mardi 2 juillet 2019

prospérité des affaires, misère des classes pauvres au XIXe s dans le Nord


in Collectif - Visages de la Flandre et de l'Artois, collection "provinciales", éditions des Horizons de France, Paris, 1949

"1815-1848 : prospérité des affaires, misère des classes ouvrières - Les Bourbons, ici comme dans une bonne partie de la France, furent accueillis sans hostilité parce qu'ils étaient synonymes de paix. C'est à Calais que Louis XVIII remit le pied sur la terre française. C'est à Lille qu'il passa, prenant le chemin de l'exil temporaire de Gand.
 
Les deux départements connurent jusqu'à 1818 l'occupation étrangère : l'accueil fut variable selon les régions : ici on se plaint de vols et même d'assassinats commis par des soldats anglais; là au contraire, les Danois épousent des Françaises qu'ils ont fait danser au son de l'orchestre militaire.
 
La vie politique était assez calme, n'intéressant d'ailleurs que le "pays légal". Il y avait pourtant un parti libéral assez fort. Le Propagateur d'Arras et du Pas-de-Calais, avec Frédéric Degeorge, était un ardent adversaire de Charles X et de sa politique. Le roi fit en 1827 un voyage qui, soigneusement préparé, eut un caractère triomphal. Le futur signataire des Ordonnances prit au cours de ce déplacement une conscience exagérée de sa popularité qui le poussa aux décisions aventureuses.
 
La révolution lilloise de 1830 calqua la parisienne : une émeute éclata quand les gendarmes voulurent saisir les presses de l'Echo du Nord qui avait paru malgré les interdictions. Un des manifestants, Méry de Montigny, réussit à empêcher une charge de cuirassiers qui voulaient disperser la foule criant "Vive la Charte !" Quelques jours après, il était acclamé comme chef de la Garde Nationale.
 
La Monarchie de Juillet fut bien accueillie. Le nord du royaume compte parmi les régions les plus empressées d'envoyer à Paris des députés favorables au gouvernement. Il s'agit toujours de la petite minorité qui a le droit de vote. En 1833, les électeurs de la deuxième circonscription de Dunkerque désignèrent Lamartine. Le poète n'était pas sans attache dans le pays. Sa sœur avait épousé M. de Coppens, d'Hondschoote, et ce furent ces relations de famille qui valurent son mandat à l'auteur des Méditations.
  
Dans le discours qu'il prononça sur la question des sucres, le député de Bergues décrivit "les immenses usines qui se lèvent de toutes parts, ces cheminées fumantes qui donne à ce pays si vieux en agriculture l'apparence d'un pays neuf qu'une population nouvelle vient habiter, défricher, bâtir."
De fait, le règne de Louis-Philippe vit apparaître la grande industrie dans ces contrées qui avaient toujours été à la pointe du mouvement économique. Quelques ouvriers anglais avaient fondé à Calais l'industrie du tulle qui se développa surtout lorsque, à partir de 1838, on appliqua aux métiers le système Jacquard. Le lin se tissait "à la mécanique" dans les ateliers lillois, Antoine Scrive ayant, au péril de sa vie, importé le secret d'Angleterre. La machine à vapeur, alimentée par les houilles d'Anzin, - la compagnie avait été fondée au XVIIIe siècle, - animait le travail du coton et de la laine dans les villes de Roubaix et de Tourcoing. Le Pas-de-Calais, à son tour, connut le bénéfice d'un sous-sol riche en charbon. En 1841, par hasard, le forage d'un puits dans une propriété d'Oignies orienta les recherches, conduites avec persévérance jusqu'à ce jour, mais restées infructueuses parce qu'on ignorait l'inflexion brusque de l'axe du bassin à hauteur de Douai. La houille étant reconnue en de nombreux points, de nouvelles compagnies apparurent. Le grand chimiste Kuhlmann avait créé à Loos la fabrique de produits chimiques qui fut le point de départ des autres établissements analogues en France. Enfin, les premiers chemins de fer sillonnèrent la région. En 1846, on inaugurait la ligne Paris-Lille prolongée jusqu'à Dunkerque en 1849. 
 
Au reste, cette révolution industrielle, comme toute autre, a ses victimes. Ce sont les artisans liniers que la machine a ruinés, ce sont les faméliques ouvriers et ouvrières qui s'entassent en ces "caves de Lille" dont Victor Hugo a décrit l'horreur que l'économiste Blanqui avait voulu traduire en chiffres. Dans cette plèbe qu'avait broyée la machine triomphante, parmi ces misérables vivant demi-nus d'un salaire insuffisant, la révolution de de 1848 éveilla bien des espoirs !


1848-1870 - La campagne des banquets, qui devait amener la chute de la monarchie contre le gré de ceux qui l'avaient inaugurée, eut son tournant décisif à Lille. Odilon Barrot, chef de l'opposition modérée, sans doute inquiet de la tournure que prenaient les événements, refusa de présider la manifestation qui devait avoir lieu en cette ville. Son absence laissa le champ libre à Ledru-Rollin, qui prononça un discours hardi. Ainsi s'amorça l'évolution radicale du mouvement qui devait avoir sa conclusion le 24 février 1848 à Paris.
 
La révolution elle-même ne donna pas lieu dans la région à des événements considérables. Signalons cependant la tentative faite par une colonne venue de Paris pour aller soulever les Belges et les amener à proclamer la République. Elle se termina par l'échauffourée du Risquons-Tout (près de Tourcoing). Avant les journées parisiennes de juin 1848, Lille connut quelques émeutes causées par la misère et la faim. Mais les classes aisées désapprouvèrent l'insurrection de la capitale et nombreux furent les gardes nationaux des deux départements qui allèrent porter leur aide au gouvernement légal. L'épidémie de choléra s'ajouta à la disette et au chômage pour décimer les ouvriers qui n'offrirent qu'une résistance sans vigueur aux tentatives réactionnaires. Le coup d'état du 2 décembre 1851 provoqua peu d'opposition à Lille, Douai, Valenciennes, Arras, Lillers, Saint-Omer. Dans l'ensemble il fut accepté. Louis-Napoléon n'était guère connu, bien qu'il eut fait à Boulogne en 1840, une tentative plutôt piteuse. Mais il avait son nom resté populaire, il représentait la prospérité et la stabilité économique désirée par une population laborieuse, une bourgeoisie d'affaires, une paysannerie prospère. Ses visites dans la région lui gagnèrent une certaine popularité : à plusieurs reprises il vient dans les deux départements. Lors de la Guerre de Crimée, des camps furent ouverts dans les environs de Boulogne et de Saint-Omer et ce fut un motif pour les souverains de visiter cette partie de l'Empire où ils reçurent notamment la reine Victoria.
 
C'est sous le second Empire qu'apparurent les établissements d'enseignement supérieur. Douai, l'ancien chef-lieu, les partagea un temps avec Lille. Le premier doyen de la Faculté des sciences fut Pasteur, qui, de 1854 à 1857, y poursuivit ses recherches sur les fermentations. En 1860, Lille, à l'instar de Paris, s'agrandit considérablement en annexant les communes qui séparaient la ville de ses fortifications.
 
La guerre de 1870 n'atteignit que les parties sud et est des départements. La défense nationale fut énergiquement organisée par Achille Testelin, un républicain de 1848, proscrit du 2 décembre, devenu commissaire général du gouvernement de la Défense nationale dans les cinq départements septentrionaux. Il contribua à mettre sur pied l'armée du Nord. Placée sous le commandement du général lillois Faidherbe, elle remporta une franche victoire à Bapaume sur un ennemi complétement surpris. 
 
L'armistice portait que les départements ne seraient pas occupés. Les Prussiens levèrent donc le siège de Cambrai et de Landrecies."

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