jeudi 22 août 2019

la formation de la plaine maritime de Flandre


In P. SCHITTEKAT – « Sous les dunes de Coxyde », Namur, 1960
 
« La Plaine Maritime est comprise dans la vaste cuvette que constitue l’ensemble de la Flandre. Cette cuvette date de l’Epoque Cambrienne de l’Ere Primaire. Serrée entre les renflements de l’Artois et du Brabant, elle se creusa progressivement.
 
A l’heure actuelle, les terrains primaires se trouvent à de grandes profondeurs : - 290 mètres à Bray-Dunes, - 300 mètres à Oostende et – 346 mètres à Gravelines ?
 
Les roches primaires sont recouvertes de couches de craie blanche ou de marne datant du Crétacé. Leur importance est variable car, si elles sont épaisses de plus de 120 mètres à Hazebroeck, elles n’ont guère plus de 80 mètres à Oostende et seulement 14 mètres à Roselaere.
 
Le bassin crétacé peut être figuré comme un énorme plan incliné qui plonge vers le Nord. C’est ainsi qu’il se trouve en surface à Lille, à – 90 mètres à Hazebroeck, à – 161 mètres à Bourbourg, à – 179 mètres à Dunkerque et à – 200 mètres à Oostende.
 
Alors que le bassin flamand s’enfonce toujours davantage, les mers de l’Ere Tertiaire abandonnent d’abord des dépôts landéniens qui sont recouverts à l’Epoque Yprésienne de formations constituées par les très importantes couches d’argile bleue connues de tout le monde. Ces dernières sont si considérables qu’elles remplissent presque entièrement la cuvette flamande. Elles conditionnent irrévocablement, par leur présence dans le sous-sol, la physionomie de la surface. Elles s’opposent à la pénétration des eaux de pluie et maintiennent la nappe aquifère à une faible profondeur, créant ainsi le type humide bien connu. Elles empêchent la remontée des eaux landéniennes qui, à cause de cet énorme massif imperméable, restent à grande profondeur. On ne peut les atteindre qu’en procédant à de coûteux forages.
 
La puissante assise Yprésienne se trouve en surface jusque Diksmuide et disparaît ensuite sous les sables et les apports plus récents, en une plongée lente en direction du Nord. Elle atteint l’épaisseur de 35 mètres à Hazebrouck ; 100 mètres à Bourbourg et Dunkerque et 136 mètres à Oostende.
 
Vers la fin de l’Ere Tertiaire, la fusion des glaciers provenant de la glaciation de Mindel provoque des inondations très importantes et le notable accroissement des précipitations atmosphériques confère une étonnante activité érosive aux larges cours d’eau dont le lit est encore peu profond à cette période.
 
Les régions élevées qui dominent la cuvette flamande et qui culminent partout à la hauteur du Mont Cassel, entre 130 et 140 mètres sont ravinées, bouleversées, voire arasées. Les sédiments enlevés affluent vers les parties basses de la cuvette pour y former cette argile bleue yprésienne dont il est question plus haut.
 
L’ensemble du site est complètement transformé. Curieusement nivelé, il esquisse sa physionomie actuelle. Une couche de plusieurs mètres de sables Paniséliens se dépose ensuite sur l’argile Yprésienne.
 
Ces derniers dépôts tertiaires sont le résultat d’une mer peu profonde et tranquille.
 
Comment donc se présente la région à l’aube de l’Ere Quaternaire ? La pénéplaine se prolonge bien au-delà de ses limites actuelles, jusqu’à la hauteur de la Grande-Bretagne. Elle est couverte d’une végétation luxuriante et de grands fleuves qui se dirigent vers le Dogger Bank, où ils ont leur embouchure, la traversent. Le climat, très chaud, permet dès lors une vie intense dans les vallées peu profondes et sur les rives des fleuves. On pourrait y rencontrer le rhinocéros, l’hippopotame, le tigre ou le buffle.
 
A cette époque, l’homme peut subsister dans la Plaine et il n’y manque pas, s’y maintenant aussi longtemps que le climat lui reste propice.
 
Lors de la dernière glaciation, dite de Wurm, qui couvre de ses glaciers une grande partie de l’Europe et qui descend jusqu’en Allemagne, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas, la température devient extrêmement rigoureuse. Une faune différente, comprenant le renne, le mammouth, l’élan et le bœuf musqué, prend possession de la région.
 
Est-il nécessaire de dire que l’Homme, en absence de grottes pouvant l’abriter, est contraint d’abandonner la Plaine, inhospitalière, fort semblable aux actuelles régions polaires.
 
Cette Plaine devient toundra durant les courts étés et l’homme ne fait plus que la traverser pour s’y livrer à la chasse ou, mieux encore, à la pêche. Il lui est impossible d’y vivre pendant l’hiver.
Avec le réchauffement de la température et la fin de la glaciation de Wurm surviennent deux événements marquants qui transforment de nouveau le site.
 
Il s’agit de l’affaissement progressif de la pénéplaine et de la disparition de la digue naturelle reliant la Grande-Bretagne au continent.
 
Le Baron de Loë affirmait qu’ « avant la rupture de l’Isthme du Pas-de-Calais, les eaux marines suivaient un rivage sinueux allant d’Antwerpen à Hasselt, couvrant la presque totalité de la Campine Limbourgeoise et Anversoise, région qui correspondrait avec l’ancien delta de la Meuse ».
 
Il est raisonnable de croire que la raison première de la rupture de l’Isthme du Pas-de-Calais réside dans l’afflux considérable des masses d’eau, consécutivement à la fin de la glaciation de Wurm, dans l’Océan Atlantique. Elles se heurtent sans doute à la digue naturelle située au fond du couloir que constituait alors la manche et assènent de formidables coups de boutoir contre cette ultime défense.
 
Il y avait alors une différence de niveau, estimée à une vingtaine de mètres, entre la Manche et la Pénéplaine. Lorsque les deux mers, la Manche et la Moséenne, se rejoindront pour former la Mer du Nord, toute la partie basse de notre pays se trouvera sous les flots et constituera un immense golfe limité par les montagnes flamandes.
 
La mer Flandrienne, appelée ainsi parce qu’elle occupera pour finir les deux Flandres, subira désormais plus fortement l’effet des marées qui auront l’amplitude moyenne inchangée jusqu’à nos jours de quatre mètres cinquante.
 
Les grands courants marins débouchant du Pas-de-Calais vont raviner profondément le plateau sous-marin et déposer du sable gris argileux à l’emplacement de la future Plaine Maritime.
 
Un nouvel abaissement du niveau marin provoque le retrait partiel de la mer. Si la limite exacte de ce retrait ne nous est pas connue, l’ampleur du mouvement peut être estimée par contre à environ vingt-cinq mètres.
 
Il est certain que le nouveau régime se situe sensiblement au nord de la côte actuelle et que les terres émergées furent habitées, sinon par une population dense, du moins par des groupes humains très différents les uns des autres et à des époques variables jusque très près de nous, à l’aube de l’ère chrétienne, comme le prouvent les restes qui, arrachés de la tourbe en mer, nous sont restitués lors des grandes tempêtes. Nous trouvons échoués sur nos plages des débris de l’âge du fer, des outils et des armes en silex ou en os, des poteries romaines. Ce sont là des témoins particulièrement significatifs d’un passé que l’on voudrait connaître mieux encore.
 
Que pouvons-nous glaner, dans l’Histoire, au sujet de la formation et du mode de peuplement de la région qui nous occupe ?
 
En général, on observe que le choix de l’habitat s’opère selon un nombre limité de critères, au premier rang desquels figurent les moyens de subsistance et les moyens stratégiques.
 
Certains auteurs ont expliqué la présence humaine dans les sites côtiers par la prédilection de certaines peuplades pour un gibier particulier (les oiseaux des marais) ; d’autres, par cet attrait de la mer que l’homme moderne subirait encore inconsciemment.
 
Nous croyons que la question à envisager d’abord au point de vue ravitaillement : la mer ne constitue-t-elle pas un garde-manger inépuisable ?
 
Notre région était particulièrement bien située pour retenir l’Homme. A la place des dunes récentes s’étendaient les vastes plateaux flandriens, secs et peu élevés, coupés de vastes marécages boisés. Nous avons vu qu’ils s’étendaient bien au large de notre côte actuelle, jusqu’à la limite de la tourbe.
 
Ainsi donc, en plus de la réserve que constituait la mer, les hommes pouvaient alors compter sur les ressources giboyeuses des marécages. En fait, la nature les mettait providentiellement à l’abri de la famine.
 
Ajoutons que les occupants de cette région privilégiée devaient être forts afin de protéger les terres de la convoitise de voisins moins bien lotis. Les marais aidaient à se défendre contre les incursions de ces pillards en puissance.
 
Toute la côte continentale de l’Europe offrait cet aspect. Des poteries de l’âge du fer, associées à des reliefs de repas, semblables à celles de La Panne, ont été découvertes jusqu’au Danemark. Elles sont tellement nombreuses là-bas que les archéologues danois leur ont donné le nom de Kjökkenmöddinger ou « civilisation des débris de cuisine ».
 
Les origines ethniques de notre pays, ainsi que de la nation française d’ailleurs, remontent à la période celtique. Avant elle, il n’y a qu’un passé amorphe, sans histoire et sans nom.
 
Les Celtes se seraient insinués en Gaule dès l’âge du Bronze et particulièrement vers 1.600 à 1.300 ava. J.C. Ils venaient de l’Allemagne du Sud et, assimilant les populations autochtones, ils constituèrent à l’ouest du Rhin, une vaste Celtique continentale, englobant la Gaule jusqu’aux crêtes du Plateau central.
 
Les Belges, qui incinéraient leurs morts, sont arrivés dans notre pays au IVe siècle avant notre ère. Ils venaient sans doute de l’extrémité orientale de la Celtique, celle qui touchait aux Germains, d’où une certaine harmonie dans les mœurs.
 
L’apogée de l’expansion celtique se situe au IIIe siècle, sans aboutir toutefois à un empire. Le même siècle qui marqua le point culminant de leurs conquêtes en Europe, vit également leur rapide décadence. La gaule fut bientôt la seule contrée où ils purent se maintenir ?
 
L’aspect physique des Gaulois ne correspond guère aux descriptions que nous ont laissées nombre d’écrivains anciens. Ceux-ci ont créé un type gaulois grand de taille, blond et farouche. Les études anthropologiques des squelettes attribués aux Gaulois comprennent des échantillons de taille variable.
L’indice céphalique, lui non plus, n’est pas constant. Il ne faut donc pas identifier le Gaulois avec le grand dolychocéphale blond des régions nordiques.
 
Alors que, primitivement, les Celtes ensevelissaient leurs morts, à partir de 1.200 av. J.C. apparaissent les tombes à incinération.
 
Avec la Celtique, nous voyons les débuts de l’âge du fer. A cette époque, en bordure de la plaine, notre littoral commence à se dessiner sous forme d’îles basses. Au cours des temps, ces îles se soudèrent les unes aux autres pour former une chaîne continue protégeant l’intérieur de la fureur des tempêtes. L’immense plaine maritime se constituait peu à peu.
 
Mais une première transgression marine s’annonçait ; au travail sournois des eaux, qui patiemment rongeaient les vieilles dunes flandriennes, succédèrent les assauts furieux des tempêtes d’équinoxe.
La barrière s’éroda lentement : des chenaux s’ouvrirent puis se colmatèrent ; cette longue lutte de la mer contre la terre s’étala sur plusieurs siècles.
 
Vers le IVe siècle avant notre ère, comme nous l’avons déjà noté plus haut, les Belges, arrière-garde des peuples celtiques, occupent notre pays ; une de leurs tribus, les Morins, se dirige vers la mer et s’empare du littoral où le chapelet d’îles offrait un abri sûr et attirait l’homme. La civilisation de Kjökkenmöddinger se transforma. La mer apaisée renonça provisoirement à toute tentative d’annexion de la plaine.
 
Quatre siècles allaient s’écouler avant que sonne l’heure de Rome.
 
Les légions de Jules César, le général qui ne connaissait pas la défaite, marquèrent le pas dans la plaine. Comprenant qu’il ne pourrait jamais triompher de la guérilla déclenchée par les Morins, le dictateur se replia prudemment, laissant à ses successeurs le soin de composer avec ses farouches adversaires et de se les attacher.
 
Une nouvelle ère s’ouvrait dans l’histoire de la Plaine maritime.
 
César n’a pas trouvé la région si désolée et si marécageuse qu’on pourrait le croire en lisant ses écrits. Il se devait de justifier son repli devant les Morins vis-à-vis de l’opinion publique romaine. C’est pourquoi il peignit la contrée sous les couleurs les plus sombres.
 
Pourtant quels avantages cette région ne présentait-elle pas !
 
Les îles formaient autant de refuges, autant d’oppida pour les Préhistoriques comme pour les Belges ; les échancrures de la côte et les lagunes intérieures offraient de bons sites portuaires, bien à l’abri des tempêtes. Le cinglant échec éprouvé par les légions romaines devant les Morins prouvait aussi que la défense du sol contre des envahisseurs puissants était sinon aisée, du moins très possible.
 
Les Morins, d’ailleurs, n’avaient pas hésité à mettre à profit les possibilités que leur offrait la côte. Ainsi, lorsque césar prépara sa descente en Angleterre, c’est dans un de leurs ports, Boulogne, momentanément conquis, qu’il concentra sa flotte de débarquement, forte de plusieurs centaines de navires. C’est auprès de marchands morins, habitués de traverser le Pas-de-Calais, qu’il essaya  d’obtenir des renseignements sur les atterrages de la grande île. Mais les Morins, qui ne voulaient pas déposer les armes, harcelèrent la flotte romaine en partant de havres qui devaient se situer dans l’estuaire de l’Yser ; l’un de ces ports nous est connu, quoique son emplacement ne soit pas encore déterminé : ISERO PORTUS.
 
Quelques décennies plus tard, les rives de la mer du Nord vont devenir l’objet de la vigilance romaine ; voie naturelle, cette mer constituait une route idéale pour les invasions et les Barbares ne se firent pas faite de l’utiliser fréquemment.
 
Gesoriacum, l’ancienne Portus Itius des Morins (Boulogne), n’en acquit que plus d’importance. Elle devint une ville opulente, ceinturée de fortifications, défendue par de nombreux ouvrages avancés, tant sur la côte que vers l’intérieur des terres.
 
Administrativement, comme presque toutes les autres provinces belges, la Morinie avait été érigée en cité (cfr. nos arrondissements) avec comme centre, Thérouanne. De nombreuses bourgades (vici) se multiplièrent et s’amplifièrent. Par la suite, beaucoup de ces villettes perdirent toute importance, notamment sous les Carolingiens. Les Normands en rasèrent beaucoup qui disparurent à jamais.
 
Au début de l’époque romaine, les techniques de la construction étaient encore celles des Celtes : de petites fermes en torchis, fort semblables aux « masures » de Normandie. Elles se maintinrent fort longtemps. Les fermes gallo-romaines (villae) dont le type rappelle singulièrement celles de notre époque, étaient la plupart du temps en matériaux légers ; seules les assises et les caves étaient en pierre ou en briques.
 
Si, à ce jour, les restes de ces bâtiments sont rarissimes, dans la plaine, c’est parce qu’ils gisent inviolés sous le limon récent ou encore parce qu’ils ont été démantelés au moyen-âge par les habitants du pays.
 
Les routes, dont le réseau devait être serré, étaient constituées d’un radier de grès diestien recouvert de gravier. De Cassel en partaient sept ; deux notamment se dirigeaient vers le Nord. Ces dernières s’interrompent brusquement à la limite de la plaine maritime. Elles se prolongeaient évidemment bien au-delà, mais elles ont sans doute été anéanties par les transgressions dunkerquiennes II et III. Nous pouvons les suivre encore par Hoymille, l’autre par Steene : elles ont gardé leur nom caractéristique de Steenstraete.
 
Un document d’époque romaine nous a gardé les noms de quelques localités qu’elles unissaient. Sur le littoral : Marcis (Marck ? Mardyck ?), Gesoriacum (Boulogne), Epatiaci (indéterminée), locus Quartenis (Etaples ?), Isero Portus (indéterminée).
 
Les fluctuations de la côte, pour toute la région englobée par l’estuaire de l’Yser, rayèrent de la carte plus d’un établissement qui, en son temps, jouissait d’une certaine importance.
 
Les vestiges de certaines agglomérations se trouvent peut-être encore sous les flots, car les plateaux flandriens dont nous parlions plus haut s’étendaient vraisemblablement jusqu’à plusieurs kilomètres au large de la côte actuelle. Les poteries d’époque romaine qui s’échoue de temps à autre sur nos plages étayent solidement cette proposition. Comment expliquer autrement l’origine de ces découvertes 
 
En 285, Carausius se souleva contre Rome. Après sa défaite, les autorités impériales réorganisèrent complètement les défenses de la mer du Nord. Il leur fallait contenir les incursions des corsaires nordiques, cités dans les textes sous le vocable de « Saxons ». Cet ensemble de peuples comprenait notamment les Chauques (Cauci), des Frisons et bien entendu aussi des Saxons. Ces hardis navigateurs mettaient toutes les côtes en coupe réglée. Les Romains organisèrent donc un système défensif le long du littoral. Des forts furent élevés au bord de la mer, à intervalles réguliers. Chacun servait de base à une unité de troupes rapides protégeant un secteur nettement délimité.
 
L’ensemble prit le nom de Litus Saxonicum et fut placé sous les ordres d’un Comes Litoris Saxonici. Il faut évidemment interpréter cette dénomination « Litus Saxonicum » non comme une ligne de défense confiée aux Saxons mais plutôt construite contre eux. Nous y verrions plutôt les descendants des Morins qui taillèrent naguère des croupières aux légions romaines de César et qui furent sans doute assimilés entre temps.
 
Les Romains furent étonnés par le genre de vie de certaines peuplades côtières. Pline l’Ancien, dans la première moitié du Ier siècle après J.C. décrivait l’habitat des Chauques de cette façon :
« Là, l’Océan s’élance deux fois en vingt-quatre heures avec une force monstrueuse, s’étend au loin et recouvre un espace dont la nature est telle qu’on ne sait pas s’il appartient à la terre ferme ou si c’est une partie de la mer. C’est là que le misérable peuple habite sur des tertres ou des échafaudages élevés par la main de l’homme. On dirait des navigateurs, mais par marée basse, ils ont l’air de naufragés. Ils cuisent leurs aliments avec de la boue séchée au vent plutôt qu’au soleil (tourbe). »
 
Ces collines étaient des élévations artificielles, moyen primitif de se protéger de la destruction par les flots ; on en retrouve les restes tout le long des côtes de la mer du Nord ; leur nom diffère selon le pays où elles se trouvent : « Terpen » aux Pays-Bas, « Warfen ou Wurten » en Allemagne.
 
Peu avant 300, le Gaulois Eumène célébrant les victoires de Constance Chlore sur Carausius et ses alliés germains, déclarait : « Ce pays mérite peu le nom de terre, car ce sol est tellement imbibé d’eau que non seulement dans les parties les plus marécageuses il cède aux efforts et se dérobe sous les pieds, mais dans les endroits où il paraît plus ferme, il frémit sous le pas et semble flotter sous les abimes. »
 
Déjà au Ve siècle avant J.C., Pythéas avait été frappé par la nature particulière de ce sol ; il parle d’un endroit dont la terre et la mer se disputent tour à tour l’étendue. Il s’agit vraisemblablement de la Wattenmeer des Allemands, à moins qu’il ne soit question, ce qui est possible, des slikkes de l’embouchure de l’Yser. L’explorateur marseillais concluait que ni la marche ni la navigation n’y étaient possibles ;
 
On est frappé par la similitude de ces descriptions qui s’étalent sur une longue période. Il faut toutefois tenir compte de la forte impression laissée par l’ampleur des marées de la Mer du Nord chez les voyageurs issus d’un pays où le flux et le reflux sont inexistants.
 
Entre le Ier et le IVe siècle après J.C., les populations autochtones furent assimilées par les conquérants romains et prirent part désormais à la défense des frontières de l’empire.
 
Notons également que c’est à partir de cette époque que le littoral a été envahi par un nombre croissant de Germains, les uns déportés pour lettre les terres incultes en valeur, les autres appelés à contribuer à la défense de la frontière maritime. D’autres s’installèrent de force en l’un ou l’autre endroit du territoire. On les connaissait sous le nom de Suèves ou Saxons. Or, il semble que ces mêmes Saxons avaient assimilé au préalable les pirates Chauques (Cauci), dont le nom, ainsi que ceux des Chérusques, des Angrivarciens et des Chamaves, disparaît définitivement des sources vers cette époque.
 
Les aptitudes navales de ces Barbares étaient innées, au point que plus d’un historien considère ces derniers comme les ancêtres directs des Vikings.
 
Ces Saxons gardèrent longtemps leur individualité, semblables en cela aux Frisons, demeurés pareils à eux-mêmes depuis l’ère chrétienne.
 
Durant toute la période de la décadence romaine, l’aspect physique du littoral méridional (notre côte ouest) de la mer du Nord a subi une lente érosion. Une nouvelle transgression marine (Dunkerque II) a rongé les protections naturelles et humaines dressées en bordure de la plaine. Cette érosion fut si active que, vers la fin de l’Empire, une bonne partie de la Flandre Occidentale et de la Flandre française se trouva submergée par les eaux de la mer du Nord. Cette invasion marine parait avoir eu lieu au Ve siècle mais elle a débuté longtemps auparavant. Le cordon dunier désarticulé, tronçonné en  plusieurs morceaux, constitua dès lors une série d’îles littorales qui, de même que les parties élevées de la plaine, restèrent à l’abri des eaux. Ces points émergés acquirent une grande valeur, surtout au point de vue stratégique, comme l’atteste notamment l’occupation de Marck par des cavaliers dalmates. Ce site, remarquons-le, est constitué d’une élévation de galets vierges de toute alluvion marine. C’est pourquoi les Dalmates s’établirent sur cette île littorale qui, comme les autres d’ailleurs prit une signification particulière dans la défense de la côte.
 
Il est prouvé que les inondations ont été le résultat d’une subsidence, c’est-à-dire d’une transgression provoquée par un lent mouvement de l’écorce terrestre vers le bas.
 
Plusieurs îles résiduelles nous sont connues aussi bien dans la plaine maritime que le long du littoral : Holque dans le delta de l’Aa, Bergues-Saint-Winoc, Lo, Zevecote et Veurne. Une ou plusieurs îles littorales existaient sous le massif des dunes actuelles. Nous n’en connaissons pas encore les dimensions exactes ; tout au plus savons-nous qu’à Ghyvelde, De Panne, Koksijde et Nieuwport existent des gisements de sable flandrien sans aucune alluvion moderne. De nos jours encore, ils dépassent de quelques mètres le niveau moyen de la région.
 
Selon l’opinion généralement admise, et que d’autres adopterons, il devait s’agir d’une terre isolée, s’étendant d’une traite, à ses origines du moins, de Nieuwpoort St. Georges à Malo. On comprendra sans peine l’importance que revêtait une telle émergence dans l’ensemble tel qu’il est cité plus avant, du dispositif de défense établi par les Romains. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce point.
 
En résumé, il faut admettre qu’il est hautement vraisemblable que la plaine maritime, à partir de cette époque, se réduisit à quelques îles basses, protégées par une vaste ceinture de marais quasi infranchissables. La côte, sensiblement en retrait par rapport au littoral actuel, ne devait pas, vers le nord ou l’ouest, s’éloigner des limites méridionales et orientales des terres poldériennes. Quant à l’Yser, il débouchait dans un immense et profond estuaire.
 
Contenus longtemps sur les frontières de l’Empire par les légions romaines, les Francs brisèrent les défenses disposées le long du Rhin et envahirent la Gaule à partir du IVe siècle.
 
La plaine maritime semble toutefois avoir été épargnée par cette invasion. Difficilement accessibles par terre, les îles littorales servirent de refuges à l’ancienne population poldérienne qui y demeura vraisemblablement de longs siècles et refusa généralement de fusionner avec les envahisseurs. Lorsque le VIIe siècle, saint Eloi se risqua sur ces îles, il s’y trouva des « Flandrenses, Andoverpenses, Frisiones et Suevi » nettement différents des Francs de l’intérieur.
 
C’est à partir de cette époque que l’envasement progressif de la plaine maritime permit aux autochtones de s’y aventurer et de créer de nouveaux établissements.
 
L’argile des polders recouvrit la tourbe sur une épaisseur de 2 m 50 à 4 mètres. Les trouvailles faites au niveau de la tourbe datent, au plus tard, du début de la décadence romaine mais, dans l’argile des polders, on n’a découvert aucun monument antérieur au XIIe siècle.
 
C’est également à partir du VIIe siècle que se formèrent les dunes modernes qui, prenant de plus en plus d’importance, ensevelirent complétement les anciennes îles littorales résiduelles de la vaste plaine flandrienne préhistorique.
 
Au IXe siècle, bien qu’existaient encore sous le nom d’Isero Portus, la baie de l’Yser était déjà considérablement amoindrie.
 
Par ailleurs, dès le VIIe siècle, les textes signalent la renaissance d’établissements humains dans la plaine et l’arrivée de saint-Bertin à Sithiu en 648.
 
A l’abri des îles côtières, la plaine maritime se comble rapidement. Les « blikken » se transformèrent en « Schorren ». Les nouveaux habitants de la plaine élevèrent les derniers « terpen » pouvant atteindre de 7 à 10 mètres de haut (Steene, Vlissigem). Les localités dès lors se multiplièrent en 700, saint Ursmar trouve 400 milites de mœurs rudes installés à Oostburg ; Lampernisse est cité en 857 ; à Veurne, dès 860, on construit un château pour se protéger des Normands (cette localité est sans aucun doute notablement plus ancienne, car située sur une île intérieure lors de la grande transgression marine, donc point important à ne pas négliger) ; Gemps apparaît en 826, Coulogne en 881, Marck en Bourbourg en 887, Téteghem en 974, Lo en 944, Uxem en 981, Testereph en 922…
La plaine fut à nouveau inondée de façon permanente.
 
En 879, une armée normande débarquait en Angleterre. Mais le roi de Wessex, Alfred le Grand, lui opposa une telle résistance qu’elle dut se replier. Les pillards se tournèrent alors vers le nord de la Francia, c’est-à-dire nos régions. Peut-être profitèrent-ils des troubles ayant suivi la mort de Baudouin Ier. Toujours est-il qu’ils occupèrent la région de l’Yser pendant quatre années, de 881 à 885. Ils en firent une base d’où ils rayonnèrent afin de porter le meurtre et le pillage jusque loin dans l’intérieur des terres. C’est un honneur dont les habitants de notre région se seraient volontiers passés car ils ne furent guère épargnés. Tout fut consciencieusement pillé. Veurne fut saccagée. La population qui parvint à échapper au massacre prit la fuite. Plusieurs agglomérations furent définitivement rayées de l’histoire et leur souvenir même se perdit.
 
Veurne eut la chance d’être reconstruite en 958 sous Baudoin le Jeune. Vers cette époque, un chapitre de douze chanoines présidés par un prévôt fut fondé. Il remplaça les Bénédictins qui desservaient primitivement l’église dont aucun n’avait survécu au désastre.
 
C’est également au cours du XIe siècle que les rites funéraires se modifièrent à la suite des prescriptions de l’Eglise ; les cimetières en plein champ furent délaissés au profit des sépultures groupées autour des sanctuaires chrétiens.
 
Voilà donc ce que nous apprennent les documents historiques. Arrêtons-nous un instant pour faire le point.
 
Avant de résumer ce qui précède, faisons remarquer que les Anciens ne concevaient pas que l’on pût dissocier le politique du religieux. Il n’est guère douteux par ailleurs, que la romanisation a été certainement plus intense dans les régions qui bordaient les frontières de l’empire, comme celle qui nous occupe ici, que dans les espaces qui, situés plus à l’intérieur, étaient dépourvues de troupes. Il ressort de ce qui précède que les écrivains du temps se sont contentés d’évoquer la lutte des autochtones contre les légions romaines par de sèches mentions. Ils ne nous livrent que peu d’indications sur le genre de vie et les gouvernements propres des peuples vaincus.
 
Nous rappellerons également que les Frisons poursuivirent, à l’écart des mouvements ethniques, sur leurs îles côtières, une vie particulariste qui devait se prolonger durant de nombreux siècles.
Lors de leur progression à partir du Rhin, les Francs saccagèrent et détruisirent les églises, faisant subir au christianisme un recul effrayant parmi la population localisée dans la région située entre la Somme et l’Escaut. Le christianisme mettra longtemps à se réintroduire, apportant avec lui un peu de culture. »

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