mardi 28 mai 2019

La Division de Sintine en deux paroisses - Grande et Petite Synthe


par le Docteur L. Dewevre, Maire de Petite-Synthe

Extrait du Tome XXIII du "Bulletin de l'Union Faulconnier", Dunkerque, 1926

Si tout le monde reconnait que les deux communes de Grande et Petite-Synthe ont dut former autrefois une seule commune nommée Sinte et que Petite-Synthe, à l'époque de son détachement était un petit hameau d'une importance bien inférieure à celle de la commune mère, personne n'a pu fixer jusqu'à présente, même d'une façon approximative la date de cette séparation.
 
Or nous avons pu établir d'une façon à peu près exacte la date de cette séparation en confrontant ensemble certains documents que nous avons trouvés dans diverses archives. Le dernier document où il est encore fait mention de Sinte (tout court) remonte au mois de mars 1268. Au point de vue qui nous occupe il a une importance capitale. Nous avons trouvé ce document dans les archives de l'Abbaye des Dunes. Il a trait à une reconnaissance par Jean, doyen de la Chrétienté de Bergues d'une cession faite à l'abbaye des Dunes, par Jean Vos, d'Aremboudscappelle (signalons en passant que cette dénomination est une transition entre Erembaldi-Cappelle et Armbouts-Cappel) d'une rente annuelle, de douze sous, trois deniers, d'une obole assignée sur cinq mesures de terres, appartenant à ce monastère et voisine de leur ferme de Sinthe à Eremboudscappelle.
 
Pour bien comprendre le sens de cette donation, il faut savoir d'abord que si la ferme de Sinthe appartenant à l'abbaye des Dunes existait bien à Synthe (ferme Debavelaere actuelle), elle comprenait beaucoup de terres de l'autre côté du canal de Bourbourg sur Armbouts-Cappel, ce qui avait obligé les moines, comme nous l'avons dit ailleurs, à faire un pont de communication sur le canal de Bourbourg. Une ferme n'était pas seulement alors un bâtiment mais toute la terre dépendant de l'exploitation? Il faut savoir ensuite qu'à cette époque, et la chose dura jusqu'à la Révolution, il était d'usage de faire des donations par testament sous forme de rentes foncières.
 
On laissait telle terre à un parent, mais on laissait à un autre, tel revenu sur cette terre. Cet usufruit se léguait par héritage et la terre tout en passant aux mains de différents propriétaires, restait grevée à perpétuité de cette espèce de servitude de rente.
 
Dans le cas qui nous occupe, il est fort probable que les moines venaient d'acheter ces cinq mesures ou venaient d'en hériter. Ils étaient ennuyés d'avoir une sorte d'hypothèque non remboursable sur des terres, hypothèque qui appartenait à Jean Vos. Il est à remarquer que ces terres ne devaient pas avoir grande valeur, tout au moins lors de l'établissement de la rente qui pouvait, à vrai dire, remonter à plusieurs siècles, puisque le donateur pour pouvoir assurer cette rente de 12 sous 2 deniers, une obole avait été jugée nécessaire de la gager sur cinq mesures de terre. Il est possible aussi que cette précaution avait été prise pour ne pas trop déprécier la terre, une mesure frappée seule de cette rente, devait évidemment perdre beaucoup plus de sa valeur qu'en en rapportant un cinquième.
Ce qui nous intéresse dans ce document, c'est qu'en 1268, il n'y avait pas encore deux paroisses distinctes à Synthe.
 
Or, en avril 1298, le roi de France dans un acte signé par lui à Saint-Germain en Laye, nous parle de Petite-Synthe qu'il appelle Sintine Capelle.
 
Voici la copie que nous avons faite de ce document si important pour l'histoire de notre commune.

"Philippe, roi des Français, voulant récompenser les services de Simon Lauwart et l'indemniser des pertes qui s'élèvent à 2.400 livres de pars, lui cède en échange de quelques biens et revenus, d'autres domaines et notamment un moulin à vent à Sintine Capelle et la mairie et châtellenie de Bourbourg qui avait été confisquée sur le Comte Guy. Fait à Saint-Germain en laye, au mois d'Avril de l'année du Seigneur 1298"

Nous voyons donc que la division de la paroisse de Sinte s'est effectuée entre les dates de ces documents de 1262 à 1298. 
 
Nous avons essayé de serrer le problème de plus près et avons cherché un document nous rapprochant davantage encore de la date exacte. Or nous avons trouvé carton E, N° 97, archives du Conseil de Flandre à Gand, un document des plus intéressants pour nous. Il s'agit d'un testament fait par un clerc de l'église de Mardyck appelé Adam. Cet Adam était originaire de Mardyck, son frère guillaume, appelé Guillaume de Mardyck était religieux à l'Abbaye des Dunes. Il fut l'exécuteur testamentaire d'Adam, avec Jean de Rexpoëde, curé de Merckeghem, et Henri de Slipe, chapelain de Furnes.
 
Or, parmi les très nombreuses donations faites aux églises de Mardyck, de Loon, de Spycker, de Coudekerque, de Dunkerque, de Ghyvelde, de Zuydcoote, nous relevons une donation de six sous à la table des pauvres de l'église Zintine (Zintine Templum) (Grande-Synthe) et la même somme à la table des pauvres de l'église de Zintine Capella (petite-Synthe).
 
Or le testament date de 1273, c'est donc entre 1262 et 1273 que la division avait eu lieu, remarquons qu'Adam donne la même somme aux deux paroisses, ce qui permet de supposer qu'elles étaient déjà d'importance à peu près égale, et qu'en conséquence Petite Synthe, Zintine Capella, n'était pas née de la veille.
 
Remarquons, en outre, que notre paroisse semble déjà bien organisée. Il ne s'agit pas d'une chapelle de secours, mais d'une vraie paroisse pourvu de son bureau de bienfaisance (table des pauvres).
Nous avons pensé, qu'en raison de l'importance de cet acte de séparation, nous devrions en trouver trace, soit dans les Archives du Décanat de Bergues, soit dans celles de l'Abbaye de Saint-Winoc, mais nous n'y avons rien trouvé. Nous n'avons pas été plus heureux en dépouillant des archives du comte de Flandre de l'époque.
 
Marguerite de Flandre, femme de Guillaume de Dampierre, était héritière du Comté de Flandre qui devait revenir à son fils Guy (Guy de Dampierre, né en 1225). Dès 1251, elle l'avait associé à son gouvernement et lui laissa le pouvoir intégral en 1278.
 
C'est donc sous le règne de la Comtesse Marguerite que la division s'est faite, mais nous n'avons pu trouver dans ses chartes, aucune allusion à notre séparation. En tout cas, nous pouvons admettre, comme date de séparation, l'année 1268 et si nous nous trompons, nous ne pouvons certainement nous tromper que de quelques mois.
 
Parmi les raisons qui nous ont fait adopter cette date il en est une qui a sa valeur.
 
A cette époque, on se préparait, en effet, à une nouvelle croisade et le fils de notre comtesse Marguerite, Guy de Dampierre montrait à ce point de vue une activité débordante, secondé par ses deux fils qui devaient l'accompagner en terre sainte.
 
Dès le mois de juillet 1268, le pape Clément IV l'avait autorisé à encaisser toutes les dîmes qui avaient été levées pour la croisade.
 
Guy de Dampierre, pour participer à cette croisade, avait besoin d'argent, et comme l'argent devait surtout venir de l'église, il avait distribué beaucoup de faveurs aux abbayes et aux paroisses, espérant dédommager moralement les contribuables des lourdes dîmes qu'ils avaient dû fournir.
 
En 1269, les préparatifs de Guy étaient terminés et le 4 juillet 1270, il s'embarquait pour la croisade à Aigues-Mortes, avec le roi de France Louis IX.
 
L'administration de la Flandre restait à la comtesse Marguerite, sa mère, alors âgée de 68 ans.
 
La création de la paroisse de Petite-Synthe, réclamée par l'abbaye Saint-Winoc, fut donc vraisemblablement une des faveurs accordées à cette abbaye à l'occasion de la croisade.
 
Disons, en terminant, qu'en signant son testament, Adam nous prévient qu'il l'a écrit le lendemain de la fête de Saint-Clément.
 
Si cette fête tombait alors comme aujourd'hui le 23 novembre, c'est donc le 24 que le testament a été signé.
 
En résumé, la date de 1268 doit être considérée comme celle de la division de l'antique Sintine en grande et petite Synthe.

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