lundi 1 juillet 2019

Hôtels de ville et beffrois du Nord de la France - Moyen Age et Renaissance


Les visites d'art - Memoranda
HÔTELS DE VILLE ET BEFFROIS DU NORD DE LA FRANCE
Moyen Age et Renaissance
 
Par Camille Enlart, Directeur du Musée de Sculpture comparée du Trocadéro
Paris, éditions H. Laurens, 1919
 
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LES HOTELS DE VILLE
 
Tout, dans la civilisation du Moyen Age, procède de la tradition romaine. La commune fut une restauration du municipe romain quand elle n'en fut pas la continuation: à Amiens, dès le haut Moyen Age, les primores civitatis se réunissaient à la Malmaison; Boulogne s'intitulait fièrement en tête de ses registres communaux, Respublica Boloniensis.
 
Vitruve a décrit les dispositions essentielles de la Curie, salle de délibération des magistrats communaux; les parloirs aux bourgeois en furent la survivance.
 
Lorsque s'organisa le régime féodal, les bourgeois des cités et des villes firent reconnaître officiellement leurs libertés et leurs privilèges en des chartes que les seigneurs délivrèrent quelquefois par contrainte, de bon gré beaucoup plus souvent, mais la plupart du temps moyennant finances. Les seigneurs octroyèrent à la collectivité des bourgeois les droits dont eux-mêmes jouissaient en tant qu'individus. La commune put donc lever des impôts, rendre la justice, entretenir une milice, elle des armoiries et un sceau, où le mayeur figure souvent armé et chevauchant comme un baron. L'Hôtel de ville peut avoir, ainsi que toute autre maison noble, une tour, des créneaux, des mâchicoulis, des girouettes armoriées, signes sensibles des privilèges communaux.
 
L'Hôtel de ville se dresse souvent sur une place entourée d'arcades qui perpétue le forum antique; dans son beffroi, sorte de donjon de la commune, la bancloque sonne le ban communal et appelle le peuple aux assemblées. Les échevins (consuls dans le Midi) élus par les bourgeois délibèrent et rendent la justice dans la grande salle dite halle échevinale; sur la place, le peuple écoute les publications et les proclamations officielles qui lui sont faites du haut d'une tribune extérieure de l'hôtel de ville, la bretèche.
 
Les corporations et les collèges antiques ont été constitués au Moyen Age par les métiers, jurandes, ghildes et hanses. Ces associations, qui ressemblaient à nos syndicats, à nos grandes compagnies, à nos chambres de commerce, avaient aussi leurs locaux, maison de la hanse ou salle de la Ghilde: Ghildhall à Londres; Ghialle à Saint-Omer et à Calais, Guyale à Boulogne; cet édifice s'est parfois confondu avec l'hôtel de ville et la ghilde avec la commune.
 
Suivant la tradition des collèges romains, les confrères des ghildes, les consuls, les échevins banquetaient à l'hôtel de ville dans les circonstances exceptionnelles et surtout au jour du Renouvellement de la Loi, c'est-à-dire des élections. Aussi l'hôtel de ville pouvait-il posséder une cuisine, comme celle qui existait à Amiens en 1387. Ces jours solennels comportaient d'abord pour l'échevinage une messe du Saint-Esprit, aussi l'hôtel de ville avait-il souvent une chapelle.
 
Parmi les services qui s'y groupaient, il y avait encore l'argenterie, les archives, la prison, le poids public et le dépôt des mesures-étalons, les bureaux et, depuis le XVIe siècle, l'horloge publique. Souvent, une halle marchande occupait le rez-de-chaussée du palais municipal, comme à Saint-Antonin, La Réole, Ypres, Clermont en Beauvoisis. A Riom, l'hôtel de ville, au XVe siècle, renfermait une école. Tous ces services sont tantôt réunis, tantôt dispersés.
 
De même qu'un château peut consister en un donjon, le beffroi a pu constituer à lui tout seul l'hôtel de ville, spécialement dans de petites villes comme Avallon, Béthune, Calais, Château-Thierry, Lierre, Lucheux, Saint-Riquier ou Rue. En ce cas, l'assemblée populaire pouvait avoir lieu dans la halle marchande, comme à Calais en 1347. Les basiliques civiles des Romains servaient déjà de marchés et de salles d'assemblées. Une ville a parfois deux beffrois: ce fut le cas à Valenciennes et à Boulogne.
  
Inversement, certains hôtels de ville n'ont pour beffroi qu'un clocheton de charpente: tels sont ceux d'Attigny, Auxi-le-Chateau, Beaugency, Bourges, Bouvignies, Cassel, Clermont en Beauvoisis, Etampes, Hondschoote, Mantes, Mons, Noyon, Saint-Omer, Saint-Quentin et Senlis.
 
Quelques hôtels de ville se rattachent à l'enceinte fortifiée; la Guyale de Boulogne, logée dans un angle des remparts, leur empruntait une poterne et une tour qui lui servait de beffroi. A Clermont en Beauvoisis, une extrémité de l'hôtel de ville forme un bastion, plus souvent c'est une porte d'enceinte qui est affectée à l'usage d'hôtel de ville, au XIIIe siècle à Lucheux, au XVe à Bordeaux, à Loches, à Vendôme : les hôtels de ville, les beffrois, les horloges établis au-dessus d'une voie publique sont très nombreux : citons Attigny, Auxerre, Avallon, Burgos, Dinan, Dun sur Auron, Saint-Fargeau, Solre le château, Vire, à Caen, l'hôtel de ville appelé le châtelet était établi sur un pont.
 
Le beffroi symbolise les privilèges communaux comme le donjon atteste la seigneurie; toutefois, il ne les implique pas nécessairement; en 1346, le comte d'Artois, en autorisant l'érection du beffroi de Béthune, eut soin de spécifier que cette permission ne conférait pas à la ville le titre de commune. Cependant, pour punir une rébellion des Boulonnais en 1269, Saint-Louis abolit la commune et fit démolir le beffroi. Avant que cette destruction fût consommée, la cité rachetait du comte une charte communale et le rebâtissait.
 
Les services municipaux pouvaient se loger dans divers bâtiments séparés : à Amiens, le beffroi, la Malmaison, l'hôtel aux Cloquiers; à Abbeville, d'une part, le Petit Echevinage, de l'autre, le beffroi et l'argenterie; à Boulogne, le beffroi, les boucheries, un bâtiment avec chapelle, en d'autres emplacements, la Guyale et le grand Hostel, contenant des magasins, un arsenal, la grande salle des fêtes et banquets; à Valenciennes, beffroi isolé, et d'autre part, hôtel de ville flanqué d'une chapelle et d'un second beffroi; à Bruges, le beffroi fait corps avec la halle aux draps.
 
L'hôtel de ville différait si peu d'une autre maison noble qu'il put souvent être installé dans un hôtel privé acheté par la ville: c'est le cas de l'hôtel de ville de Saint-Antonin (XIIe siècle), de la maison aux piliers de Paris, de l'Hôtel aux Cloquiers d'Amiens (XIVe siècle), de l'hôtel de ville de Paray-le-Monial (XVIe siècle). A Saint-Omer, l'hôtel de Sainte-Aldegonde fut acquis et annexé à la vieille Ghialle. La maison commune pouvait, comme les maisons privées, être désignée par son enseigne, tel l'Hostel aux singes à Dijon.
 
Plusieurs beffrois sont d'anciens donjons seigneuriaux, par exemple à Boulogne, à Amiens et probablement aussi à Abbeville.
 
Les services municipaux furent parfois hospitalisés dans des édifices monastiques: à Beauvais, la bretèche communale était placée sur un pignon du transept de Saint-Etienne; à Agen, Albi, Beaulieu (Dordogne) des clochers d'églises ont été utilisés pour abriter des cloches ou horloges communales et des guetteurs de la ville; à Bourges, le parloir aux bourgeois fut logé jusqu'en 1487 dans le prieuré de la Comtale; à Bonifacio, la loge des bourgeois sert de porche à la collégiale Sainte-Marie et d'abri à la grande citerne qui ravitaille d'eau la ville.
 
Les édifices communaux de France sont rarement très anciens et n'ont pas en général le luxe de ceux de l'Italie et des Pays-Bas. Dans ces trois contrées, on peut citer parmi les plus anciens ou parmi les plus élégants monuments construits pour leur usage et non pas adaptées. Fin du XIIe siècle. Hôtels de ville de La Réole, de Saint-Guilhem du Désert. XIIIe siècle Halles d'Ypres 1200 à 1304, façade de 133 m 10. Grand Hostel de Boulogne (longueur 39 mètres, hauteur 21 mètres) et partie du beffroi. Porches des hôtels de ville de Bapaume et de Bonifacio, Loge de Bonifacio. Base du beffroi de Bailleul, hôtels de ville détruits de Valenciennes et de Lille, dont on a des dessins; vestiges à Alost et à Aix-la-Chapelle, en Italie, palais de Sienne, Orvieto, Florence, Todi, Plaisance, Piperno.
 
XIVe siècle: Hôtel de ville de Saint-Omer, démoli en 1834 mais dont M.L. Deschamps du Pas a laissé des dessins et une bonne description. Hôtels de ville de Domart-en-Ponthieu, Domme (Dordogne), Martels (Lot), Clermont (Oise), Bruges (première pierre en 1377), Pérouse, Gubbio, Brunswick, beffrois de Douai 1387 à (1392) et de Béthune (1388).
 
Les hôtels de ville et beffrois du XVe siècle et du XVIe sont extrêmement nombreux en France et dans les Pays-Bas;
 
Les plans sont souvent très simples : le plus ancien et le plus usuel est un rectangle allongé comme à La Réole, à Saint Guilhem du Désert, aux Halles d'Ypres, au Grand Hostel de Boulogne, aux hôtels de ville du XIIIe siècle qui ont existé à Lille et à Valenciennes; au XIVe siècle à Clermont et plus tard à Douai, Noyon, Compiègne, Arras, Louvain, Mons et Kampen. Le rez-de-chaussée est souvent partagé en deux nefs, qui peuvent être voûtées. Quelquefois, deux corps de logis sont accolés dans le sens de la longueur, comme au Grand Conseil de Malines, à Hondschoote et à Cassel; quelquefois aussi le bâtiment se présente par le pignon, comme à Clermont (Oise) et à Orchies; dans ces deux exemples, un petit beffroi s'applique à ce pignon.
 
Un nombre restreint d'hôtels de ville ont des ailes en retour comme à sienne, Florence, Saint-Omer, Martels, Saint-Quentin, Middelbourg, Bruxelles, Gand, Noyon et Hesdin.
 
Le beffroi occupe l'extrémité du bâtiment à Douai, à Bailleul et à Sienne, il s'élève au centre qu’une façade à Ypres, Florence, Bruges, Bruxelles, Audenarde et Compiègne. Il est placé derrière le bâtiment à Arras, Hesdin, Middelbourg, il était primitivement isolé à Amiens, Rouen, Boulogne, Abbeville, Bergues, Péronne, Tournai, Valenciennes, Gand et Furnes.
 
L’Hôtel de ville, comme les autres maisons de la place du marché, a souvent un portique sur sa façade; on en voit du XIIe au XIVe siècle à Saint-Guilhem du Désert, Bonifacio, Bapaume, Plaisance, Piperno, Brunswick, du XVe et du XVIe siècle à Saint-Quentin, Audenarde, Arras, Libourne, Gray et Péronne.
 
La bretèche peut affecter des dispositions variées. Quelquefois, c'est un petit balcon couvert, à Saint-Omer, à Luxeuil, à Monza, à Valenciennes, à la Mercanzia de Bologne, à la halle aux draps de Tournai et à la prévôté d'Aire sur la Lys (1593). A Douai, c'est une grande fenêtre avec allège formant balcon; on a eu la malencontreuse idée de lui donner un pendant dans la restauration de 1860. A Gand et à Middelbourg, c'est un balcon découvert qui contourne une tourelle d'angle; enfin à Audenarde, Hesdin, Bailleul, Orchies, Cassel et en Alsace à Molsheim, la bretèche s'élève sur un porche ou palier couvert, au-dessus du perron.
 
La partie essentielle de l'hôtel de ville comme des autres palais, c'était la grande salle haute, qui servait de tribunal, de lieu d'assemblée et de réception. La grande salle d'un logis privé s'élevait au-dessus d'une salle basse voûtée ou d'une boutique, celle de l'hôtel de ville au-dessus d'une salle basse voûtée ou d'une halle marchande.
 
La grande salle s'éclairait et se chauffait abondamment par de vastes fenêtres et une cheminée monumentale. Ces fenêtres offrent tous les types de l'architecture civile: au XIIe siècle, linteaux sur colonnettes à Saint-Antonin; aux XIIe et XIIIe, baies cintrées géminées ou refendues à La Réole, Plaisance, Orvieto, Sienne, Domart; depuis le XIIIe siècle, grandes fenêtres en tiers-point se rapprochant de celles des églises, au XIIIe siècle à Ypres, à Valenciennes et à Boulogne; au XIVe à Bruges, au XVe et XVIe à Douai, Saint-Quentin, Noyon, Arras, Cassel; enfin, fenêtres rectangulaires ou surbaissées à croisée de pierre au XIVe siècle à Saint-Omer et à Martels, aux XVe et XVIe à Bailleul, Compiègne, Senlis, Dreux, Péronne, Paris; au XVIIe à Bergues.
 
La cheminée de la salle échevinale de Douai, avec son très sobre décor héraldique du XIVe ou XVe siècle a été portée au musée et l'on a mis à sa place une très riche cheminée de la Renaissance provenant du couvent des Minimes. Des cheminées de style flamboyant se voient dans les hôtels de ville d'Audenarde, Bergen op Zoom, Gand, Louvain, Mons; celle de la grande salle de Saint-Quentin, malheureusement mutilée, et celle de Courtrai, sculptée de tableaux en haut-relief comme un retable, appartiennent au début de la Renaissance; celles de Bruges et de Kampen ont toute l'exubérance de la Renaissance flamande, elles sont ornées de petits génies et de statues seigneuriales; sur celle de Saint-Omer, de même époque, on voyait une figure de la Justice.
 
La boiserie jouait un grand rôle dans le décor intérieur des hôtels de ville: les salles avaient le plus souvent des plafonds de menuiserie, imitant parfois, comme à Louvain, des voûtes d'ogives à clefs pendantes, plus souvent tracées en simple berceau, comme à Saint-Quentin. Leurs parois étaient revêtues de lambris et tout autour de la grande salle régnaient des banquettes ou des stalles pour les échevins: un siège plus élevé et plus orné était réservé au mayeur, devant ces stalles étaient disposées une table en fer à cheval avec tiroirs et un pupitre pour le greffier; le siège formait des coffres pour les archives. On a le devis d'installations de ce genre exécutées en 1410 à Rouen et en 1423 à Dijon. Dans les murs, des placards pouvaient abriter d'autres documents, à l'hôtel de ville de Zutphen, ils ont encore leurs portes du XVe siècle, et de la même époque, on conserve à Malines une grande armoire de chêne contenant les layettes du même bois où sont renfermées les chartes.
 
Ces salles étaient éclairées le soir par des herses et des bras porte-cierges en fer ou en laiton, dont les Pays-Bas conservent des exemples. La lumière du jour y pénétrait par des vitraux, quelquefois très beaux comme ceux détruits à Bruges en 1786. La sculpture ornait les façades, les retombées des voûtes, les corbeaux des poutres et les cheminées. Très souvent des niches encadrant des statues existent à l'extérieur entre les fenêtres. Cette décoration se voit au XIIIe siècle à Ypres, au XIVe à Bruges, au XVe à Gand, Louvain, Douai, Audenarde, Mons, Noyon, Ecumont, Léau, Termonde, Middelbourg, Kampen et Veere. Des statues ornaient aussi des cheminées à Saint-Quentin, à Bruges et à Kampen. Le plus souvent elles représentent les seigneurs du pays: Charles-Quint et sa famille à la cheminée de Bruges, les comtes de Flandre autrefois à Douai. On y trouve aussi des saints comme Notre-Dame de la Gésine au-dessus de la porte de l'ancien hôtel de ville de Douai, ou bien des allégories, surtout à la Renaissance. On a sculpté aussi des scènes à petits personnages sur les consoles intérieures. Ce sont à Louvain des scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament; ailleurs des légendes profanes, comme l'histoire du roi de Mercie dans la grande salle de Saint-Quentin, des sujets de genre, scènes de métiers à la façade de Saint-Quentin; des caricatures plus ou moins gauloises à la même façade et dans l'escalier de l'hôtel de ville de Noyon. Cette iconographie, toutefois, est plus souvent sérieuse: telles la figure de la Justice sur la cheminée de Saint-Omer, celles des Vertus dans les niches de la bretèche d'Hesdin, le Christ en croix peint dans la salle du Conseil de Nîmes vers 1360 et à Sienne de 1337 à 1343, les admirables fresques d'Antonio Lorenzetti, symbolisant le bon et le mauvais gouvernement.
 
La peinture ne revêtait pas seulement les parois intérieures, mais aussi les façades: en 1390 à Amiens, celle de l'Hostel aux Cloquiers fut peinte du haut en bas par Adam de France et Jean de Guannes: ils y figurèrent un ange tenant les armes de la ville, les quatre animaux, des branches de lys, des filets et des rosettes; la même année à Douai, Jean le Rouge peignit le bas-relief de Notre-Dame de la gésine (La Nativité) qui surmontait la porte de l'hôtel de ville; il lui fit un fond bleu sur lequel se détachaient les armes du roi, du comte et de la ville et le portail lui-même fut passé au vermillon.
Des crénelages, des échauguettes, des mâchicoulis donnent souvent aux hôtels de ville un silhouette pittoresque de maison forte, quant au beffroi, il participe à la fois du donjon par les échauguettes, les créneaux et le poste de guet et du clocher par ses grandes baies et sa flèche. Quelques-uns ont un couronnement de pierre, à Avignon, Bruxelles, Audenarde, Arras. Certains de ces édifices dominent de très haut la cité: le beffroi d'Arras avait 75 mètres, celui de Sienne en a 102, celui de Bruges mesurait 107m43 avant la démolition de sa flèche au XVIIIe siècle, celui de Bruxelles n'a pas moins de 113m76.
Tandis que les édifices du Midi se couronnent de toits de tuiles plats et de terrasses, ceux du Nord se parent de combles d'ardoises surélevés, aux multiples lucarnes.
 
Les girouettes, qui constituaient un privilège, couronnaient les beffrois et hôtels de ville de toutes les régions et étaient les symboles de la puissance échevinale. Le plus souvent, ce sont des bannières aux armes de la commune; à Arras celle du beffroi était tenue par un colossal lion d'Artois, à Bruxelles, elle l'est par Saint-Michel, foulant le Dragon, la girouette du beffroi de Béthune était un dragon, celle de la loge de Perpignan figure un navire, toutes les lucarnes de l'hôtel de ville d'Arras se couronnaient en girouettes et de soleils dorés resplendissants. Les comptes d'Amiens et de Béthune nous montrent que les crêtes et autres ornements de plomb des combles du XIV e au XVIe siècle étaient dorés et rehaussés de couleurs.
 
Parmi les décors parlants des édifices communaux, on ne saurait oublier les personnages si populaires qui sonnaient les heures des horloges publiques: à Notre-Dame de Dijon, c'est Jacquemart et sa femme, que Philippe le Hardi fit prisonniers à Courtrai et ramena comme trophées; au beffroi d'Avignon, ce sont d'autres Jacquemarts, à Cambrai Martin et Martine, à Saint-Omer, Mathurin qui monte sa garde sur la porte d'eau du haut-Pont, à Compiègne les trois Picantins, à Calais deux escrimeurs; à Venise, deux hommes sauvages.
 

REGION DU NORD
  
Les édifices municipaux du Nord de la France, Flandre, Hainaut, Artois, Boulonnais, Ponthieu, Picardie, Thiérache, Vermandois et Île-de-France appartiennent à divers styles régionaux qui doivent leur variété aux matériaux, aux goûts et aux traditions de ces provinces. Les matériaux sont de catégories très différentes. 
 
Le beau calcaire du bassin de l'Oise, qui permet toutes les finesses de travail et résiste pourtant aux gelées, nous a donné les hôtels de ville délicatement ornés et très monumentaux de Paris, Compiègne, Noyon; celui de Saint-Quentin utilise d'autres pierres calcaires de bonne qualité?
 
La craie, complaisante au ciseau, mais qui ne résiste ni au temps ni aux éléments fut employée dans les régions de l'Aisne et de la Somme; son emploi est cause du délabrement d'édifices tels que les petits hôtels de ville et d'Attigny et du peu de dureté de beaucoup d'autres? Elle a toutefois résisté dans les beffrois de Château-Thierry, Saint-Riquier, Rue. Comme en Normandie, on la combine avec le grès.
 
Le calcaire oolithique de Marquise a été utilisé dans tout le Boulonnais et exporté dans les régions voisines concurremment avec les pierres de Caen et de Tournai qui s'exploitaient aussi à proximité des routes d'eau. Les pierres de Marquise et de Caen se rencontrent dans les vallées de la Canche et de la Somme; celles de Marquise et de Tournai dans les bassins de la Lys et de l'Aa.
 
Le calcaire oolithique de Marquise ressemble à celui de l'Île-de-France, dont le Boulonnais adoptait le style, mais il a le grain plus gros et moins égal et se mêle de filons d'argile. La pierre bleue de Tournai est de travail moins facile; elle se délite en lamelles; polie, elle donne un beau marbre noir. 
 
Le grès qui s'exploite en Artois et en Flandre, est extrêmement résistant, mais aussi rebelle au ciseau que le granit de Bretagne. On l'a sculpté pourtant, notamment à l'hôtel de ville de Douai, mais il ne se prête pas aux travaux délicats; en revanche, sa résistance nous a donné les fines colonnes de la chapelle échevinale et de la salle basse de Douai, des portiques de Bapaume, de Saint-Quentin et d'Arras.
 
Les pierres dures se combinent avec la craie en Normandie, Picardie, Ponthieu, Artois; avec la brique en Flandre, Hainaut, Artois. L'alliance de la brique et de la pierre donne un style très original qui a son centre dans les Pays-Bas et s'étend d'une part jusqu'au Danemark et en Suède, de l'autre jusqu'aux abords d'Amiens.
 
Une autre cause déterminante des styles est le climat: l'abondance des neiges a imposé à la région du Nord des combles extrêmement aigus.
 
Le troisième élément générateur des styles est la mode, résultat des goûts locaux et des traditions.
Avant le XIVe siècle, le style du domaine royal régna jusqu'au Pays-Bas; plus tard, l'architecture accentua ses caractères régionaux, depuis le XIIIe siècle et vers le milieu du XIVe siècle prit naissance une plastique réaliste flamande qui fit école au loin.
 
Le style du domaine royal englobe le Boulonnais et la Thiérache. Il se rencontre avec le style des Pays-Bas en Artois et dans les Ardennes. Entre ces deux régions, Calais a une histoire spéciale: avant l'occupation anglaise, cette petite ville neuve ne compte pas et depuis, il semble qu'elle ait opté pour l'art flamand, mais pendant l'occupation, elle appartint sans partage au style perpendiculaire anglais, qui n'a pris terre nulle part ailleurs sur le continent.
 
Qu'elle soit en pierre ou en brique, l'architecture civile des Pays-Bas offre depuis le XIIIe siècle des caractères spéciaux : proportions grêles, grandes surfaces unies, faibles saillies, fenêtres très hautes et très rapprochées, nombreuses arcatures, pignons en escalier et quelquefois plus tard capricieusement ondulés; toitures et flèches aigües, nombreuses échauguettes placées très haut et dominant la crête des murs, ordonnance générale parfois très riche comme aux hôtels de ville de Gand et de Louvain, mais toujours très uniforme et quelque peu monotone.
 
Les grands pans des combles prennent un aspect pittoresque en se hérissant de lucarnes plombées à frontons dentelés, disposées sur plusieurs étages, comme à Arras.
 
Les flèches des beffrois sont plus pittoresques encore. Dans toute la France du nord, elles formaient de hauts pavillons d'ardoise; au XVe siècle, à Saint-Fargeau par exemple, et au XVIe, comme à Avallon ou à Château-Thierry, on coupait volontiers le sommet par un lanternon.
 
Plus au nord, in ajouta aux flèches comme au comble le pittoresque des frontons de lucarnes. D'abord c'est à Boulogne un rang de frontons à la base, sur les créneaux, et une couronne de gâbles au sommet, sur la loge du guetteur, puis c'est à Douai une triple couronne, véritable tiare de charpenterie, enfin à Béthune une silhouette étrange et capricieuse. Alors vint la Renaissance, elle prend aux Pays-Bas un caractère lourd mais tout à fait original; les poivrières ne se transforment pas comme ailleurs en simples calottes, mais en cloches; les flèches se renflent en monstrueux fuseaux, celle de Solre-le-Château porte au sommet une poire colossale, celle de Comines forme elle-même une gigantesque calebasse. C'est la même transformation qui se montre dans l'architecture des églises à Saint-Pierre de Douai ou à Dinant.
 
Ces monuments si pittoresques et si variés, témoins éloquents et charmants d'une histoire glorieuse, n'ont pas trouvé grâce devant la brutalité tudesque. L'hôtel de ville de Saint-Quentin n'est qu'endommagé, mais les beffrois de Béthune et de Comines, les hôtels de ville d'Arras, Bailleul, Bapaume, Noyon, Orchies, Péronne ont été volontairement et inutilement détruits par les Allemands. Ce sont là des actes de sauvagerie que rien ne saurait excuser et dont il convient que le monde civilisé garde à jamais la mémoire."

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