin de porter le meurtre et le pillage jusque loin dans l’intérieur
des terres. C’est un honneur dont les habitants de notre région se seraient
volontiers passés car ils ne furent guère épargnés. Tout fut consciencieusement
pillé. Veurne fut saccagée. La population qui parvint à échapper au massacre
prit la fuite. Plusieurs agglomérations furent définitivement rayées de l’histoire et leur souvenir même se perdit.
Veurne eut la chance d’être reconstruite en 958 sous Baudoin
le Jeune. Vers cette époque, un chapitre de douze chanoines présidés par un
prévôt fut fondé. Il remplaça les Bénédictins qui desservaient primitivement
l’église dont aucun n’avait survécu au désastre.
C’est également au cours du XIe siècle que les rites
funéraires se modifièrent à la suite des prescriptions de l’Eglise ; les
cimetières en plein champ furent délaissés au profit des sépultures groupées
autour des sanctuaires chrétiens.
Voilà donc ce que nous apprennent les documents historiques.
Arrêtons-nous un instant pour faire le point.
Avant de résumer ce qui précède, faisons remarquer que les
Anciens ne concevaient pas que l’on pût dissocier le politique du religieux. Il
n’est guère douteux par ailleurs, que la romanisation a été certainement plus
intense dans les régions qui bordaient les frontières de l’empire, comme celle
qui nous occupe ici, que dans les espaces qui, situés plus à l’intérieur,
étaient dépourvues de troupes. Il ressort de ce qui précède que les écrivains
du temps se sont contentés d’évoquer la lutte des autochtones contre les
légions romaines par de sèches mentions. Ils ne nous livrent que peu
d’indications sur le genre de vie et les gouvernements propres des peuples
vaincus.
Nous rappellerons également que les Frisons poursuivirent, à
l’écart des mouvements ethniques, sur leurs îles côtières, une vie
particulariste qui devait se prolonger durant de nombreux siècles.
Lors de leur progression à partir du Rhin, les Francs
saccagèrent et détruisirent les églises, faisant subir au christianisme un
recul effrayant parmi la population localisée dans la région située entre la
Somme et l’Escaut. Le christianisme mettra longtemps à se réintroduire,
apportant avec lui un peu de culture. »
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