In Lamberti Ardensis
historia comitum Ghisenensium, dans MGH
Scriptores, t. XXIV, 1879, chap. 152, trad. du latin
« Sur le conseil de son père, de ses pairs et des
bourgeois de l’oppidum d’Ardres,
Arnould de Guines s’apercevant que ce dernier, situé au cœur de sa terre de
Guines et plus riche que tous ses autres châteaux et oppida, était devenu un objet de convoitise pour ses ennemis,
entreprit de le protéger avec un très grand soin. A l’exemple de
Saint-Omer ; il l’entoura d’un fossé très profond tel que ni les bras ni
les yeux n’en avaient jamais creusé ou vu de pareil sur la terre de Guines.
A cet effet, des ouvriers en grand nombre furent appelés
pour creuser le fossé. Bien que davantage frappés par la dureté du temps et de
la grande privation de nourriture que par le labeur de la journée et de la
chaleur, les ouvriers supportaient la faim bavardant entre eux et soulageant
leur fatigue par des plaisanteries. Diverses raisons attiraient les gens au
spectacle du creusement des fossés. En effet les pauvres, ceux qui n’avaient pu
travailler, ne pensaient plus aux privations tout au plaisir de contempler le
chantier. Les riches, chevaliers et bourgeois, prêtres et moines, y venaient
plusieurs fois par jour pour se distraire à ce spectacle étonnant. Il aurait
fallu être paresseux, abîmé par la maladie ou par l’âge pour ne pas prendre
plaisir aux évolutions de ce docte géomètre, Simon, maître d’œuvre des fossés.
Il allait ici et là, sa baguette magistrale à la main, mesurant moins à l’aide
de cette baguette que grâce à son coup d’œil l’ouvrage déjà conçu dans son
esprit, faisant raser les maisons et les granges, abattre les vergers et les
arbres couverts de fleurs et de fruits, veillant à ce que les zones de
circulation soient prêtes plus encore les jours de travail que les jours de
repos, perçant des passages dans les jardins plantés de légumes et de lin,
renversant et écrasant les champs ensemencés malgré les indignations et les
lamentations de certains, les imprécations intérieures de tous ceux que ces
travaux ruinaient.
Ici, des paysans, avec leurs mouffles et leurs chaperons,
transportant des cailloux pour les répandre sur la chaussée avec des voitures à
porter les marnes et des chariots à fumier, s’encourageaient mutuellement au
travail. Là, des terrassiers avec leurs houes, des bêcheurs avec leurs bêches,
des piocheurs avec leurs pics, des défonceurs avec leurs masses, des trancheurs
ou tailleurs avec leurs tranchoirs, des ouvriers travaillant aux parements et
aux retranchements, des dameurs avec les outils et instruments nécessaires.
Egalement des convoyeurs et des porteurs avec leurs hocs (ndt : crocs ou crochets), des gazonneurs avec mottes de
gazon oblongues qu’ils étaient allés couper et arracher dans quelques prés
selon le souhait des maîtres.
Des sergents et des chacipols
(ndt : sergents chargés de lever les impôts, ou prévôts) avec leurs
verges, interpellant les ouvriers, les stimulant au travail, secondaient les
maîtres d’œuvre toujours attentifs à l’observation des mesures. Car dans le
travail, les ouvriers ne sont jamais mieux poussés que par la crainte et la
douleur. »
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