ci après, le texte de la conférence donnée au LIHF, à Bailleul, le 4 avril 2019
L’on est toujours l’étranger de quelqu’un d’autre.
C’est une notion subjective qui dépend de nombreux facteurs, souvent dits « de
proximité ». L’étranger est l’autre ; qu’il s’agisse de quelqu’un qui
vient d’une autre ville, d’un autre état, qu’il vienne s’installer ou qui est
juste de passage. L’idée de l’« étranger » est un concept délicat dans
une région frontière, surtout si l’on garde à l’esprit que les habitants du
Nord en général et les Flamands en particulier ont longtemps été des
« étrangers de l’intérieur ». C’est qu’ils sont devenus Français
tardivement avec les conquêtes de Louis XIV, qu’il s’agisse du rachat de Dunkerque
en 1662 ou la guerre de dévolution cinq ans plus tard. Cela importe, bien que
nous ne soyons pas les derniers à être devenus définitivement Français, puisque
le dernier agrandissement du territoire métropolitain remonte à 1862 avec la
Savoie et le Comté de Nice.
L’acquisition de la France ne coulait d’ailleurs pas
de source, car si l’on excepte les cas dunkerquois, les Flamands sont restés
longtemps réticents à passer sous le drapeau blanc des rois de France. A Lille
d’ailleurs, l’on préféra encore de longues années arborer la croix de
Saint-André des Bourguignons. La méfiance est d’ailleurs partagée car il faut
tout le talent de Vauban pour convaincre Louis XIV de ne pas remplacer tous les
cadres autochtones (seuls les Intendants à la tête des généralités nouvellement
créées ne sont pas des locaux) et de laisser ses officiers épouser des
Flamandes, qui bénéficient de libertés et de droits plus avantageux que leurs consœurs
françaises.
instruction de Louis XIV pour l'usage du français
dans les procedures judiciaires à Dunkerque (1663)
Pour faire bonne mesure, en Flandre Flamingante (au
nord de la Lys), Louis XIV met immédiatement en place une politique de
francisation, appliquant en cela l’édit de Villers-Cotterêts. Une politique unificatrice certes mais qui ne
trouve son aboutissement que sous la IIIe République.
La situation des étrangers reste diversement appréciée
selon les lieux et les origines. Certes les contingents de populations immigrées
sont encore restreints et dépendent avant tout du négoce comme des différents
accords entre les états. Ainsi, à Dunkerque avant la Révolution, les Anglais
ont quelques privilèges liés aux différents traités de commerce, quant aux
autres, il s’agit surtout de liens relatifs aux affaires et aux échanges
familiaux, qui sont, il est vrai, souvent mis à mal par les différents conflits
européens voire même certaines décisions lourdes de conséquences comme l’édit
de Fontainebleau en 1685.
Il importe alors de régler au cas par cas, par des
édits mais aussi par des accords entre échevinages pour savoir qui relève de
quelle compétence, comme par exemple le règlement des Tables des Pauvres en
1762 entre les différentes villes de West Flandre, de part et d’autre de la
frontière dessinée par les Traités d’Utrecht. Accueillir des nécessiteux de
villes voisines certes, mais en les laissant à charge des cités d’origine (c’est
d’ailleurs encore le cas pour les funérailles des indigents).
Il faut donc que la frontière devienne tangible,
stable et pérenne, acceptée même pour pouvoir enfin définir ce qu’est un
étranger. C’est le cas avec la limite d’état dessinée par Utrecht, plus encore
lorsque celle-ci est confortée par la naissance de l’état belge en 1830 puisque
nul ne songe à la contester. L’immigration, définie en tant que telle, de masse
devient alors une réalité.
I.
L’appel d’air de la Révolution
Industrielle
Les conditions sont idéales pour le développement
rapide et précoce de la Révolution Industrielle dans le département du Nord comme
en Flandre. Il existe un réseau urbain relié par les canaux puis par les routes
(pour mémoire, le réseau ferré est plus une conséquence qu’une cause de la
révolution industrielle). Depuis le Moyen-Âge, il existe déjà une proto-industrie
notamment textile, avec des villes qui ont fondé depuis longtemps leur
prospérité sur les tissages.
La Révolution Industrielle avait commencé à s’appuyer
sur la force des moulins, elle prend son véritable essor grâce aux charbonnages
de la faille du Midi (qui marque la limite géologique méridionale de la
Flandre) dans le Douaisis. La Flandre est d’ailleurs un vivier propice à ces
transformations radicales car elle est déjà peuplée, urbanisée et ses
campagnes, prospères, riches, envoient déjà des populations dans les villes où
se créent des industries pourvoyeuses d’emplois. Si l’on produit encore du textile
dans les caves de Lille ou les fermes des Flandres, les grandes filatures
concentrant toutes les étapes de fabrication du produit sortent de terre.
À cela s’ajoute une bourgeoisie entreprenante qui a
depuis longtemps pris les rênes du pouvoir économique et politique,
infléchissant à son profit les règles du recrutement transfrontalier. Si les
campagnes commencent à se vider, il faut trouver un autre réservoir de main d’œuvre.
Déjà fortement développés, les centres urbains
connaissent une explosion démographique et urbanistique qui marque encore
aujourd’hui la région.
Alors, quid des migrations du XIXe siècle ? La
Flandre a l’avantage – pour une fois – de jouir de sa position frontalière,
avec un fort bassin démographique de chaque coté de la limite d’état. Les
villes sont déjà de véritables conurbations et il suffit de traverser la
frontière quotidiennement, parfois juste en traversant quelques rues. C’est
donc avant tout un phénomène de migrations pendulaires (comme nous en
connaissons encore avec le phénomène des banlieues) … mais petit à petit,
l’exigence de travail pousse à l’installation permanente, tant pour ceux qui
viennent de l’autre côté de la frontière, comme pour ceux qui viennent des
campagnes alentours.
Moment difficile pour des populations qui n’ont pas
encore de « conscience de classe », qui ne sont pas encore tout à
fait urbaines, plus tout à fait rurales, pas encore français mais plus
réellement belges et qui ont gardé des liens avec les villages de départ surtout
au moment où il faut accepter un travail saisonnier. Ces populations, bon gré
mal gré, se regroupent dans de nouveaux quartiers, enfin réellement ouvriers,
sans mixité sociale, qui naissent au pied des usines et qui, finalement, voient
des regroupements en fonction des emplois, des origines, de la langue : Roubaix,
Tourcoing sont des villages qui deviennent des villes. Moulins, Esquermes,
Wazemmes à Lille sont des campagnes qui deviennent des quartiers usines et les
banlieues de Dunkerque évoluent de même, en lien avec les filatures, les
activités portuaires et la pêche. D’ailleurs au XIXe siècle, avec une seule usine
édifiée intra-muros (les Huileries Marchand), Dunkerque, close de remparts,
voit sa population diminuer au profit des villages et hameaux immédiatement
voisins où l’on ne manque pas de place pour construire ces nouvelles usines.
Les causes ce ces migrations de masse sont nombreuses
et concomitantes : à l’offre d’emploi industriel en France et en Flandre
répondent les crises agricole et textile flamande (qui elle ne connait pas la
frontière), auxquelles s’ajoutent les crises frumentaires et la maladie de la
pomme de terre en Belgique, privant hommes et bétail de nourriture. Il y a
aussi et surtout, pour les Flamands de Belgique, l’impossibilité pour les
néerlandophones de faire carrière dans une Belgique dominée par les Wallons
francophones et riches de leurs industries lourdes. Pour être trivial, le
flamand belge est le « bouseux » incapable d’évolution sociale (sauf
à abandonner sa langue), objet de dédain voire de mépris et obligé de quitter
le pays pour survivre.
Pour la Flandre
belge, l’on est à l’inverse exact de l’âge d’or médiéval…
Du tissage domestique (Bailleul)
à la filature moderne
A cela
s’ajoute un facteur de modernité – si l’on peut dire – pour les Français
comme pour les Flamands de France : le pays a déjà entamé sa transition
démographique. Entamée sous le règne de Louis XIV, elle n’est plus le pays le plus
peuplé d’Europe. La France, et notre région n’y échappe pas, est obligé de
recourir à l’immigration alors que ses voisins européens voient leurs
populations obligées de partir pour survivre. Mieux encore à cela s’ajoute
l’exode rural : l’on manque de bras dans les campagnes (le point
d’équilibre population rurale/population urbaine se situe en 1914). Les
campagnes se mécanisent certes mais à l’image de l’industrie, toutes les
activités ne sont pas encore mécanisées, et il faut de la main d’œuvre saisonnière.
L’on ne débattra pas ici de savoir si les campagnes se sont mécanisées parce qu’elles
se vident ou si elles ont perdu des populations à cause de la mécanisation, l’on
ne peut que se borner à constater qu’elles ne peuvent plus fournir des emplois
toute l’année. De fait, les villes connaissent une expansion exponentielle. Il
faut bien que les étrangers s’installent et vivent au quotidien. Néanmoins, l’intégration
dans ces nouveaux quartiers (et dans une moindre mesure dans les villages) ne
peut qu’être lente car le Flamand reste largement utilisé : l’école n’est
en théorie obligatoire jusque 12 ans qu’à partir des Lois Ferry de 1881 mais
nombre d’enfants travaillent (à l’image de mes arrière-grand-pères à l’âge de 9
ans parce que les salaires des adultes sont notoirement insuffisants et que les
allocations familiales ne sont qu’un doux fantasme politique. Mais attention
cependant, ce qui est vrai pour les immigrés flamands belges l’est aussi pour
les petits français de la Flandre flamingante. L’École a fort à faire pour imposer
le Français dans des campagnes où le Flamand reste la langue usuelle.
En quoi consiste cette immigration ?
Elle est d’abord agricole car l’on manque main d’œuvre
dans les cultures industrielles. L’on a donc d’abord recours à des contrats collectifs,
négociés en groupe. Les villages s’emplissent de bandes de travailleurs
saisonniers là où la mécanisation n’est pas encore possible. Elle est ensuite
industrielle car si le Premier Empire a favorisé l’essor de l’industrie et de
la transformation sur place des productions agricoles en raison du blocus de
1806, le Second Empire oblige à une industrialisation à marche forcée. Elle
reste l’époque du grand capitalisme, de la productivité érigée en dogme et du
nationalisme économique. En effet, l’Empire est protectionniste, les frontières
sont fermées aux productions étrangères, il est nécessaire de produire à
outrance… et au moindre coût, si possible en mettant la pression sur les
salaires. Même paternalistes (une autre façon de renforcer la sujétion des
employés), le patronat flamand n’est pas philanthrope. Il nous semblerait
incongru aujourd’hui de voir les contremaîtres enfermer les ouvriers le soir dans
les courées comme cela se pratiquait couramment au XIXe siècle ! La
République n’y change rien, elle est une organisation politique, pas économique. C’est ainsi qu’en 1881, la chambre de
commerce de Tourcoing s’oppose à toute velléité de limitation des étrangers,
qui comme les autochtones, sont sous la coupe totale du patronat.
Le textile
se concentre sur Lille – Roubaix – Tourcoing, Armentières et la vallée de la
Lys… et draine de la population des régions de Tournai, Courtrai, Mouscron puis
Poperinge, Bruges quand ces villes ne peuvent plus fournir de populations. Il
en est de même sur le littoral avec le textile, la pêche et les ports. A la
veille de 1914, le Nord tisse la totalité des lin, chanvre, jute, les trois
quarts de la laine et la moitié du coton. Quant au Bassin minier qui commence
dans le Douaisis, l’on profite d’une main d’œuvre abondante, docile, souvent déjà
formée pendant les grèves car Belges utilisés pour briser les mouvements
sociaux.
La
spécificité des Belges flamands est de pratiquer l’entre-soi (un autre terme
pour le communautarisme). La communauté belge flamande a ses associations, sa
presse, ses prêtres (qui prêchent en Flamand), ses fêtes mais petit à petit, l’on
observe un recul de la langue avec la scolarisation devenue obligatoire avec la
loi Ferry pour se cantonner à l’espace privé. Ainsi au XIXe siècle, Wazemmes
Esquermes sont totalement néerlandophones, ainsi que le rapporte Pierre
Pierrard. Pas très loin de là, en 1886, à Roubaix, la moitié de la population
est flamande belge mais le recensement ne prend pas en compte les journaliers
car par définition, ils sont non-résidents… or, rappelons-le, Roubaix est en
Flandre francophone comme Lille. Seconde spécificité de cette migration de
masse : le solde migratoire dépasse le solde démographique. Ces
villes-usines sont donc réellement attractives. L’usine, la manufacture, est
gourmande en hommes, en femmes et enfants, ces deux dernières catégories étant
particulièrement prisées pour le salaire plus bas qui leur est octroyé.
Au final, l’immigration
jusque 1914 est essentiellement belge, une immigration que l’on qualifiera de
voisinage : 97 à 99 % des contingents viennent de l’état voisin auxquels
s’ajoutent quelques contingents très spécifiques : des Anglais à Dunkerque
à cause du port, des Ecossais à Coudekerque-Branche amenés par le filateur
Dickson . La frontière est pérenne depuis longtemps, l’on ne les perçoit
déjà plus comme des « cousins » éloignés mais bien comme des étrangers,
hors de la communauté nationale.
II.
Les besoins des reconstructions
-
Après
la Première guerre :
A l’issue
de la première guerre mondiale, les destructions matérielles concernent avant
tout le quart Nord-est du pays, l’occupant allemand a pillé les territoires
occupés (outre des indemnités d’occupation exorbitantes, des usines entières
sont démontées pour partir outre-Rhin, des quantités astronomiques de bien
privés sont réquisitionnées comme les matelas, machines à coudre, etc.). Les
mines ont été noyées par l’occupant. Des villages entiers sont rasés et les champs
où ont eu lieu les combats sont à remettre en culture et à déminer (et c’est
loin d’être fini !).
Quant aux
populations, les décès de soldats, les mutilations invalidantes, la perte de
populations civiles provoquent une crise démographique profonde à laquelle
d’ajoute le déficit de naissances de cinq années à occuper les hommes sur le
Front. L’on manque de bras et il faut aller chercher des travailleurs ailleurs.
La Belgique
elle aussi a été ravagée (seules 8 communes ont échappé à l’occupation mais pas
aux combats) et fait face aux mêmes problématiques mais là encore sans que la
reconstruction ne provoque une industrialisation en Flandre, l’industrie lourde
reste en Wallonie. L’on se tourne alors vers un nouveau bassin de
population : la Pologne. Celle-ci nait à la suite du Traité de Versailles,
c’est donc naturellement que l’on passe des conventions avec ce jeune état. En 1919,
un accord est passé entre le Comité des Houillères et le gouvernement polonais
pour importer de la main d’œuvre de Silésie. Les contingents sont élevés. Par
exemple, entre 1921 et 1926, la population polonaise est multipliée par 7
(aussi dans Douaisis). En 1931, Ostricourt voit sa population composée de
70% de Polonais. Ce qui vaut ici vaut dans toutes les villes minières. Si en
1931, la moyenne nationale est de 6% étrangers, la moyenne du département Nord
est de 11%, celle du Pas-de-Calais est de 14 %. Comme pour les belges du siècle
précédent, les Polonais adoptent une vie très marquée par le communautarisme.
Au milieu des années 30, la crise de 1929 atteint France.
La structure du capital est plus familiale et nationale, il y a peu de capitaux
américains, l’on se replie sur les colonies pour les matières premières et pour
écouler une partie des productions mais comme la crise atteint nos clients à
l’international, l’on se résout à mettre en place une politique de rapatriement
à partir de 1934-1935 pour se « débarrasser » de bras devenus
inutiles car inemployables… Ce qui pose problème pour les Polonais de la
deuxième génération qui ne connaissent pas le pays d’origine de leurs parents,
ni toujours la langue d’ailleurs. À ceux-là s’ajoutent les contingents
d’Italiens arrivés dans la région qui ont quitté leur pays parce que le
Fascisme n’a pas su résoudre les problèmes économiques du pays (pas plus que la
plupart des gouvernements mis en place après la seconde guerre mondiale).
Cependant comme durant la première guerre mondiale où
l’on décourage les unions avec les soldats étrangers, les autorités craignent
mariages avec les immigrés par peur que les familles partent avec enfants alors
que l’on est toujours en déficit de naissances, que les classes creuses de la
guerre n’ont pas été remplacées.
-
Après
la seconde guerre mondiale
En 1945, les
destructions concernent tout le pays. Outre les infrastructures, l’on a un
besoin criant d’acier et de charbon pour la reconstruction, l’état décrète la « bataille
du charbon » qui va de paire avec la fondation de la CECA (Communauté
Européenne du Charbon et de l’Acier) …
De toute façon, pour produire de l’acier, il faut du charbon et donc relancer les mines. Il est nécessaire d’opérer une reconstruction totale des moyens de production, des voies de communication, de villes entières (voir l’agglomération dunkerquoise), et, en même temps, faire face au baby-boom. Cette fois-ci, le recours aux Polonais n’est plus possible. L’Europe de l’Est elle aussi dévastée et la guerre froide a scindé le continent en deux. Ainsi que l’a dit Churchill, un rideau de fer est tombé sur L’Europe de Trieste à Stettin. À cela s’ajoute la force politique (réelle ou supposée) du parti communiste en France, il est difficile de faire venir des populations d’un pays sous domination soviétique. La France – et donc la Flandre – a un dernier atout à jouer : le Maghreb !
De toute façon, pour produire de l’acier, il faut du charbon et donc relancer les mines. Il est nécessaire d’opérer une reconstruction totale des moyens de production, des voies de communication, de villes entières (voir l’agglomération dunkerquoise), et, en même temps, faire face au baby-boom. Cette fois-ci, le recours aux Polonais n’est plus possible. L’Europe de l’Est elle aussi dévastée et la guerre froide a scindé le continent en deux. Ainsi que l’a dit Churchill, un rideau de fer est tombé sur L’Europe de Trieste à Stettin. À cela s’ajoute la force politique (réelle ou supposée) du parti communiste en France, il est difficile de faire venir des populations d’un pays sous domination soviétique. La France – et donc la Flandre – a un dernier atout à jouer : le Maghreb !
Après tout,
si Tunisie et Maroc sont deux protectorats, l’Algérie se compose de 3
départements d’Outre-mer et où les populations sont théoriquement francophones,
jeunes et normalement françaises (jusque 1962). Dans le même temps, l’on mène
des négociations avec l’Italie pour de la main d’œuvre. Les Maghrébins sont
avant tout dirigés vers l’industrie lourde et les mines, où le travail dur et
peu qualifié, ce qui permet encore une tension sur les salaires. Outre offrir
une force de travail abondante, l’immigré a une autre utilité pour le patronat
local : réduire la dépense en termes de salaires.
Ils occupent la même position que les Flamands belges
du XIXes : on dispense peu de formation et de logements, et avant le
regroupement familial, l’on assiste à la naissance des foyers de travailleurs…
La première vague concerne les travailleurs algériens. Pour le
Nord-Pas-de-Calais, les populations sont de plus en plus nombreuses :
9.500 en 1948, 16.200 en 1949, 18.300 en 1954 et 23.400 en 1962. Mais à la
différence des belges, outre le problème de langue, se posent les rivalités ethniques
(entre berbères et kabyles), la religion et surtout la guerre d’Algérie. Car s’il
y a une défiance envers une population que la France réprime pendant la « guerre
d’Algérie », provoquant chez certains un ressentiment durable, cela suscite
d’autres problèmes au niveau local chez les immigrés algériens entre partisans
de Messali Hadj et du FLN, reportant les tensions de l’autre côté du bassin méditerranéen
dans les villes industrielles flamandes.
La 2e vague concerne les travailleurs
marocains, mais qui eux sont sous l’autorité de leurs régimes respectifs donc
qui ne bénéficient pas du même statut que les algériens. Cette fois, ce n’est
plus la France qui opère le tri et la sélection entre les candidats à l’immigration
en France. Ils sont destinés avant tout aux mines, à l’industrie lourde et
portuaire, notamment à Dunkerque. L’on les trouvera autant dans les mines que
dans le bâtiment. Pourtant leur retour est programmé car ils sont liés à des
contrats courts et à l’obligation de pratiquer le métier mentionné par le
contrat. Leurs contingents sont d’ailleurs réduits car le déclin des mines
programmé dès les années 60.
Ceci cependant ne doit pas occulter les migrations
temporaires et saisonnières ne disparaissent pas pour autant. Nombre d’Espagnols
ou de Portugais sont embauchés dans les campagnes de Flandre pour le travail agricole
dont certaines activités ne sont pas encore mécanisées comme le démariage des
betteraves.
III.
Une dernière migration de transit et
non d’installation
Officiellement, nous avons atteint un solde migratoire
nul c’est-à-dire qu’il n’y a non plus aucune entrée mais autant d’entrées que de
sorties. La différence avec les périodes précédentes, c’est que depuis 1974, nous
subissons une crise économique profonde qui se traduit dans la région par une
réelle désindustrialisation.
La crise a quasiment détruit l’industrie lourde. Les
derniers charbonnages ont fermé en 1990, la sidérurgie s’est réduite de façon
drastique et la pétrochimie est remise en question. Avec la montée endémique du
chômage, les villes-usines ne sont plus que l’ombre d’elles-mêmes. Elles font
de même l’objet de projets de requalification car non seulement les usines ont
fermé, rien ou quasi rien ne les a remplacées et nombre de quartiers ont été
conçus comme des dortoirs. La banlieue où s’entassait les ouvriers n’était pas
conçue pour autre chose que le temps de repos … Il suffit de circuler à Fives,
Roubaix ou Tourcoing pour se rendre compte de la profondeur de la crise. Et
encore faut-il garder à l’esprit que l’immigration de l’après seconde guerre
mondiale a créé des quartiers ghettos où les populations immigrées se sont
regroupées, placées là par les bailleurs sociaux, les édiles ou l’impossibilité
de se loger dans des centres-villes chers. À cette crise économique et urbaine
se superpose une crise « existentielle » des 2e et 3e
générations. Même nés ici, ils sont perçus comme étrangers et dans le pays d’origine
des parents, ils sont étrangers car français. Au passage, l’on défiera
quiconque de pouvoir se construire une identité sur de telles bases… ou
absences de bases. Ce sont des « minorités visibles », souvent
ghettoïsées (voir Roubaix – Tourcoing, Grande-Synthe) encore en cours d’intégration
même si elles en sont déjà à la 3e génération, voire la 4e, et pour
lesquelles se ressentent de façon aigüe le problème religieux et le non-emploi
fortement élevé avec un taux de chômage triple des non-maghrébins. Néanmoins, le
passif de la guerre d’Algérie ne joue plus depuis une vingtaine d’années dans
une grande part de la population, les anciens combattants étant maintenant
moins nombreux. Comme pour les immigrés des siècles précédents, le communautarisme
est fort mais peut-être pas nécessairement voulu, il devient une échappatoire parce
qu’il n’y a pas de réelle intégration par les populations autochtones.
Il n’y a donc plus d’immigration massive dont le but
serait l’installation définitive mais cela n’empêche en rien actuellement crise
des « migrants » auquel on préfèrera le terme de réfugiés. Une crise
d’autant plus importante que ces personnes ne demandent qu’un passage vers le
Royaume-Uni, lequel a fermé totalement ses frontières tout en nous en confiant
la gestion et la surveillance. Ceci dit, il est vain de vouloir susciter des
polémiques puisque pour l’heure, il n’est pas de solution. L’on ne peut dresser
que des constats.
L’immigration telle que nous la connaissons reste un
sujet d’actualité (et de polémique) mais il faut tout de même convenir que l’immigration
choisie est un mythe, puisqu’une politique de quotas ethniques ou géographiques
est impossible à mettre en place. De plus, les frontières surtout dans le Nord
sont poreuses et incontrôlables à moins de placer un garde tous les 50 mètres,
les fraudeurs le savent bien. Enfin, la Fandre recueille un très petit nombre
au regard d’autres pays (que ce soit en Europe ou au Moyen-Orient). Et si l’on
se tient aux chiffres estimés, 600.000 individus n’est pas un raz-de-marée tel
que le décrivent les tenants du soi-disant grand remplacement. Quant aux
allocations versées aux réfugiés n’est pas suffisante pour vivre, tout juste
pour survivre et encore n’est-elle octroyée qu’à ceux qui ont fait une demande
d’asile. Pour ceux-là, plus question de passer outre-Manche. L’on ne peut pas dire
que le coût est exorbitant !
quand la frontière était visible à Halluin
Quand on se targue de faire de l’histoire, le plus important est aussi et surtout de se confronter à des évidences historiques et – éventuellement – opérer des projections au regard des données du passé. Il faut se rappeler une évidence : NOUS AVONS ETES MIGRANTS / REFUGIES
Pendant la Première guerre, une grande partie de la
Flandre française est concernée par les combats et l’occupation, des villages
entiers sont rasés, certaines villes sont vidées de toute ou partie de leur
population et ce autant pendant le conflit que pendant une longue reconstruction.
Ainsi dès 1914, Dunkerque évacue ses « bouches
inutiles » (ainsi ma grand-mère maternelle, alors enfant, est évacuée à
Mur-de-Sologne dans le Loir-et-Cher). La ville n’est pas immédiatement sur le
front mais elle n’en est pas loin. Que dire de ceux qui ont dû quitter des
bourgs comme Méteren ou Armentières ?
Cependant, la France n’a rien prévu pour les populations
déplacées, françaises ou belges, puisque l’on pense que la guerre sera finie
aux moissons. Les soldats sont partis la fleur au fusil, persuadés que la
guerre sera rapide. Il en est de même pour les civils et les autorités.
Pourtant les réfugiés, Français comme Belges, ne sont pas livrés à eux-mêmes,
ils dépendent du ministère de l’intérieur. En tant que populations déplacées,
les réfugiés perçoivent une allocation spécifique au même taux que les femmes
de mobilisés soit 1,25 F / J / adulte et 0,50 F / J / enfant. Néanmoins, ils
accusés de mettre une pression inouïe sur le travail et les prix de
l’alimentaire et du charbon (qui manque puisque les mines sont en territoire
occupé et que Carmaux et Saint-Etienne sont loin). Il n’est même pas nécessaire
d’être déplacé loin à l’image des Lensois qui trouvent refuge en Belgique en
1918.
Mais pour le cas des populations néerlandophones,
françaises comme belges (c’est notamment le cas des personnes âgées
françaises), elles sont confrontées au même problème que les Alsaciens : le
flamand/néerlandais est langue germanique d’où une méfiance voire une hostilité
ouverte envers elles.
On les accuse de profiter des allocations, or au début
de la guerre il est vrai que nombre d’entre eux ne cherchent pas de travail car
on leur dit que la guerre sera courte, ou à l’inverse de cumuler allocation
avec un travail (cependant pendant la première guerre, le chômage n’existe
pourtant officiellement pas). Nombre d’accusations souvent inouïes et relevant
souvent de la pure xénophobie, même à l’encontre de populations françaises.
La problématique est la même 20 ans après mais
différence profonde entre les deux guerres est réelle : depuis la libération
de Lille en 1918, les habitants sont affublés par un journaliste parisien du
titre de « boches du nord », insulte qui se fait encore régulièrement
entendre. Quant aux Belges, les Français ne parlent pas de la Belgique héroïque
d’Albert Ier mais de la Belgique capitularde de Leopold III, responsable par sa
reddition d’avoir précipité la défaite française, accusés d’être de la 5e
colonne (c’est le cas des refugiés belges accusés de signaler les convois de
refugiés aux pilotes allemands grâce à des couvertures rouges fournies par … la
Croix-Rouge !). Autant dire que l’accueil fut régulièrement « frais » !
Pour ces réfugiés du Nord et de la Flandre, la
situation est difficile car l’article 16 de la convention d’armistice charge le
gouvernement français de prendre le rapatriement à ses frais hormis pour les résidents
de la zone interdite (justement le département du Nord) qui restent exilés sans
possibilité de retour.
Quatre ans plus tard, en 1944, On recommence à l’évacuation
de la poche de Dunkerque. La population restée dans la ville est évacuée en
zones libérées à l’exception d’environ 500 habitants qui sont internés. Le
phénomène migration forcée / refugiés n’est donc pas un concept inconnu mais
oublié, au point de lire de terribles bêtises et d’amalgames douteux.
En conclusion, nous avons été une région de passage
puis d’accueil, avec une tradition ininterrompue de migrations et d’intégration
plus ou moins heureuse, plus ou moins facile qu’il importe de préserver. Si l’on
peut reprocher à une grande partie de la population d’avoir la mémoire courte
(voire de faire montre d’un courage exemplaire derrière un écran grâce aux
réseaux sociaux), l’on peut aussi reprocher le manque de prospective car la possibilité
d’être demain en position de quitter la Flandre reste une possibilité. L’évolution climatique, politique ou
économique ne garantit pas que nous ayons une place pérenne en Flandre ou en
tout cas au nord de la France, surtout si les projections de la montée des eaux
se vérifient. Le risque de voir submerger une partie de la Flandre littorale et
des bassins versants fluviaux est réel à plus ou moins long terme ce qui
pourrait nous forcer de quitter à nouveau la région (mais après tout le nom de
Flamand est bien « celui qui fuit devant les eaux »). Reste à savoir
si l’accueil, demain, sera bon…
et si demain nous devions fuir ?
Bonjour,
RépondreSupprimerJ'aimerais connaitre le nom de l'auteur de cette contribution et ses coordonnées svp ?
bonjour, vous pouvez le contacter par la page facebook "de dunkerque vers ailleurs"
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