Les visites d'art -
Memoranda
HÔTELS DE
VILLE ET BEFFROIS DU NORD DE LA FRANCE
Moyen Age
et Renaissance
Par Camille Enlart,
Directeur du Musée de Sculpture comparée du Trocadéro
Paris, éditions H.
Laurens, 1919
* * *
LES HOTELS DE VILLE
Tout, dans la civilisation du Moyen Age, procède de la
tradition romaine. La commune fut une restauration du municipe romain quand
elle n'en fut pas la continuation: à Amiens, dès le haut Moyen Age, les
primores civitatis se réunissaient à la Malmaison; Boulogne s'intitulait
fièrement en tête de ses registres communaux, Respublica Boloniensis.
Vitruve a décrit les dispositions essentielles de la Curie,
salle de délibération des magistrats communaux; les parloirs aux bourgeois en
furent la survivance.
Lorsque s'organisa le régime féodal, les bourgeois des cités
et des villes firent reconnaître officiellement leurs libertés et leurs
privilèges en des chartes que les seigneurs délivrèrent quelquefois par
contrainte, de bon gré beaucoup plus souvent, mais la plupart du temps
moyennant finances. Les seigneurs octroyèrent à la collectivité des bourgeois
les droits dont eux-mêmes jouissaient en tant qu'individus. La commune put donc
lever des impôts, rendre la justice, entretenir une milice, elle des armoiries
et un sceau, où le mayeur figure souvent armé et chevauchant comme un baron.
L'Hôtel de ville peut avoir, ainsi que toute autre maison noble, une tour, des
créneaux, des mâchicoulis, des girouettes armoriées, signes sensibles des
privilèges communaux.
L'Hôtel de ville se dresse souvent sur une place entourée
d'arcades qui perpétue le forum antique; dans son beffroi, sorte de donjon de
la commune, la bancloque sonne le ban communal et appelle le peuple aux
assemblées. Les échevins (consuls dans le Midi) élus par les bourgeois
délibèrent et rendent la justice dans la grande salle dite halle échevinale;
sur la place, le peuple écoute les publications et les proclamations
officielles qui lui sont faites du haut d'une tribune extérieure de l'hôtel de
ville, la bretèche.
Les corporations et les collèges antiques ont été constitués
au Moyen Age par les métiers, jurandes, ghildes et hanses. Ces associations,
qui ressemblaient à nos syndicats, à nos grandes compagnies, à nos chambres de
commerce, avaient aussi leurs locaux, maison de la hanse ou salle de la Ghilde:
Ghildhall à Londres; Ghialle à Saint-Omer et à Calais, Guyale à Boulogne; cet
édifice s'est parfois confondu avec l'hôtel de ville et la ghilde avec la
commune.
Suivant la tradition des collèges romains, les confrères des
ghildes, les consuls, les échevins banquetaient à l'hôtel de ville dans les
circonstances exceptionnelles et surtout au jour du Renouvellement de la Loi,
c'est-à-dire des élections. Aussi l'hôtel de ville pouvait-il posséder une
cuisine, comme celle qui existait à Amiens en 1387. Ces jours solennels
comportaient d'abord pour l'échevinage une messe du Saint-Esprit, aussi l'hôtel
de ville avait-il souvent une chapelle.
Parmi les services qui s'y groupaient, il y avait encore
l'argenterie, les archives, la prison, le poids public et le dépôt des
mesures-étalons, les bureaux et, depuis le XVIe siècle, l'horloge publique. Souvent,
une halle marchande occupait le rez-de-chaussée du palais municipal, comme à
Saint-Antonin, La Réole, Ypres, Clermont en Beauvoisis. A Riom, l'hôtel de
ville, au XVe siècle, renfermait une école. Tous ces services sont tantôt
réunis, tantôt dispersés.
De même qu'un château peut consister en un donjon, le
beffroi a pu constituer à lui tout seul l'hôtel de ville, spécialement dans de
petites villes comme Avallon, Béthune, Calais, Château-Thierry, Lierre,
Lucheux, Saint-Riquier ou Rue. En ce cas, l'assemblée populaire pouvait avoir
lieu dans la halle marchande, comme à Calais en 1347. Les basiliques civiles
des Romains servaient déjà de marchés et de salles d'assemblées. Une ville a
parfois deux beffrois: ce fut le cas à Valenciennes et à Boulogne.
Inversement, certains hôtels de ville n'ont pour beffroi
qu'un clocheton de charpente: tels sont ceux d'Attigny, Auxi-le-Chateau,
Beaugency, Bourges, Bouvignies, Cassel, Clermont en Beauvoisis, Etampes,
Hondschoote, Mantes, Mons, Noyon, Saint-Omer, Saint-Quentin et Senlis.
Quelques hôtels de ville se rattachent à l'enceinte
fortifiée; la Guyale de Boulogne, logée dans un angle des remparts, leur
empruntait une poterne et une tour qui lui servait de beffroi. A Clermont en
Beauvoisis, une extrémité de l'hôtel de ville forme un bastion, plus souvent
c'est une porte d'enceinte qui est affectée à l'usage d'hôtel de ville, au
XIIIe siècle à Lucheux, au XVe à Bordeaux, à Loches, à Vendôme : les hôtels de
ville, les beffrois, les horloges établis au-dessus d'une voie publique sont
très nombreux : citons Attigny, Auxerre, Avallon, Burgos, Dinan, Dun sur Auron,
Saint-Fargeau, Solre le château, Vire, à Caen, l'hôtel de ville appelé le
châtelet était établi sur un pont.
Le beffroi symbolise les privilèges communaux comme le donjon
atteste la seigneurie; toutefois, il ne les implique pas nécessairement; en
1346, le comte d'Artois, en autorisant l'érection du beffroi de Béthune, eut
soin de spécifier que cette permission ne conférait pas à la ville le titre de
commune. Cependant, pour punir une rébellion des Boulonnais en 1269,
Saint-Louis abolit la commune et fit démolir le beffroi. Avant que cette
destruction fût consommée, la cité rachetait du comte une charte communale et
le rebâtissait.
Les services municipaux pouvaient se loger dans divers bâtiments
séparés : à Amiens, le beffroi, la Malmaison, l'hôtel aux Cloquiers; à
Abbeville, d'une part, le Petit Echevinage, de l'autre, le beffroi et
l'argenterie; à Boulogne, le beffroi, les boucheries, un bâtiment avec
chapelle, en d'autres emplacements, la Guyale et le grand Hostel, contenant des
magasins, un arsenal, la grande salle des fêtes et banquets; à Valenciennes,
beffroi isolé, et d'autre part, hôtel de ville flanqué d'une chapelle et d'un
second beffroi; à Bruges, le beffroi fait corps avec la halle aux draps.
L'hôtel de ville différait si peu d'une autre maison noble
qu'il put souvent être installé dans un hôtel privé acheté par la ville: c'est
le cas de l'hôtel de ville de Saint-Antonin (XIIe siècle), de la maison aux
piliers de Paris, de l'Hôtel aux Cloquiers d'Amiens (XIVe siècle), de l'hôtel
de ville de Paray-le-Monial (XVIe siècle). A Saint-Omer, l'hôtel de Sainte-Aldegonde
fut acquis et annexé à la vieille Ghialle. La maison commune pouvait, comme les
maisons privées, être désignée par son enseigne, tel l'Hostel aux singes à
Dijon.
Plusieurs beffrois sont d'anciens donjons seigneuriaux, par
exemple à Boulogne, à Amiens et probablement aussi à Abbeville.
Les services municipaux furent parfois hospitalisés dans des
édifices monastiques: à Beauvais, la bretèche communale était placée sur un
pignon du transept de Saint-Etienne; à Agen, Albi, Beaulieu (Dordogne) des
clochers d'églises ont été utilisés pour abriter des cloches ou horloges
communales et des guetteurs de la ville; à Bourges, le parloir aux bourgeois
fut logé jusqu'en 1487 dans le prieuré de la Comtale; à Bonifacio, la loge des
bourgeois sert de porche à la collégiale Sainte-Marie et d'abri à la grande
citerne qui ravitaille d'eau la ville.
Les édifices communaux de France sont rarement très anciens
et n'ont pas en général le luxe de ceux de l'Italie et des Pays-Bas. Dans ces
trois contrées, on peut citer parmi les plus anciens ou parmi les plus élégants
monuments construits pour leur usage et non pas adaptées. Fin du XIIe siècle.
Hôtels de ville de La Réole, de Saint-Guilhem du Désert. XIIIe siècle Halles
d'Ypres 1200 à 1304, façade de 133 m 10. Grand Hostel de Boulogne (longueur 39
mètres, hauteur 21 mètres) et partie du beffroi. Porches des hôtels de ville de
Bapaume et de Bonifacio, Loge de Bonifacio. Base du beffroi de Bailleul, hôtels
de ville détruits de Valenciennes et de Lille, dont on a des dessins; vestiges
à Alost et à Aix-la-Chapelle, en Italie, palais de Sienne, Orvieto, Florence,
Todi, Plaisance, Piperno.
XIVe siècle: Hôtel de ville de Saint-Omer, démoli en 1834
mais dont M.L. Deschamps du Pas a laissé des dessins et une bonne description.
Hôtels de ville de Domart-en-Ponthieu, Domme (Dordogne), Martels (Lot),
Clermont (Oise), Bruges (première pierre en 1377), Pérouse, Gubbio, Brunswick,
beffrois de Douai 1387 à (1392) et de Béthune (1388).
Les hôtels de ville et beffrois du XVe siècle et du XVIe
sont extrêmement nombreux en France et dans les Pays-Bas;
Les plans sont souvent très simples : le plus ancien et le
plus usuel est un rectangle allongé comme à La Réole, à Saint Guilhem du
Désert, aux Halles d'Ypres, au Grand Hostel de Boulogne, aux hôtels de ville du
XIIIe siècle qui ont existé à Lille et à Valenciennes; au XIVe siècle à
Clermont et plus tard à Douai, Noyon, Compiègne, Arras, Louvain, Mons et
Kampen. Le rez-de-chaussée est souvent partagé en deux nefs, qui peuvent être
voûtées. Quelquefois, deux corps de logis sont accolés dans le sens de la
longueur, comme au Grand Conseil de Malines, à Hondschoote et à Cassel;
quelquefois aussi le bâtiment se présente par le pignon, comme à Clermont
(Oise) et à Orchies; dans ces deux exemples, un petit beffroi s'applique à ce
pignon.
Un nombre restreint d'hôtels de ville ont des ailes en
retour comme à sienne, Florence, Saint-Omer, Martels, Saint-Quentin,
Middelbourg, Bruxelles, Gand, Noyon et Hesdin.
Le beffroi occupe l'extrémité du bâtiment à Douai, à
Bailleul et à Sienne, il s'élève au centre qu’une façade à Ypres, Florence,
Bruges, Bruxelles, Audenarde et Compiègne. Il est placé derrière le bâtiment à
Arras, Hesdin, Middelbourg, il était primitivement isolé à Amiens, Rouen,
Boulogne, Abbeville, Bergues, Péronne, Tournai, Valenciennes, Gand et Furnes.
L’Hôtel de ville, comme les autres maisons de la place du
marché, a souvent un portique sur sa façade; on en voit du XIIe au XIVe siècle
à Saint-Guilhem du Désert, Bonifacio, Bapaume, Plaisance, Piperno, Brunswick,
du XVe et du XVIe siècle à Saint-Quentin, Audenarde, Arras, Libourne, Gray et Péronne.
La bretèche peut affecter des dispositions variées.
Quelquefois, c'est un petit balcon couvert, à Saint-Omer, à Luxeuil, à Monza, à
Valenciennes, à la Mercanzia de Bologne, à la halle aux draps de Tournai et à
la prévôté d'Aire sur la Lys (1593). A Douai, c'est une grande fenêtre avec
allège formant balcon; on a eu la malencontreuse idée de lui donner un pendant
dans la restauration de 1860. A Gand et à Middelbourg, c'est un balcon
découvert qui contourne une tourelle d'angle; enfin à Audenarde, Hesdin, Bailleul,
Orchies, Cassel et en Alsace à Molsheim, la bretèche s'élève sur un porche ou
palier couvert, au-dessus du perron.
La partie essentielle de l'hôtel de ville comme des autres
palais, c'était la grande salle haute, qui servait de tribunal, de lieu
d'assemblée et de réception. La grande salle d'un logis privé s'élevait
au-dessus d'une salle basse voûtée ou d'une boutique, celle de l'hôtel de ville
au-dessus d'une salle basse voûtée ou d'une halle marchande.
La grande salle s'éclairait et se chauffait abondamment par
de vastes fenêtres et une cheminée monumentale. Ces fenêtres offrent tous les
types de l'architecture civile: au XIIe siècle, linteaux sur colonnettes à
Saint-Antonin; aux XIIe et XIIIe, baies cintrées géminées ou refendues à La
Réole, Plaisance, Orvieto, Sienne, Domart; depuis le XIIIe siècle, grandes
fenêtres en tiers-point se rapprochant de celles des églises, au XIIIe siècle à
Ypres, à Valenciennes et à Boulogne; au XIVe à Bruges, au XVe et XVIe à Douai,
Saint-Quentin, Noyon, Arras, Cassel; enfin, fenêtres rectangulaires ou
surbaissées à croisée de pierre au XIVe siècle à Saint-Omer et à Martels, aux
XVe et XVIe à Bailleul, Compiègne, Senlis, Dreux, Péronne, Paris; au XVIIe à
Bergues.
La cheminée de la salle échevinale de Douai, avec son très
sobre décor héraldique du XIVe ou XVe siècle a été portée au musée et l'on a
mis à sa place une très riche cheminée de la Renaissance provenant du couvent
des Minimes. Des cheminées de style flamboyant se voient dans les hôtels de
ville d'Audenarde, Bergen op Zoom, Gand, Louvain, Mons; celle de la grande
salle de Saint-Quentin, malheureusement mutilée, et celle de Courtrai, sculptée
de tableaux en haut-relief comme un retable, appartiennent au début de la
Renaissance; celles de Bruges et de Kampen ont toute l'exubérance de la
Renaissance flamande, elles sont ornées de petits génies et de statues
seigneuriales; sur celle de Saint-Omer, de même époque, on voyait une figure de
la Justice.
La boiserie jouait un grand rôle dans le décor intérieur des
hôtels de ville: les salles avaient le plus souvent des plafonds de menuiserie,
imitant parfois, comme à Louvain, des voûtes d'ogives à clefs pendantes, plus
souvent tracées en simple berceau, comme à Saint-Quentin. Leurs parois étaient
revêtues de lambris et tout autour de la grande salle régnaient des banquettes
ou des stalles pour les échevins: un siège plus élevé et plus orné était
réservé au mayeur, devant ces stalles étaient disposées une table en fer à
cheval avec tiroirs et un pupitre pour le greffier; le siège formait des
coffres pour les archives. On a le devis d'installations de ce genre exécutées
en 1410 à Rouen et en 1423 à Dijon. Dans les murs, des placards pouvaient
abriter d'autres documents, à l'hôtel de ville de Zutphen, ils ont encore leurs
portes du XVe siècle, et de la même époque, on conserve à Malines une grande
armoire de chêne contenant les layettes du même bois où sont renfermées les
chartes.
Ces salles étaient éclairées le soir par des herses et des
bras porte-cierges en fer ou en laiton, dont les Pays-Bas conservent des
exemples. La lumière du jour y pénétrait par des vitraux, quelquefois très
beaux comme ceux détruits à Bruges en 1786. La sculpture ornait les façades,
les retombées des voûtes, les corbeaux des poutres et les cheminées. Très souvent
des niches encadrant des statues existent à l'extérieur entre les fenêtres.
Cette décoration se voit au XIIIe siècle à Ypres, au XIVe à Bruges, au XVe à
Gand, Louvain, Douai, Audenarde, Mons, Noyon, Ecumont, Léau, Termonde,
Middelbourg, Kampen et Veere. Des statues ornaient aussi des cheminées à
Saint-Quentin, à Bruges et à Kampen. Le plus souvent elles représentent les
seigneurs du pays: Charles-Quint et sa famille à la cheminée de Bruges, les
comtes de Flandre autrefois à Douai. On y trouve aussi des saints comme
Notre-Dame de la Gésine au-dessus de la porte de l'ancien hôtel de ville de
Douai, ou bien des allégories, surtout à la Renaissance. On a sculpté aussi des
scènes à petits personnages sur les consoles intérieures. Ce sont à Louvain des
scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament; ailleurs des légendes profanes,
comme l'histoire du roi de Mercie dans la grande salle de Saint-Quentin, des
sujets de genre, scènes de métiers à la façade de Saint-Quentin; des
caricatures plus ou moins gauloises à la même façade et dans l'escalier de
l'hôtel de ville de Noyon. Cette iconographie, toutefois, est plus souvent
sérieuse: telles la figure de la Justice sur la cheminée de Saint-Omer, celles
des Vertus dans les niches de la bretèche d'Hesdin, le Christ en croix peint
dans la salle du Conseil de Nîmes vers 1360 et à Sienne de 1337 à 1343, les
admirables fresques d'Antonio Lorenzetti, symbolisant le bon et le mauvais
gouvernement.
La peinture ne revêtait pas seulement les parois
intérieures, mais aussi les façades: en 1390 à Amiens, celle de l'Hostel aux
Cloquiers fut peinte du haut en bas par Adam de France et Jean de Guannes: ils
y figurèrent un ange tenant les armes de la ville, les quatre animaux, des
branches de lys, des filets et des rosettes; la même année à Douai, Jean le
Rouge peignit le bas-relief de Notre-Dame de la gésine (La Nativité) qui
surmontait la porte de l'hôtel de ville; il lui fit un fond bleu sur lequel se
détachaient les armes du roi, du comte et de la ville et le portail lui-même
fut passé au vermillon.
Des crénelages, des échauguettes, des mâchicoulis donnent
souvent aux hôtels de ville un silhouette pittoresque de maison forte, quant au
beffroi, il participe à la fois du donjon par les échauguettes, les créneaux et
le poste de guet et du clocher par ses grandes baies et sa flèche. Quelques-uns
ont un couronnement de pierre, à Avignon, Bruxelles, Audenarde, Arras. Certains
de ces édifices dominent de très haut la cité: le beffroi d'Arras avait 75
mètres, celui de Sienne en a 102, celui de Bruges mesurait 107m43 avant la
démolition de sa flèche au XVIIIe siècle, celui de Bruxelles n'a pas moins de
113m76.
Tandis que les édifices du Midi se couronnent de toits de
tuiles plats et de terrasses, ceux du Nord se parent de combles d'ardoises
surélevés, aux multiples lucarnes.
Les girouettes, qui constituaient un privilège, couronnaient
les beffrois et hôtels de ville de toutes les régions et étaient les symboles
de la puissance échevinale. Le plus souvent, ce sont des bannières aux armes de
la commune; à Arras celle du beffroi était tenue par un colossal lion d'Artois,
à Bruxelles, elle l'est par Saint-Michel, foulant le Dragon, la girouette du
beffroi de Béthune était un dragon, celle de la loge de Perpignan figure un
navire, toutes les lucarnes de l'hôtel de ville d'Arras se couronnaient en
girouettes et de soleils dorés resplendissants. Les comptes d'Amiens et de
Béthune nous montrent que les crêtes et autres ornements de plomb des combles
du XIV e au XVIe siècle étaient dorés et rehaussés de couleurs.
Parmi les décors parlants des édifices communaux, on ne
saurait oublier les personnages si populaires qui sonnaient les heures des
horloges publiques: à Notre-Dame de Dijon, c'est Jacquemart et sa femme, que
Philippe le Hardi fit prisonniers à Courtrai et ramena comme trophées; au
beffroi d'Avignon, ce sont d'autres Jacquemarts, à Cambrai Martin et Martine, à
Saint-Omer, Mathurin qui monte sa garde sur la porte d'eau du haut-Pont, à
Compiègne les trois Picantins, à Calais deux escrimeurs; à Venise, deux hommes
sauvages.
REGION DU NORD
Les édifices municipaux du Nord de la France, Flandre,
Hainaut, Artois, Boulonnais, Ponthieu, Picardie, Thiérache, Vermandois et
Île-de-France appartiennent à divers styles régionaux qui doivent leur variété
aux matériaux, aux goûts et aux traditions de ces provinces. Les matériaux sont
de catégories très différentes.
Le beau calcaire du bassin de l'Oise, qui permet toutes les
finesses de travail et résiste pourtant aux gelées, nous a donné les hôtels de
ville délicatement ornés et très monumentaux de Paris, Compiègne, Noyon; celui
de Saint-Quentin utilise d'autres pierres calcaires de bonne qualité?
La craie, complaisante au ciseau, mais qui ne résiste ni au
temps ni aux éléments fut employée dans les régions de l'Aisne et de la Somme;
son emploi est cause du délabrement d'édifices tels que les petits hôtels de
ville et d'Attigny et du peu de dureté de beaucoup d'autres? Elle a toutefois
résisté dans les beffrois de Château-Thierry, Saint-Riquier, Rue. Comme en
Normandie, on la combine avec le grès.
Le calcaire oolithique de Marquise a été utilisé dans tout
le Boulonnais et exporté dans les régions voisines concurremment avec les
pierres de Caen et de Tournai qui s'exploitaient aussi à proximité des routes
d'eau. Les pierres de Marquise et de Caen se rencontrent dans les vallées de la
Canche et de la Somme; celles de Marquise et de Tournai dans les bassins de la
Lys et de l'Aa.
Le calcaire oolithique de Marquise ressemble à celui de
l'Île-de-France, dont le Boulonnais adoptait le style, mais il a le grain plus
gros et moins égal et se mêle de filons d'argile. La pierre bleue de Tournai
est de travail moins facile; elle se délite en lamelles; polie, elle donne un
beau marbre noir.
Le grès qui s'exploite en Artois et en Flandre, est
extrêmement résistant, mais aussi rebelle au ciseau que le granit de Bretagne.
On l'a sculpté pourtant, notamment à l'hôtel de ville de Douai, mais il ne se
prête pas aux travaux délicats; en revanche, sa résistance nous a donné les
fines colonnes de la chapelle échevinale et de la salle basse de Douai, des
portiques de Bapaume, de Saint-Quentin et d'Arras.
Les pierres dures se combinent avec la craie en Normandie,
Picardie, Ponthieu, Artois; avec la brique en Flandre, Hainaut, Artois.
L'alliance de la brique et de la pierre donne un style très original qui a son
centre dans les Pays-Bas et s'étend d'une part jusqu'au Danemark et en Suède,
de l'autre jusqu'aux abords d'Amiens.
Une autre cause déterminante des styles est le climat:
l'abondance des neiges a imposé à la région du Nord des combles extrêmement
aigus.
Le troisième élément générateur des styles est la mode,
résultat des goûts locaux et des traditions.
Avant le XIVe siècle, le style du domaine royal régna
jusqu'au Pays-Bas; plus tard, l'architecture accentua ses caractères régionaux,
depuis le XIIIe siècle et vers le milieu du XIVe siècle prit naissance une
plastique réaliste flamande qui fit école au loin.
Le style du domaine royal englobe le Boulonnais et la Thiérache.
Il se rencontre avec le style des Pays-Bas en Artois et dans les Ardennes.
Entre ces deux régions, Calais a une histoire spéciale: avant l'occupation
anglaise, cette petite ville neuve ne compte pas et depuis, il semble qu'elle
ait opté pour l'art flamand, mais pendant l'occupation, elle appartint sans
partage au style perpendiculaire anglais, qui n'a pris terre nulle part
ailleurs sur le continent.
Qu'elle soit en pierre ou en brique, l'architecture civile
des Pays-Bas offre depuis le XIIIe siècle des caractères spéciaux : proportions
grêles, grandes surfaces unies, faibles saillies, fenêtres très hautes et très
rapprochées, nombreuses arcatures, pignons en escalier et quelquefois plus tard
capricieusement ondulés; toitures et flèches aigües, nombreuses échauguettes
placées très haut et dominant la crête des murs, ordonnance générale parfois
très riche comme aux hôtels de ville de Gand et de Louvain, mais toujours très
uniforme et quelque peu monotone.
Les grands pans des combles prennent un aspect pittoresque
en se hérissant de lucarnes plombées à frontons dentelés, disposées sur
plusieurs étages, comme à Arras.
Les flèches des beffrois sont plus pittoresques encore. Dans
toute la France du nord, elles formaient de hauts pavillons d'ardoise; au XVe
siècle, à Saint-Fargeau par exemple, et au XVIe, comme à Avallon ou à
Château-Thierry, on coupait volontiers le sommet par un lanternon.
Plus au nord, in ajouta aux flèches comme au comble le
pittoresque des frontons de lucarnes. D'abord c'est à Boulogne un rang de
frontons à la base, sur les créneaux, et une couronne de gâbles au sommet, sur
la loge du guetteur, puis c'est à Douai une triple couronne, véritable tiare de
charpenterie, enfin à Béthune une silhouette étrange et capricieuse. Alors vint
la Renaissance, elle prend aux Pays-Bas un caractère lourd mais tout à fait
original; les poivrières ne se transforment pas comme ailleurs en simples
calottes, mais en cloches; les flèches se renflent en monstrueux fuseaux, celle
de Solre-le-Château porte au sommet une poire colossale, celle de Comines forme
elle-même une gigantesque calebasse. C'est la même transformation qui se montre
dans l'architecture des églises à Saint-Pierre de Douai ou à Dinant.
Ces monuments si pittoresques et si variés, témoins
éloquents et charmants d'une histoire glorieuse, n'ont pas trouvé grâce devant
la brutalité tudesque. L'hôtel de ville de Saint-Quentin n'est qu'endommagé,
mais les beffrois de Béthune et de Comines, les hôtels de ville d'Arras,
Bailleul, Bapaume, Noyon, Orchies, Péronne ont été volontairement et
inutilement détruits par les Allemands. Ce sont là des actes de sauvagerie que
rien ne saurait excuser et dont il convient que le monde civilisé garde à
jamais la mémoire."
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