A MESSIEURS
MESSIEURS LES COMMISSAIRES DE LA
TRESORERIE-NATIONALE
MESSIEURS,
Le sieur Martin, trésorier-payeur
des guerres, au département de DUNKERQUE, à l’honneur de vous adresser une
réclamation, dont les motifs sont puisés, dans l’équité, et que, par
conséquent, votre justice ne peut qu’accueillir.
L’Assemblée nationale
constituante a porté ses vues d’économie sur la partie des trésoreries. Les
réformes qu’elle a ordonné étoient nécessaires, sans doute, puisqu’un meilleur
ordre de choses les exigeoît. Mais l’équité du corps législatif ne lui a pas
permis de perdre de vue les adoucissements qu’elle pouvoit réserver à ceux sur
qui alloient tomber les rigueurs de
circonstances.
Cependant, si l’on peut dire
qu’en général ces sortes d’adoucissement sont, en quelque sorte, un devoir de
la législation, n’est-il aucuns caas où ce devoir ne satisferoit pas à l’exacte
justice ? Le Sieur MARTIN ose le penser. Il fait plus, il ose croire qu’il
est personnellement dans la position d’obtenir davantage : son remplacement.
Quels sont ses titres pour le demander ?
Près d’un siècle de services
rendus, soit par ses ancêtres, soit par lui, sans interruption, dans la même
partie et dans les mêmes lieux, forme ce titre et fait l’apologie des principes
d’honneur, de probité et d’exactitude qui leur ont mérité une confiance aussi
longue. Les principes constitutionnels font des vertus et des talens des
citoyens un devoir sacré aux bienfaits et aux récompenses du
gouvernement ; celui qui les a reçus, comme un héritage de ses Pères, qui
les a pratiqué, comme eux, ne pourroit-il pas s’en enorgueillir et les
invoquer ?
Une longue possession, qu’on ne
rappelleroit que pour favoriser un abus, ne seroit pas un considération à faire
valoir, mais lorsque cette possession est glorieuse, à ceux qui en ont joui,
elle devient sans doute, d’une considération, même très puissante. Telle est la
position du sieur MARTIN.
Son ayeul paternel a rempli la
place de trésorier-payeur des guerres, au département de DUNKERQUE pendant
cinquante-trois ans ; son père l’a exercée pendant trente-deux ans ;
et lui-même, après avoir travaillé pendant vingt années dans les bureaux de son
père, en est chargé depuis 1782.
Personne n’ignore que les
departemens de la ci-devant Flandre
maritime étoient très conséquens,
soit par les fortes garnisons qui y étoient entretenues, soit en raison des
travaux considérables qui s’y faisoient.
Au service de DUNKERQUE étoient,
et sont encore réunies ceux de BERGUES et GRAVELINES, ce qui nécessite des
déplacemens frayeux et multipliés
Pendant la guerre de 1757 et
1758, le trésorier-payeur de DUNKERQUE a été chargé du service d’OSTENDE et de
NIEUPORT, et jamais il ne lui a été accordé, ni indemnité, ni gratification.
Et cependant les appointemens de
ce trésorier ont toujours été très faibles, quoiqu’il fut fixé dans une place
maritime, où les vivres sont très chers, où les dépenses de toute espèce sont
exorbitants, les commis très coûteux, et les les loyers à un taux au-dessus des
plus grandes villes du royaume.
Celui qui a tant de motifs à
faire valoir pour obtenir son remplacement dans le nouvel ordre des choses qui
va s’établir, celui qui a supporté pendant un siècle tous les inconvéniens
attachés à un tel état, ne peut-il
espérer de l’obtenir ? et ne doit-il pas l’emporter, à titre de justice,
sur ceux qui, placés de puis un petit nombre d’années, ou qui, chargés de
recettes partielles, et même passagères, viendront, sans doute le rivaliser,
mais n’auront pas à faire valoir, ni des services aussi longs que ceux du sieur
MARTIN, ni des travaux aussi conséquens, sur seux qu’un siècle de zèle,
d’activité, de probité et de confiance méritée ne rendront pas aussi
recommandables.
D’un autre côté, si le sieur
MARTIN pouvoit se faire un mérite, de ce qui n’est qu’un devoir, il vous observeroit,
MESSIEURS, que son amour pour la constitution et ses services sous ses
étendards, devroient solliciter en sa faveur. Depuis le moment que l’ASSEMBLEE
NATIONALE a mis dans la main des citoyens les armes destinées au maintien des
loix et de la liberté publiques, le sieur MARTIN a servi avec ardeur, avec
distinction même dans la garde nationale. M. EMMERY, actuellement membre du
corps législatif, qui a commandé cette garde, depuis sont institution, M.
EMMERY aux soins et au zèle infatigable de qui la ville de DUNKERQUE doit la
parfaite sécurité qui y a régnée, qui avoit mérité la confiance du peuple, dont
il surveilloit la tranquillité, en meme-temps qu’il le dirigeoit par ses
conseils dans les moyens de la perpétuer, M. EMMERY rendroit sans doute au
sieur MARTIN la justice de certifier qu’il a coopéré à ses travaux sous ses
ordres.
M. COPPENS, aussi membre actuel
du corps législatif, qui le premier a été promu à la présidence du département
du Nord, qui, dans cette administration a déployé le zèle et les talens d’un
véritable homme d’état, M. COPPENS, que la confiance bien justifiée d’une
partie importante de l’empire français a appellé à ces importantes fonctions,
ne refusera certainement pas au sieur MARTIN de rendre un témoignage honorable
à sa probité.
Le sieur MARTIN, a donc une
infinité de moyens à présenter pour appuyer son vœu d’être remplacé. Père d’une
nombreuse famille, il est parvenu à l’âge de quarante-huit ans, et a employé
ses plus belles années à acquérir les connoissances que demandoit l’état qu’il
remplissoit, s’il en étoit dépouillé, n’est-il pas plus évident que ces
connoissances, acquises par une longue et laborieuse application, seroient
perdues pour lui pour l’avenir, et que l’on pourroit dire alors que la
constitution elle-même feroit de lui un citoyen inutile à la patrie ; des
motifs de tous les genres l’autorisent donc à penser que sa réclamation ne sera
pas vaine : et, dans la persuasion où il est que votre justice, MESSIEURS,
vous le fera penser, qu’il lui soit permis de vous observer qu’elle sollicite
également de vous que ce remplacement se fasse de manière à ce qu’un
éloignement trop marqué ne le rendit pas étranger, en quelque sorte, à ses
propriétés et à ses alliances, dont les unes ont été acquises, et les autres
contractées, sous la foi de ce même état que les circonstances lui
enlèvent ?
Le sieur MARTIN a osé épancher
son ame avec cette franchise qui caractérise l’homme honnête et vrai ; il
a parlé avantageusement de ses ancêtres ; c’est un juste hommage qu’il a
rendu à leur mémoire, il a parlé favorablement de lui-même, il le devoit à la
compagne de sont sort, à ses enfans et à vous-mêmes, MESSIEURS, c’est en faveur
des premiers qu’il réclame un état qui assure leur bien-être et leur éducation,
et il falloit que vous fussiez à porter de connoitre les motifs qui doivent
vous déterminer, puissiez vous, MESSIEURS, les accueillir ! ses vœux
serioent remplis, et sa trop juste reconnoissance pour vous égaleroit son
profond respect.
[Signature et date manuscrite]
MARTIN
Dunkerque,
le 27 9bre 1797
A
DUNKERQUE, DE L’IMPRIMERIE DE DROUILLARD, RUE DE BAR, E. N° 184