jeudi 29 juin 2017

l'abbé Gantois, le mauvais génie de la Flandre



Alors que nombre d’associations tentent de mettre en lumière la culture flamande, son passé comme son histoire, il est utile de revenir sur un personnage-clé dont l’action jette encore une part d’ombre sur cette démarche. Si l’abbé Gantois eut un impact considérable sur la prise de conscience du passé flamand, le trouble demeure et jette la suspicion sur toute personne se réclamant Flamand, même si ces écrits n’ont qu’une approche culturelle ou linguistique. A cela, il ne faut pas oublier la confusion entretenue par les mouvements nationalistes belges, profondément identitaires qui – auprès du grand public –  se posent en défenseurs et en héritier d’un patrimoine séculaire en allant jusqu’à confisquer ses plus anciens symboles. La question est bien entendu plus prégnante de l’autre côté de la frontière mais avec la libéralisation de la parole sur les réseaux sociaux, elle prend une nouvelle dimension chez nous.
 
De l’abbé Gantois reste un souvenir trouble bien qu’il ne soit finalement pas connu du grand public. Si ses écrits historiques sont de bonne facture, il reste l’inspirateur d’un mouvement identitaire La chose est d’autant plus dommageable que le grand public finisse par croire que s’affirmer « Flamand » revient à affirmer son appartenance à des mouvements identitaires. La confusion est constamment entretenue par ces mêmes groupuscules, leur propos tendant à faire croire que la Flandre doit se replier sur elle-même (et quelque part sur le souvenir de sa grandeur passée) en omettant tout ce qui a fait la grandeur de la Flandre (certes aujourd’hui scindée entre Flandre de France, de Belgique et de Flandre zélandaise) grâce à sa position idéale sur l’un des plus actifs carrefours commerciaux, d’avoir appartenu à des entités politiques larges et ouvertes sur le monde et d’avoir reçu des populations venues de tous les horizons. Le propos est paradoxal si l’on y regarde de plus près puisque la Flandre s’est enrichie grâce à ces apports extérieurs. Il faudra bien que les historiens se penchent - quitte à susciter quelques inimitiés - sur les conséquences des écrits de Gantois et le retentissement qu'ils ont eu sur la question flamande en France.
 
 
L’abbé Gantois ou la genèse du mouvement flamand
 
Jean-Marie Gantois nait en 1904 dans une famille flamande francisée et socialement bien insérée puisqu’il était le fils d'un médecin de Watten (Nord). Le français était sa langue maternelle. Ses études secondaires à Aire-sur-la-Lys et Hazebrouck terminées, il entre au séminaire d'Annappes (intégrée aujourd’hui à la commune de Villeneuve d’Ascq) où, influencé par quelques professeurs d'esprit flamingant, il commença à apprendre le flamand. Il a décrit cette prise de conscience progressive dans une conférence en 1942, « Hoe ik mijn taal en mijn volk terugvond » (Comment j'ai retrouvé ma langue et mon peuple) (et dont le texte a été réédité en 1986 sous la direction de l’Union Flamande de France – Vlaams Verbond van Frankrijk).
   


Alors qu’il existe un mouvement nationaliste flamand en Belgique, on peut avancer sans doute aucun que l’abbé Gantois est à l’origine de son avatar français. En effet, avec quelques camarades de séminaire, il fonde en 1924 l'Union flamande de France (Vlaamsch Verbond van Frankrijk ou VVF), organisation marquée à droite, catholique et défendant les Flamands. Il en fut l'âme et anima des congrès annuels et des réunions littéraires ; il fut également le rédacteur en chef de revues publiées par le VVF entre 1929 et 1944, « Le Lion de Flandre » et « De Torrewachter »
 
Après avoir étudié les lettres et la philosophie à l'université catholique de Lille, il fut ordonné prêtre en 1932 et devint vicaire à Lille. Jusqu'à la guerre, il défendit surtout les traditions culturelles flamandes dans le Westhoek ou Flandre maritime. Certes la qualité historique et linguistique de ses écrits sont reconnus mais ses intentions politiques ne sont pas innocentes. Doit-on en chercher la cause devant le refus d’une IIIe République laïque ou du côté de la volonté jacobine exprimée dès la Révolution de n’avoir aucune tendance régionaliste alliée à l’obligation de n’user que du français ? Il faut croire que les thèses pangermanistes n’aient plus qu’influencé l’abbé, thèses en vigueur en Allemagne depuis le XIXe siècle et largement reprises dans le National-Socialisme. Pour Gantois, l’Allemagne devient une alliée objective puisque l’ennemi, en l’occurrence la France, est commun.
  
 
La question collaborationniste
 
Au début de la guerre, le VVF fut interdit par les autorités françaises, mais en 1940 l'abbé Gantois, qui s'était rapproché de la doctrine nazie de la race germanique, écrivit à Hitler pour que la Flandre française fût intégrée au Reich allemand comme « membre de la nouvelle communauté germanique ». Le courrier a été retrouvé à la préfecture de Lille à la Libération mais la lettre n'a jamais été lue par Hitler). Il traite alors les Français de « zazous avachis », un thème largement repris à l’époque par les ligues et groupes d’extrême-droite. Dans une région occupée et rattachée au commandement allemand établi au Palais de Laaken, l’abbé pouvait donc penser que les Allemands étaient susceptibles de voir ses activités favorablement.
  
Certes, rien de bien différent de nombre de mouvements collaborationnistes... Entre ceux qui désirent la collaboration politique (comme Laval qui voit là un moyen de combattre le Bolchévisme), ceux qui sont profondément pour par conviction antisémite tels LF Céline, d'autres qui voient là une occasion de faire de bonnes affaires avec le vainqueur du moment, les motifs ne manquent pas. Gantois, lui, y ajoute une dimension historique et culturelle, sous pretexte de culture, de germanité, etc... confisquant au passage tout un pan de cette culture au bénéfice de l'Occupant.
 
En 1941, il avait repris les activités du VVF, cependant il les limitait au domaine culturel et, contrairement à d'autres prêtres, n'incita jamais personne à aller se battre contre le bolchévisme sur le front de l'Est. Cela reste toutefois un encouragement à la collaboration, consentie comme expression d’une communauté culturelle, linguistique et… raciale (accréditant en filigrane la thèse nationaliste allemande). Cette dérive nationaliste et raciste lui valut pourtant d'être relevé de ses fonctions sacramentelles par le cardinal Liénart.
  
 
Après la guerre
 
À la Libération, il passa en jugement et le procureur requit la peine de mort. Il fut finalement condamné à 5 ans de prison et assez vite libéré puis envoyé par l'Église comme curé de campagne dans un village loin de la Flandre.
En 1958, il participa à la création du groupe « De Vlaamse Vrienden in Frankrijk » (« les Amis flamands en France ») et il prit part à la rédaction de « Notre Flandre », mais ne parvint jamais à atteindre le grand public. Cela ne l'empêcha pas de publier un grand nombre d'articles, avec toujours la pensée pan-néerlandaise comme fil conducteur. On le retrouva mort dans le canal de l'Aa le 28 mai 1968, quelque temps après la mort de sa mère. Il est inhumé à Watten.
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