lundi 1 juillet 2019

Gothique au Nord


In collectif - Visages de la Flandre et de l'Artois - collection Provinciales - Editions des Horizons de France, Paris, 1949

"L'art gothique ou ogival, né dans le nord de la France, devait trouver dans les Pays-Bas, et particulièrement en Flandre, un rayonnement considérable. Placée entre les deux civilisations française et rhénane, la Flandre saura faire un choix. Les échanges politiques et économiques qui unissent nos contrées à la France ouvrent des voies de pénétration au style français et l'influence française restera prépondérante; influences issues de Picardie, du Soissonais, du Laonnais. Mais il faut remarquer que dans nos régions flamandes comme en Belgique, l'évolution de l'architecture du pays a toujours été caractérisée par une fidélité tenace aux formules du passé.
 
Avec les premières tentatives de voûtes sur croisée d'ogive, l'art gothique apparaît en France dès le début du XIIIe siècle; la grande abbatiale de Saint-Denis est rebâtie en gothique entre 1137 et 1144, le XIIe siècle dans les Pays-Bas reste roman, du moins en partie. Par exemple, à Tournai, le transept de la cathédrale élevé durant ce siècle est roman, ce n'est qu'au XIIIe siècle que le style ogival français s'impose partout et ouvre pour nos régions l'ère complète de l'architecture gothique.
 
Dès lors, l'architecture gothique va régner jusqu'au XVIe siècle, et même dans les siècles qui suivront, tant est grande la force de la tradition, des œuvres entièrement gothiques s'élèveront. Ou encore, certaines conceptions, certains détails dans les constructions des styles qui suivront, feront toujours sentir un attachement particulier aux formules médiévales.
 
En Flandre comme en Artois, la façon de construire sera toujours avant tout, sobre, logique, d'un esprit tout classique, et quand au XVe siècle apparaîtra le style flamboyant, les monuments ne présenteront que très rarement les complications architecturales et décoratives du style flamboyant français.
 
Dans les régions riches et actives de l'Artois et de la Flandre, nous avons dit que le nouveau style allait trouver une terre d'élection. Durant les siècles qui vont suivre, les commandes ne manqueront ni aux maçons, ni aux charpentiers, pas davantage elles ne manqueront aux sculpteurs, peintres, orfèvres, dinandiers et autres artisans; les archives parvenues jusqu’à nous nous le disent, nous y voyons la prospérité matérielle de cette époque se traduire par de pieuses donations aux églises, aux abbayes et par la construction de grands édifices publics.
 
La foi ardente du XIIe siècle n'exclut pas le désir de l'indépendance politique, les villes et les collectivités conquièrent leurs droits, franchises, privilèges, achetés ou arrachés de force au pouvoir féodal. Les bourgeois des communes vont posséder, en tant que collectivité, les mêmes droits seigneuriaux que les nobles ont comme individus. La commune aura son blason, sa justice, sa milice, ses contribuables et sa maison commune de ces bourgeois sera une maison noble. A ce titre, elle aura sa tour, le "beffroi", qui pourra être fortifiée.
 
Faut-il rappeler la puissance dont jouissaient les bourgeois des cités du nord de la France, qui fortifiaient et défendaient eux-mêmes la ville, fabriquaient des étoffes recherchées par la France et l'Angleterre, étaient assez riches pour prêter des sommes considérables aux puissants seigneurs féodaux?
 
Fiers de leur ville, non moins que de leurs privilèges, les bourgeois participeront par leurs dons, non seulement à la construction et à la décoration des églises, mais également et surtout à la construction de monuments civils. Ils s'entoureront en outre dans leurs demeures d'objets rares, de tableaux et de tapisseries qui révèlent le goût du luxe et de l'art. La personnalité des moindres communes se traduira en halles échevinales, halles marchandes, maisons des métiers, hôpitaux, etc.
 
De ces nombreux monuments, très peu de témoins nous restent en Flandre française et en Artois; ils furent emportés par les guerres, les incendies et les vicissitudes de l'histoire. Trop souvent ne nous sont parvenus que des fragments de ces édifices, dont les comptes d'archives nous révèlent l'importance et la splendeur.
 
Ces villes du moyen âge, ceinturées de fortifications, dressant au-dessus des remparts leurs tours, leurs pignons, leurs beffrois, les clochers de leurs églises, nous les retrouvons dans les fonds pittoresques des tableaux de nos primitifs, dans certaines gravures des XVIe et XVIIe siècles, ou sous la plume émerveillée des chroniqueurs et des voyageurs de jadis.
 
Certaines villes de la Flandre belge qui conservent précieusement de nombreux monuments de ces siècles passés, Bruges par exemple, peuvent nous montrer la beauté de nos villes d'alors. Nos villes du Nord, Lille, Douai, Arras, par leur industrie et leur commerce, étaient connues de toute l'Europe. Le goût des arts développé par le luxe dont s'entouraient bourgeois et commerçants fit de la Flandre, aujourd'hui française, une région importante, qui, participant de la prospérité des Pays-Bas, créa des centres artistiques divers, soumis à l'influence des contrées voisines.
 
Tournai, siège d'une puissante abbaye, d'une collégiale, d'un évêché dont l'autorité s'étendait sur toute la Flandre flamingante et sur la Flandre wallonne, forteresse avancée de la France, dont toujours elle parla la langue, a exercé une influence artistique importante sur la Flandre, le Hainaut et l'Artois. Sa cathédrale nous offre un très beau résumé de l'histoire de l'art dans le nord de la France du XIe siècle au XVe siècle. Sa nef et son transept, cités parmi les plus belles constructions romanes qui existent, ont un caractère sévère et grandiose. Le chœur, qui date de 1243-1255, construit en remplacement d'un chœur roman élevé au siècle précédent est une remarquable production de l'art ogival français, inspiré complétement des grandes cathédrales de Soissons et d'Amiens. C'est un monument majestueux que dominent les quatre clochers romans au style sévère, couronnement magnifique d'un ensemble remarquable entre tous.
 
Lorsque l'on contemple cette belle cathédrale, on comprend l'influence que Tournai a pu exercer sur les régions avoisinantes.
 
Pourtant, la cathédrale de Tournai n'était pas seule à s'élever dans l'azur à cette époque; d'autres villes construisent également dans nos provinces des cathédrales audacieuses. Cambrai, cité épiscopale, était le centre important d'un mouvement artistique, résidence d'un comte-évêque riche et puissant, confinant à la Flandre, à l'Artois, au Hainaut, à la Picardie. Elle possédait une antique cathédrale incendiée en 1148. Cette construction primitive reconstruite sur un plan beaucoup plus vaste, dont la nef ainsi que les transepts élevés en 1180, se terminaient en forme circulaire comme ceux de Tournai, étaient, comme la tour centrale et la tour de façade jusqu'au niveau des combles, de style roman; le chœur de style ogival datait de 1230-1250. Ce monument fut jusqu'en 1769, date de sa destruction, un des édifices les plus remarquables de la région.
 
La collégiale Saint-Pierre de Lille était un des monuments les plus considérables de la ville et sa fondation joua un très grand rôle dans l'histoire de la cité. L'édifice, démoli à la Révolution, datait des XIVe et XVe siècles. Trois églises étaient successivement élevées sur le même emplacement: la collégiale primitive, au XIe siècle, fondée par Baudoin V, fut reconstruite vers le milieu du XIIIe siècle; cette seconde église ayant été dévorée par les flammes en 1345, on e édifia une troisième dont la nef fut terminée en 1369, mais les travaux des autres parties ne s'achevèrent que vers le milieu du XVe siècle.  Quant à la chapelle de Notre-Dame-de-la-Treille, qui était un beau morceau d'architecture et où se trouvait le fameux tombeau de Louis de Mâle, elle fut commencée en 1430. Il est vraisemblable qu'au point de vue architecture les constructions primitives offraient des analogies avec la cathédrale de Tournai.
 
A Douai, la cathédrale Saint-Amé, victime de la Révolution, fut pour cette ville ce qu'a été pour Lille la collégiale Saint-Pierre.
 
Comme les précédentes, la cathédrale d'Arras est tombée à la Révolution sous le marteau des démolisseurs. Œuvre de la seconde moitié du XIIe siècle, du XIIIe et du XIV e siècle, elle était un monument remarquable, digne d'être comparé, suivant les documents qui en parlent, aux belles cathédrales de Laon et de Bourges.
 
En 1553, Charles-Quint détruisait entièrement Thérouanne, ville importante et fortifiée, siège d'un évêché; elle possédait une cathédrale, qui avait été consacrée en 1130. Son transept était du XIIIe siècle, sa nef du XIVe et du XV siècle, sin grand portail rappelait ceux de Reims. C'est après la destruction de Thérouanne que les collégiales d'Ypres et de Saint-Omer devinrent cathédrales. La cathédrale d'Ypres fut détruite à son tour durant la guerre 1914-1918. Notre-Dame de Saint-Omer, seule debout, est la plus importante église de style ogival de la Flandre et de l'Artois.
 
Ce sont les styles des XIIe, XIIIe et XIVe siècles que nous y trouvons.
 
Faut-il citer maintenant les abbayes qui, durant des siècles, prospérèrent et édifièrent sur notre sol de nombreuses constructions? Elles furent des lieux de méditation et de prière, et aussi des centres d'une activité artistique importants et remarquables. En parler serait ouvrir un nécrologe, puisque toutes furent balayées par la tourmente à la fin du XVIIIe siècle?
 
L'évolution des différents types de construction de l'art gothique ne se marque pas très nettement dans nos régions. On peut y distinguer facilement les trois états successifs du style français; à "lancettes", "rayonnant" et "flamboyant". Cette fidélité aux formules du passé, déjà mentionnée, en est la cause; quand on a trouvé une formule de construction logique répondant aux besoins, on s'y attache.
 
La physionomie particulière du gothique de nos régions peut être trouvée dans le choix des proportions moins élancées, moins grande hauteur des nefs et de ce fait les supports, arcades et clairs-étages, ont des formes plus trapues, plus ramassées. Adoption fréquente de la colonne, alors que l'art français donnera très tôt la préférence au pilier à colonnettes adossées et au pilier à nervures.
 
Le chapiteau à crochet régnera durant tout le XIIIe siècle et il ne recevra le décor à feuillage qu'au XIVe siècle. Enfin, si certaines églises sont voutées d'ogives, un grand nombre reçoivent des berceaux lambrissés.
 
Au XVIe siècle, les églises à trois nefs deviennent très fréquentes, alors que l'on n'en construisait que peu dans les époques précédentes.
 
Un type d'église, particulier aux régions du Nord, répandu dans les Pays-Bas et les pays rhénans, apparaît : la "hallekerk", c'est-à-dire l'église-halle.
 
Le plan de ces églises est simple, il consiste en un rectangle divisé par une double colonnade en trois nefs d'égale largeur et d'égale hauteur. La nef centrale se prolonge et se termine en abside. Ce plan se trouve parfois modifié par une espèce de transept, placé en avant du chœur et constitué par une double rangée de trois arcades disposées perpendiculairement aux nefs.
 
Les nefs de ces sont ou voûtées, ou plus couramment couvertes d'un simple lambris disposé en berceau tiers-point. La couverture de l'édifice est faite parfois d'une seule toiture à deux versants, le plus souvent chaque nef a sa toiture et la façade comporte trois pignons, disposition plus élégante que la précédente, la structure inférieure se révèle alors parfaitement à l'extérieur.
 
La tour qui domine de sa masse imposante les nefs s'élève en général à la façade principale, c'est la disposition la plus fréquente en Flandre. Elle est construite sur plan carré, épaulée aux angles par de solides et puissants contreforts à retraits, diminuant d'épaisseur au fur et à mesure qu'ils s'approchent du dernier étage. Chaque étage est délimité par une saillie de pierres horizontales; ils sont ornés de fenêtres aveugles, sauf à l'étage supérieur où les baies sont ouvertes. Ces tours, comme les façades, sont de pierres ou de briques.
  
La brique joue un grand rôle dans la construction gothique de la Flandre, elle lui restera attachée et son emploi dans les styles qui suivront se généralisera comme élément décoratif et constructif dans d'autres régions.
 
La hallekerk jouit d'une vogue qui ira grandissante, elle reste plutôt confinée dans la plaine flamande et ses exemplaires les plus nombreux sont des églises rurales ou des églises urbaines de second ordre (Bergues, Steenvoorde).
 
Pourtant l'église Saint-Maurice de Lille présente le type de la hallekerk, église à cinq nefs; la partie primitive date du XIVe siècle, elle fut successivement agrandie au cours des XVe, XVIe, XVIIe et XIXe siècles.
 
Sainte-Catherine de Lille est une construction du XVe siècle, à trois nefs d'égale hauteur, sans transept; elle a été refaite au XVIIIe siècle et restaurée au XIXe siècle. La partie de cette église qui offre un intérêt réel est la tour qui date du XVIe siècle."

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