Alors que nombre d’associations tentent de mettre en lumière
la culture flamande, son passé comme son histoire, il est utile de revenir sur
un personnage-clé dont l’action jette encore une part d’ombre sur cette
démarche. Si l’abbé Gantois eut un impact considérable sur la prise de
conscience du passé flamand, le trouble demeure et jette la suspicion sur toute
personne se réclamant Flamand, même si ces écrits n’ont qu’une approche
culturelle ou linguistique. A cela, il ne faut pas oublier la confusion
entretenue par les mouvements nationalistes belges, profondément identitaires
qui – auprès du grand public – se posent
en défenseurs et en héritier d’un patrimoine séculaire en allant jusqu’à
confisquer ses plus anciens symboles. La question est bien entendu plus
prégnante de l’autre côté de la frontière mais avec la libéralisation de la
parole sur les réseaux sociaux, elle prend une nouvelle dimension chez nous.
De l’abbé Gantois reste un souvenir trouble bien qu’il ne
soit finalement pas connu du grand public. Si ses écrits historiques sont de
bonne facture, il reste l’inspirateur d’un mouvement identitaire La chose est
d’autant plus dommageable que le grand public finisse par croire que s’affirmer
« Flamand » revient à affirmer son appartenance à des mouvements identitaires.
La confusion est constamment entretenue par ces mêmes groupuscules, leur propos
tendant à faire croire que la Flandre doit se replier sur elle-même (et quelque
part sur le souvenir de sa grandeur passée) en omettant tout ce qui a fait la
grandeur de la Flandre (certes aujourd’hui scindée entre Flandre de France, de
Belgique et de Flandre zélandaise) grâce à sa position idéale sur l’un des plus
actifs carrefours commerciaux, d’avoir appartenu à des entités politiques
larges et ouvertes sur le monde et d’avoir reçu des populations venues de tous
les horizons. Le propos est paradoxal si l’on y regarde de plus près puisque la
Flandre s’est enrichie grâce à ces apports extérieurs. Il faudra bien que les historiens se penchent - quitte à susciter quelques inimitiés - sur les conséquences des écrits de Gantois et le retentissement qu'ils ont eu sur la question flamande en France.
L’abbé Gantois ou la
genèse du mouvement flamand
Jean-Marie Gantois nait en 1904 dans une famille flamande
francisée et socialement bien insérée puisqu’il était le fils d'un médecin de
Watten (Nord). Le français était sa langue maternelle. Ses études secondaires à
Aire-sur-la-Lys et Hazebrouck terminées, il entre au séminaire d'Annappes
(intégrée aujourd’hui à la commune de Villeneuve d’Ascq) où, influencé par
quelques professeurs d'esprit flamingant, il commença à apprendre le flamand.
Il a décrit cette prise de conscience progressive dans une conférence en 1942,
« Hoe ik mijn taal en mijn volk terugvond » (Comment j'ai retrouvé ma
langue et mon peuple) (et dont le texte a été réédité en 1986 sous la direction
de l’Union Flamande de France – Vlaams Verbond van Frankrijk).
Alors qu’il existe un mouvement nationaliste flamand en
Belgique, on peut avancer sans doute aucun que l’abbé Gantois est à l’origine
de son avatar français. En effet, avec quelques camarades de séminaire, il fonde
en 1924 l'Union flamande de France (Vlaamsch Verbond van Frankrijk ou VVF),
organisation marquée à droite, catholique et défendant les Flamands. Il en fut
l'âme et anima des congrès annuels et des réunions littéraires ; il fut
également le rédacteur en chef de revues publiées par le VVF entre 1929 et
1944, « Le Lion de Flandre » et « De Torrewachter »
Après avoir étudié les lettres et la philosophie à
l'université catholique de Lille, il fut ordonné prêtre en 1932 et devint
vicaire à Lille. Jusqu'à la guerre, il défendit surtout les traditions
culturelles flamandes dans le Westhoek ou Flandre maritime. Certes la qualité
historique et linguistique de ses écrits sont reconnus mais ses intentions
politiques ne sont pas innocentes. Doit-on en chercher la cause devant le refus
d’une IIIe République laïque ou du côté de la volonté jacobine exprimée dès la
Révolution de n’avoir aucune tendance régionaliste alliée à l’obligation de
n’user que du français ? Il faut croire que les thèses pangermanistes
n’aient plus qu’influencé l’abbé, thèses en vigueur en Allemagne depuis le XIXe
siècle et largement reprises dans le National-Socialisme. Pour Gantois,
l’Allemagne devient une alliée objective puisque l’ennemi, en l’occurrence la
France, est commun.
La question collaborationniste
Au début de la guerre, le VVF fut interdit par les autorités
françaises, mais en 1940 l'abbé Gantois, qui s'était rapproché de la doctrine
nazie de la race germanique, écrivit à Hitler pour que la Flandre française fût
intégrée au Reich allemand comme « membre de la nouvelle communauté germanique
». Le courrier a été retrouvé à la préfecture de Lille à la Libération mais la
lettre n'a jamais été lue par Hitler). Il traite alors les Français de « zazous
avachis », un thème largement repris à l’époque par les ligues et groupes d’extrême-droite.
Dans une région occupée et rattachée au commandement allemand établi au Palais
de Laaken, l’abbé pouvait donc penser que les Allemands étaient susceptibles de
voir ses activités favorablement.
Certes, rien de bien différent de nombre de mouvements collaborationnistes... Entre ceux qui désirent la collaboration politique (comme Laval qui voit là un moyen de combattre le Bolchévisme), ceux qui sont profondément pour par conviction antisémite tels LF Céline, d'autres qui voient là une occasion de faire de bonnes affaires avec le vainqueur du moment, les motifs ne manquent pas. Gantois, lui, y ajoute une dimension historique et culturelle, sous pretexte de culture, de germanité, etc... confisquant au passage tout un pan de cette culture au bénéfice de l'Occupant.
En 1941, il avait repris les activités du VVF, cependant il
les limitait au domaine culturel et, contrairement à d'autres prêtres, n'incita
jamais personne à aller se battre contre le bolchévisme sur le front de l'Est. Cela
reste toutefois un encouragement à la collaboration, consentie comme expression
d’une communauté culturelle, linguistique et… raciale (accréditant en filigrane
la thèse nationaliste allemande). Cette dérive nationaliste et raciste lui
valut pourtant d'être relevé de ses fonctions sacramentelles par le cardinal
Liénart.
Après la guerre
À la Libération, il passa en jugement et le procureur requit
la peine de mort. Il fut finalement condamné à 5 ans de prison et assez vite
libéré puis envoyé par l'Église comme curé de campagne dans un village loin de
la Flandre.
En 1958, il participa à la création du groupe « De Vlaamse
Vrienden in Frankrijk » (« les Amis flamands en France ») et il prit part à la
rédaction de « Notre Flandre », mais ne parvint jamais à atteindre le
grand public. Cela ne l'empêcha pas de publier un grand nombre d'articles, avec
toujours la pensée pan-néerlandaise comme fil conducteur. On le retrouva mort
dans le canal de l'Aa le 28 mai 1968, quelque temps après la mort de sa mère.
Il est inhumé à Watten.
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