In Lambert d'Ardres, Histoire des
comtes de Guines, MGH, Scriptores, XXIV, Hanovre 1879
"Arnoul passa son enfance
près de son père. Lorsqu'il eut acquis la mâle vigueur de l'adolescence et
fréquenté de ci delà bordes et tournois, il fut confié au vénéré et mémorable
prince de Flandres le comte Philippe pour s'instruire diligemment et
s'imprégner des coutumes et des devoirs chevaleresques. A cela, il fut
considéré pour son mérite comme le premier parmi les premiers des jeunes gens
de la noblesse flamande. En effet, bien qu'il n'eut pas encore reçu la colée de
la chevalerie, il était cependant actif aux armes, enclin à la vertu et à la
probité, célèbre par son engouement à la cour, prompt à rendre service, large
presque jusqu'à la prodigalité. Il avait le visage gai et d'une beauté telle
qu'il surpassait tous ceux de son âge à la cour ; avec cela doux envers tous,
affable, gracieux en toutes choses et pour tous, et tous en convenaient. Après
quelques années, son âge et l'excellence de sa loyauté future, déjà évidente
exigèrent qu'il soit adoubé et fait chevalier. Il voulut avant toute chose
plaire à son père et lui réserver la gloire première de sa chevalerie : bien
que le très révérend Prince Philippe, gloire de la Flandre ait désiré le faire
chevalier et pourvoir aux dépenses et aux armes nécessaires à cet état, Arnoul
prit congé de lui sagement, usant de toutes ses qualités nécessaires natives et
retourna près de son père à Guines avec son ami Eustache de Salperwick.
Le comte son père montra par des
signes très manifestes combien l'arrivée de son fils le remplissait de joie Il
convoqua ses fils, ses connaissances et ses amis à la cour de Guines, le jour
de la Pentecôte. Il donna à son fils qui ne répliqua point, la colée
chevaleresque et le consacra homme accompli par le serment de chevalier l'an de
l'Incarnation de Notre seigneur 1181. Avec Arnoul, il gratifia Eustache de Salperwick,
Simon de Nielles, Eustache d'Esque et Wallon de Prove des attributs des vœux de
la chevalerie dont il prit pour lui les dépenses. Tous ensemble, éclatant de
joie, ils passèrent ce jour solennel en un festin de très riches et très
délicates nourritures et boissons. Arnoul, à peine revêtu des vêtements du
chevalier, prit la chose à cœur et contenta les ménestrels, les mimes, les gens
d'aventure, les conteurs, les bouffons, les jongleurs et tous ceux qui
invoquaient son nom de telle sorte qu'il obtint en retour leur louange et leur
reconnaissance. Alors que tout ce qu'il pouvait avoir et de demander il
l'accordait d'une main libérale pour ne pas dire prodigue (...) donnant tout
par petits morceaux; de son bien, de celui accordé par les siens, et échangé
par les autres, à peine lui resta-t-il que lui-même. Le jour suivant, il fut reçu
dans l'église de sa ville d'Ardres, toutes cloches sonnantes, en grande
procession, par les moines et clercs chantant à Dieu pour sa gloire
"honneur et vertu de la Trinité" et par le peuple clamant et exultant
de joie. A partir de ce jour, le comte fréquenta les tournois et parcourut de
nombreuses provinces et de nombreux pays pendant presque deux ans, sans aucune
aide ni protection de son père. Il eut pour compagnon inséparable Eustache de
Salperwick.
Après qu'Arnoul de Guines eut été
confié par son père à la garde et au soin d'Arnoul de Cayeux, qu'il se fut
attaché à la compagnie d'Eustache Barbier, d'Eustache de Salperwick, Hugues de
Malny, ses domestiques et familiers, et qu'Henry de Campagne avec de nombreux
autres nobles et illustres chevaliers se furent joints à lui, il préféra
s'exiler dans d'autres pays y rechercher la gloire dans les tournois que
s'appliquer dans sa patrie à des loisirs sans délires guerriers, afin de vivre
glorieusement et de parvenir aux plus hauts honneurs du siècle. Arnoul devint
le héros et la gloire de Guines; son nom acquit une telle renommée de loyauté
dans de nombreuses régions qu'il parvint, non sans raison, à la connaissance de
la comtesse Ida de Boulogne et toucha son cœur. Elle était la fille de Mathieu,
comte de Boulogne, qui était déjà mort, et elle avait pris le nom et la dignité
de comtesse. Elle avait d'abord été mariée à Gérard, comte de Gueldre, puis à
Bertold, duc de Zeringhem sur le conseil du vénéré comte de Flandres Philippe,
son oncle ; tous les deux l'abandonnèrent pour des raisons sous entendues se
rapportant à l'article d'un caractère tempétueux et quasiment comme une veuve
sans mari, elle s'abandonna aux voluptés charnelles et aux délices du siècle On
comprend qu'elle se prit d'un ardent amour pour Arnoul de Guines et autant
qu'elle le put, elle l'attira à elle ou feignit de le séduire avec
l'inconstance et la tromperie des femmes. Des lettres et des messages
réciproques et secrets portèrent l'un à l'autre la révélation d'un amour réel
et Arnoul, à son tour, tomba semblablement amoureux d'elle, ou, par prudence et
précaution masculines, fit semblant de l'aimer. Toutefois, soit qu'il l'aimât
véritablement, soit qu'il le simulât, il aspira à posséder la terre de Boulogne
et la dignité comtale, en obtenant la grâce de la comtesse."
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