In Henri Cons – Le
Nord pittoresque – édition de 1888, Les éditions du bastion, réédition 1989
« Le littoral – Du
côté de la mer, les dunes font à cette région basse un rempart naturel. Leur ligne
uniforme, à peine coupée par l’estuaire de la l’Aa et l’entrée du port de
Dunkerque, se déploie régulièrement de l’ouest à l’est sur une longueur, dans
le département, de 34 kilomètres, pour se poursuivre avec la même régularité
sur le littoral de la Belgique. Ce sont de petits monticules aux formes
irrégulières, de 15 à 20 m de hauteur maxima, dont les sables légers et fins,
mal fixés par des oyats ou joncs
maritimes, sont au gré des vents, soulevés, portés vers l’intérieur, répartis
entre deux ou trois rangées de hauteurs parallèles, jusqu’à recouvrir parfois
de leurs particules ténues 1.000 et même 1.600 m de largeur. Les vallées
intérieures de ces ondulations sont recouvertes de plantations de ces oyats, de
pins mêmes par lesquels on espère arrêter l’invasion. Des villages s’abritent
derrière ces dunes ; en 1777, un d'eux, Zuydcoote, disparut devant une
invasion de la mer, 17 rues furent ensevelies sous les sables, et la tour de
l’église, qui émerge encore en partie témoigne de l’importance et de l’étendue
de ce désastre. Dans notre siècle, la mer ne les a plus franchies ; le
nombre des villages s’est notablement accru ; de véritables villes,
Rosendaël-les-Dunkerque, Saint-Pol, se sont fondées sur ces bords ; et en
face même de cet océan si souvent agité, de charmantes villas, des chalets, des
hôtels, des constructions grandioses se sont élevées, qui n’ont pas craint de
dédaigner cette défense naturelle. Des dunes plus basses, d’anciennes digues,
séparées maintenant de la mer par des lais cultivés, témoignent d’un recul
progressif, mais lent et peu sensible en somme de la mer. Cette zone maritime
si plate et si basse se continue au loin dans l’intérieur de la mer. La surface
que les eaux couvrent et découvrent à chaque marée est, elle aussi, remarquablement
plane à Gravelines ; il a fallu conduire le chenal de l’Aa jusqu’à 1.500 m
de la ligne de côte, et c’est à cette distance que les baigneurs du
Petit-Fort-Philippe, doivent aller, à marée basse, chercher le bord de la mer.
A Rosendaël, le retrait de la mer est moins considérable, mais il varie encore
entre 300 et 500 m. Aussi, malgré la présence de la grande ville de Dunkerque
et de ses annexes, malgré la vue du Mont-Cassel dont la silhouette apparaît au
loin, de la mer comme du rivage, l’aspect de cette côte est triste. Sous ce
ciel du Nord, et sur cette large plage, sur les bas-fonds, la mer avec ses eaux
grisâtres et boueuses est rarement souriante. Par une belle lumière tamisée,
par une de ces journées qui font le charme du Nord, où le soleil invisible
illumine l’atmosphère des tons les plus harmonieux, où l’air est calme et la
mer unie paisible, ces nuances sombres de l’eau s’adoucissent sous le reflet du
ciel, et toutes ces teintes se fondent sur une même gamme d’une indicible
douceur. Mais quand le vent s’élève furieusement du large, quand les vagues
soulevées viennent par brusques et incessantes saccades s’étaler sur le rivage,
quand, au cœur même de l’été, un froid envahit l’atmosphère, cette mer se
montre alors ce qu’elle est en réalité, inhospitalière à l’homme. Ce n’est qu’à
force d’art qu’il a pu s’ouvrir des refuges au milieu de ces côtes
inabordables. L’entrée du port de Gravelines ne se maintient ouverte à la
navigation que par de fortes chasses faites avec les eaux accumulées de
l’Aa ; l’accès de Dunkerque n’est possible aux grands navires que par
suite de chasses violentes, de dragages énergiques, de mesures préventives
multipliées avec une ingénieuse prévoyance pour prévenir l’ensablement de sa
passe. Tout était à créer au milieu de ces dunes ; et la mer était
particulièrement hostile. Cette même impulsion à laquelle ont obéi les sables
qui ont formé le littoral jette sans relâche dans la même direction des débris
arrachés aux falaises de la Normandie et du Boulonnais. Les courants, les vents,
la plus grande liberté d’allure laissée dans cette direction au flot venu du
Pas-de-Calais se dérobant à la poussée des flots qui descendent du Nord, tout
concourt à accroître sans cesse l’amoncellement des sables et à combler les
vices artificiels ouverts à travers leur masse. Des fosses profondes creusées à
l’occident du chenal sont destinées à recevoir ces apports et à soulager ainsi
des matières qu’ils entraînent vers les flots qui, à travers le chenal,
poursuivent le long de la côte leur course normale vers l’orient. Les six bras
de l’éventail sous-marin des bancs de Flandre ont bien pour effet d’ouvrir en
face de Dunkerque une rade longue de 20 kilomètres et large de 1.000 m, où par
des fonds minima de 10 m les plus gros bâtiments peuvent ancrer, où des flottes
entières peuvent trouver un refuge ; mais au milieu de ces bancs, entre
ces hauts fonds sur lesquels la perte est certaine, en face de cette côte où le
navire, s’il manque l’étroite entrée du chenal, va se briser sans merci, par
ces horribles tempêtes si fréquentes dans ces parages, que de dangers pour le
navigateur ! Aussi, hélas ! les naufrages y sont-ils fréquents. En
1882, on n’en a pas compté moins de 16, dont 14 près de Dunkerque et 2 autour
de Gravelines. La fréquence des dangers enfante les dévouements. D’intrépides
sauveteurs ont plus d’une fois sauvé au péril de leur vie des navires et des
équipages, mais, on le voit, la liste est encore trop longue des victimes que
fait chaque année la mer du Nord.
La mer du Nord. Le
départ pour l’Islande. – En revanche, il est peu de mers qui offrent autant
de ressources à leurs riverains. Avec son peu de profondeur, la régularité de
son fond, l’abondance des débris qui s’y déposent sans relâche, la mer du Nord
est une des plus poissonneuses. Dans les communes riveraines de la mer, des
milliers de personnes vivent de la pêche : les hommes vont tirer le
poisson de la mer, les femmes raccommodent les filets ou vont, quelquefois fort
loin sur la plage, chercher les amorces. Des villages entiers sont peuplés de
pêcheurs : le Grand et le Petit-Fort-Philippe, près de Gravelines,
Mardyck, Saint-Pol, près de Dunkerque. Dans cette dernière et récente commune,
tout, jusqu’au nom des rues, rappelle cette profession des habitants : rue
de la Raie, rue de la Sole, rue du Turbot, etc. Cette vocation de la mer les
entraîne bien au-delà des eaux françaises. Dunkerque et Gravelines sont parmi
les premiers ports de France pour les pêches lointaines, et notamment celle de
la morue sur les bancs de Terre-Neuve, surtout de l’Islande. Qu’il s’agisse
d’un de ces magnifiques paquebots qui doivent opérer en cinq jours la traversée
de l’Atlantique, du Havre en vue de Terre-Neuve ou d’une simple barque de
pêcheurs n’ayant d’autre moteur que la voile, c’est toujours un spectacle
émouvant que la sortie d’un bateau qui doit faire une longue course. Aucune
cérémonie n’accompagne plus aujourd’hui le départ des pêcheurs pour l’Islande.
Quelques irréguliers dont l’impatience, hélas ! n’est que trop légitime,
devancent même souvent la flottille pour ne recueillir, au lieu du bon coup de
filet espéré, que des avaries graves et quelquefois la mort. Le 1er
avril est néanmoins le jour auquel, éclairé par de durs avertissements, les
pêcheurs ont fixé le départ général. Bien peu, avant de quitter le port, ont
manqué d’adresser à N.-D. des Dunes, dans sa modeste chapelle, leurs prières et
leurs offrandes. L’absence sera longue, et toute la partie valide de la
famille, va prendre place sur le même bateau. Seules, les femmes, les filles,
les garçons en bas âge resteront pour attendre le retour. Que de deuils, de
misères peut causer un seul naufrage ! La mer qu’il faut traverser de
l’Ecosse à l’Islande est une des plus mauvaises et des plus périlleuses ;
les côtes mêmes de l’Islande sont souvent visitées par la tempête, et aucun ne
reviendra sans avoir disputé rudement, et quelquefois à plusieurs reprises, son
existence à l’Océan. Mais ces dangers à affronter, cette lutte à soutenir,
c’est la vie du marin. Ce qu’il voit au moment de prendre sa course, ce que sa
famille entrevoit avec lui, c’est la pêche fructueuse, une bonne cargaison pour
le retour, la vie assurée pour l’hiver. Depuis la dernière campagne, on n’a
vécu que pour ce départ ;ç’a été la grande occupation ; tout préparer
pour ce grand jour, parler des déceptions que l’on espère bien éviter à
l’avenir, des bonnes aubaines que l’on voit se renouveler, à cela s’est passée
la vie de la famille. Et c’est joyeusement qu’au milieu d’une foule curieuse et
sympathique les nombreuses embarcations s’engagent dans le chenal et, avec une
dernière prière de l’équipage agenouillés comme lui les femmes et les enfants
accompagnent de la rive, gagnent la pleine mer et font voile vers ces parages
où l’Océan ne leur livrera qu’au prix de bien des efforts la modeste proie
qu’ils convoitent. »
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