Par L. QUARRE-REYBOURBON, Secrétaire-adjoint et archiviste
de la Société de Géographie de Lille, travail lu aux réunions des Sociétés
Savantes, section de géographie historique et descriptive, le 12 juin 1889,
Lille, L. Quarré, libraire-éditeur, 1890
Plusieurs auteurs belges ont placé le nom de Gilbert de
Lannoy sur la liste des voyageurs célèbres de leur nation et ont publié ses
mémoires dans les collections de leurs écrivains. Nous revendiquons ce
chevalier, tout à la fois soldat, diplomate et voyageur, pour la ville de
Lille. Il appartenait à une noble famille qui tirait son origine et son nom
d’une ville de la châtellenie de Lille ; ses parents sont Gilbert de
Lannoy, seigneur de Santes, village de la même châtellenie, et de Catherine de
Molembaix, appartenant à une famille du Hainaut français et ils avaient leur
hôtel à Lille ; il occupait lui-même cet hôtel, il y mourut et fut enterré
à Lille. Il n’était donc point belge, mais français et lillois. La Belgique,
nous nous faisons un devoir de le rappeler, compte, parmi ses enfants, un grand
nombre d’illustres voyageurs ; elle est assez riche pour ne pas emprunter
ceux dont le nom et la gloire appartiennent à ses voisins du département du
Nord.
Il existe plusieurs manuscrits qui renferment le récit des
voyages de Gilbert de Lannoy. Le plus important se trouve à la Bibliothèque de
Bourgogne à Bruxelles. Sous le n0 21.522, il forme un gros volume en papier, de
226 pages, contenant divers ouvrages. C’est en second lieu que vient la partie
qui a pour titre : Voyages de
Guillebert de Lannoy en Terre Sainte (inventaire des manuscrits trouvés
dans la Bibliothèque des historiographes (les bollandistes) d’Anvers, 1779,
Bibliothèque de Bourgogne, n°17.747. Après une liste sommaire des ouvrages
trouvés dans ce volume où le voyage de Gilbert vient en second lieu,
l’inventaire ajoute « ce manuscrit, qui a appartenu au Collège de
Bruxelles, a été acheté par le Museum
Bellarmini. Le titre de Voyage de Gilbert en terre sainte n’est pas exact,
car ce manuscrit contient l’ouvrage entier des Voyages et Ambassades). Ce manuscrit qui a appartenu à la
bibliothèque des Bollandistes d’Anvers, s’est trouvé entre les mains de M.
Serrure lequel en 1840 a publié d’après ce manuscrit et sans commentaires, les Voyages de Gilbert de Lannoy dans les
mémoires de la Société des bibliophiles du Hainaut (Voyages et ambassades de
Messire Guillebert de Lannoy, chevalier de la Toison d’Or, seigneur de Santes,
Willerval, Tronchiennes, Beaumont et Wahagnies, 1399-1450, Mons, typographie
d’Em. Hoyois, libraire, MDCCCXL, 140
pages in-8°, carte (129 pages pour le manuscrit et 10 pour le
glossaire). Ce manuscrit a été vendu, en 1857, à la Bibliothèque de Bourgogne,
où il se trouve aujourd’hui. C’est surtout d’après ce précieux recueil qu’a
paru, en 1878, la publication, qui est intitulée : Œuvres de Guillebert de Lannoy avec notes par MM. Potvin et J-C.
Houzeau (Œuvres de Guillebert de Lannoy, voyageur, diplomate et moraliste,
recueillies et publiées par Ch. Potvin, avec des notes géographiques et une
carte par J-C. Houzeau, Louvain, imprimerie de P et J Lefever, rue des
Orphelins, 1878, 551 pages in-8° et cartes) Précédemment M. Joachim Lelewel
avait fait paraître un travail sur Gilbert en français et en Polonais
(Guillebert et ses voyages en 1413, 1414 et 1421, commentés en français et en
polonais, par Joachim Lelewel, nov. 1843, suivie d’une traduction polonaise
datée de Posnan, 1844. Lelewel a réimprimé dans cette brochure et traduit en
regard, en polonais, la partie des voyages qui concernent la Prusse, la Pologne
et la Lithuanie, 1413, 1414, 1421. Nous trouvons en Angleterre – A Survey of Egypt and Syria, undertaken in
the year 1422, by sir Gilbert de Lannoy, etc. 1821. Edition du manuscrit
de la Bibliothèque Bodléienne d’Oxford, publiée dans l’Archeologia Britannica, par M. John Webb, avec traduction
anglaise et notes – t.XX, p. 281-444. Nous reparlerions de ce manuscrit dans le
cours du travail).
Nous avons emprunté à M. Potvin l’ensemble du récit qui va
suivre : Gilbert est le véritable type de l’ancien chevalier errant,
devenu diplomate et voyageur, curieux de savoir et avide de s’instruire, tantôt
soldat de fortune cherchant les aventures et payant largement de sa personne,
tantôt envoyé comme ambassadeur par Jean-Sans-Peur et Philippe-le-Bon, tantôt
enfin simple pèlerin ou voyageur. L’amour du merveilleux, l’intrépidité,
l’indépendance, la piété, l’insouciance de l’homme de guerre, rien ne manque pour
rendre son caractère complet.
Les généalogistes nous apprennent qu’il se maria trois
fois : sa première femme fut Eléonore d’Esquiennes, la seconde Jeanne de
Ghistelles et la troisième Elizabeth de Drinkham, dame de Willerval ; il
n’eut d’enfant que de ces deux dernières.
Né en 1386, d’une famille dont les membres s’étaient
illustrées sur les champs de bataille au service du Comte de Flandre, il fit
ses premières armes dès l’âge de 13 ans, dans une expédition en Angleterre,
dirigée par le Comte de Saint-Pol, contre Henri de Lancastre (C’est par le
récit de ce premier fait que commence le manuscrit N°21.522 de la Bibliothèque
de Bruxelles : « Cy commencent
les voyaiges que fist Messire Guillebert de Lannoy, en son temps seigneur de
Santes, de Willerval, de Tronchiennes et de Wahégnies » :
« L’an mil trois cens quatrevins et dix-neuf, après la Toussaint, fus en
ma première armée, avec monsieur Walleran de Saint-Pol, à une descendue qu’il
fist en Angleterre, en l’Isle de Wit (Wight) où il y eut cinq cens chevaliers,
que escuiers, cottes d’armes vestues. »)
Cette expédition, faite en faveur du roi Richard, ne peut
empêcher ce roi d’être vaincu, fait prisonnier, puis égorgé dans sa prison.
L’année suivante, dans une autre expédition menée par le
Comte de la Marche, le vaisseau sur lequel était monté Gilbert sombra devant
Saint-Malo ; tout l’équipage périt sauf les gentilshommes qui se sauvèrent
à la nage.
En 1401, âgé de 15 ans, il entreprit avec le sénéchal du
Hainaut, son premier voyage à Jérusalem. Il s’embarque à Gênes, suit le chemin ordinaire des pèlerins, visite les
Lieux Saints, par Sainte-Catherine, pèlerinage très fréquenté par le Sinaï, par
la ville de Constantinople où il fut reçu par l’Empereur d’Orient et où il vit
beaucoup de reliques, entre autres le fer de la lance qui perça le flanc de
Notre-Seigneur. Après avoir consacré un an à ce voyage et avoir parcouru toute
la Turquie et l’Egypte, il fait relâche dans les îles de la Méditerranée et
revient par la Sicile.
En 1404, il marche sous les ordres du Duc de Bourgogne,
Jean-sans-Peur, contre les Liégeois qui sont défaits. De là, il se rend à
Valence, en Espagne, pour assister, en présence de Martin, roi d’Aragon, à un
tournoi où lui et ses amis étaient autorisés à se mesurer avec quatre
gentilshommes gascons et aragonais.
Le roi Ferdinand de Castille était en guerre avec les maures
qui menaçaient l’Espagne, de Lannoy court s’engager dans son armée en juillet
1405 et prend part à diverses affaires. Il passe en Portugal où le roi
l’accueille avec distinction et lui paie les dépenses de son voyage.
Quelques temps après, il se trouve à Paris assistant à
l’hôtel de Saint-Pol à la séance dans laquelle sont prononcées les célèbres
propositions de maître Jean Petit au sujet du meurtre du duc d’Orléans, en
présence des rois de France et de Navarre, des ducs de Bourgogne, de Bavière,
de Bourbon, de Bar et de Lorraine.
Une seconde guerre rappela Gilbert en Castille. Il part de
l’Ecluse en avril 1408, sur la flotte espagnole, mais celle-ci est en partie
détruite par une tempête et en partie par les vaisseaux anglais qui firent
prisonniers les hommes épargnés par la mer. Un seul bâtiment, celui sur lequel
se trouvait notre jeune guerrier, put s’échapper et parvenir, après six
semaines de voyage, à se réfugier à
Harfleur. De Lannoy se rendit par la Seine à Paris où il acheta des chevaux. De
là, par voie de terre, il se rendit à Séville pour combattre les Maures sous
les ordres de l’infant Ferdinand. Il fut blessé dans une bataille. La guerre
finie et les plaies fermées, il profita de son séjour en Espagne pour visiter
Grenade et les autres principales villes de la péninsule.
A son arrivée en France, Gilbert trouva les Bourguignons
luttant contre les Armagnacs qui venaient de s’allier avec Henri de Lancastre,
devenu roi d’Angleterre. Il entre, en mai 1409, au service du duc Jean de
Bourgogne lequel en fait son échanson. Il abandonne bientôt cette pacifique
occupation pour aider le roi de France à soumettre le Poitou et le Limousin,
sous les ordres du maréchal de Helly.
Ne pouvant rester en repos, l’amour des voyages et son
esprit inquiet l’emportent encore ; après une blessure « dont je
portais, dit-il, la mouche en la cuisse plus de neuf mois », une nouvelle
croisade le fit partir de Flandre où il résidait, non plus contre les maures
d’Espagne mais contre les mécréans de
Pologne. Les chevaliers teutoniques de Prusse nommaient ainsi leurs voisins
auxquels ils disputaient la Poméranie.
Il s’embarque de l’Ecluse, passe devant les îles de Zélande,
la Hollande et la Frise, s’arrête quelques jours dans un petit port de
Danemark, laisse la Norvège à gauche, entre dans le Sund, visite Elseneur et
arrive enfin à Dantzick. Avec les chevaliers de l’ordre teutonique, notre
guerrier se rend successivement dans les îles de la Baltique, en Lithuanie, à
Lubeck, à Koningsberg, en Pologne, en Poméranie. Après avoir été grièvement
blessé au siège de la ville de Massow, que les assaillants durent abandonner,
il reçoit l’ordre de la chevalerie en récompense de son indomptable bravoure.
Une révolte survint dans l’Ordre des chevaliers teutoniques,
plus guerrier que religieux : le grand maître, accusé de favoriser Wiclif,
est arrêté, dégradé, jeté en prison. Gilbert accepte le fait accompli, prend
part à toutes les expéditions et voyage avec les chevaliers. On dirait qu’il a
le don de se multiplier. En même temps, il visite le pays en voyageur.
Il voit Riga et toute la Livonie. En Courlande, quoique la
population soit chrétienne, il trouve une secte dont les membres se font brûler
après leur mort, vêtus de leurs plus riches accoutrements. « Si la fumée
du bois de chêne qui s’élève du bûcher s’élance vers le ciel, des gens-là
croient que l’âme du défunt est sauvée ; si elle prend une direction
oblique, ils sont persuadés qu’elle est damnée. »
Poussé par l’amour des combats, il revient à Riga ;
mais ne trouvant aucune expédition militaire préparée pour la saison, Gilbert
se rend à Novogorod en Russie où il arrive monté sur un traîneau selon l’usage
du pays. « Novogorod, ajoute notre voyageur, est une merveilleuse grande
ville, située dans une belle plaine, entourée de vastes forêts… mais la ville
est fermée par le méchantes murailles faites d’argile et de terre. On y trouve
de riches seigneurs appelés boyards … et un marché où les femmes sont vendues
publiquement. Les dames y portent des cheveux divisés en deux tresses pendantes
sur le dos ; les hommes n’en ont qu’une. »
Sous un costume de marchand, il quitte Novogorod et parcourt
une autre partie de la Russie, voyageant sur un traîneau. Il arrive, après
plusieurs jours de marche, à la cour de Witholt, duc de Lithuanie, dont le
peuple avait embrassé le christianisme grâce aux efforts de l’ordre teutonique.
Ce prince est si généreux, si hospitalier, que tous les étrangers venant en son
pays sont nourris et hébergés à ses frais. Quelques semaines après, Gilbert
retrouve Witholt au château de Posen, sur le Memol, à cinq lieues de Toki,
seconde ville de Lithuanie, où il assiste avec lui à une grande chasse.
Il revient ensuite à Dantzick, s’empresse d’aller remercier
à Mariembourg les chevaliers de l’ordre teutonique du bon accueil qu’ils lui
ont fait, et se rend à la cour du roi de Pologne, visitant, sur son passage
plusieurs châteaux échelonnés sur la route.
Il est reçu par le roi avec la plus grande distinction. Ce
prince donna un magnifique repas en son honneur et lui remit au départ des
lettres pour le roi de France et une coupe dorée en reconnaissance des services
qu’il lui avait rendus en combattant pour lui dans la dernière campagne contre
le duc de Poméranie.
De Lannoy part de la Pologne pour se rendre chez le roi Jean
de Bohème qui se trouvait à Prague. Ce royaume était en proie à de violentes
commotions politiques et religieuses par suite des prédications de Jean Huss.
Notre voyageur se hâte de quitter le pays pour se rendre en Autriche.
M. Léopold Devillers, le savant archiviste de Mons, qui a
compulsé des comptes du Hainaut, fait connaître que les expéditions en faveur
des chevaliers teutoniques étaient coutumières aux jeunes seigneurs du Hainaut,
que le fils du comte y conduisait d’ordinaire. La Prusse, dit-il, « fut
longtemps encore une contrée de prédilection pour tout nouveau chevalier qui
veut acquérir de la renommée » (Léopold Devillers. Sur les expéditions des comtes de Hainaut et de Hollande en Prusse
(Bull. de la comm. D’histoire, 4e série, tome 5, page 127).
Au retour de la Prusse, c’est un pèlerinage qui attire
Gilbert, il part pour l’Angleterre, pays ennemi ; afin de visiter en
Irlande le trou St-Patrice. Il est fait prisonnier par les Anglais, ce qui
l’empêche d’assister au siège d’Arras (1414). Mais le duc de Bourgogne l’aide à
payer sa rançon et il rentre en France à temps pour combattre, être blessé et
fait prisonnier à la bataille d’Azincourt (1415) où il n’échappe à la mort que par
un prodige de sang-froid, et à la prison que moyennant une nouvelle rançon de
1.200 écus.
Messire de Lannoy avait gagné ses éperons en Prusse. Il
conquit à Azincourt, avec les faveurs de Jean-sans-Peur et de son fils, une
haute fonction : le gouvernement du château de l’Ecluse qu’il garda trente
années.
Le fils du duc, alors gouverneur des états du nord pour son
père, lui confie, sous le nom d’office des divines provisions, l’intendance
intellectuelle de sa maison. Guilbert le suit partout, de 1416 à 1419 :
dans la guerre contre les Armagnacs, dans son voyage en Hollande où le comte
commence à s’immiscer aux affaires de Jacqueline de Bavière, dans les
assemblées d’Arras et d’Amiens où Philippe recrute des adhésions à la politique
armée de son père. Là, il fait ses premières armes sur un terrain
nouveau : la diplomatie.
Le duc Jean de Bourgogne, Jean-sans-Peur est assassiné sur
le pont de Montereau, le 10 septembre 1419. Philippe-le-Bon lui succède et veut
venger sa mort. Gilbert est envoyé en Angleterre avec l’évêque d’Arras, près le
roi, et réussit à l’intéresser à la cause de la vengeance du duc.
En 1420, Gilbert est du nombre des hommes de confiance que
Philippe conduite à Montereau afin de s’emparer de cette ville et d’y reprendre
le corps de son père. Il assiste ensuite au siège de Melun, qui dura cinq mois.
Le sire de Brimen y étant mort, Gilbert reçoit, avec le titre de chambellan, le
sceau secret, et pendant trois mois, il ne quitte, ni jour, ni nuit, son
souverain, portant sa bannière devant lui dans la bataille et couchant dans sa
chambre et dans sa tente, comme son premier chambellan.
L’alliance du duc de Bourgogne et de tout le parti
bourguignon français, avec le roi d’Angleterre, faisait des deux souverains,
les maîtres de la France, les arbitres de l’Europe.
L’Orient était alors le grand marché du monde et en même
temps le but des ambitions de la chrétienté et de la chevalerie. Gilbert qui
avait déjà fait un pèlerinage et un voyage dans cette contrée y fut chargé
d’une mission politique par le roi d’Angleterre, en son nom et au nom du roi de
France, dont il était régent, et par le fastueux duc de Bourgogne
« principal esmouveur ».
Ce second voyage diffère du premier : Gilbert n’est
plus un jeune écuyer, attaché au sénéchal de Hainaut ; c’est un
ambassadeur dans l’âge viril, entouré d’une suite nombreuse et brillante. Il
partit de l’Ecluse le 4 mai 1421 avec sept autres gentilshommes flamands,
savoir : le Gallois-du-Bois, Colart le bâtard de Marquette, le bâtard de
Lannoy, Jean de la Roe, Aggregy de Hem, le roi d’armes d’Artois le coppin de
Poucque.
Il envoya ses bagages et joyaux par mer, et lui-même se
rendit par terre en Prusse, en traversant le Brabant, la Gueldre, la
Westphalie, Munster, Brême, Hambourg, Lubeck, Wismar, Rostock, le Mecklembourg
et la Poméranie.
A son arrivée à Dantzick, il trouve le grand maître de
Prusse avec tous les chevaliers de l’ordre teutonique ; à qui il remet les
lettres et les présents dont il était porteur pour lui : « Ce
seigneur, dit Gilbert, me fit grand honneur, il me donna plusieurs diners, un
roussin et une belle haquenée … Je laissai en cette ville mon parent, Aggregy
de Hem, chez le grand maître, messire Michel Cocquemeister, où il séjourna deux
ans pour apprendre l’allemand. »
De la Prusse, Gilbert se rendit auprès du roi de Pologne qui
se trouvait à Oziminy au milieu d’un désert : « ce prince me fit un
grand honneur et envoya à trente lieues au-devant de moi pour payer les
dépenses de mon voyage. Au milieu du désert où il était, il me fit un beau logis
de feuillages et de rameaux verts… et il m’amena à la chasse pour prendre les
ours sauvages vivants ; il me donne de beaux diners, à l’un desquels il y
avait plus de cent vingt plats. »
Le roi de Pologne lui remit des lettres de recommandation
pour l’empereur des Turcs, avec qui il avait fait la guerre contre le roi de
Hongrie. Il lui donna, comme marque de munificence, deux chevaux, deux
haquenées, deux draps de soie, centre martres zibelines, des gants de Russie,
trois coupes recouvertes en argent doré, cent florins de Hongrie et cent
florins de Bohème. Les gentilshommes qui l’accompagnaient ainsi que ses gens de
service, tels que les cuisiniers, valets d’écurie et autres, furent également
comblés de présents.
Gilbert était partout traité en ambassadeur de deux rois et
d’un duc puissants. A Lembeck, il fit grande chair et danse avec les dames de
la ville. A Belfz, la duchesse de Moscovie, sœur du roi de Pologne, envoie des
vivres et des provisions à son hôtel. Arrivé à Kamieniec, il revoit Witholt,
duc de Lithuanie, de Lannoy le salue de la part des rois de France et
d’Angleterre « lequel seigneur me fit aussi grand honneur et bonne chère
et me donna trois fois à diner où je trouvais la duchesse sa femme et le duc
Sarrazin de Tatarie ; c’est là que je vis manger un vendredi, au même
repas, de la viande et du poisson… Il y avait là un khan tartare portant une
barbe qui lui descendait jusque sous les genoux. »
Voulant lui donner toute sécurité pour son voyage, Witholt
le fit accompagner d’une escorte de deux Tartares et de seize russes pour
pénétrer en Turquie.
C’est avec satisfaction que de Lannoy aime à parler des
réceptions qu’on lui fit dans le Nord : « Il me remit, écrit-il
encore, deux vêtements de soie, deux martres zibelines, quatre chevaux, quatre chapeaux
pointus de sa livrée, dix couvre-chefs dorés, quatre valises en cuir de Russie,
un arc, des flèches et un carquois de Tartarie, etc., etc. Il y ajouta cent
ducats et vingt pièces d’argent, valant cent ducats. Mais je refusais cet
argent et je lui rendis, parce que, en ce moment-là, il était allié avec les
Hussites contre notre vraie foi. La duchesse, sa femme, m’envoya un cordon d’or
et un florin de Tartarie, destiné à être porté au cou pour sa livrée, etc.,
etc., mes gentilshommes reçurent également des cadeaux. »
L’ambassadeur voyage ensuite à travers la haute Russie, la
Podolie, la Valachie et s’en va trouver à Cozial le Waïwode Alexandre qui lui
apprend la mort de l’empereur turc, lui parle de la guerre que cet événement a
soulevée et le détourne de continuer son voyage de ce côté. Il traverse de
vastes déserts et arrive à Bialigorod sur la mer Noire, où il fut victime d’un
attentat qui, heureusement, n’eut pas de suite fâcheuses : « à
l’entrée de la nuit que je rentrais à Bialigorod, nous fûmes, mon truchemen et
moi, attaqués inopinément, jetés par terre et dépouillés de tout ce que nous
avions sur nous. Je fus blessé assez fort au bras ; on m’ôta mes vêtements
et l’on m’attaché tout nu à un arbre sur les bords du Dniester. Je passai toute
une nuit en cette position craignant d’être assassiné ou noyé dans la rivière.
Mais le lendemain, les voleurs me vinrent délivrer et je pus rentrer en ville,
seulement vêtu de ma chemise. Je perdis en cette affaire environ 120 ducats et
autres choses précieuses. Je fis tant auprès du Waïwode Alexandre, qui était
seigneur de Bialigorod, que neuf de ces voleurs furent saisis ; on me les
livra la corde au cou. Mais comme ils me restituèrent mon argent, j’intercédai
pour eux et je leur sauvai la vie. »
Poursuivant son voyage, l’ambassadeur envoya ses gens et ses
bagages par mer à Caffa en Crimée et se rendit en cette ville par de vastes
déserts qui lui prirent dix-huit jours de marche. Il trouva campé sur le Dniepr
un Khan tartare, qui le reçut gracieusement, lui servant des esturgeons cuits
avec une sauce excellente. Puis il l’aide à passer avec toute sa suite le
Dniepr, qui a une lieue de large en cet endroit, sur un pont de bateaux.
De nouvelles aventures attendaient Gilbert pendant ce
voyage.
« Deux jours après que j’eus quitté Jambo, dit-il, me
survint une fâcheuse aventure, je perdis pendant une nuit et un jour une partie
de mes chevaux, mes truchements, mes gens et des guides, au nombre de
vingt-deux. Des loups sauvages et affamés s’étaient jetés sur mes chevaux pendant
que je reposais au milieu d’une forêt solitaire, ils avaient suivi à plus de
trois lieues mes gens qui avaient pris la fuite. Mais le lendemain, avec la
grâce de Dieu et au moyen de plusieurs pèlerinages que mes gens et moi promîmes
d’accomplir, nous retrouvâmes tout notre monde… Peu de temps après, il m’arrive
encore une aventure : comme je me rendis chez un Khan tartare, qui
demeurait à une journée de là, au désert de Caffa, et vers lequel je me rendais
comme ambassadeur, je tombai dans une embuscade de soixante à quatre-vingt
tartares à cheval qui s’élancèrent hors des roseaux et qui voulurent s’emparer
de moi … mais comme je pus leur démontrer que leur Khan était un grand ami du
duc Witholt, ils me relâchèrent moyennant un cadeau en pain, en argent, en vin
et en martres, et ils me conduisirent même en un lieu sûr. »
Gilbert arriva enfin à Caffa en Tartarie, qui appartenait
aux Génois, les habitants de cette ville lui firent honneur, le traitèrent avec
distinction et lui offrirent vingt-quatre caisses de confiture, quatre torches,
cent caisses de cire, un tonneau de malvoisie et du pain ; ils lui
bâtirent même un logement dans la ville. Il songea immédiatement à réunir tout
ce qu’il fallait, guides, truchements, équipages, pour tourner la mer Noire et
se rendre par terre à Jérusalem ; mais il lui fut impossible d’accomplir
cette résolution ; il y avait d’immenses déserts à traverser, il fallait
passer au milieu de différents peuples de mœurs, de langues et de religions
diverses, de sorte qu’il prit le parti de vendre ses chevaux et de s’embarquer
sur une galère vénitienne qui le conduisit à Constantinople.
L’ambassadeur trouva en cette ville, le vieil empereur
Manuel et son jeune fils : « Je leur présentai, dit-il, les lettres
des rois de France et d’Angleterre et je leur manifestai le désir qu’avaient
ces deux monarques de voir se réunir l’Eglise de Rome à l’Eglise grecque. Cette
affaire fut débattue en présence de l’envoyé du Pape et dura plusieurs jours
…Le jeune empereur me mena à la chasse et me donna le dîner dans les champs. A
mon départ, le vieil empereur me remit trente-deux aunes de velours blanc et me
fit montrer les merveilles et anciennetés de la ville et des églises … il me
fit cadeau d’une croix avec la grosse perle et qui contenait cinq grandes
reliques… Je donnais depuis cette belle croix à notre chapelle de famille en
l’église St-Pierre à Lille. »
Gilbert de Lannoy quitte avec peine l’ancienne Byzance,
oubliant sa qualité d’ambassadeur, il voulait aller combattre Moustapha qui, au
mépris des traités conclus avec l’empereur d’Orient, avait voulu étendre plus
loin l’empire qui lui était assigné. Il espérait qu’il y aurait là de bons
coups d’épée à donner, et déjà il avait frété un bâtiment qui était prêt à
partir, lorsque l’empereur Manuel fit arrêter le navire, ne voulant pas qu’il
exposât sa vie pour si peu.
Au lieu d’aller en guerre, le navire prit la route de l’île
de Rhodes où il laissa ses bagages et ses joyaux, ainsi qu’une horloge d’or que
le roi d’Angleterre lui avait remise pour l’empereur turc, mais qu’il n’avait
pas pu lui offrir puisqu’il était mort au moment de son arrivée. C’est dans
cette île qu’il se sépara de ses nombreux compagnons, avant de continuer son
voyage pour Jérusalem, il conserva seulement avec lui le roi d’armes d’Artois
et Jean de la Roë.
Gilbert se rend d’abord à l’île de Candie où il passe six
semaines en fêtes et diners, il y est choyé par tous les gentilshommes de cette
île, qui appartenait aux Vénitiens. Un autre navire le conduit ensuite à
Alexandrie. De cette ville, il se dirige par terre à Rosette, où il embarque
pour le Caire : « Au Caire, je visitai, dit-il, tout ce qui était à
visiter ; je fus reçus par le patriarche de l’inde, qui m’offrit comme
ambassadeur du roi de France, une fiole de fin baume de vigne, recueilli dans
le pays dont il est le seigneur. Puis, accompagné de truchements sarrasins, et
muni de tentes et de victuailles, dont nous avions chargé des chameaux et des
ânes, je fis le voyage de Sainte-Catherine du Mont Sinaï, en traversant les déserts
d’Egypte et en côtoyant la mer Rouge pendant onze jours… Il y a là une église
qui a la forme d’un château-fort carré ; on y voit réunies les trois lois
de Jésus-Christ, de Moïse et de Mahomet, occupant chacune une église
séparée ; dans celle de notre culte repose la plus grande partie du corps
de Sainte-Catherine… Je montai sur la montagne où notre seigneur donna la
première loi à Moïse ; et enfin plus haut encore, à l’endroit où le corps
de Sainte-Catherine fut enseveli par les anges du paradis … Dans une autre
partie du désert, j’allais visiter une pierre carrée merveilleusement grande,
qui servit jadis au peuple d’Israël. On y voit douze sources d’où jaillissent
autant de fontaines d’eau vive qui abreuvaient les douze lignées d’Israël.
Cette pierre est là, seule, à moitié cachée sous le sable, loin du rocher et
des montagnes. »
Gilbert consacra ensuite seize jours à descendre le Nil,
visitant sur son chemin une église chrétienne de Saint-Georges, une abbaye de
Jacobins, dédiée à Saint-Antoine, où il y avait cinquante moines circoncis,
quoique chrétiens, et l’ermitage de Saint-Paul au désert. Près de cet ermitage,
il va de pauvres malheureux tout nus se battre pour obtenir un peu d’eau et
étancher leur soif.
Le 13 juin 1422, il s’embarque sur un bras du Nil et arrive,
au bout de trois jours, à Damiette. Il fut ensuite conduit à Rama et atteignit
enfin Jérusalem.
Arrivé à la ville sainte, le voyageur s’arrête. Il énumère
longuement les endroits visités par les chrétiens qui vont en terre sainte.
Voici comment il commence le récit de ces pèlerinages : « Vous devez
savoir que dans tous les lieux ci-dessous nommés où vous trouverez le signe de
la croix. Il y a pleine absolution de peine et de châtiment. Et là où l’on ne
rencontre pas ce signe, on jouit de sept ans et de sept quarantaines de
pardon. »
Il consacre plusieurs pages à cette nomenclature, on dirait
que de Lannoy a déposé l’épée et le haubert de chevalier pour prendre le froc
monastique et le bourdon, ne voulant entretenir le lecteur que de choses pieuses.
Cependant ces pèlerinages étaient aussi un voyage de reconnaissance au point de
vue militaire. Gilbert n’oublie pas de décrire les lieux comme soldat et il est
à supposer qu’il mêlait les deux espèces de notes pour détourner au besoin les
soupçons. Ses récits donnent un état complet des souvenirs religieux des
légendes et même des traditions plus ou moins superstitieuses se racontant
alors sur la Terre sainte. Voici comment ils sont classés : Syrie et
Egypte – Ville de Jérusalem – Vallée de Josaphat – Mont des Oliviers – Montage
de Sion – le Jourdain – Bethléem – Montagne de Judée – Cité d’Ebron – Nazareth
– Mer de Galilée – Mer de Syrie.
Après la nomenclature descriptive des pèlerinages, Gilbert
continue son récit sans d’autres divisions que celles des chapitres. Le pèlerin
fait place au diplomate et au soldat : nous trouvons une reconnaissance
militaire exacte, complète, d’une netteté et d’une sagacité remarquables.
C’est à cette partie du récit que
commence le manuscrit de la Bibliothèque Bodléienne d’Oxford publié en 1821 par
Webb, sous le titre : A Survey of
Egypt and Syria under taken in the year 1422, by Sir Gilbert de Lannoy ( Le
manuscrit de la Bibliothèque Boldéienne d’Oxford a pour titre : Ch’est le rapport que fait messire
Guillebert de Lannoy, et forme un beau volume, vélin, lettrines historiées,
sans miniatures ni cartes. La traduction en anglais de J. Webb a été publiée
dans l’Archeologia Britannica, t. XX,
p. 281-444). Après avoir fait une longue description d’Alexandrie et du bras du
Nil dont l’embouchure est à Rosette, voici ce que dit Gilbert en parlant du
Caire :
« C’est la principale ville de l’Egypte ; elle est
située sur le Nil qui vient du Paradis-Terrestre ; elle est composée de
trois villes autrefois distinctes : Babylone, Boulacq et Le Caire
proprement dit. Elle a trois lieues françaises de long sur une lieue de large.
Depuis une vingtaine d’années, elle est tombée en assez grande décadence. On y
voit une très nombreuse population ; on y rencontre des marchandes des Indes
et de toutes les parties du monde. Au bas de la montagne qui domine Le Caire se
trouve un vaste château où réside le Soudan et dont les eaux sont alimentées
par le Nil. Des murailles et des fossés entourent la ville, ce qui n’empêche
pas que pendant les grandes crues d’eaux tout ne soit inondé. Les fondements
des maisons sont en pierre, briques ou terre cuite, et les combles en chêne et
en mauvais matériaux revêtus de terre légère. … En allant vers la mer où croit
le baume, on remarque un espace de
deux milles de long sur un de large, où toutes les maisons sont en ruines et
sont abandonnées par suite de la mortalité qui y atteint la population. Le
château ou palais se compose d’une quantité innombrable d’habitations. Outre le
Soudan et sa cour, on y loge près de 2.000 esclaves à cheval que ce prince
tient à sa solde et qu’il emploi à garder sa personne, ses femmes et ses
enfants. Entre le château et la ville se trouve une belle et grande place comme
un marché, autour de laquelle sont bâties cinq mosquées. Au surplus, toutes ces
choses, on ne peut les avoir que par information, car aucun chrétien ne peut
pénétrer dans ce château. »
Le voyageur entre ensuite dans des détails intéressants sur
l’état du Soudan d’Egypte, son pouvoir, son administration et ses forces
militaires. Il consacre deux chapitres pour caractériser la différence qui
existait entre l’Egypte et la Syrie sous le rapport de la population.
« L’Egypte est un pays plat et ouvert ; la Syrie, au contraire, a des
rochers et des montagnes ; les Sarrazins, natifs de Syrie, sont meilleurs
gens de guerre et plus propres à la défense du pays que ceux d’Egypte ;
ils ont, en général, d’excellents chevaux ; ils sont armés d’arcs, de
flèches, d’épées, etc. … De même qu’en Egypte, in trouve autour de Damas et de
Jérusalem et dans presque toute la Syrie, des Arabes, qui, en temps de guerre,
viennent au secours de leur seigneur, montés sur des chevaux ou des chameaux.
On rencontre aussi dans ce pays des Turcomans, gens natifs de Turquie qui ont
l’autorisation de résider sur les terres du Soudan et qui forment une
population nomade, fort bien armée et très courageuse ; ils sont aussi
beaucoup plus braves que les Arabes ou les Sarrazins du pays, aussi les
redoute-t-on beaucoup. »
L’ambassadeur, dans toute sa description, tient à instruire
les princes, ses mandants, de toutes les particularités qui concerneront les
forces dont les Sarrazins pourraient disposer en cas d’attaque. Il en est de
même pour tout ce qui se rapporte au Nil, à son cours et à ses débordements.
Voici un fait qu’il raconte à propos de la crue des eaux de ce fleuve.
« j’appris que le motif qui fait grossir chaque année
le Nil est l’abondance de pluies qui tombent vers les mois de mars et d’avril à
environ cent journées du Caire, dans le royaume du prêtre Jean, où ce fleuve
passe. … Le Soudan ne saurait empêcher la crue du Nil, mais le prêtre Jean le
pourrait faire et donner même un autre cours au fleuve, s’il le voulait ;
mais il s’abstient pour ne pas faire mourir de faim la grande quantité de chrétiens
qui habitent l’Egypte. Quant au Soudan, il ne laisse aller aucun chrétien en
Judée par la mer rouge ou par le Nil, de crainte qu’il ne se rendre chez le
prêtre Jean pour traiter avec lui le moyen de changer le cours du
fleuve. »
Le Nil conduit de Lannoy à Damiette où il étudie d’une
manière particulière la rivière et les riviérettes qui en partent et vont
tomber dans le port de Thènes, parle du lac de Lestaignon. Puis il décrit
Thènes, Joppé qui jadis était une grande ville fermée mais ruinée, et les où
les pèlerins logeaient dans trois caves abandonnées, Rama, grosse ville non
fermée, bien bâtie de maisons en pierres blanches, située au milieu de
magnifiques jardins, Jérusalem à qui il ne consacre que peu de mots.
« De Rama à Jérusalem, il y a vingt milles : tout
ce pays est dur et montagneux, pauvre et sauvage, point de culture ;
seulement on y trouve quelques vignobles. En chemin, on rencontre trois ou
quatre châteaux édifiés jadis par les chrétiens et quelques villages …
Jérusalem est située au penchant d’une montagne, au-dessus de la vallée de
Josaphat … ; c’est une ville bien bâtie, les maisons sont belles, toutes
ont une terrasse, l’eau y est rare et chère, car il n’y pleut presque pas ...
La meilleure eau qu’on y trouve est celle d’un puits creusé dans l’église du
Saint-Sépulcre. Hors de la ville, à l’Orient, on remarque un petit château
désemparé à une portée de canon de la
ville et dans les murs un autre petit château bâti en belles pierres blanches
taillées, appelé le château de David, celui-ci est habité et gardé … La cité
est fermée tout autour de murailles peu élevées et de mauvaises tours ;
les fossés ne sont pas meilleurs, aussi ne saurait-elle résister longtemps à
une attaque, ce qui fait sa force, c’est qu’elle a une position très favorable
… Le pays des environs est pauvre, plein de montagnes et privé d’eau. »
Après Jérusalem, notre voyageur visite et décrit Saint-Jean-D’acre,
Beyrouth, Damas et Gallipoli. Lorsqu’il a terminé la relation de son voyage en
Terre-Sainte, Gilbert de Lannoy démontre aux deux rois et au duc à qui ce
rapport est destiné, combien il est facile de descendre en Syrie avec une bonne
armée :
« Vis-à-vis de Gallipoli, entre la mer appelée le
détroit de Romanie, il y a une belle tout d’où les Turcs passent d’un pays à l’autre,
la mer n’y a guère que trois ou quatre milles de large. Celui qui s’emparerait
de cette espèce de château et du port qu’il commande serait maître du passage,
et les Turcs ne sauraient conserver un pied de terre en Grèce. De
Constantinople à Gallipoli, il y a cent cinquante milles. Devant cette deuxième
ville, la mer est sûre ; on y pourrait parfaitement mettre de gros navires
à l’ancre. »
Messire de Lannoy revient par Rhodes et Venise, mais en
traversant l’Allemagne, il fut arrêté par le bâtard de Lorraine ; le comte
de Vaudémont intervint en sa faveur, et il eut sans obstacle poursuivre son
voyage. Il se rendit à Londres et fit au jeune roi d’Angleterre un rapport
détaillé sur la mission que lui avait confié le roi son père. Il lui remit
ensuite en plein conseil, l’horloge
en or dont nous avons parlé plus haut et qui avait d’abord été destinée au
grand Turc. Le roi d’Angleterre récompense généreusement son ambassadeur, lui
donna au départ 300 nobles et le défraya de toutes ses dépenses.
La vie guerrière de Gilbert de Lannoy recommence ensuite en
1426, il va combattre contre les Hollandais ou plutôt contre la célèbre
Jacqueline de Bavière, devient gouverneur de Rotterdam, et assiste, l’année
suivante à la bataille de Brouwershaven avec le duc de Bourgogne.
Aux combats succède une ambassade, le duc Philippe-le-Bon
l’envoie, en 1428, vers le roi de Bohême et le duc d’Autriche, pour traiter
l’affaire des Hussites en Hongrie. A bade, il rencontre l’empereur Sigismond
qui lui accorde l’insigne honneur de porter devant lui l’épée impériale pendant
une grande cérémonie.
Pour le récompenser à son retour, le duc Philippe de
Bourgogne lui donne rang parmi les premiers vingt-cinq membres des chevaliers
de la Toison d’Or, ordre qu’il venait de créer.
Profitant d’une ambassade près du roi d’Ecosse dont il est
chargé en 1430, Gilbert va visiter, une seconde fois, en Irlande, le trou de
saint Patrice dont il a fait la description.
« L’endroit du purgatoire de saint Patrice ressemble à
une fenêtre flamande fermée à clef. Le trou à neuf pieds de long ; il est
maçonné de pierres noires. Dans ce trou, où je restai enfermé pendant trois
heures, se trouve l’orifice de l’enfer que saint Patrice recouvrit d’une grosse
pierre. »
Les gens de Cassel s’étaient rebellés, Gilbert accompagna le
duc de Bourgogne pour les combattre, mais ils se rendirent. Cette expédition
terminée, il est envoyé, en 1433, avec l’évêque de Nevers, élu archevêque de
Besançon et autres au concile de Bâle.
Après avoir perdu sa deuxième femme, de Lannoy partit, le 2
janvier 1435, en pèlerinage à Saint-Jacques en Galicie pour accomplir un vœu
fait lors du trépas de sa femme. A son retour, il va rejoindre le duc de
Bourgogne, dont il rencontra l’armée entre Saint-Omer et Gravelines. Le 2
juillet 1437, il eut à soutenir un siège à l’Ecluse que les Brugeois avaient
mis devant cette ville et qui dura dix-huit jours.
A cette date, se produit, dans la vie de Gilbert, un espace
de sept ans durant lesquelles on ne trouve rien en dehors du siège de l’Ecluse,
nous ne savons pas ce qu’il fit.
En 1442, de Lannoy reprend ses voyages. Le duc de Bourgogne
lui donne mission de se rendre auprès de l’empereur à Francfort. Peu de temps
après, il fit un nouveau voyage à Jérusalem ; il partit de Lille le 30
août 1446 chargé d’une mission secrète pour le roi d’Aragon qu’il rencontra aux
environs de Naples. Il s’embarqua dans cette ville le 30 décembre, vit de
nouveau Candie, Rhodes, la Turquie, la Syrie et arriva par terre à Jérusalem où
il séjourna quelques temps. Il revint par mer à Trieste, traversa le Frioul,
Meningon, Ulm, Spire, Mayence, Cologne et rentra dans sa patrie après deux ans
d’absence. Nous arrivons à la fin du manuscrit de Gilbert de Lannoy qui se
termine par ses phrase « l’an cincquante (1450) fut l’an de la Jubilée, je
fus aux grans pardons à Romme, etc. »
CY FINENT LES VOYAIGES QUE FIST MESSIRE GUILLEBERT DE
LANNOY, EN SON TEMPS SEIGNEUR DE SANTES, DE WILLERVAL, DE TRONCHIENNES, DE
BEAUMONT ET DE WAHEGNIES.
Comme l’indiquent ces lignes, Gilbert de Lannoy termina ses
relations de voyage par un pèlerinage à Rome à l’occasion du Jubilé de 1450. A
partir de cette date, il est difficile de le suivre durant les douze années
qu’il vécut encore.
En 1452, Gilbert eut la douleur de perdre sa troisième
femme. En la même année et en 1453 on trouve un seigneur de Lannoy faisant
partie d’une expédition contre les Gantois, sans pouvoir préciser si c’est
Gilbert. En 1454, nous retrouvons encore un sire de Lannoy assistant au vœu du
Faisan à l’occasion duquel eut lieu à Lille le fameux repas donné, dans le
palais de la Salle, par Philippe-le-Bon, duc de Bourgogne, connu sous le
nom : repas du faisan. Ni
Olivier de la Marche, ni Mathieu de Coucy, ne donne de prénom. Tout porte à
croire que c’était Gilbert, qui avait été l’ambassadeur envoyé en Orient pour
préparer les voies de la Croisade, objet de ce vœu. En 1461, nous voyons encore
un de Lannoy dans l’escorte du duc de Bourgogne qui accompagna Louis XI
rentrant d’exil pour monter sur le trône ; le prénom manque encore.
Gilbert avait alors 75 ans ;
Enfin, le 22 avril 1462, Gilbert de Lannoy mourut et fut
enterré dans l’église Saint-Maurice à Lille, devant le grand autel.
Nous trouvons son épitaphe décrite dans l’ouvrage : le
Mausolée de la Toison d’or, page 13 (Le Mausolée de la Toison d’Or ou les
tombeaux des chefs et des chevaliers du noble ordre de la Toison d’Or,
contenant les éloges, suscriptions, épitaphes, alliances, symboles, emblèmes,
médailles, devises, épithètes et cris de guerre. A Amsterdam, chez Henry
Desbordes, dans la Calverstraete, 1689, 463 p. et table, in-12)
Cy gist Chevalier
Messire Guillebert de Lannoy,
seigneur de Willerval, & de Tronchiennes, Frère et compagnon de la Toison
d’or, qui donna mille écus de quatre 5 de gros monnoye de Flandres, pour
l’entretien du Service Divin en ladite Eglise, & trépassa anno 1463, le 22
avril.
En la même tombe gist Dame Isabelle de Drinckam, Dame de Willerval, ma très-chère & bien
aymée compagne laquelle trépassa anno 1452 le 11 de febvrier.
Et de l’un des cotés estoient les cartiers suivans :
Lannoy, Molembais, Mingoval, Mailly, Drinckam, Flandre, Gistelles, Dixmude
& de l’autre coté : Lannoy, Molembais, Mingoval, Mailly, Ghistelles,
Dudscel, Craon, Chastillon.
Ses armes portaient d’argent à trois lions de sinople armés,
lampassés de gueules et couronnés d’or. Son cri d’armes était Vostre plaisir.
Guerrier, voyageur et diplomate, Gilbert de Lannoy semble
avoir été aussi un moraliste. Il a laissé des enseignements paternels. M.
Barrois mentionne deux fois après les inventaires de la Bibliothèque de
Bourgogne l’ouvrage suivant : Instructions
d’un jeune prince pour se bien gouverner envers Dieu et le monde. On lui
attribue encore d’autres écrits.
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