Si Dunkerque est pour quelques jours encore sous les feu de l'actualité pour le tournage du Blockbuster de Christopher Nolan, l'attention du public se concentre finalement sur les péripéties militaires de l'opération Dynamo... Mais pour nombre d'anciens, c'est aussi le souvenir de l'occupation puis de l'évacuation de 1944 qui est tout aussi douloureux... Dans une ville, un port et une plage, devenues une nasse pour les derniers soldats qui n'ont pu embarquer, le réveil est très difficile.
Feu Serge Blanckaert, ancien rédacteur-en-chef de la Voix du Nord de Dunkerque, ajouta de nombreuses pierres à l'édifice de mémoire du Dunkerquois par ses nombreux ouvrages ainsi que par la création de l'association pour la création d'un musée des première et deuxième guerre mondiale à Dunkerque, qui a donné naissance au mémorial du Bastion 32 (dommage cependant que celui ci ne se consacre au final qu'à l'opération Dynamo... mais çà, c'est une autre histoire...).
Nous nous permettrons cependant d'ajouter quelques illustrations qui ne sont pas tirées de son ouvrage..
ILS SONT LA
In Serge BLANCKAERT « Dunkerque, 1939-1940 » ,
éditions Serge Blanckaert, Dunkerque, 1980, 122 p., pp. 99-104
Le jour se lève, le 4 juin 1940,
dans un calme étrange, sur une plage encombrée de voitures, d’épaves, d’armes,
de munitions, d’équipements de toutes sortes. Des cadavres de soldats gisent
sur le sable, non loin de chevaux morts, victimes eux aussi de ce grand coup de
folie.
Désormais inutiles, les jetées de
camions que les Anglais avaient formées pour que les hommes puissent avancer
jusqu’aux bateaux, commencent à se défaire sous l’effet des marées.
Des milliers et des milliers de
soldats français attendent encore sur la jetée, au port et sur la plage. Des groupes
se mettent en marche le long du rivage, vers l’Ouest, tentant d’échapper aux
Allemands dont l’arrivée est imminente. Mais avant d’avoir pu atteindre
Loon-Plage, ils seront arrêtés par l’ennemi. Quelques hommes seulement
parviendront à traverser les lignes allemandes pour passer en territoire encore
non occupé.
Certains soldats se mettent en
quête de vêtements civils dans le but d’éviter la captivité. La plupart des
autres arborent des mouchoirs blancs.
A Coudekerque-Branche, la famille
Baron, qui s’est abritée, comme de nombreux habitants du quartier, dans les
caves de la brasserie Vanoorenberghe, voit ce matin-là, par un soupirail, des
soldats allemands approcher à travers champs. Une tête coiffée d’un casque
garni de feuillage apparaît bientôt dans l’ouverture. Il y a dans la cave, avec
les civils, deux soldats français. L’Allemand les voit et lance une grenade
dans le sous-sol. Plusieurs personnes sont blessées, heureusement sans gravité.
Elles seront conduites un peu plus tard à l’hôpital, après l’intervention d’un
officier allemand.
L’abbé Lecointe, vicaire à Saint-Martin,
découvre les Allemands de très bonne heure, devant l’église : « sur
le pavé, un immense drapeau à croix gammée, et autour, des soldats allemands
allongés sur le sol, mitrailleuses en batterie ; au milieu de la rue, un
sous-officier révolver en l’air, faisait des signes et criait d’une voix
gutturale ». A l’intérieur de l’église, le vicaire et l’abbé
Marquis, doyen, se trouveront en présence d’un soldat allemand jouant de l’orgue !
Vers 6h30, des Dunkerquois qui
ont trouvé refuge au collège des Dunes, voient passer les Allemands rue du Lion
d’Or. Ils viennent de la Basse-Ville et vont vers le quai des Hollandais,
braquant leurs armes en direction des fenêtres des immeubles encore debout.
Vers 6h40, M. Fernand Polle,
sorti de son abri, rue Dupouy, s’avance parmi les décombres jusqu’à la place
Jean Bart où tous les immeubles sont effondrés autour de la statue du corsaire,
épargnée. Il recule, en proie à une forte émotion : à 50 mètres de lui,
sur la place, une mitrailleuse est « entourée de servants verts au casque
large ».
A 7 heures, M. Max Labat,
rédacteur à la mairie de Dunkerque, voit les Allemands à Petite-Synthe. « Des
troupes françaises erraient encore vers Fort-Mardyck et la côte », a-t-il
noté.
A 7h30, M. Robert Bethegnies
(auteur du livre « Le sacrifice de Dunkerque ») aperçoit les « hommes
verts, casqués, armés de fusils et de grenades » sur la digue de
Malo-les-Bains.
Deux soldats allemands, arme au
poing, font irruption dans la sous-prefecture. M. Le Gentil termine sa
toilette. Un officier de la Wehrmacht se présente à son tour et il emmène le
sous-préfet pour qu’il fasse cesser le tir, car l’Allemand a entendu quelques
coups de feu.
Il ne peut s’agir que d’initiatives
incontrôlées car à 8 heures, à l’hôtel de ville, les généraux Beaufrère,
commandant la 68e D.I. et Teyssère, commandant la 60e D .I.,
rencontrent le commissaire central et M. Waeteraere, président de la Commission
administrative, pour confirmer qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la lutte, la
ville ayant déjà considérablement souffert. Le général Beaufrère, plus ancien
en grade, prendra contact, est-il convenu, avec l’Etat-Major allemand. L’un des
soldats ennemis entré en ville en est avisé. Un peu plus tard, une voiture
emmène le général Beaufrère à Malo-les-Bains, dans un café proche du casino où
il est mis en présence d’un colonel. Celui-ci annonce au général français qu’il
sera reçu un peu plus tard par le général von Krantz, commandant la 18e
Division silésienne qui a conquis la ville avec la 61e Division.
Sur une place de Dunkerque, se
rassemblent une quinzaine d’hommes vêtus de bleus de travail et de vêtements
salis, rapporte Jean Beaux, dans son livre « Dunkerque 1940 ». « Ils
se sont assis par terre, cassant tranquillement la croûte et parlant allemand
sans aucune gêne. Puis, bientôt, une voiture de l’armée allemande arrive. Un officier
en descend et tous se lèvent, claquant des bottes et crient « Heil Hitler ».
Ces hommes, probablement des agents de la « 5e colonne »,
partent ensuite en rang, en chantant. »
Ailleurs, un aviateur allemand
déguenillé s’avance en boitillant à la rencontre des conquérants : « C’est
le lieutenant von Oelhaven, capitaine de la 6e escadrille du premier
groupe. Son Ju 88 a été abattu par des Spitfires. Fait prisonnier, il devait
monter à bord d’un navire britannique » raconte Cajus Bekker dans « Altitude
4000, le journal de guerre de la Luftwaffe ».
« En escaladant un camion
qui servait de passerelle, Oelhaven a sauté à l’eau et s’est accroché sous le
véhicule. Il a tenu bon 36 heures, jusqu’à ce que la ville soit prise. »
A saint-Pol-sur-Mer, à la Cité
des Cheminots, un ancien combattant de 1914-18 abat d’un coup de fusil de
chasse un sous-officier allemand qui s’approche de sa porte. Il est criblé de
balles ainsi que son fils âgé de 19 ans.
A Malo-les-bains, un soldat du
511e bataillon régional, qui se tient avec un groupe de camarades dans la brasserie
Ravinet, près de la place Turenne, voit un soldat un soldat allemand déployer
un drapeau à croix gammée sur la chaussée d’un carrefour. C’est probablement un
signal destiné à l’aviation. Les soldats français sortent de la brasserie les
mains en l’air. Un Allemand leur offre des cigarettes et leur recommande de se
préparer à partir.
A l’ouvrage Ouest à
Petite-Synthe, est toujours en activité une batterie d’artillerie dont le chef
de secteur ignore que les unités du secteur se sont repliées au cours de la
nuit. Un capitaine allemand fait parvenir au maire de la localité un ultimatum
exigeant la reddition du fort, faute de quoi une attaque sera lancée sans égard
pour la population. Mis au courant de la situation par un parlementaire dépêché
par le maire, le commandant de la batterie se soumet.
Vers 10 heures, le port est
bouclé. Le drapeau à croix gammée flotte sur le Phare. Tous les soldats qui
stationnent sur les quais sont faits prisonniers. Suivent le même sort ceux qui
errent dans les dunes et sur la plage.
A 11 heures, les Allemands se
présentent au Clipon, au « Casino » de Loon-Plage, et y capturent un
groupe de militaires qu’ils emmènent dans une pâture vers Mardyck.
A Dunkerque même, c’est place
Vauban et au stand de tir que sont regroupés les prisonniers. D’autres, réunis
aux Glacis, forment une sorte de camp qui existera durant près d’une semaine.
Il y a encore à l’Institution Saint-Ursule à Malo-les-Bains et à Rexpoëde, dans
une pâture où, avant la prise de Dunkerque, les Allemands ont rassemblé les
soldats capturés lors des combats dans le secteur. C’est de ces différents
endroits que partiront, en de longues et tristes cohortes, vers les stalags et
oflags d’Allemagne, les prisonniers de Dunkerque.
Pas tous… Certains, domiciliés
dans la région, mettent à profit le flottement qui règne les premiers jours de
l’occupation pour rentrer chez eux, revêtir des vêtements civils et faire comme
si ils n’avaient pas été mobilisés. Les Allemands, parfois avec la complicité
de fonctionnaires locaux impressionnables
ou de dénonciateurs anonymes, feront la chasse à ces prisonniers manqués. Mais beaucoup
de soldats français seront pourvus de pièces d’identité régulières par les
autorités municipales ou de police de Dunkerque et des environs. Certains
prisonniers évadés de Dunkerque et d’autres recrutés comme policiers. Le
passage en zone non occupée d’autres soldats soustraits à la captivité
bénéficiera également de complicités officielles.
Quelques soldats britanniques,
ayant discrètement quitté l’institution Sainte-Ursule et revêtu des vêtements
civils, seront pris en charge par des Malouins. MM. Henri Gugelot, Marcel
Petit, l’abbé Charles Lemaire, Mme Marcelle Cousien, Pierre Malraux (15 ans),
Patrice Selingue (15 ans) et M. Castelin. Le premier groupe de Résistants
réussira à conduire en Angleterre les « Tommies », à bord d’un
canot qui fera plusieurs traversées, en partant de la plage de Saint-Pol-sur-Mer.
Mais ces Résistants seront arrêtés un an plus tard et les deux premiers,
éxécutés.
Les Allemands se présentèrent au
sanatorium de Zuydcoote le 6 juin, 48 heures après la prise de Dunkerque. Ils en
évacuèrent leurs propres hommes, blessés et capturés au cours des combats. Ils
y transférèrent les blessés anglais du Château Coquelle à Rosendaël et
emmenèrent par la suite les soldats des B.E.F. en captivité.
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