in Collectif - Visages de la
Flandre et de l'Artois, collection "provinciales", éditions des
Horizons de France, Paris, 1949
"1815-1848 : prospérité des
affaires, misère des classes ouvrières - Les Bourbons, ici comme dans une bonne
partie de la France, furent accueillis sans hostilité parce qu'ils étaient
synonymes de paix. C'est à Calais que Louis XVIII remit le pied sur la terre
française. C'est à Lille qu'il passa, prenant le chemin de l'exil temporaire de
Gand.
Les deux départements connurent
jusqu'à 1818 l'occupation étrangère : l'accueil fut variable selon les régions
: ici on se plaint de vols et même d'assassinats commis par des soldats
anglais; là au contraire, les Danois épousent des Françaises qu'ils ont fait
danser au son de l'orchestre militaire.
La vie politique était assez
calme, n'intéressant d'ailleurs que le "pays légal". Il y avait
pourtant un parti libéral assez fort. Le Propagateur d'Arras et du
Pas-de-Calais, avec Frédéric Degeorge, était un ardent adversaire de Charles X
et de sa politique. Le roi fit en 1827 un voyage qui, soigneusement préparé,
eut un caractère triomphal. Le futur signataire des Ordonnances prit au cours
de ce déplacement une conscience exagérée de sa popularité qui le poussa aux
décisions aventureuses.
La révolution lilloise de 1830
calqua la parisienne : une émeute éclata quand les gendarmes voulurent saisir
les presses de l'Echo du Nord qui avait paru malgré les interdictions. Un des
manifestants, Méry de Montigny, réussit à empêcher une charge de cuirassiers qui
voulaient disperser la foule criant "Vive la Charte !" Quelques jours
après, il était acclamé comme chef de la Garde Nationale.
La Monarchie de Juillet fut bien
accueillie. Le nord du royaume compte parmi les régions les plus empressées
d'envoyer à Paris des députés favorables au gouvernement. Il s'agit toujours de
la petite minorité qui a le droit de vote. En 1833, les électeurs de la
deuxième circonscription de Dunkerque désignèrent Lamartine. Le poète n'était
pas sans attache dans le pays. Sa sœur avait épousé M. de Coppens,
d'Hondschoote, et ce furent ces relations de famille qui valurent son mandat à
l'auteur des Méditations.
Dans le discours qu'il prononça
sur la question des sucres, le député de Bergues décrivit "les immenses
usines qui se lèvent de toutes parts, ces cheminées fumantes qui donne à ce
pays si vieux en agriculture l'apparence d'un pays neuf qu'une population
nouvelle vient habiter, défricher, bâtir."
De fait, le règne de
Louis-Philippe vit apparaître la grande industrie dans ces contrées qui avaient
toujours été à la pointe du mouvement économique. Quelques ouvriers anglais
avaient fondé à Calais l'industrie du tulle qui se développa surtout lorsque, à
partir de 1838, on appliqua aux métiers le système Jacquard. Le lin se tissait
"à la mécanique" dans les ateliers lillois, Antoine Scrive ayant, au
péril de sa vie, importé le secret d'Angleterre. La machine à vapeur, alimentée
par les houilles d'Anzin, - la compagnie avait été fondée au XVIIIe siècle, -
animait le travail du coton et de la laine dans les villes de Roubaix et de
Tourcoing. Le Pas-de-Calais, à son tour, connut le bénéfice d'un sous-sol riche
en charbon. En 1841, par hasard, le forage d'un puits dans une propriété
d'Oignies orienta les recherches, conduites avec persévérance jusqu'à ce jour,
mais restées infructueuses parce qu'on ignorait l'inflexion brusque de l'axe du
bassin à hauteur de Douai. La houille étant reconnue en de nombreux points, de
nouvelles compagnies apparurent. Le grand chimiste Kuhlmann avait créé à Loos
la fabrique de produits chimiques qui fut le point de départ des autres
établissements analogues en France. Enfin, les premiers chemins de fer
sillonnèrent la région. En 1846, on inaugurait la ligne Paris-Lille prolongée
jusqu'à Dunkerque en 1849.
Au reste, cette révolution
industrielle, comme toute autre, a ses victimes. Ce sont les artisans liniers
que la machine a ruinés, ce sont les faméliques ouvriers et ouvrières qui
s'entassent en ces "caves de Lille" dont Victor Hugo a décrit
l'horreur que l'économiste Blanqui avait voulu traduire en chiffres. Dans cette
plèbe qu'avait broyée la machine triomphante, parmi ces misérables vivant
demi-nus d'un salaire insuffisant, la révolution de de 1848 éveilla bien des
espoirs !
1848-1870 - La campagne des
banquets, qui devait amener la chute de la monarchie contre le gré de ceux qui
l'avaient inaugurée, eut son tournant décisif à Lille. Odilon Barrot, chef de
l'opposition modérée, sans doute inquiet de la tournure que prenaient les
événements, refusa de présider la manifestation qui devait avoir lieu en cette
ville. Son absence laissa le champ libre à Ledru-Rollin, qui prononça un
discours hardi. Ainsi s'amorça l'évolution radicale du mouvement qui devait
avoir sa conclusion le 24 février 1848 à Paris.
La révolution elle-même ne donna
pas lieu dans la région à des événements considérables. Signalons cependant la
tentative faite par une colonne venue de Paris pour aller soulever les Belges
et les amener à proclamer la République. Elle se termina par l'échauffourée du
Risquons-Tout (près de Tourcoing). Avant les journées parisiennes de juin 1848,
Lille connut quelques émeutes causées par la misère et la faim. Mais les
classes aisées désapprouvèrent l'insurrection de la capitale et nombreux furent
les gardes nationaux des deux départements qui allèrent porter leur aide au
gouvernement légal. L'épidémie de choléra s'ajouta à la disette et au chômage
pour décimer les ouvriers qui n'offrirent qu'une résistance sans vigueur aux
tentatives réactionnaires. Le coup d'état du 2 décembre 1851 provoqua peu
d'opposition à Lille, Douai, Valenciennes, Arras, Lillers, Saint-Omer. Dans l'ensemble
il fut accepté. Louis-Napoléon n'était guère connu, bien qu'il eut fait à Boulogne
en 1840, une tentative plutôt piteuse. Mais il avait son nom resté populaire,
il représentait la prospérité et la stabilité économique désirée par une
population laborieuse, une bourgeoisie d'affaires, une paysannerie prospère.
Ses visites dans la région lui gagnèrent une certaine popularité : à plusieurs
reprises il vient dans les deux départements. Lors de la Guerre de Crimée, des
camps furent ouverts dans les environs de Boulogne et de Saint-Omer et ce fut
un motif pour les souverains de visiter cette partie de l'Empire où ils
reçurent notamment la reine Victoria.
C'est sous le second Empire
qu'apparurent les établissements d'enseignement supérieur. Douai, l'ancien
chef-lieu, les partagea un temps avec Lille. Le premier doyen de la Faculté des
sciences fut Pasteur, qui, de 1854 à 1857, y poursuivit ses recherches sur les
fermentations. En 1860, Lille, à l'instar de Paris, s'agrandit considérablement
en annexant les communes qui séparaient la ville de ses fortifications.
La guerre de 1870 n'atteignit que
les parties sud et est des départements. La défense nationale fut énergiquement
organisée par Achille Testelin, un républicain de 1848, proscrit du 2 décembre,
devenu commissaire général du gouvernement de la Défense nationale dans les
cinq départements septentrionaux. Il contribua à mettre sur pied l'armée du
Nord. Placée sous le commandement du général lillois Faidherbe, elle remporta
une franche victoire à Bapaume sur un ennemi complétement surpris.
L'armistice portait que les
départements ne seraient pas occupés. Les Prussiens levèrent donc le siège de
Cambrai et de Landrecies."
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