mercredi 17 avril 2019

La construction des fortifications d’Ardres en Boulonnais, vers 1200


In Lamberti Ardensis historia comitum Ghisenensium, dans MGH Scriptores, t. XXIV, 1879, chap. 152, trad. du latin

« Sur le conseil de son père, de ses pairs et des bourgeois de l’oppidum d’Ardres, Arnould de Guines s’apercevant que ce dernier, situé au cœur de sa terre de Guines et plus riche que tous ses autres châteaux et oppida, était devenu un objet de convoitise pour ses ennemis, entreprit de le protéger avec un très grand soin. A l’exemple de Saint-Omer ; il l’entoura d’un fossé très profond tel que ni les bras ni les yeux n’en avaient jamais creusé ou vu de pareil sur la terre de Guines.
 
A cet effet, des ouvriers en grand nombre furent appelés pour creuser le fossé. Bien que davantage frappés par la dureté du temps et de la grande privation de nourriture que par le labeur de la journée et de la chaleur, les ouvriers supportaient la faim bavardant entre eux et soulageant leur fatigue par des plaisanteries. Diverses raisons attiraient les gens au spectacle du creusement des fossés. En effet les pauvres, ceux qui n’avaient pu travailler, ne pensaient plus aux privations tout au plaisir de contempler le chantier. Les riches, chevaliers et bourgeois, prêtres et moines, y venaient plusieurs fois par jour pour se distraire à ce spectacle étonnant. Il aurait fallu être paresseux, abîmé par la maladie ou par l’âge pour ne pas prendre plaisir aux évolutions de ce docte géomètre, Simon, maître d’œuvre des fossés. Il allait ici et là, sa baguette magistrale à la main, mesurant moins à l’aide de cette baguette que grâce à son coup d’œil l’ouvrage déjà conçu dans son esprit, faisant raser les maisons et les granges, abattre les vergers et les arbres couverts de fleurs et de fruits, veillant à ce que les zones de circulation soient prêtes plus encore les jours de travail que les jours de repos, perçant des passages dans les jardins plantés de légumes et de lin, renversant et écrasant les champs ensemencés malgré les indignations et les lamentations de certains, les imprécations intérieures de tous ceux que ces travaux ruinaient.
 
Ici, des paysans, avec leurs mouffles et leurs chaperons, transportant des cailloux pour les répandre sur la chaussée avec des voitures à porter les marnes et des chariots à fumier, s’encourageaient mutuellement au travail. Là, des terrassiers avec leurs houes, des bêcheurs avec leurs bêches, des piocheurs avec leurs pics, des défonceurs avec leurs masses, des trancheurs ou tailleurs avec leurs tranchoirs, des ouvriers travaillant aux parements et aux retranchements, des dameurs avec les outils et instruments nécessaires. Egalement des convoyeurs et des porteurs avec leurs hocs (ndt : crocs ou crochets), des gazonneurs avec mottes de gazon oblongues qu’ils étaient allés couper et arracher dans quelques prés selon le souhait des maîtres. 
 
Des sergents et des chacipols (ndt : sergents chargés de lever les impôts, ou prévôts) avec leurs verges, interpellant les ouvriers, les stimulant au travail, secondaient les maîtres d’œuvre toujours attentifs à l’observation des mesures. Car dans le travail, les ouvriers ne sont jamais mieux poussés que par la crainte et la douleur. »

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