In collectif - Visages de la
Flandre et de l'Artois - collection Provinciales - Editions des Horizons de
France, Paris, 1949
"L'art gothique ou ogival,
né dans le nord de la France, devait trouver dans les Pays-Bas, et
particulièrement en Flandre, un rayonnement considérable. Placée entre les deux
civilisations française et rhénane, la Flandre saura faire un choix. Les
échanges politiques et économiques qui unissent nos contrées à la France
ouvrent des voies de pénétration au style français et l'influence française
restera prépondérante; influences issues de Picardie, du Soissonais, du
Laonnais. Mais il faut remarquer que dans nos régions flamandes comme en
Belgique, l'évolution de l'architecture du pays a toujours été caractérisée par
une fidélité tenace aux formules du passé.
Avec les premières tentatives de
voûtes sur croisée d'ogive, l'art gothique apparaît en France dès le début du
XIIIe siècle; la grande abbatiale de Saint-Denis est rebâtie en gothique entre
1137 et 1144, le XIIe siècle dans les Pays-Bas reste roman, du moins en partie.
Par exemple, à Tournai, le transept de la cathédrale élevé durant ce siècle est
roman, ce n'est qu'au XIIIe siècle que le style ogival français s'impose
partout et ouvre pour nos régions l'ère complète de l'architecture gothique.
Dès lors, l'architecture gothique
va régner jusqu'au XVIe siècle, et même dans les siècles qui suivront, tant est
grande la force de la tradition, des œuvres entièrement gothiques s'élèveront.
Ou encore, certaines conceptions, certains détails dans les constructions des
styles qui suivront, feront toujours sentir un attachement particulier aux
formules médiévales.
En Flandre comme en Artois, la
façon de construire sera toujours avant tout, sobre, logique, d'un esprit tout
classique, et quand au XVe siècle apparaîtra le style flamboyant, les monuments
ne présenteront que très rarement les complications architecturales et
décoratives du style flamboyant français.
Dans les régions riches et
actives de l'Artois et de la Flandre, nous avons dit que le nouveau style
allait trouver une terre d'élection. Durant les siècles qui vont suivre, les
commandes ne manqueront ni aux maçons, ni aux charpentiers, pas davantage elles
ne manqueront aux sculpteurs, peintres, orfèvres, dinandiers et autres
artisans; les archives parvenues jusqu’à nous nous le disent, nous y voyons la
prospérité matérielle de cette époque se traduire par de pieuses donations aux
églises, aux abbayes et par la construction de grands édifices publics.
La foi ardente du XIIe siècle
n'exclut pas le désir de l'indépendance politique, les villes et les
collectivités conquièrent leurs droits, franchises, privilèges, achetés ou
arrachés de force au pouvoir féodal. Les bourgeois des communes vont posséder,
en tant que collectivité, les mêmes droits seigneuriaux que les nobles ont
comme individus. La commune aura son blason, sa justice, sa milice, ses
contribuables et sa maison commune de ces bourgeois sera une maison noble. A ce
titre, elle aura sa tour, le "beffroi", qui pourra être fortifiée.
Faut-il rappeler la puissance
dont jouissaient les bourgeois des cités du nord de la France, qui fortifiaient
et défendaient eux-mêmes la ville, fabriquaient des étoffes recherchées par la
France et l'Angleterre, étaient assez riches pour prêter des sommes considérables
aux puissants seigneurs féodaux?
Fiers de leur ville, non moins
que de leurs privilèges, les bourgeois participeront par leurs dons, non
seulement à la construction et à la décoration des églises, mais également et
surtout à la construction de monuments civils. Ils s'entoureront en outre dans
leurs demeures d'objets rares, de tableaux et de tapisseries qui révèlent le
goût du luxe et de l'art. La personnalité des moindres communes se traduira en
halles échevinales, halles marchandes, maisons des métiers, hôpitaux, etc.
De ces nombreux monuments, très
peu de témoins nous restent en Flandre française et en Artois; ils furent
emportés par les guerres, les incendies et les vicissitudes de l'histoire. Trop
souvent ne nous sont parvenus que des fragments de ces édifices, dont les
comptes d'archives nous révèlent l'importance et la splendeur.
Ces villes du moyen âge,
ceinturées de fortifications, dressant au-dessus des remparts leurs tours,
leurs pignons, leurs beffrois, les clochers de leurs églises, nous les
retrouvons dans les fonds pittoresques des tableaux de nos primitifs, dans
certaines gravures des XVIe et XVIIe siècles, ou sous la plume émerveillée des
chroniqueurs et des voyageurs de jadis.
Certaines villes de la Flandre
belge qui conservent précieusement de nombreux monuments de ces siècles passés,
Bruges par exemple, peuvent nous montrer la beauté de nos villes d'alors. Nos
villes du Nord, Lille, Douai, Arras, par leur industrie et leur commerce,
étaient connues de toute l'Europe. Le goût des arts développé par le luxe dont
s'entouraient bourgeois et commerçants fit de la Flandre, aujourd'hui
française, une région importante, qui, participant de la prospérité des
Pays-Bas, créa des centres artistiques divers, soumis à l'influence des
contrées voisines.
Tournai, siège d'une puissante
abbaye, d'une collégiale, d'un évêché dont l'autorité s'étendait sur toute la
Flandre flamingante et sur la Flandre wallonne, forteresse avancée de la
France, dont toujours elle parla la langue, a exercé une influence artistique
importante sur la Flandre, le Hainaut et l'Artois. Sa cathédrale nous offre un
très beau résumé de l'histoire de l'art dans le nord de la France du XIe siècle
au XVe siècle. Sa nef et son transept, cités parmi les plus belles
constructions romanes qui existent, ont un caractère sévère et grandiose. Le chœur,
qui date de 1243-1255, construit en remplacement d'un chœur roman élevé au
siècle précédent est une remarquable production de l'art ogival français,
inspiré complétement des grandes cathédrales de Soissons et d'Amiens. C'est un
monument majestueux que dominent les quatre clochers romans au style sévère,
couronnement magnifique d'un ensemble remarquable entre tous.
Lorsque l'on contemple cette
belle cathédrale, on comprend l'influence que Tournai a pu exercer sur les
régions avoisinantes.
Pourtant, la cathédrale de
Tournai n'était pas seule à s'élever dans l'azur à cette époque; d'autres
villes construisent également dans nos provinces des cathédrales audacieuses.
Cambrai, cité épiscopale, était le centre important d'un mouvement artistique,
résidence d'un comte-évêque riche et puissant, confinant à la Flandre, à
l'Artois, au Hainaut, à la Picardie. Elle possédait une antique cathédrale
incendiée en 1148. Cette construction primitive reconstruite sur un plan
beaucoup plus vaste, dont la nef ainsi que les transepts élevés en 1180, se
terminaient en forme circulaire comme ceux de Tournai, étaient, comme la tour
centrale et la tour de façade jusqu'au niveau des combles, de style roman; le chœur
de style ogival datait de 1230-1250. Ce monument fut jusqu'en 1769, date de sa
destruction, un des édifices les plus remarquables de la région.
La collégiale Saint-Pierre de
Lille était un des monuments les plus considérables de la ville et sa fondation
joua un très grand rôle dans l'histoire de la cité. L'édifice, démoli à la
Révolution, datait des XIVe et XVe siècles. Trois églises étaient
successivement élevées sur le même emplacement: la collégiale primitive, au XIe
siècle, fondée par Baudoin V, fut reconstruite vers le milieu du XIIIe siècle;
cette seconde église ayant été dévorée par les flammes en 1345, on e édifia une
troisième dont la nef fut terminée en 1369, mais les travaux des autres parties
ne s'achevèrent que vers le milieu du XVe siècle. Quant à la chapelle de
Notre-Dame-de-la-Treille, qui était un beau morceau d'architecture et où se
trouvait le fameux tombeau de Louis de Mâle, elle fut commencée en 1430. Il est
vraisemblable qu'au point de vue architecture les constructions primitives
offraient des analogies avec la cathédrale de Tournai.
A Douai, la cathédrale Saint-Amé,
victime de la Révolution, fut pour cette ville ce qu'a été pour Lille la
collégiale Saint-Pierre.
Comme les précédentes, la
cathédrale d'Arras est tombée à la Révolution sous le marteau des démolisseurs.
Œuvre de la seconde moitié du XIIe siècle, du XIIIe et du XIV e siècle, elle
était un monument remarquable, digne d'être comparé, suivant les documents qui
en parlent, aux belles cathédrales de Laon et de Bourges.
En 1553, Charles-Quint détruisait
entièrement Thérouanne, ville importante et fortifiée, siège d'un évêché; elle
possédait une cathédrale, qui avait été consacrée en 1130. Son transept était
du XIIIe siècle, sa nef du XIVe et du XV siècle, sin grand portail rappelait
ceux de Reims. C'est après la destruction de Thérouanne que les collégiales
d'Ypres et de Saint-Omer devinrent cathédrales. La cathédrale d'Ypres fut
détruite à son tour durant la guerre 1914-1918. Notre-Dame de Saint-Omer, seule
debout, est la plus importante église de style ogival de la Flandre et de
l'Artois.
Ce sont les styles des XIIe,
XIIIe et XIVe siècles que nous y trouvons.
Faut-il citer maintenant les
abbayes qui, durant des siècles, prospérèrent et édifièrent sur notre sol de
nombreuses constructions? Elles furent des lieux de méditation et de prière, et
aussi des centres d'une activité artistique importants et remarquables. En
parler serait ouvrir un nécrologe, puisque toutes furent balayées par la
tourmente à la fin du XVIIIe siècle?
L'évolution des différents types
de construction de l'art gothique ne se marque pas très nettement dans nos
régions. On peut y distinguer facilement les trois états successifs du style
français; à "lancettes", "rayonnant" et
"flamboyant". Cette fidélité aux formules du passé, déjà mentionnée,
en est la cause; quand on a trouvé une formule de construction logique
répondant aux besoins, on s'y attache.
La physionomie particulière du
gothique de nos régions peut être trouvée dans le choix des proportions moins
élancées, moins grande hauteur des nefs et de ce fait les supports, arcades et
clairs-étages, ont des formes plus trapues, plus ramassées. Adoption fréquente
de la colonne, alors que l'art français donnera très tôt la préférence au
pilier à colonnettes adossées et au pilier à nervures.
Le chapiteau à crochet régnera
durant tout le XIIIe siècle et il ne recevra le décor à feuillage qu'au XIVe
siècle. Enfin, si certaines églises sont voutées d'ogives, un grand nombre
reçoivent des berceaux lambrissés.
Au XVIe siècle, les églises à
trois nefs deviennent très fréquentes, alors que l'on n'en construisait que peu
dans les époques précédentes.
Un type d'église, particulier aux
régions du Nord, répandu dans les Pays-Bas et les pays rhénans, apparaît : la
"hallekerk", c'est-à-dire l'église-halle.
Le plan de ces églises est
simple, il consiste en un rectangle divisé par une double colonnade en trois
nefs d'égale largeur et d'égale hauteur. La nef centrale se prolonge et se termine
en abside. Ce plan se trouve parfois modifié par une espèce de transept, placé
en avant du chœur et constitué par une double rangée de trois arcades disposées
perpendiculairement aux nefs.
Les nefs de ces sont ou voûtées,
ou plus couramment couvertes d'un simple lambris disposé en berceau tiers-point.
La couverture de l'édifice est faite parfois d'une seule toiture à deux
versants, le plus souvent chaque nef a sa toiture et la façade comporte trois
pignons, disposition plus élégante que la précédente, la structure inférieure
se révèle alors parfaitement à l'extérieur.
La tour qui domine de sa masse
imposante les nefs s'élève en général à la façade principale, c'est la
disposition la plus fréquente en Flandre. Elle est construite sur plan carré,
épaulée aux angles par de solides et puissants contreforts à retraits,
diminuant d'épaisseur au fur et à mesure qu'ils s'approchent du dernier étage.
Chaque étage est délimité par une saillie de pierres horizontales; ils sont
ornés de fenêtres aveugles, sauf à l'étage supérieur où les baies sont
ouvertes. Ces tours, comme les façades, sont de pierres ou de briques.
La brique joue un grand rôle dans
la construction gothique de la Flandre, elle lui restera attachée et son emploi
dans les styles qui suivront se généralisera comme élément décoratif et
constructif dans d'autres régions.
La hallekerk jouit d'une vogue
qui ira grandissante, elle reste plutôt confinée dans la plaine flamande et ses
exemplaires les plus nombreux sont des églises rurales ou des églises urbaines
de second ordre (Bergues, Steenvoorde).
Pourtant l'église Saint-Maurice
de Lille présente le type de la hallekerk, église à cinq nefs; la partie
primitive date du XIVe siècle, elle fut successivement agrandie au cours des
XVe, XVIe, XVIIe et XIXe siècles.
Sainte-Catherine de Lille est une
construction du XVe siècle, à trois nefs d'égale hauteur, sans transept; elle a
été refaite au XVIIIe siècle et restaurée au XIXe siècle. La partie de cette
église qui offre un intérêt réel est la tour qui date du XVIe siècle."
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